Zorro 3 – Tales of the fox par Matt Wagner et Francesco Francavilla
VO: Dynamite
VF : /
AUTEUR : PRÉSENCE
Zorro est un personnage créé en 1919 dans un roman écrit par Johnston McCulley. Il a donné lieu à de nombreuses interprétations, et pour ma part Zorro aura toujours les traits de Guy Williams dans la série de Walt Disney datant de 1957.
Je peux comprendre que les plus jeunes penseront plutôt à Antonio Banderas (1998). En 2005, ce personnage a bénéficié d’un regain de popularité aux États-Unis grâce au roman d’Isabel Allende qui constitue une biographie fictive de 1790 à 1812, sobrement intitulé Zorro.
Il s’agit du troisième tome consacré à Zorro, écrit par Matt Wagner, après (1) Trail of the fox (épisodes 1 à 8) et (2) Clashing blades (épisodes 9 à 14).
Ce tome contient les épisodes 15 à 20, initialement parus en 2009/2010, écrits par Matt Wagner (également qualifié de directeur artistique), dessinés, encrés et mis en couleurs par Francesco Francavilla, avec des couvertures de Matt Wagner. Il n’est pas besoin d’avoir lu les tomes précédents pour apprécier celui-ci.
En 1805, le général Rafael Luis Mancado (gouverneur des colonies de Haute Californie) organise une réception chez lui. Il est craint de tous ses employés pour sa discipline de fer. Il invite ses hôtes à lui parler d’un brigand sévissant dans la région de Los Angeles et se faisant appeler Zorro.
En fonction des convives, ce hors-la-loi serait un spectre vengeur, ou un shaman Tongva (peuple amérindien habitant la région), ou encore un noble espagnol trompant son ennui en se livrant à des vols pour l’ivresse de l’interdit.
À Los Angeles, Diego de la Vega explique à Lolita Maria Immucalata de la Pulido qu’il doit rompre ses fiançailles avec elle pour éviter de la mettre en danger (elle connaît son identité secrète). Zorro s’attaque à l’exploitation de don Rafael Guillermo de la Vargas, propriétaire terrien régnant sur ses terres comme un tyran. Pendant ce temps-là, les autochtones s’interrogent sur les véritables motivations de Zorro, s’il s’agit d’un sauveur, s’ils doivent l’aider ou préparer un soulèvement pour profiter du trouble qu’il sème chez l’occupant espagnol.
La quatrième de couverture vante ce tome comme un hommage à Rashomon d’Akira Kurosawa (1950). Il faut comprendre par-là que Matt Wagner utilise le dispositif narratif qui consiste faire raconter la même scène à plusieurs témoins pour faire apparaître les différences, révélatrices de la personnalité et de la culture de chacun. L’éditeur aurait pu tout aussi bien mettre en avant l’hommage à Year one de Frank Miller et David Mazzuchelli, dans la manière où Zorro s’en prend aux nantis (Ils ont prospéré sur la richesse de Gotham / Los Angeles, maintenant ils vont payer).
Après un second tome peu convaincant, Matt Wagner revient au thème principal de son récit : Zorro est le personnage qui servira de modèle à tous les personnages masqués par la suite. Il évoque donc les conventions du genre. Cette version de Zorro dispose d’une épaisseur substantielle qui évite d’aligner les stéréotypes. Le lecteur redécouvre que les clichés des comics des superhéros trouvent leur source dans des actions qui étaient justifiées par un contexte.
Ainsi Zorro n’est pas qu’une pale imitation de Robin des Bois. Il possède un sens de la justice qu’il a acquis auprès d’un mentor. Son surnom de renard trouve sa source dans les croyances amérindiennes, en particulier celles de la tribu des Tongva, peuple amérindien qui habitait la région de Los Angeles et ses alentours, en Californie, avant l’arrivée des européens.
Zorro défend les opprimés contre les méchants occupants espagnols. Toutefois Diego de la Vega est lui-même un espagnol. Le témoignage d’individus qui l’ont vu ou plutôt qui en ont entendu parler permet de faire ressortir par contraste que Zorro n’est rien de toutes ces images déformées (avec une mention spéciale pour le noble se défonçant à la montée d’adrénaline). Zorro combat bien l’injustice sociale, l’exploitation des travailleurs par une classe dirigeante cherchant à maximiser le profit.
