L’âge de bronze 1 – Un millier de navires par Eric Shanower
Un article de PRÉSENCE
Ce premier tome regroupe les épisodes 1 à 9 parus de 1998 à 2000. Il s’agit du premier tome d’une série qui devrait à terme en compter 7.
1ère publication le 11/11/17 – MAJ le 19/11/22
VO : Image Comics
VF : Akiléos
Cette bande dessinée est en noir & blanc écrite, dessinée et encrée par Eric Shanower (aussi connu pour avoir adapté les romans Frank L. Baum ayant trait au Magicien d’Oz, par exemple The wonderful wizard Of Oz dessiné par Skottie Young, ou Adventures in Oz dessiné par Shanower).
Son ambition est de raconter la Guerre de Troie à partir des récits mythologiques et en se conformant à la réalité historique établie par les découvertes archéologiques.
Le tome commence avec une carte de la mer Égée et villes alentour permettant de situer la région achéenne, mais aussi Troie, Ithaque, la Pythie, le mont Pélion, le mont Ida, Thèbes, etc.
La première scène montre Pâris s’éveillant sous les coups de langue d’une vache du troupeau qu’il était censé surveiller. Il rentre chez lui et se fait morigéner par Agelaus, son père, pour sa fainéantise. 3 serviteurs du roi Priam arrivent pour demander qu’Agelaus leur remette son taureau blanc qui servira de prix dans des joutes à venir.
Agelaus accepte, alors que Paris se rebiffe. Il décide de participer aux jeux, contre l’avis de son père pour gagner et se voir décerner ledit taureau. Une rixe un peu vive va le faire remarquer de Priam : l’histoire est en route. Bientôt un millier de navires mettront les voiles pour faire le siège de Troie (enfin, à la fin de ce tome).
Le tome comprend également 7 pages de postface rédigée par Shanower, 4 pages de glossaire des noms de personnages, 2 arbres généalogiques (1 pour les achéens, 1 pour les troyens), et 9 pages de bibliographie.
La postface permet de bien comprendre les intentions de l’auteur : composer une intrigue qui respecte au mieux les différentes versions (parfois contradictoires) de la mythologie, en préférant les textes les plus anciens, mais s’en s’interdire d’inclure des développements ultérieurs (tel Troïle et Cresside de William Shakespeare).
Shanower a également fait le choix de ne pas faire intervenir les dieux grecs, en tant que personnages incarnés. Ils constituent la religion des populations, mais ils ne se manifestent pas en tant qu’individus. Ce choix le conduit à imaginer des solutions qui s’avèrent satisfaisantes pour rendre compte de l’influence des dieux.
Celle pour le jugement de Pâris est plus convaincante que celle pour la vision de Calchas ayant l’intuition d’où se trouve Achille. Cela lui impose également de s’en tenir à des visions pour les personnages (en rêve, ou au cours de transe), et de revoir la nature des éléments surnaturels (par exemple modifier le sens du mot centaure pour Chiron).
Le lecteur qui vient chercher l’exotisme du panthéon grec en sera pour ses frais. Par contre ce parti pris offre l’avantage d’éviter de tomber dans une représentation des dieux sous forme d’ersatz de superhéros ou d’entités surnaturelles de pacotille. Cela renforce l’approche naturaliste de Shanower.
Toujours dans la postface, Shanower indique qu’il a voulu raconter cette épopée en étant le plus réaliste possible, à savoir en étant cohérent avec l’état des connaissances archéologiques. Il cite en particulier les travaux de Manfred Korfmann (Troia: Archaologie eines Siedlungshugels und seiner Landschaft).
Le style de Shanower vise une représentation fidèle de ce que pouvait être la réalité à l’époque, avec un soin important apporté aux textures, aux bâtiments, à l’urbanisme, aux navires, aux vêtements, etc. Le lecteur peut avoir une sensation proche de celle procurée par la lecture d’un tome de la série Alix où un encrage minutieux aura remplacé la mise en couleurs, avec une forme parfois un peu académique.
Dernière particularité assumée, Shanower a conservé la forme grecque de la majeure partie des noms, sauf quand il estimait que la forme latine était plus parlante. C’est ainsi qu’il désigne Ulysse par « Odysseus », mais il utilise la forme de « Achille », et non celle d’Akhilleus.
Pour les fins connaisseurs de cet épisode mythologique, Eric Shanower propose une version qui permet de se faire une idée concrète approchant la réalité historique de son mieux (tout en restant relatif, puisque la véracité historique de la Guerre de Troie reste à établir), se tenant à l’écart des clichés des éphèbes en armures rutilantes.
