L’Oreille Cassée + L’Île Noire, par Hergé
Par : TORNADO
VF: Casterman, Editions moulinsart
Tous les scans de cet article © Hergé-Moulinsart 2021
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Première publication le 4/12/17- MAJ le 16/10/2021
Contrairement aux albums précédents, qui formaient une sorte de diptyque dont les événements se suivaient et formaient plus ou moins un tout cohérent, L’Oreille Cassée et L’Île Noire développent deux aventures distinctes. Ils n’en demeurent pas moins complémentaires, reflets d’une même période et il est assez intéressant de les mettre en parallèle. L’article portera ainsi sur les deux albums.
Hergé avait réalisé ces histoires une première fois sous la forme de périodiques en noir et blanc dans les pages du Petit Vingtième, le supplément jeunesse du journal belge Le Vingtième Siècle. Comme il le fera avec toutes les aventures de Tintin datant d’avant la fin de la seconde guerre mondiale (à l’exception d’un Tintin Au Pays des Soviets qu’il trouvait trop mauvais), l’auteur remaniera ces bandes-dessinées au moment de leur sortie en album en couleur chez son nouvel éditeur : Casterman. Certaines de ces créations seront entièrement refaites (Tintin au Congo, Tintin en Amérique), d’autres seront simplement redécoupées et complétées de quelques décors, afin de passer à une pagination immuable de 62 pages (par exemple Le Sceptre d’Ottokar).
Initialement, L’Oreille Cassée avait été publié comme un long feuilleton entre 1935 et 1937, et L’Île Noire entre 1937 et 1938.
Le premier sera colorisé dans sa version album en 1943. Le second connaitra pas moins de trois versions différentes : Une première version couleur en 1943, puis une deuxième, entièrement refaite, en 1966.
1- L’Oreille Cassée.
Après Le Lotus Bleu, album de l’éveil et de la maturité pour Hergé, à travers lequel il s’était livré à une véritable étude géopolitique de la Chine, L’Oreille Cassée vient assurer la transformation de l’essai. De nouveau, Hergé s’inspire de l’actualité brûlante de son époque et se documente de manière très sérieuse avant d’envoyer son héros à tel endroit du globe (contrairement au temps où il se contentait d’illustrer les clichés véhiculés par l’imaginaire colonialiste). Par exemple, pour L’Oreille Cassée, le créateur de Tintin s’inspire des événements du Gran Chaco, à l’origine de la guerre entre la Bolivie et le Paraguay entre 1932 et 1935, résultat tragique de la concurrence entre deux compagnies pétrolières, qui firent tout de même cent-mille morts dans l’indifférence internationale la plus totale. Une tragédie qui permit néanmoins à certains opportunistes, comme les trafiquants d’armes, de faire leur beurre …
Parce que sa nature humaniste et engagée avait fait du Lotus Bleu un véritable réquisitoire à l’encontre du Japon impérialiste, Hergé avait subit quelques démêlés avec les ambassadeurs japonais présents sur le sol Belge, qui étaient venu l’accuser de ternir l’histoire de leur pays. Dans une volonté de liberté toujours plus grande, Hergé décida donc d’envoyer Tintin, pour les besoins de sa nouvelle aventure, dans l’équivalent fictif de la Bolivie et du Paraguay, ces derniers devenant ainsi le San Theodoros et le Nuevo Rico. L’auteur inaugurait alors une longue série de pays fictifs qui allaient le mettre définitivement à l’abri de toute riposte politique, tout en continuant à dénoncer les travers de notre monde, mais de manière subtilement détournée.
A bien des égards, L’Oreille Cassée entretient des airs de famille avec Le Lotus Bleu et constitue le segment central d’une sorte de première trilogie à vocation de critique politique dont Le Sceptre d’Ottokar représentera le dernier volet.
Hergé réalisait ainsi une sorte de mea-culpa grandiose, destiné à faire oublier les oripeaux du colonialisme de l’époque de Tintin Au Congo et toutes les naïvetés des premières aventures du jeune reporter à houppette.
