JLA: A league of one par Christopher Moeller
Un article : PRÉSENCE
VO : DC
VF : Soleil productions
1ère publication le 01/08/18 – MAJ le 08/03/20
Ce tome comprend une histoire complète réalisée par Christopher Moeller pour le scénario et les images (réalisées à la peinture), initialement parue en 2000, sans prépublication.
En 1348, Drakul Karfang, le dernier dragon en vie, livre une terrible bataille contre les humains. Mortellement blessé, il se réfugie au cœur des montagnes où sa race de serviteurs s’empresse de le cacher. Incapables de le débusquer, les armées rassemblées exterminent ses serviteurs et obstruent l’entrée des souterrains. De nos jours, dans les Alpes suisses, 2 gnomes se lamentent sur leur condition de voleurs de babioles en se remémorant l’époque bénie où ils travaillaient pour des créatures enchantées et volaient du vrai or, sans risque de se tromper sur la marchandise. Mais voilà que leurs frères de race ont trouvé une porte scellée au plus profond des montagnes.
Pendant ce temps-là, les superhéros veillent au grain et mettent un terme aux cataclysmes qui menacent le monde. Il s’agit de la Justice League composée de Superman (Clark Kent), Martian Manhunter (J’onn J’onzz), Batman (Bruce Wayne), Wonder Woman (Diana), Green Lantern (Kyle Rayner), Aquaman (Arthur Curry) et Flash (Wally West). Lors d’une pause, Diana se détend en compagnie d’une dryade et d’une naïade qui évoquent un combat mortel à venir. Diana doit choisir comment affronter ce péril sans mettre ses coéquipiers de la League en danger.
En 1994, Christopher Moeller se fait connaître en publiant Iron Empires: Faith conquers chez Dark Horse comics (un série de science-fiction entièrement peinte).En 2000, DC comics publie cette histoire complète comme une histoire de la Justice League of America (JLA). À la lecture, il devient évident qu’il s’agit avant tout d’une histoire de Wonder Woman, et c’est tant mieux comme ça. Moeller se lance dans le mélange de 3 mythologies différentes : (1) les dragons, (2) la mythologie grecque et (3) les mythes des superhéros. De manière surprenante, l’amalgame prend pour donner un résultat sans grumeau.
L’auteur ne se contente pas de se reposer sur ses talents d’illustrateur pour porter le récit. Il développe une histoire particulière pour le dragon, ainsi que des caractéristiques spécifiques évoquant les contes et légendes. Il va piocher quelques éléments dans la Grèce antique à la fois cohérents avec la vision de Wonder Woman conçue par George Perez en 1987, et à la fois peu usités. Il utilise avec intelligence les 2 nymphes et l’oracle de Delphes. Il emploie même le prénom de Panayiotos pour un satyre, prénom typiquement grec. Au final, ce sont les superhéros qui sont les moins développés, à l’exception de Diana. Il accorde quand même un peu de place à Batman qui se conduit comme le fin stratège qu’il est, avec une utilisation pertinente de gadgets informatiques. Le lecteur essaye d’anticiper les méthodes par lesquelles Diana pourra avoir le dessus sur ses coéquipiers, sans y parvenir.
Moeller choisit ses méthodes de telle sorte à ce qu’elles soient cohérentes avec l’état d’esprit de Diana. Il s’agit pour elle de neutraliser les 6 autres superhéros, sans bien sûr les mettre en péril. Mais d’un autre côté, il faut qu’elle soit sûre et certaine de leur non-intervention pendant une durée de plusieurs heures. De ce côté, le scénariste ne déçoit pas par les modes opératoires qu’il a imaginés. La confrontation avec Superman est particulièrement tendue, tout en conciliant avec adresse la dimension guerrière de Diana, et sa volonté de ne pas blesser.
La deuxième apparition de Diana a lieu sur Thémyscira, l’île des amazones. Le scénariste la montre dans un rite de purification, impliquant l’utilisation de son lasso de vérité. C’est une forme de test psychologique assez intense, mettant fort bien en avant que les qualités de Diana ne sont pas que physiques. La couverture donne une bonne idée de la qualité des illustrations intérieures. Moeller a tout réalisé à la peinture, avec une grande attention apportée aux textures et aux détails des éléments fantastiques. Son dragon est très réussi, à la fois dans sa forme et dans la qualité de ses écailles, ainsi que dans les particularités de sa face. La séquence finale de vol aérien rend bien compte de la puissance de ses ailes, ainsi que de sa manœuvrabilité, en particulier grâce à la texture peinte du ciel qui permet de rendre compte de la profondeur de champ.
