New Super-Man 2 par Gene Luen Yang, Billy Tan et Viktor Bogdanovic
PRESENCE
VO : DC Comics
VF : /
Ce tome fait suite à New Super-Man 1: Made in China (épisodes 1 à 6) qu’il vaut mieux avoir lu avant pour s’être familiarisé avec ces nouveaux personnages et avec l’histoire personnelle de Kong Kenan. Ce dernier est un adolescent chinois vivant à Shanghai. Après s’être fait remarquer en tenant tête au supercriminel Blue Condor, il a été choisi, par le docteur Oman du Ministère de l’autosuffisance, pour être intégré à un programme gouvernemental de création du superhéros.
Pendant le processus, il a reçu une partie de l’énergie vitale d’une version décédée de Superman. Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2017, tous écrits pas Gene Luen Yang, également auteur de American Born Chinese (j’en profite au passage pour dédicacer cet article à Jean-Pascal qui nous a fait connaître ce récit sur le site). Les épisodes 7, 8, 11 et 12 sont dessinés par Billy Tan. L’encrage a été réalisé par Yangiu Li (é7), Haining (é8 & é12), Tako Zhan (é11). La mise en couleurs a été réalisée par Yangfen Guo (é7), Gadson (é8 & é12), Ying Zhan (é11). Les épisodes 9 & 10 ont été dessinés par Viktor Bogdanovic, encrés par Jonathan Glapion, et mis en couleurs par Michael Spicer.
À Beijing en Chine, dans le bureau de Zhu Tianren (l’officier de liaison avec l’équipe Great Ten), August General in Iron (le chef de Great Ten), est en train de malmener l’officier de liaison Tianren parce qu’il a appris l’existence d’un centre de détention secret pour individus dotés de superpouvoirs. Il est interrompu par un officiel de plus haut rang. À Shanghai, au jardin botanique de Chenshan, la foule est venue en masse pour applaudir et assister à la présentation de la Ligue de Justice chinoise composée de Super-Man (Kenan Kong), Bat-Man (Wang Baixi) et Wonder-Woman (Peng Deilan). Cette présentation est coanimée par la journaliste Laney Lan, et Lex Luthor (au mandarin un peu limité) venu pour demander un service.
Après la cérémonie, les 3 superhéros chinois rejoignent la Tour de la Perle Orientale, où ils ont droit à un débriefing par la docteure Omen, responsable gouvernementale de l’équipe. Alors que chacun s’apprête à rentrer chez soi, Kenan Kong rappelle qu’il souhaite l’aide de de Wang Baixi et de Peng Deilan pour retrouver les meurtriers de ses parents. Mais c’est le jour de la Fête de la Nouvelle Année Lunaire, et ses 2 compagnons ont des obligations familiales.
Bat-Man va retrouver sa sœur Jiaili dans le centre d’entraînement appelée Académie de la Chauve-Souris. Il y est accompagné par Peng Deilan. Sur place, il est défié par Feng Ronpei qui estime être plus compétent que lui, et que le costume de Bat-Man lui revient de droit. Wang Baixi accepte le défi, et le combat se déroule dans la salle de réalité virtuelle de l’académie. De son côté, Kenan Kong a décidé de suivre les conseils de Mingming et de se rendre au cours d’arts martiaux qu’elle suit pour en rencontrer l’instructeur. Il tombe au beau milieu d’un cours et se retrouve contraint d’y participer, sous les remarques sarcastiques du maître I-Ching.
Dans le premier tome, le lecteur découvrait encore une nouvelle variation de Superman, créée à l’occasion de l’opération Rebirth en 2016, l’éditeur DC Comics faisant fructifier l’un de ses principaux personnages, l’une de ses propriétés intellectuelles les plus rentables et les plus facilement identifiables, après Batman bien sûr. Il se rendait compte que le scénariste était bien décidé à développer un personnage neuf et original, même s’il porte le nom de Superman à peu de choses près, c’est-à-dire avec un tiret au milieu. Viktor Bogdanovic avait réalisé de dessins descriptifs très propres et classiques pour des comics de superhéros, pour une histoire d’origine sympathique.