Malgré tous ces efforts pour faire évoluer son œuvre, il existe encore aujourd’hui un tas de gens qui, n’ayant certainement jamais ouvert un album de Tintin, s’évertuent à qualifier l’auteur de fasciste, arguant qu’il était davantage préoccupé à faire ami-ami avec les nazis et à traiter les africains de petits nègres au temps du Congo, que d’écrire quelque chose de politiquement correct. Nous reparlerons de cela à l’occasion de l’article sur Le Crabe Aux Pinces d’Or mais je pense que l’on peut d’ors et déjà dire à ces personnes qu’elles se plantent sur toute la longueur et qu’elles feraient mieux de cesser de bafouer l’œuvre d’un des auteurs majeurs du XX° siècle, parmi les plus humanistes que notre espèce ait connus…
Tout aussi riche que soit cet album, il fait néanmoins partie, au même titre que les deux autres de la trilogie géopolitique, de ceux que j’aime le moins me relire. D’abord parce que toutes ces critiques me sont longtemps passées au dessus de la tête (enfant, je n’entendais strictement rien à ces références adressées à une actualité antédiluvienne) et que, même si cette orientation en fait des documents d’une importance majeure dans la perspective de garder une trace de notre histoire par le biais de la fiction, elle alourdit une série d’aventures qui sont immédiatement moins divertissantes.
Ensuite parce que, comme tous les albums qui avaient été publiés initialement sous la forme d’un feuilleton de 120 planches et qui n’ont pas été refaits (contrairement aux Cigares du Pharaon par exemple, entièrement redécoupé et redessiné), L’Oreille Cassée souffre d’une densité de texte et de vignettes assez étouffante. Si vous comparez les deux versions noir et blanc et couleur, vous constaterez que la première est beaucoup plus fluide et aérée, malgré la présence d’un texte déjà assez fourni !
Pourtant, force est de constater que c’est précisément dans ces albums que le métier initial de notre jeune héros, à savoir celui de reporter, est le mieux représenté. Car même s’il ne mène pas un reportage à proprement parler, on le voit systématiquement se précipiter sur la moindre curiosité, au mépris du danger, afin de faire la lumière sur les événements et de dévoiler la vérité. Soit l’apanage d’un véritable journaliste d’investigation, dont Hergé se fait évidemment le porte-parole par procuration….
L’album est, qui plus est, enjolivé par une dernière partie directement tournée sur le volet de l’aventure à l’état pur avec le voyage en pirogue au pays des Arumbayas. Et là, rien ne manque sur le terrain de l’exotisme, que ce soit avec les féroces piranhas ou les terribles sarbacanes employées par les indiens, ou encore le fameux sorcier perfide, dont on avait déjà vu une première version dans Tintin en Amérique. Un peu comme si, soudain, Hergé s’était aperçu qu’il fallait revenir à quelque chose de plus immédiatement divertissant !
Par ailleurs, à l’époque de la diffusion de l’album sous forme de feuilleton périodique dans les pages du Petit Vingtième, notre auteur continuait d’agrémenter sa rubrique « Le Mystère Tintin », invitant ses lecteurs à l’aider, soi-disant, afin de trouver une solution pour sortir son héros du pétrin dans lequel il venait de le mettre…
Au rayon des « détails », notons encore la première apparition du général Alcazar, l’un des personnages emblématiques de la série, qui opère ici une entrée assez remarquée.
Parmi les autres protagonistes, on retrouve également quelques versions d’hommes plus ou moins célèbres de l’époque (une constante chez Hergé), à peine transformés par le prisme de la fiction, comme par exemple le trafiquant d’armes Basil Baharoff qui devient ici Basil Bazaroff, ou encore l’explorateur Ridgewell qui évoque Percy Fawcett, l’explorateur et ami de Sir Arthur Conan Doyle qui, n’étant jamais revenu de son exploration amazonienne, inspirera à l’écrivain son mythique Monde Perdu.