Le peuple de gnomes est traité dans la même teinte que celle utilisée pour la terre et les parois des cavernes. Moeller sait donner une forme à ces créatures qui ne les rendent ni risibles, ni stéréotypées, mais singulièrement attachantes. Pour l’habitat de petit peuple et la caverne du dragon, les dessins de l’artiste s’inscrivent dans le domaine du conte, entre architecture souterraine improbable (la taille des vantaux de porte) et Heroic Fantasy bon teint. La séquence dans laquelle Diana est soumise au feu du dragon constitue un moment fort et crédible grâce aux illustrations qui évitent les clichés, en particulier grâce au soin apporté à la texture des flammes. Diana est magnifique de bout en bout. Moeller évite le piège de la transformer en objet sexuel, ce qui se révèle assez compliqué quand on pense un instant à la forme de son costume.
Diana apparaît à la fois comme une femme forte et déterminée, et comme un être humain soumis aux doutes et sujet aux émotions. Il convient de mentionner également les 2 nymphes (Zoë & Althea) qui ont une forme juvénile qui sied à leur nature, avec des expressions enfantines et mutines craquantes. Moeller met ses talents d’illustrateur au service des mythologies qu’il utilise. Il ne se contente pas de reproduire des formes génériques stéréotypées ; il pense ses personnages pour concevoir des apparences enrichissant leurs particularités.
Dans la mesure où le titre de ce récit fait référence à la JLA, il y a quand même quelques scènes dévolues aux superhéros. Batman est ténébreux à souhait, avec une propension de Moeller à ne pas représenter les fentes pour les yeux dans son masque, une petite coquetterie visuelle, mais conférant un peu plus de mystère à Batman. Il est d’ailleurs visible que Moeller souhaite donner l’importance qu’il sied à ce personnage, surtout au vu du nombre de pages qu’il faut à Wonder Woman pour le neutraliser. Par comparaison, Martian Manhunter et Green Lantern sont les parents pauvres, étant vite neutralisés. Flash a droit à une splendide séquence le long du fleuve Amazone. Moeller fait ressortir le rouge de son costume, sur le vert de la végétation. Ce superhéros utilise son pouvoir de manière originale pour neutraliser des plantes un peu trop envahissantes. Superman a droit à beaucoup plus de pages pour son combat contre Wonder Woman. Il est visible que l’artiste prend plaisir à montrer Diana en train de lui tenir tête, sans le ménager. Pendant 4 pages, l’affrontement physique est des plus primaires, permettant de montrer toute la force de Diana.
Lors des séquences se déroulant en Suisse à Altdorf, le lecteur constate que Christopher Moeller sort d’une représentation réaliste pour donner un petit côté bavarois et rustique à cette région. Sans aller jusqu’à transformer toute la population en des paysans lourdauds sortis d’un film de la Hammer (une sorte d’Europe Centrale à jamais fossilisée dans un dix-septième siècle factice), l’architecture fleure bon le dix-huitième siècle, les vêtements le dix-neuvième et les voitures, le milieu du vingtième. Il représente avec une belle sensibilité la moyenne montagne, avec des pentes herbues invitant à la promenade.
Si l’histoire s’avère un peu simple et la stratégie de Diana tirée par les cheveux (agir en cachette de ses coéquipiers), la richesse de l’histoire du dragon et des sentiments de Wonder Woman rendent l’intrigue intéressante. Les superbes illustrations confèrent une présence peu commune à l’ensemble des personnages qu’il est pourtant difficile de faire exister. Moeller ravive la flamme de l’imaginaire et du merveilleux née des contes de fée et de la magie, des mythes de la Grèce antique, en apportant une vision solide qui dépasse les dessins génériques habituels. Il s’agit à la fois d’une histoire de superhéros tirée vers la mythologie, et d’un conte tout public, qui se termine avec un chaste bisou.
Lu en VF à sa sortie. L’histoire n’était pas un sommet d’originalité mais la mise en images m’avait aussi plu. Comme tu le dis, les illustrations arrivent à rendre Diana belle et forte, sans la réduire à un objet sexuel.
« l’amalgame prend pour donner un résultat sans grumeau. » : c’est joliment tourné ! Cela met aussi en évidence le côté « recette » de cette histoire, pour un produit peut-être un peu trop lisse (mais au moins, bien cuisiné).
J’aimais bien cette incarnation de la JLA et j’ai aussi les deux autres albums de chez Soleil : Heaven’s Ladder et Earth 2.
D’ailleurs, je veux bien me charger de Earth 2 par Morrison et Quitely si personne ne s’en charge.