Le lecteur revient pour savoir ce qu’il advient de ce jeune superhéros chinois qui a tout à apprendre. Il retrouve Kenan Kong, égal à lui-même plein d’entrain pressé, comptant sur le fait qu’il va progresser instantanément que ce soit pour développer ses pouvoirs (par exemple, il ne peut pas encore voler), pour découvrir les meurtriers de ses parents, ou pour être reconnu comme le chef naturel de la Ligue de Justice Chinoise. Le lecteur a le sourire aux lèvres en voyant que l’adolescent se heurte au principe de réalité : le monde ne tourne pas autour de lui. Les pouvoirs qu’il attend n’arrivent pas tout seul. Ses coéquipiers ont d’autres obligations qui font qu’ils ne peuvent pas l’aider immédiatement. Il n’arrive pas à compenser son manque d’expérience par une attitude bravache.
Gene Luen Yang donne l’impression d’utiliser les trucs et astuces classiques pour attirer l’attention du lecteur et inscrire le personnage dans l’univers partagé DC. Il y a donc un retour de Superman, ainsi que Lex Luthor qui joue un rôle important pendant la moitié du tome, une abondance de personnages costumés, avec l’apparition d’un membre de Great Ten, mais aussi la participation du groupe China White Triad (China White, Snakepit, Strato) et l’adjonction d’une variation de Flash à la Ligue de Justice Chinoise, sans oublier un Robin robotique doté d’une Intelligence Artificielle (pour Bat-Man). Les connaisseurs de DC reconnaissent facilement Amanda Waller le temps d’une page. Les experts se rappellent d’I-Ching qui fut un temps mentor de Wonder Woman quand elle avait abandonné son identité secrète (et perdu ses pouvoirs) dans les épisodes 178 à 198 de la série Wonder Woman par Denny O’Neil & Mike Sekowski. Dans les 2 premiers épisodes, Super-Man et Bat-Man doivent faire preuve de leur légitimité chacun à sa manière. Dans les 2 suivants, Super-Man se bat contre des créatures surgies de l’Enfer (Diyu). Dans les 2 derniers, la Ligue de Justice chinoise combat un gros monstre et un autre individu lié aux origines de Super-Man.
En entamant le premier épisode, le lecteur découvre que Viktor Bogdanovic n’est présent que durant 2 épisodes sur 6. Il commence donc par regarder les pages de Billy Tan. Cet artiste fait l’effort de conserver les caractéristiques visuelles de Bogdanovic, sans singer sa manière de dessiner. En particulier il conserve un nombre assez élevé de cases par page, généralement 6. Ensuite il a diminué sa propension à privilégier les cases avec des personnages adoptant des postures avantageuses, ou celles avec une exagération du mouvement et des angles de vue très prononcés. Le lecteur apprécie donc de retrouver une narration visuelle à la hauteur des personnages qui sait montrer leur côté humain et faillible, avec une bonne régularité de présence des décors. Billy Tan a su rester dans le ton de la narration de Bogdanovic.
Le lecteur retrouve ce dernier pour les 2 épisodes médians, avec plaisir grâce aux visages plus expressifs des personnages, en particulier les franches émotions qui se lisent sur le visage de Kenan Kong. Bogdanovic fait également preuve d’une bonne sensibilité pour le sensationnel, en particulier lors des manifestations surnaturelles de démons en provenance de l’enfer. Il note la finesse de l’encrage de John Glapion, ainsi que sa capacité à ajouter discrètement des textures par les traits de contour. Il se rend compte que Bogdanovic s’implique moins que Tan dans les arrière-plans, mais que cette densité plus faible est largement compensée par la mise en couleurs très riche de Michael Spicer. Billy Tan revient pour les 2 derniers épisodes, avec une sensibilité améliorée pour l’expressivité des visages et un sens du spectaculaire plus adapté à l’histoire de ces 2 épisodes. Par contre, la qualité de la finition varie avec le changement des encreurs, restant précise, mais un peu fade pour l’épisode 12. De même la mise en couleurs un peu plus terne de Gadson pour l’épisode 12 détone un peu par rapport au ton de la narration qui reste très superhéros.