Enfin, le fameux fétiche Arumbaya marquera durablement les esprits, voire l’imaginaire collectif, et l’on en trouvera un avatar dans le film de Philippe de Broca tourné comme une sorte d’adaptation officieuse de l’univers de Tintin : L’Homme de Rio. Un film qui condense tout un tas d’emprunts à la création d’Hergé, mêlant ainsi le fétiche aux trois licornes d’une autre aventure bien connue, mais dont l’action si situe néanmoins dans un cadre similaire à celui de L’Oreille Cassée…
2- L’Île Noire.
Au sortir de L’Oreille Cassée, Hergé trouve que les aventures de son héros de papier tiennent toujours beaucoup trop du feuilleton en roue libre. Il désire donc se recentrer sur quelque chose de plus ramassé. Un véritable scénario, en somme, avec un début, un milieu et une fin. Il imagine alors une simple et unique intrigue policière, délaissant pour un temps les critiques géopolitiques. Tintin se lancera tout simplement sur la piste d’un réseau de trafic de faux billets. Tel est le point de départ de L’Île Noire.
Histoire d’apporter un décor propre à créer le frisson, Hergé choisit l’Ecosse et ses châteaux hantés comme nouvelle destination. Il profite ainsi de l’aura de mystère que dégage le pays, notamment depuis les rumeurs, au début des années 30, de l’existence d’un monstre au fond du Loch-Ness. A cette légende persistante, Hergé va avoir l’idée lumineuse d’y associer le mythe de King Kong (le film originel étant sorti en 1933). Le gorille Ranko incarnera donc la « bête », cachée sur la sinistre île noire, afin de terrifier les pêcheurs et éviter qu’ils s’approchent de ce repère de trafiquants…
Pour autant, Hergé ne renonce pas à son désir de dénoncer les maux de notre monde et s’inspire une nouvelle fois de l’actualité car, en même temps que la montée du nazisme en Europe devient une menace véritable (l’un des principaux antagonistes de L’Île Noire se nomme Müller), les faux-monnayeurs commencent à pulluler dans tous les coins.
Puisque c’est un visionnaire et un auteur brillant, Hergé va également avoir l’idée de confronter, tout au long de cette nouvelle aventure, les mythes du passé avec les éléments de la modernité. C’est ainsi qu’au cadre mystérieux et exotique de la vieille Ecosse, répondent toutes les nouvelles technologies utilisées par les trafiquants afin de mener à bien leurs agissements : Train, avion, poste de télévision et de radio, machines capables de reproduire les billets à la perfection, rien n’est oublié lorsqu’il faut dénoncer l’inventivité et la compétence redoutable exercées par les hommes malveillants.
Cette alchimie entre les terreurs ancestrales et les inventions technologiques offre toute sa saveur à cette intrigue policière, à la fois moderne et teintée d’une couleur quasiment fantastique, où plane une aura de mystère romanesque consommée.
De plus en plus, chaque élément introduit dans un album de Tintin témoigne d’une volonté de la part de son auteur de ne rien laisser au hasard. Par exemple, si Tintin est surpris par la découverte d’un poste de télévision au cœur du château de Ben Mor, c’est bien entendu parce que cet appareil était encore très rare en 1937. Mais la présence de cette invention rappelle également que le Royaume-Uni était l’un des premiers endroits où cette technologie commençait à se développer.
Alors qu’Hergé avait refait son album pour la publication en couleur de 1943, il le redessina complètement dans une nouvelle version en 1966. Et L’Île Noire devint ainsi le seul album de l’histoire de la bande-dessinée à connaitre trois versions différentes.
Ce choix fut motivé par l’éditeur anglais qui, au moment de publier le livre au Royaume-Uni, écrivit à Hergé afin de lui faire remarquer que les planches regorgeaient de détails maladroits et d’erreurs en tout genre, ne correspondant pas du tout à la réalité de l’Angleterre et de l’Ecosse. En bon professionnel, Hergé accepta de tout refaire et put ainsi considérablement moderniser l’album, qui profita d’une flopée d’améliorations.