Il doit manquer le mot « côté » à la phrase suivante :
« Christopher Moeller sort d’une représentation réaliste pour donner un petit (côté?) bavarois et rustique à cette »
A moins qu’on ne parle du dessert 😉
Je vote pour un article sur Earth 2 de Morrison et Quitely (comme dirait quelqu’un, il dort sur mes étagères).
Effectivement, il manque le mot côté.
Je vote pour Earth 2 aussi, je ne le connais pas, alors que j’adore cette paire d’auteurs (mh mh) ! J’aurai parié sur le mot « air » pour ma part.
Sinon toujours un plaisir de te lire Présence. Je ne connais pas du tout cette bd mais les scans donnent très envie, et j’aime l’aspect décalé de l’oeuvre, cela pourrait parfaitement me sied. Merci pour la découverte !
Et bien moi qui n’aime pas beaucoup le personnage de Wonder Woman (pardon Sonia !), j’ai beaucoup aimé cette mini. J’ai d’ailleurs aimé à peu-près à égalité les trois albums Soleil dont parlait JP. Mon préféré est celui réalisé par Mark Waid et Brtan Hitch.
Pour moi, Wonder Woman, c’est un peu comme Thor : Personnage monolythique sorti de mythologies déjà exitstante qui vient se mélanger avec une mythologie moderne de super-héros. Je ne suis pas très fan sur le principe. Il faut que ce soit vraiment bien écrit pour le faire. Cet inconnu absolu qu’est Christopher Moeller (pour moi en tout cas) a bien réussi son coup.
J’aime beaucoup le personnage de Wonder Woman, mais ce n’est pas toujours facile de trouver des histoires dignes d’intérêt.
Aucune idée s’il y a un lien avec cette case d’Astérix, ou avec d’autres vautours guettant le sort d’un combat pour savoir qui ils mangeront.
Après lecture de ton article, me voilà en train de me remémorer ce bon souvenir un peu lointain.
Une histoire de la JLA de l’âge d’argent (ma préférée) sympathique qu se suffit à elle-même.
Je l’ai trouvé intimiste, triste et poignante, lorsque Diana est tiraillée par sa loyauté envers ses amis et son devoir à accomplir et surtout lorsque Superman faisant face à WW, lui demande pourquoi cette trahison…
Tiens, cela mériterait bien une réedition chez Urban pour la faire découvrir à davantage de lecteur…
Oui, c’est vraiment une bonne histoire de Wonder Woman, grâce à un créateur pas trop marqué par les tics narratifs des superhéros. Par contre, je ne pense pas qu’on puisse la classer dans l’âge d’argent car Kyle Rayner est apparu pour la première fois en 1994, alors que les spécialistes situent la fin de l’âge d’argent aux alentours de 1970.
Souvent croisé en bacs d’occasion mais jamais acheté, cet album sera mien la prochaine fois grâce à cette critique. 😉
Merci beaucoup.
J’avoue que cette composition de l’équipe m’a longtemps plue mais, depuis le New52 et le blocage sur 8 ans de quasiment tous les membres, je rêve d’un vrai gros changement dans le groupe de la JL…
Au départ, c’est le nom de Christopher Moeller qui m’avait attiré, ayant apprécié sa première minisérie Iron Empires publiée par Dark Horse.
Le premier tome de la JLA version New 52 m’a tellement déçu que je n’ai pas retenté d’en lire un seul épisode depuis. Comme je n’apprécie pas non plus l’écriture de Scott Snyder, je me rabattrai peut-être sur celle de James Tynion…
Sur un scénario simplissime, Wonder Woman se retrouve dans la configuration d’un Batman qui met une tôle à toute la JLA. alors pas intello, mais une sorte de thriller assez jouissif…
Bonne lecture!
Oui, l’histoire est très simple. J’ai bien aimé également la capacité de l’auteur à faire passer l’état d’esprit de Dina.
Excellent album qui, dans le contexte de la glorification actuelle des femmes fortes, mériterait une réédition. Rien d’étonnant à ce que Batman soit considéré comme un des meilleurs opposants, surtout quand on a lu LA TOUR DE BABEL. Pour résumer, cette histoire est avant tout un bel hommage, une déclaration d’amour (courtois) d’un artiste envers la belle Amazone.
J’avais totalement oublié cet article, et cela donne très envie de trouver cette bd !
Lu aujourd’hui
Formidable de bout en bout, que c’est beau et iconique.
Voilà du super héros DC qui me parle.
Une phrase m’a fait marrer : Batman qui dit « tu es comme toutes ces femmes qui se victimisent auprès des hommes à cause de leur échec, c’est pathétique » Ouch….
Content que ça t’ait plu.
Je n’avais pas prêté attention à cette phrase, mais elle est effectivement très savoureuse. 🙂