Le traitement prosaïque de la religion (sans manifestation surnaturelle) fait ressortir le jeu des alliances, et les enjeux géopolitiques, dans un récit vivant. Les dessins permettent aux personnages de s’incarner, de rendre le récit plus vivant et aux lecteurs de mieux se projeter dans les situations (avec une mention spéciale pour l’interprétation matoise d’Ulysse).
Pour les lecteurs plus néophytes se souvenant vaguement du jugement de Pâris (c’était qui déjà les 3 déesses ?) et se rappelant que le cheval de Troie était une sorte de ruse, cette lecture demande une concentration soutenue.
L’usage des noms grecs, le nombre important de personnages (dont certains uniquement mentionnés), la complexité des relations familiales (les 2 arbres généalogiques exigent du temps pour pouvoir s’y repérer), et la géographie à assimiler (îles et villes grecques) requièrent de se rapporter régulièrement à la carte en début de volume, et au glossaire des noms pour être sûr de ne pas rater une lien essentiel à la compréhension des enjeux pour les personnages (ainsi donc Hélène avait déjà été enlevée une première fois et elle avait une demi-soeur ?).
Sous réserve de soutenir l’effort mental requis, ce lecteur néophyte aura le plaisir de découvrir une histoire débarrassée de son aspect clinquant (les armures brillant au soleil) et irréaliste (ses dieux qui comptent fleurette aux vierges effarouchées et qui se battent entre eux) et de plonger dans un récit sophistiqué mettant en scène des personnages plein de caractère, dans des intrigues impliquant alliances, trahison, et stratégies complexes.
Très intéressant. Je ne connaissais absolument pas cet ouvrage. Ce projet et son ambition sont fascinants. Les 7 tomes m’effraient un peu et le dessin est effectivement un peu « académique » (mais j’imagine qu’une fois happé par le récit on s’y fait). Merci Présence, je lirai au moins un tome pour essayer.
Je suis d’accord avec Matt. Apprendre l’histoire via la BD est un exercice que j’adore. L’ouvrage sur Hergé et Tchang m’ a permis de réviser l’histoire du papa de Tintin de manière ludique et fluide.
Je me rends compte que je ne connais rien à la guerre de troie. J’essaierai de trouver ça en médiathèque. Je sais qu’avec Tornado, nous sommes des fanatiques de la série Rome que je recommande à la planète entière ! Une manière incroyablement pertinent de découvrir l’histoire de l’empire romain.
Enfin, si toi ou Nicolas voulez pondre un article sur l’évolution d’Image, maison d’édition un peu beauf à ses débuts pour en arriver à une grande maison indépendante, je suis preneur !
Présence : merci de ta patience, pour le coup je te publie 3 fois cette semaine ( voici des articles prêts depuis septembre et que je n’arrivais pas à caser !) .
Chic ! c’est la semaine grecque
@ Presence, tu mets, à raison,l’accent sur la motivation initiale qu’il faut au lecteur potentiel de Shanower. Mais la lecture de L’âge de bronze récompense grandement celui qui s’y aventure.
Dans un registre graphique très différent, je viens de faire l’acquisition d’Ulysse le chant du retour, il faut que je me trouve un moment calme comme on dit aux enfants en maternelle 🙂
http://bdzoom.com/79310/bd-de-la-semaine/%C2%AB-ulysse-le-chant-du-retour-%C2%BB-par-jean-harambat/
@ Bruce, quel contrepoint à 300. C’est du bel ouvrage éditorial.
Pour rester dans la veine héllénique, sur le fond et la forme il existe une série en cours,toujours chez Akileos, qui mérite le détour: http://www.bedetheque.com/BD-Herakles-Tome-1-164372.html
C’est l’occasion de tirer mon chapeau à cette maison d’édition qui fait un travail de qualité depuis des années et,après le super article de Jyrille sur Courtney Crumrin,
qui sont à l’honneur sur mon site favori.
Ainsi que les très recommandables Chroniques de l’ère xénozoïque de Mark Schultz
J’ai offert cette BD à un pote amateur de BD historique (il y a de cela… moult années). Ca lui avait bien plu. Moi, en feuilletant, je n’avais pas trop accroché. Certains visages se ressemblent un peu… Je salue la démarche de l’auteur et reconnais le travail que cela représente toutefois, j’avoue que son approche me laisse un peu froid. Son récit de Troie et moi, ça fait deux.
J’ai vu le téléfilm Helene de Troie sorti en 2003 (avant la version cinéma de Peterson « Troie »)
Et même si le format téléfilm rend le tout…ben…plus « téléfilm » avec moins de budget et moins grandiose, un peu plus cheap parfois, l’approche choisie se focalise davantage sur les personnages et commence bien avant la guerre de Troie.
Évidemment selon les légendes, il y a tellement de personnages et de sous-intrigues que, tout comme la version ciné, il n’y a pas tout. Mais il y a davantage de relations entre personnages mises en valeur.
