Elektra – Root of Evil par D.G. Chichester et Scott McDaniel
AUTEUR : JP NGUYEN
1ère publication le 12/02/15- Mise à jour le 27/09/17
Après avoir ramené le personnage d’Elektra dans l’univers Marvel via le story-arc Fall From Grace, D.G. Chichester et Scott McDaniel lui consacrèrent une mini-série, Elektra – Root of Evil en 4 numéros de 32 pages, parus de mars à juin 1995.
En VF, le récit fut publié sous le titre « Les racines du mal » dans l’album Semic Top BD 41.
J’ai parfois lu que le retour d’Elektra n’avait été qu’une manœuvre commerciale sans véritable moteur narratif pour justifier le crime inexcusable d’avoir touché à cette « vache sacrée » de Frank Miller.
Selon moi, ça fait partie du jeu ma brave Lucette, dans la mesure où, travaillant pour une compagnie comme Marvel, Frank Miller devait savoir que sa création ne lui appartenait pas. Mais bon, regardons plutôt ce que Chichester et McDaniel ont fait du personnage après son retour…
Elektra veut se racheter de ses crimes passés. Et vu sa carrière de tueuse à gages, le passif est lourd. Déçue par l’attentisme des « Chastes » (l’ordre des « Ninjas du Bien » jadis mené par Stick, le mentor de Daredevil), elle décide de fonder son propre « Ryu », un ordre de ninjas qu’elle mènera à la confrontation avec le clan Snakeroot (la Mandragore en VF), ces ninjas maléfiques mis en échec dans Fall From Grace.
La Mandragore, justement, traverse une crise suite au suicide de son leader, le Lord Daito. Le ninja Tekagi reprend sa suite et, pour redonner son lustre à son clan, doit « purger » leur épée-totem « Saki » –la Force du Tueur – dans le sang de trois êtres à la pureté de cœur avérée : un révérend venant en aide aux sans-abri de NYC, un homme politique africain prix Nobel de la paix, une chef de tribu Navajo travaillant au développement de sa communauté.
Elektra connaît les plans du clan Snakeroot et va tenter de les contrecarrer avec l’aide de son Ryu. En alternance avec la trame de l’intrigue principale, D.G. Chichester insère moult flashbacks pour éclairer le passé de la ninja grecque : son enfance, ses relations avec son père et son frère, son entraînement avec les Chastes, sa frustration d’adolescente à rester dans l’ombre de son père, la liaison qu’elle a eue avec le ninja Tekagi; autant de passages permettant d’étoffer le personnage.
Ce développement se fait hélas au détriment des autres protagonistes. Parmi les membres du Ryu, seul Everett Salvo a droit à sa séquence de recrutement sur trois pages, où ses motivations pour rejoindre le Ryu sont évoquées. Les cinq autres nous sont présentés dans une séance plénière de façon très succincte : un nom de code, des talents/disciplines, point-barre. D’un autre côté, ils se font dérouiller si rapidement par la Mandragore que créer un attachement excessif eut été superflu de la part de Chichester : deux d’entre eux meurent en une case et deux autres sont carrément éliminés « hors champ ». A nouveau, seul Salvo aura l’honneur d’un ultime duel.
Dans le camp d’en face, seul Tekagi brille dans quelques scènes mettant en valeur ses qualités de leader et de combattant, sans que le lecteur ne soit pour autant durablement marqué par le charisme du personnage.
Non, la star du bouquin c’est bien Elektra ! Et après l’extermination de son Ryu, elle reprendra les choses en main, usant de ruse et de toute sa maîtrise des arts ninjas pour éliminer le clan Snakeroot, en terminant bien sûr par Tekagi. Leur ultime duel se déroule au fin fond de l’Arizona, dans un bled nommé… Showdown !
Faisant partie des (rares ?) lecteurs ayant aimé les story-arcs « Fall From Grace » et « Tree of Knowledge », j’ai apprécié de retrouver la narration de Chichester et le style graphique de McDaniel sur cette mini-série. Cette fois-ci, heureusement, les guest-stars se feront rares (seuls Nick Fury et DD font de courtes apparitions).
Le scénariste n’est pas avare en termes japonais pour désigner les diverses techniques martiales et autres armes nippones utilisées par ses protagonistes. Il nous gratifie aussi d’aphorismes au début et au milieu de chaque chapitre qui sont, la plupart du temps, assez bien adaptés au contexte de l’intrigue. Son Elektra est une femme forte mais aussi fragile, tourmentée par une enfance compliquée et une carrière d’assassin dont elle ne saurait jamais totalement effacer les traces.
Tout comme dans son travail sur la série Daredevil, on perçoit un attachement au personnage et une volonté de mettre en cohérence sa continuité pour offrir, à l’issue de la mini-série, un vrai nouveau départ pour Elektra (bon, faut dire qu’après, c’était pour se faire écrire par Milligan, Rucka et Bendis… comme dirait l’autre « si j’avions su… »).
