Sous notre atmosphère par Osamu Tezuka
1ère publication le 30/10/14- Maj le 19/07/18
Une gueule d’atmosphère de BRUCE LIT
VF : Editions H
Tous les scans ©Editions H
Sous notre atmosphère compile des nouvelles écrites et dessinées par Osamu Tezuka publiées par le mensuel Play Comic. Le sens de lecture est japonais.
Ces 17 nouvelles ont été publiées entre 1968 et 1970. Pour les puristes, le titre original est Kûki no soko. Certains spoilers dévoileront la fin de certaines nouvelles afin d’analyser la profondeur de l’oeuvre du maître !
Considéré comme le Dieu du Manga, Osamu Tezuka aura fait une bien étrange carrière. Réputé pour ses dessins à fortes connotations infantiles, le créateur d’Astro le robot et du Roi Lion a également publié des ouvrages destinés à des adultes.
Et s’il est impossible d’ouvrir un bouquin du bonhomme sans y voir mentionné le versant humaniste de son oeuvre, celui-ci prend une forme atypique dans chacune de ses oeuvres. Oui l’humanisme de Tezuka est flagrant mais pas envahissant. Et rarement moralisateur. Car le maître Japonais a écrit une tragédie magnifique (Ayako), une épopée historique impressionnante (Histoire des 3 Adolfs), ou une fable génétique existentielle (Kirihito).
Dans chacune de ces oeuvres, Tezuka tourmente comme personne ses protagonistes dotés de zones d’ombres ultra réalistes. Ses personnages ne sont pas manichéens, et le mangaka trouve parfois la voix de véritables ordures sans les juger.
Dès lors, le lecteur du 21 ème siècle se trouve avec un étrange bouquin entre les mains : un graphisme cartoon à la limite du caricatural tranchant avec des leçons de vie au vitriol d’une rare profondeur philosophique et métaphysique. Tezuka n’occultera au long sa carrière aucun sujet dérangeant : le rapport à la religion, les théories raciales, la mesquinerie, l’avarice humaine, l’inceste et parfois de manière ambivalente, le viol.
Devenu une sorte de saint, l’écriture de Tezuka pouvait être pourtant extrêmement violente et dérangeante. Elle l’est encore aujourd’hui. Elle l’a sûrement été il y a presque 50 ans quand ces nouvelles ont été publiées. A l’époque Tezuka est assimilé comme étant un auteur pour enfant, avec tout le mépris que cela véhicule. Il souhaite alors prendre le train en marche d’une nouvelle mouvance stylistique : le gekika, l’ancêtre du seinen, c’est à dire des histoires réservées à un public masculin entre 16 et 19 ans.
Les histoires deviennent plus sombres, plus violentes, plus dures. L’évolution de Tezuka est assez remarquable, autant que celle d’Hergé passant au fil des années du Tintin du Congo à celui du Tibet. Mais Tezuka va plus loin ! Imagine t’on Hergé écrire le Punisher ! Non ! Tezuka, lui, en aurait été capable (j’exagère à peine !). La maturation de Tezuka prend naissance avec cette série de nouvelles courtes qu’il publie, à quelques exceptions près, de manière mensuelle.
Je ne passerai pas en détails chacune d’entre elles. Comme dans les films à Sketch, certaines sont plus réussies que d’autres, mais toutes bénéficient d’une ambiance à couper au couteau et d’une originalité impressionnante. Ce qui est admirable chez Tezuka, c’est qu’il prend constamment de la hauteur, et qu’il ne se cantonne pas à sa patrie natale ( ce qui n’aurait rien de préjudiciable en soi). Tezuka vise à l’universalité : si certaines de ces histoires prennent pour décorum les révoltes des campus japonais ou une bombe atomique lancée à Tokyo, d’autres histoires se passent sur la lune, aux Etats-Unis, l’Allemagne nazie ou…en Bretagne !