D’épisode en épisode, le lecteur se rend compte que Gene Luen Yang a choisi de raconter son histoire avec une bonne densité narrative, afin de pouvoir avoir les éléments attendus (affrontement physique contre un ennemi), le développement de son personnage principal, conserver une consistance assez importante pour les personnages secondaires afin que le lecteur continue de s’y intéresser, développer l’environnement propre de la série (le service du ministère chargé d’encadrer la Ligue de Justice chinoise, les autres individus chinois dotés de superpouvoirs) et intégrer des références culturelles chinoises. Quand le lecteur découvre les premières répliques de I-Ching, il tique un peu. Le nom de ce personnage est une déformation de Yi Jing, c’est-à-dire une référence au un manuel chinois également appelé Classique des changements, ou encore Traité canonique des mutations, élaboré durant le premier millénaire avant l’ère chrétienne. En voyant le simplisme des réponses d’I-Ching, le lecteur se demande si Gene Luen Yang (bédéaste américano asiatique) apporte réellement une caution culturelle, ou utilise des éléments culturels de manière factice. En effet les remarques de I-Ching repose bien sur une opposition de contraires, mais sans leur interpénétration ou l’intrication des opposés telle que figurée dans le symbole du Yin et du Yang.
Comme il découvre d’autres références culturelles, le lecteur se demande si cette démarche relève de la condescendance ou de l’authenticité. En particulier, Gene Luen Yang utilise les trigrammes de la Voie Octuple, les triades, le Diyu et les 6 royaumes définis par le bouddhisme, ou encore le concept de Qi (principe fondamental formant et animant l’univers et la vie) et un conte chinois célèbre avec le serpent blanc et le moine Fahai (un animal ayant migré de son monde à celui des humains). En face de cela, il découvre un visage de Fu Manchu en dernière page de l’épisode 9 dessiné à l’ancienne, comme au temps passé du péril jaune.
En fin de volume, il apprécie aussi l’humour culturel des couvertures alternatives réalisées par Bernard Chang, jouant sur l’opposition entre l’origine chinoise de Kenan Kong et les produits de grande consommation américains comme les hot-dogs et la pizza, ou sur des traditions chinoises comme la course de pirogue ou la référence à l’année coq. Il remarque qu’au cours du récit, le narrateur attire l’attention sur le fait que tous les personnages ne parlent pas anglais, plus précisément encore Lex Luthor parle en mandarin, étant loin de maîtriser cette langue. Sans insister lourdement, le scénariste fait observer que tous les dialogues se déroulent en mandarin, la langue du pays, et qu’il y a bel et bien une barrière de la langue pour les étrangers. Ce détail convainc le lecteur que le scénariste s’est bien posé des questions sur la manière de représenter la culture chinoise, et qu’il ne s’agit pas d’un décor de carton-pâte de circonstance. D’ailleurs, le visage parodique de Fu Manchu trouve une justification facétieuse par la suite, déconnectée de toute connotation raciste.
Le lecteur est revenu pour ce deuxième tome, plus par curiosité que par réel enthousiasme. Au premier degré, il lit une histoire dense, bien ficelée, de superhéros classique, avec affrontements physiques, utilisation de superpouvoirs pyrotechniques et personnages sympathiques et faillibles sur fond de gentille comédie. Au fur et à mesure, il constate que le scénariste et les différents artistes se sont lancés dans une démarche honnête d’établir un superhéros chinois, et de le faire exister dans un environnement réellement chinois, et pas simplement une transposition factice des aventures d’un superhéros américain dans des décors de carton-pâte. Le récit ne devient ni un voyage touristique, ni un reportage sur la société chinoise, mais il intègre suffisamment de références culturelles chinoises spécifiques pour acquérir une personnalité différente.
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Suite au Rebirth de DC, Superman est devenu chinois ! Il y a même un Batman souriant, voire du I-Ching ! Une découverte à faire chez Bruce Lit.
La BO du jour : même Wonder Woman est devenue chinoise !
Merci pour la dédicace, Présence!
Petite confusion : j’avais chroniqué The Shadow Hero (les aventures de la Tortue de Jade) et pas ABC (chroniqué par Bruce).
Je suis partagé sur ce Super-Man. Dérivatif mais pas totalement anecdotique. Première bonne résolution pour 2019 : reprendre un abonnement en médiathèque !
Bonnes fêtes à toute la Team et à nos fidèles lecteurs !
Honte à moi : je n’ai pas vérifié ce que je racontais de mémoire… mais je maintiens quand même la dédicace. 🙂
Ah oui, bonnes fêtes à toutes et tous ! Bonnes fêtes JP !
Je n’en avais jamais entendu parler.