Au dessin, Scott McDaniel est lui aussi dans la continuité de son travail sur Daredevil (qui apparaît dans trois pages du premier chapitre, dans son tristement célèbre costume-armure). Son travail reste très marqué par le Sin City de Frank Miller.
Ses découpages sont toujours assez « inventifs », notamment par la forme de ses cases ou de « l’habillage » global de ses planches. Ses ninjas sont très colorés et on peut se demander comment les assassins de l’ombre font pour rester discrets dans leurs accoutrements chamarrés, mais on peut y voir un tribut payé au style flashy des années 90s.
McDaniel dispose aussi de nombreuses splash-pages en début, milieu et fin de chapitre pour composer de belles illustrations à la gloire de son héroïne. Enfin, il se livre à quelques expérimentations graphiques et changements de style, dans certaines scènes de l’en fance d’Elektra ou lors d’une rencontre nocturne entre Elektra et Tekagi ou encore dans les derniers instants de leur duel final.
Si l’on compare cette mini-série à son illustre devancière « Elektra – Assassin » par Miller et Sienkewicz, on ne peut que constater une grosse différence d’ambition et de talent, en défaveur de Chichester et McDaniel. Mais si l’on se plonge dans le récit sans apriori, on passe un bon moment de lecture. « Elektra – Root of Evil » n’est pas un chef d’œuvre mais un exercice de style plutôt réussi, qui, sur le terreau de la continuité, avait planté les graines d’un nouveau départ pour Elektra. Hélas; les jardiniers suivants n’ayant pas la main verte ou n’ayant pas bénéficié des bonnes conditions, les mauvaises herbes ont par la suite pullulé.
A ce jour, les numéros US n’ont jamais été réunis en TPB. La VF est déjà ancienne mais trouvable en occasion. Ayant pu comparer VO et VF, je déplorerais toutefois un lettrage moins soigné dans la version française et aussi une tendance à simplifier/raccourcir les tournures de phrase ce qui amoindrit hélas certains effets de style. Mais si vous tombez sur l’album, jetez-y un coup d’œil : vous ne risquez pas de prendre racine à comprendre l’intrigue mais il y a de bonnes feuilles !
Très sympathique le montage d’images pour les citations de Nietzsche à Washington Irving. Une très belle qualité de rendu également pour les couvertures avec relief rouge qui se voit très bien à l’écran.
DG Chichester ne m’a pas laissé un grand souvenir. Je me rappelle vaguement qu’il avait travaillé sur les comics Shadowline d’Epic Comics que je n’avais pas beaucoup appréciés.
Bruce et moi partageons ton avis sur le manque de cohérence dans la construction du personnage d’Elektra dans le temps. À nouveau pour sa dernière série, W. Haden Blackman préfère rester un peu vague quant à son histoire personnelle pour éviter de se prendre les pieds dans le tapis d’une continuité irrémédiablement contradictoire. Par contre, elle est superbe d’un point de vue pictural.
J’ai passé à l’époque et je passe encore aujourd’hui. Becoz’ Fuck ninjas ! Etr aussi étrange que cela puisse paraître, alors que le personnage ne m’intéresse pas plus que ça, je réalise que j’ai lu la plupart des histoires sur Elektra. Et je fais partie de ceux qui ont détesté la mini série Elektra Assassin. Mais on en reparle demain….
Par contre , je n’ai pas compris ta remarque au début de l’article concernant sa résurrection. C’est Miller justement qui l’a ressuscitée non ?
Oui, Miller l’avait ressuscitée mais laissée en paix dans les montagnes… Et sinon, il l’avait refait disparaître dans « lives again » (mais qui est considéré hors continuité, pardon pour ce gros mot). Miller considérait que c’était sa chasse gardée. D’ailleurs, il avait dessiné une caricature critiquant la réutilisation du perso par Marvel.
https://alldaycomics.files.wordpress.com/2011/12/frank-miller-overstreets-fan-23.jpg
Je suis impressionné par la maîtrise de la rage de Miller sur ce dessin.
@ Tornado : Hablando de Star Wars, j’ai vu hier les Gardiens de la Galaxie et j’ai moyennement aimé. J’ai trouvé ça long, rigolo par moment avec une touche plus marquée du réalisateur pour un film Marvel. J’ai trouvé effectivement le référencement à Star Wars plaisant, mais on est loin du même niveau de mythologie quand même. Je trouve que les intentions des méchants sont embarrassantes et que l’on reste selon le même schéma Marvel : une scène d’exposition époustouflante, une présentation des personnages sympathique pour un flottement pour l’autre moitié du film jusqu’à la baston finale. Je ne comprends vraiment pas l’engouement pour Rocket Racoon….