Non seulement Tezuka montre qu’il est capable de raconter des histoires adultes, mais il est à l’aise dans tous les genres, dans toutes les époques ! Ses histoires font directement référence à la littérature classique ou fantastique : Les Métamorphoses d’Ovide, les Chroniques martiennes de Bradbury ou la Chute de la maison Usher de Poe. Tezuka adorait le cinéma et, que ce soit dans ses découpages ou le choix de ses histoires, il y est facile d’y déceler l’influence d’Hitchcock, de Jacques Tourneur ou d’Orson Welles. Voire de la première version de la Mouche noire pour l’histoire Robanna où une jeune femme échange malencontreusement son corps avec celui d’un âne dans un téléporteur !
Mais pour 90 % des nouvelles de ce recueils, c’est à la Quatrième dimension de Rod Serling que le lecteur pense immédiatement ! Western, film de guerre, histoire, thriller; Tezuka aborde tous les genres avec l’insolence d’un garnement. Et quelle claque ! Où est il allé péché ses idées ?
L’exécution eut lieu à 15 heures : Un criminel de guerre nazi sur le point d’être fusillé pense être capable de s’évader en ralentissant le temps à l’aide d’une formule volée à un scientifique juif ! Il meurt en se rendant compte que si le temps est ralenti, ses gestes pour se libérer le sont aussi ! Entre-temps Tezuka prépare sa grande oeuvre, l’Histoire des 3 Adolfs en décrivant successivement et brutalement les viols et tortures que subissent les juives dans les camps de la mort.
Un Visiteur pour Joe : Pendant la deuxième guerre mondiale , un officier blanc raciste harcèle un soldat noir. Lorsqu’ils sautent tous les deux sur une mine, le coeur du jeune noir est transplanté pour sauver une belle ordure. Celui-ci rend visite à la mère de Joe, ce jeune noir décédé, pour lui dire sa haine de devoir sa vie à une race qu’il abhorre ! Il finira descendu par les amis de Joe qui pensent abattre un raciste, qui venait juste de se repentir !
Vie cachée : Une fable Asuterienne avant l’heure ! un chef d’entreprise toujours sous contrôle se détend en se déguisant tous les WE en mendiant. Il peut ainsi prendre le temps d’observer la vie et les gens qu’il s’interdit d’avoir sur son temps de travail. Il vient en aide à une jeune fugitive qu’il héberge dans sa cabane de clochard. Lorsqu’il reprend ses traits de businessman, il la demande en mariage. Celle-ci déclare sa flamme à son alias mendiant entraînant le jeune homme au désespoir. Il meurt le coeur brisé en lui écrivant ses aveux.
Le salopard et la falaise : un bandit en cavale prend un couple et un nourrisson en otages. Pour montrer sa détermination, il exécute les parents de l’enfant. Lorsque la Police refuse de lui donner à manger et qu’il voit le bébé agoniser, il supplie la Police de sauver l’enfant qu’il détient ! Il est en fait victime d’une hallucination dûe à la falaise maudite de Bretagne.
Voilà un tour d’horizon loin d’être exhaustif destiné au curieux de sauter le pas ! C’est impressionnant ! En quelques 300 pages Tezuka met en scène des nazis, des racistes, des cow boys, des robots, des fantômes, des frères et soeurs incestueux, une femme-chat, une ânesse et des espions. Dans Robama, il se dessine lui même comme le héros lâche d’une histoire zoophilie qui le dépasse. A chaque fois la chute punit le héros par là où il a pêché : orgueil, sexe, racisme, haine, avarice etc. Un vrai défilés de péchés capitaux dans un monde où l’homme n’est livré qu’à lui même.
Jamais Tezuka n’accable ses personnages, nous demande de les plaindre ou de les détester. Le format court de la nouvelle ne permet pas un approfondissement psychologique conséquent mais détient suffisamment de tension dramatique pour démontrer à la fois la vacuité, la vanité des humains et l’ironie du sort qui les frappent.
50 ans après ce graphisme si spontané, presque enfantin peut ne pas attirer l’oeil d’un lecteur habitué aux histoires sombres façon Vertigo. Comme il aurait tort ! Aussi rétro et vieillot que le quatrième dimension dont s’inspire Tezuka, Sous notre Atmosphère met en scène les pires travers humains pour mieux les exorciser. Et il ne faisait que commencer !