Au fil des épisodes, Matt Wagner joue avec cette notion la triturant dans tous les sens. En particulier, Zorro pourrait être réduit à un symbole de liberté venant libérer les masses laborieuses, mais ces mêmes ouvriers n’arrivent pas à décider par eux-mêmes s’ils le voient en meneur politique ou si au contraire les interventions de Zorro ne sont qu’une distraction dont ils doivent profiter pour se révolter et constituer leur propre assemblée politique.
À l’évidence les occupants espagnols sont d’affreux capitalistes exploitant une main d’œuvre, mais l’intervention de Zorro dans un ranch agricole ne remet pas en cause ce système capitaliste. Il ne dépose même pas le propriétaire du ranch, il lui intime juste d’instaurer une répartition des gains plus équitable et d’améliorer les conditions de travail. De la même manière, le lecteur ressent que l’occupant espagnol n’est pas le bienvenu sur le sol de la nation américaine, un envahisseur sans légitimité. Mais finalement le peuple légitime n’est autre que la tribu Tongva, soit un peuple indigène qui ne sera pas mieux traité par le gouvernement américain.
Finalement les actions de Zorro et leurs conséquences se prêtent à une interprétation politique des plus étranges et des plus ambigües. Non seulement Zorro ne milite pas pour une révolution qui permettrait au peuple indigène de décider de son sort par lui-même, mais en plus Diego de la Vega est l’un des occupants, blanc (et pas indien), bénéficiant d’une situation sociale des plus confortables puisqu’il n’a pas besoin de travailler pour subvenir à ses besoins. Ne parlons même pas du rôle subalterne de Bernardo, relation qui reproduit à l’identique le schéma colonial espagnol / indien.
Matt Wagner joue également sur la relation entre Diego de la Vega et Lolita Maria Immucalata de la Pulido. De la Vega explique pourquoi il ne veut pas donner l’impression de s’attacher à la belle demoiselle et encore moins l’impliquer dans ses activités clandestines. Wagner expose à sa manière l’impossibilité pour un justicier masqué de maintenir une relation amoureuse suivie, du fait du danger pour le conjoint.
C’est avec grand plaisir que le lecteur retrouve les dessins de Francesco Francavilla pour ces 6 épisodes. Ses dessins combinent une apparence spontanée, un peu grossière, avec des combinaisons chromatiques frappantes, et des aplats de noir conférant une densité substantielle aux dessins. Le lecteur ressent donc une immédiateté chargée d’affect à la découverte des images.
Derrière cette forme d’évidence et cet impact émotionnel, il découvre que ces dessins de prime abord frustes sont savamment composés pour comprendre un niveau de détails dosés avec habilité en fonction des séquences (de décors détaillés, à des arrières plans vides). Il constate que les couleurs qui peuvent paraître primaires sont en fait choisies avec soin. Pour les scènes nocturnes, le noir et l’ocre dominent, avec des variations de nuances discrètes. À chaque fois que l’action devient la composante principale, la couleur rouge apparaît en fond de case pour rehausser la violence des échanges.
Les quelques scènes en journée sont parées de couleurs moins foncées pour rendre compte de la luminosité. Francavilla prévoit avec soin ses placements de caméra pour que le lecteur ait soit une vue générale de la scène, ou qu’il soit placé au cœur de l’action, aux côtés de Zorro. Il se révèle un metteur en scène chevronné, imaginant ses plans en fonction des séquences, sachant rendre palpitante aussi bien une course poursuite à cheval qu’une conversation à table.
Avec ce troisième tome, Matt Wagner retrouve l’inspiration pour montrer en quoi Zorro est le moule à partir duquel tous les justiciers masqués ont été imaginés, ainsi que la rouerie nécessaire pour faire apparaître en quoi un justicier masqué est autant le défenseur des opprimés que de l’ordre établi.