Ah non ! non ! C’est vrai. GOTG n’est pas un chef d’oeuvre. Mais c’est un des meilleurs films Marvel, je trouve. Fun et pas débile. Mais tu as manqué un élément important : Le voir sur grand écran !
Merci de me culturer sur toutes ces histoires que je n’ai point lues publiées dans une période (les années 90) que je n’ai point suivi.
Je sais à présent comment Elektra a fait son « return », comment Foggy a su que Matt & DD ne font qu’un et comment trouver ces épisodes en VF si j’en ai envie…
Pourrevenir à la discussion d’hier (sur DD par Kevin Smith) et ne point passer pour celui qui veut toujours avoir raison parce que en plus je m’en fout (d’avoir tort), je me suis souvenu de quelque chose où le pathos l’emportait toujours, en ce qui me concerne, sur la qualité de l’oeuvre : les épisodes Star Wars 1, 2 et 3 !
Pour ce coup, j’en voudrais éternellement à Lucas de ne pas avoir écrit le début de la saga comme J’AURAIS VOULU qu’elle soit ! Mea culpa !!! 😀
Salut la troupe. Sur le fond, j’apprécie vraiment ces articles et j’ai le même sentiment qu’en écoutant France Q tôt le matin: c’est toujours enrichissant d’écouter ou de lire des personnes qui ne prennent pas leur auditeur lecteur pour un jambon. Sur la forme, tes scans pètent sur écran large, JP. Et l’hommage baudelairien à notre héllenique héroïne me plonge dans une langueur pas monotone.
Merci pour ce retour !
Concernant les scans, je m’efforce de les trouver/réduire à une taille où le texte reste lisible, surtout pour des cas où la lecture du scan apporte un plus (comme ici pour les citations). Parfois, cela m’attire les foudres du Boss qui n’aiment pas les scans trop volumineux…
Pas mieux que Lone Sloane. Cela dit je n’ai vu les scans que sur mon smartphone mais malgré tout je trouve ça laid… Ce costume de DD c’est pas possible. Quant aux Gardiens de la galaxie, d’accord avec Tornado. Et mes enfants adorent.
Le costume de DD : Je me rappelle du courrier de lecteur de l’époque concernant l’armure de Dédé; une remarque était très juste : Matt Murdock n’ a pas besoin d’armure ! C’est la preuve incarnée qu’il est un vrai super héros et que même aveugle, les balles ne l’atteignent pas.
@Tornado : j’attendais peut être trop du film au vu de ton enthousiasme. Au passage, je ne vais au cinéma que très rarement. Le dernier film c’était le reboot de Robocop que j’ai adoré.
@ Lone Sloane : merci pour l’info, concernant le Punisher. Je n’ai pas revendu mes anciennes étions pour rien ! Et puis être comparé à France Culture à propos d’Elektra est un sentiment ….étrange ( mais agréable).
Je garde un plutôt bon souvenir de cet mini, surtout par rapport à la version Milligan qui est beaucoup moins recommandable (alors que d’habitude ce scénariste est généralement bien plus talentueux que le duo Chichester/McDaniel, que ce soit sur X-Statix, Shade the changing man ou encore Enigma).
Je n’ai lu qu’un ou deux épisodes du run de Milligan mais il semble y avoir un consensus pour dire que ce n’était pas son meilleur travail…
Franchement, je relis vos chroniques avec beaucoup de plaisir et cette mini est largement au dessus de la plupart des trucs qu’ils lancent en ongoing pour finir en mini foireuses aujourd’hui.
il y a de l’ambition pour du mainstream, graphiquement notamment, Scott mac Daniel y louche vers Sin City certainement pour rendre hommage au maître mais y place pas mal de mise en pages de taré se parant de motif indiens pour le combat à la fin etc…
Chichester fait un boulot honnête. seuls ont vieilli pour moi ces références grecques à la con (Elektra, son frangin Orestes et son clébard Agamemnon, vous voulez un truc mois subtil?)
J’ai bien aussi me souvenir de l’arc Fall From Grace qui en dehors de son côté un épisode/un guest est carrément de brouillon de l’arc OUT de Bendis le roi du remix.
Merci pour le résumé : je viens d’acheter l’Epic Marvel Daredevil Root of Evil en VO qui est sorti en août 2024 avec les 4 épisodes au milieu du livre, mon anglais n’est pas au point pour comprendre toutes les nuances des textes, mais grâce à vous j’ai bien compris le fond ; je n’avais jamais lu ces épisodes en français dans le Top BD des années 90, je trouve que ça fait vraiment du bien de se replonger dans ces ambiances, pas besoin de retcon toutes les 20 pages pour écrire un bon récit, Zdarsky, Hickman, Aaron me gonflent. Merci encore.