A quand la bio de Tezuka façon Collonier (Georges et Tchang) ? Il y a effectivement des thématiques récurrentes et traumatiques chez cet auteur. En creux, cela m’interroge aussi sur Astroboy ? Qui après vérification sur Wikipedia est abandonné par son créateur dans la version manga. C’est cohérent. Bref, il faudra un jour que Bruce Lit écrive sur le parcours personnel cet auteur ; )
J’ai lu le Roi Léo à ma fille mais je ne connais pas vraiment Tezuka. Là, tu donnes très envie ! Je note pour plus tard.
Je te conseille pour commencer Histoire des 3 Adolfs
Très intéressant. En ce qui me concerne, j’appproche Tezuka peu à peu, avec les éditions étatsuniennes d’Astro Boy et de Black Jack. J’aime beaucoup.
Merci Stan ! L’avantage avec des trucs publiés avec 40 ans de retard, c’est qu’il y a tout un monde à découvrir. Je ressens la même chose avec la disco de Bob Dylan que je (re)découvre poco a poco….
Le coffret des ‘Basement Tapes’ est en chemin, m’indique amazon ! J’en ferai une… « révision » (?!?). Je dois avoir aussi le « Black Jack 5 » aussi dans la pile à lire et un « Astro » à commander…
J’ai vu l’animé de La Vie de Bouddha et ait été plutôt déçu…Très incomplet….
Ah oui, j’ai lu MW, il n’y a que trois tomes je crois. C’est très très bien.
C’est quoi MW ?
Je ne me souviens plus de trop mais cela parle de la guerre et d’arme biologiques, le MW est un poison.
Les oeuvres de Tezuka sont si riches qu’il me faut plusieurs mois pour digérer. Je n’aime pas tout lire d’un coup.
@ Bruce: l’avantage avec Tezuka, c’est qu’il est vain de vouloir se lancer dans la lecture de toute son oeuvre tant la production est importante.
As-tu déjà lu des ouvrages de son contemporain, Shigeru Mizuki?
Si ce n’est pas le cas je te recommande chaudement NonNonbâ, pour commencer, j’ai l’intuition que ça devrait te plaire.
Il y a bien longtemps que j’ai lu « Salammbô » de Druillet et pourtant je me souviens encore de la scène d’ouverture et du décalage intense du constat de Lone Sloane : je m’emmerde. Alors que Druillet vient d’offrir des planches magnifiques au lecteur, le personnage principal dit son ennui.
« Univers, je t’aime toi et tes ivresses de couleurs et de lumières, mon champ infini d’étoiles, sans toi je ne suis rien, et pourtant….pourtant….je m’emmerde…. »
Ce qu’a réussi Druillet avec Salammbô, c’est adapter fidélement l’oeuvre de Flaubert tout en la métissant avec sa propre création, son langage, et en faisant de Lone Sloane-Mathô, le personnage vecteur entre ces deux univers.
C’est une lecture stimulante et, si l’on apprécie le travail de Druillet, graphiquement unique en son genre.
MW et Ayalo sont des tueries du genre et Tezuka est un maître du story telling influençant tellement même inconsciemment…
Il est amusant de le voir chorégraphier les déplacements anodins de ses personnages de la même manière que…Hergé. les grands esprits se rencontrent.
Parmi ses disciples on retrouvera Stan sakai (usagi Yojimbo) qui lui aussi est hallucinant de virtuosité…invisible. Au service de son histoire, il ne fait rien de « démonstratif », mais au contraire dans la maîtrise de l’art séquentiel.
Vous avez lu « Understanding Comics » de Mc Cloud et vous voulez savoir de quoi il parle au juste? les réponses sont chez ces auteurs…
Toujours pas lu Ayako, et toujours pas acheté L’histoire des 3 Adolfs… vraiment, vous voulez ma ruine ! Comme je ne retrouve pas l’article sur la série télé, je le dis ici : il paraît que la seconde saison de Preacher est bien plus réussie que la première.
C’est une ruine bien agréable l’investissement Tezuka.
L’article Preacher fait partie de tous les articles tombés pour l A.F.Pet.
Une saison me suffira même si je n’ai effectivement entendu du bien de la seconde.
J’espère comme tout le monde que ces articles reviendront bientôt !
Ils reviendront mais sous une forme différente. C’est un débat que nous aurons en interne.
Très intéressant cette chronique. Je connais très mal cet auteur.