Cela commence par l’enlèvement d’Hélène à son père par Thésée qui lui explique que son vrai père serait Zeus et que sa mère se serait suicidée par déshonneur après sa naissance.
Son frère Pollux la récupère mais meurt. Du coup son père « abandonne » sa fille qui est jouée au hasard par les dirigeants spartiates. Menelas, le frère d’Agamemnon gagne Hélène. Pendant ce temps, Paris, fils caché du roi Priam que ce dernier a abandonné à cause d’une vision de sa fille Cassandre (donc soeur de Paris), va participer aux jeux et être reconnu par Cassandre. De nouveau dans la famille royale, il est envoyé en émissaire à Sparte pour voir si les frères Agamemnon et Menelas veulent la guerre. Il rencontre Helene, fuit avec elle. Et la suite, on la connait. Guerre de Troie.
Mais il y a un focus plus important sur Menelas qui vit dans l’ombre de son frère Agamemnon et qui ne souhaite pas la guerre mais juste récupérer sa femme. Agamemnon, lui, on le verra sacrifier sa fille pour plaire aux dieux et faire tourner le vent, ce qui permettra à leur armée de foncer sur Troie. Pour Agamemnon, il n’y a plus de retour possible. Même si Hélène se rend, il s’en fout. Il a sacrifié une partie de sa famille pour faire cette guerre.
Il y a aussi un plus grand moment consacré au duel entre Paris et Menelas (match nul) que le duel suivant entre Hector et Achille (réglé en 10 secondes) Menelas n’est pas si mauvais, il est surtout faible d’autorité et dominé par son frère.
Le film va jusqu’à la mort d’Agamemnon assassiné par sa femme Clytemnestre qui veut se venger du sacrifice de sa fille par un mari trop ambitieux.
La guerre est évidemment traité sur 10 ans (avec une grosse ellipse) alors que dans le film de Peterson ça durait quelques jours…
Le téléfilm s’appuie plutôt sur l’ensemble du cycle troyen. L’épisode de l’enlèvement d’Hélène était relaté dans les Chants cypriens et la prise de Troie dans Le Sac de Troie.
L’épisode du cheval de Troie est évoqué dans à peu près toutes les sources.
L’épisode du meurtre d’Agamemnon par son épouse est un épisode connu essentiellement par la tragédie grecque, en particulier par l’Agamemnon d’Eschyle.
En gros c’est une version assez complète en film, si on oublie évidemment toutes les histoires de cul de chaque personnage qui avaient tous 12 concubines, etc^^ On ne s’y retrouve plus si on met absolument tout. Le téléfilm fait déjà 2H47. La place des dieux n’est pas oubliée, ce qui rapproche un peu plus le film d’une version « légendaire », même si on ne voit pas les dieux se promener sur le mont Olympe pour autant. Mais Paris est sauvé mystérieusement durant son duel, et plus jeune, Aphrodite lui est apparu pour lui désigner la plus belle femme du monde qu’il allait conquérir.
Le truc le plus raté dans le téléfilm ça reste Achille. C’est un gros bourrin violent (jusque là, c’est pas grave, il faut bien choisir un caractère aux personnages) interprété par un acteur au look de Hooligan chauve. Une espèce de Jason Statham en plus gros. C’est…pas super réussi^^ Et son personnage est vraiment le moins développé, contrairement à la version de Peterson (ou il restait un gros con cela dit…)
héhé j’ai préféré ce film qui est quand même une retranscription assez « mythologique » au lieu d’être une métaphore de l’attaque en Irak cette années là comme l’était le film avec Brad Pitt.
Euh…moi aussi je l’ai préféré mais j’ai jamais pensé à l’Irak en voyant le Troie de Petersen^^
Ils ont un peu foiré le casting de Achille quand même tu trouves pas ? On dirait The Rock en moins bronzé.
Agamemnon par contre, Rufus Sewell nous fait un méchant moins caricatural. Bon c’est grave un enfoiré quand même, mais dans le film de Peterson, Brian Cox fait quand même trop le vilain cliché qui ricane tout le temps^^
Total respect pour ce regard sur ces adaptations, nourri par une culture que je ne possède aps. J’ai vraiment lu L’âge de bronze, comme un néophyte.
Une des toutes meilleures adaptations de la Guerre de Troie. Très documentée, captivante, avec un petit goût de souffre. un Traitement noir et blanc de toute beauté.
Ce genre d’indé, original et bien écrit, bien dessiné…mille fois oui
Un instant j’ai cru que Eric Shanower allait se remettre à sa série, car Image Comics en a entamé la réédition en couleurs en 2018. J’attends toujours de nouveaux épisodes.
imagecomics.com/comics/releases/age-of-bronze-vol-3