Je commence à prendre conscience qu’en lisant de moins en moins de comics mainstream, je me déconnecte peu à peu d’une vision globale de l’actualité éditoriale. Du coup, le travail de l’ami Présence est plus que jamais le bienvenu !
J’ai failli acheter The Shadow Hero à un moment donné. Et puis je suis passé à autre chose.
Ce titre aura réussi à tenir 2 ans, 24 épisodes, sans devoir se plier à un crossover, ou que l’histoire soit rapatriée aux États-Unis pour devenir plus vendeur. Il atteste qu’il subsiste des possibilités de séries de superhéros s’éloignant du moule normalisateur industriel.
ça a l’air sympa.
Je regrette presque un peu cette nécessité de donner les mêmes noms aux personnages que ceux de héros connus (pour vendre surement), mais d’un autre côté ça n’a pas l’air d’être du copier/coller bête et méchant transposé en Chine pour faire style que DC est « openminded ». Il semble que les persos aient leur propre caractère et histoire qui diffère des versions plus connues.
Au point que justement ils auraient pu porter d’autres noms, mais pas grave, nécessité éditoriale et tout ça…^^
Je pense que tu as bien résumé la situation : pour pour lancer de nouveaux personnages dans les univers partagés DC ou Marvel, il faut soit un nom de superhéros facilement identifiable ((c’est à dire une variation sur une tête de gondole comme Batma, Superman, Hulk, Captain America), soit un très grand nom de créateur.
Pour un lecteur français, i y a aussi une forme d’ironie à ce que la Chine produise des superhéros portant le nom de superhéros de marque renommée, une forme de contrefaçon bon marché Made in China. 🙂
Tiens, tu m’apprends que Gene Luen Yang fait du Marvel.
Il va falloir qu’il me fasse oublier la Supergirl de Tamaki et Jones.
Ceci dit, sauf si je tombe dessus, je ne suis pas super-intéressé. En outre, je trouve les couleurs froides et les maquettage des couvertures DC hideuse (comme d’habitude).
🙂 Au temps pour moi, j’aurais juré que Superman, c’est du DC.
Normalement, tu est déjà tombé dessus dans une pile ou une autre.
Même si le concept est attirant et intriguant, les scans ne m’ont pas du tout plu et je ne me sens pas assez investi dans le personnage pour tenter cette aventure. Mais merci pour l’explication de texte et la découverte ! Et encore tout mon respect pour les différentes facettes culturelles. Pour ma part, les vérifications sur wikipédia ou d’autres sites sont désormais inévitables dès que j’écris un article, même si je pense connaître le sujet en profondeur. Je vérifie les mots et verbes inaccoutumés (le détonne / dénote de JP est toujours vivace), les dates, les courants de pensée, les traductions…
La BO : fan. Meilleur album de Bowie heu Iggy.
Pareil, je passe au moins par wikipedia, et je souffre dès qu’il s’agit d’une bande dessinée à caractère historique, à commencer par les récits de guerre de Garth Ennis et le vocabulaire technique pour les armes et l’organisation militaire.
Je me suis méfié de cette BD visiblement fabriquée pour donner un titre à la minorité sino-américaine. Je trouvais cette vague de loin, artificielle. je me suis laissé dire que je ne manquais pas grand chose et je n’ai pas creusé.
C’est pourtant un bel effort pour la diversité des titres à la fois au niveau social que pour les univers proposés.
a la lecture de l’article on sens aussi un bon gros capital sympathie pour les personnages…
24 numéros dans le contexte actuel, c’est une victoire. je gage que le personnage reviendra….ils reviennent tout le temps ces super héros.
Je te le confirme : j’ai trouvé ces personnages très sympathiques.
Ils reviendront… peut-être, peut-être pas, mais ils n’auront pas la même personnalité, ils ne généreront pas le même capital sympathie s’ils ne sont pas écrits par Gene Luen Yang. Cette série était dans un cas de figure où je suis venu pour le scénariste, je suis resté pour lui, et je n’y reviendrai le cas échéant qu’en fonction du capital confiance que j’accorde au prochain auteur. D’un autre côté, DC et Marvel ont souvent du mal à gérer l’après, quand le charme de la série tient plus aux auteurs qu’aux personnages. Il ne me semble pas que les Runaways aient retrouvé leur aura après le départ de Brian K. Vaughan.