Le retour de Francesco Francavilla permet de tirer vers le haut la qualité graphique, avec une apparence intemporelle légèrement surannée, mais avec en fait une grande efficacité de la narration, des plus modernes. Francavilla a depuis réalisé un magnifique hommage aux pulps : The Black Beetle. Matt Wagner a écrit une deuxième saison des aventures de Zorro : Zorro rides again (dessiné par Esteve Polls) et The wrath of Lady Zorro (dessiné par John K. Snyder III).
Whaou ! Un tome qu’on peut lire indépendamment des autres, un sous-texte politique, un décorticage du mythe du justicier masqué et de chouettes dessins ? Je crois que je vais me laisser tenter…
En tant que fan du Zorro joué par Guy Williams, connais-tu les adaptations dessinées par Alex Toth ? J’ai acheté une compil VF il y a quelques mois et on retrouve carrément l’ambiance de la série télé sur papier (mais en noir et blanc).
Je me souviens avoir lu ces BD par Alex Toth, il y a de cela 25 ans, publié par Eclipse Comics, éditeur disparu depuis. J’en garde un souvenir mitigé. A l’époque, le Comics Journal et Cat Yronwode louaient l’intelligence graphique de Toth. Je m’attendais donc à des dessins minimalistes jouant sur de gros aplats de noir aux formes géométriques, ce que je n’ai pas trouvé à la lecture. Je suppose que si je relisais ces histoires aujourd’hui, j’en aurais une autre appréciation.
Les scans ne m’ont pas convaincus, mais je rejoins JP sur l’intérêt politique de cette bd ainsi que sur la réflexion du masque qui deviendra universel par la suite. Merci pour la découverte et l’article !
Quant à Alex Toth, je ne connais pas, mais les dessins et planches que j’ai pu voir de lui sont très intriguantes. Je dois lire quoi de cet auteur ?
Bravo for Adventure est un must des oeuvres de Toth (une intégrale en VO va sortir bientôt).
Sinon ça dépend des séries, vu qu’il a rarement bossé sur la durée sur des séries mainstream et qu’il a fait pas mal de one-shot pour des anthologies.
Une grand de la BD en tout cas, connu pour son minimalisme, son sens de l’épure et sa grande rigueur, c’est assez incroyable quand on se rend compte de son héritage vu le nombre d’artistes qu’il a influencé (Mazzucchelli, Rude, Samnee, Cooke, Smith, Leon).
Merci PierreN ! Il me semble qu’il a aussi influencé des auteurs européens.
Oui Hugo Pratt en particulier si je ne m’abuse.
@PierreN – J’ai vu que Dark Horse allait également publier un recueil « Creepy presents Alex Toth ». Est-ce que ces histoires constituent une belle vitrine de l’art de Toth ?
Ah ! « Creepy presents Alex Toth », voilà un recueil que j’attends avec impatience !
Quant à « Zorro », je ne saurais dire pourquoi, ce n’est pas le personnage qui m’excite le plus. Mais bon, Wagner + Francavilla sur un sujet rétro, ça fait quand même rêver. Alors si en plus c’est bon…
@PierreN – J’ai acheté hier « Bravo for adventure » d’Alex Toth, avec des avions, et une qualité de reprographie irréprochable.
Je viens de finir le volume 4 et c’est toujours aussi bon malgré des vilains interchangeables et sans personnalités. La mort de XXX donne une vraie aura dramatique à l’histoire.
Content que ça te plaise. Je trouve que Matt Wagner est encore meilleur sur ses propres séries.
Effectivement, il a su profiter du peu d’intérêt pour la série pour apporter de réels changements et montrer leurs conséquences sur le personnage principal.
Je viens de finir La colère de Lady Zorro et j’ai toujours aussi aimé même si les dessins de John Snyder III sont ceux que j’aime le moins de la série.
La série continue ?
La série Zorro rides again s’arrête avec le tome 2. Matt Wagner a encore écrit un tome de plus en 2013 : Django / Zorro, coécrit avec Quentin Tarantino, dessiné par Esteve Polls. Il s’agit du Django du film de Tarantino. Je n’ai pas lu cette histoire.
Ah non ! Tarrantino en BD très peu pour moi….
OK, merci pour l’info.