Ces changements ne plurent toutefois pas aux puristes qui remarquèrent rapidement un gros décalage entre la naïveté de l’histoire et un ensemble de modifications contradictoires (notamment lorsque Tintin est surpris par la découverte du poste de télévision), comme si l’harmonie de jadis entre le fond et la forme avait soudain été cassée. Je vois parfaitement ce qu’ils veulent dire. Toutefois, l’album dans sa version finale est si fluide, si admirablement découpé et aéré, que je le trouve personnellement très agréable sous cette forme définitive.
Cette modernisation explique en tout cas pourquoi cet album opérait une telle séduction sur l’enfant que j’étais à l’époque de sa découverte. Et il demeura longtemps l’un de mes préférés. Avec le recul, maintenant que je perçois à quel point il tranche, dans la forme, avec les albums de la même période, le constat est évident : En comparaison du Lotus Bleu, de LOreille Cassée et du Sceptre d’Ottokar, L’Île Noire s’impose pour moi comme une lecture beaucoup plus agréable, avec une mise en forme beaucoup plus élégante et, surtout, un découpage plus fluide et bien plus percutant. Ainsi refait, cet album aura évité l’écueil dont on souffert les autres précités, où les 120 planches initiales redécoupées en 62 pages pleines de texte frôlaient l’indigestion rétinienne.
Par-dessus tout, L’Île Noire me fascinait aussi pour son décor envoûtant et cette lente montée vers le château lugubre habité par la « bête ». Et si aujourd’hui je suis tant amoureux des intrigues policières mystérieuses, des monstres et des châteaux hantés, il est évident qu’une partie de cet héritage provient de cet album. Il aura en tout cas suffisamment nourri mon imaginaire pour que j’effectue directement le voyage en Ecosse où, durant trois semaines, j’allais découvrir ce magnifique pays dans ses moindres recoins, en ayant constamment à l’esprit le voyage immobile opéré bien des années auparavant, à travers les pages de cette septième aventure de Tintin…
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De la pirogue de l’Oreille Cassée au bateau de l’Île Noire, Tornado continue de revisiter pour notre plus grand plaisir les Albums de Tintin, pré-Haddock mais avec des instants inoubliables.
La BO du jour: noire ou pas, une île est une île. Et qui de mieux pour la chanter que le guitariste aquatique du Floyd ?
Toujours un super travail de contextualisation. Très intéressant.
Par contre j’ai pas trop compris pourquoi les modifications faites en 1966 devaient correspondre à l’actualité de l’époque. On peut modifier sur le tard sans changer la date durant laquelle se déroule l’histoire, non ?
En tous cas l’île noire est surement l’album que je préférais parmi les premiers.
« Par-dessus tout, L’Île Noire me fascinait aussi pour son décor envoûtant et cette lente montée vers le château lugubre habité par la « bête ». Et si aujourd’hui je suis tant amoureux des intrigues policières mystérieuses, des monstres et des châteaux hantés, il est évident qu’une partie de cet héritage provient de cet album. »
Bah c’est marrant moi aussi. J’adorais le passage dans le vieux château avec le Kong miniature. Moi tu me mets une île mystérieuse, un vieux château en ruines inquiétant et un gros singe et je suis content^^ J’avais lu une vieille histoire de Picsou par Carl Barks qui se déroulait dans le vieux château familial aussi, et ça m’avait fait un sacré effet à l’époque.
https://vignette.wikia.nocookie.net/picsou/images/2/20/Le_Secret_du_vieux_ch%C3%A2teau_4.jpg/revision/latest/scale-to-width-down/250?cb=20171031095710&path-prefix=fr
« L’île noire » version 66 a fait partie de mes Tintin préférés étant môme (Avec »L’affaire Tournesol » , « Coke en stock » et « Vol 714 pour Sidney »).
Je l’ai relue quelques années plus tard , cette fois dans sa version de 1943 dans un album fac-similé.Je préfère « L’île noire » dans sa version de 1943 aujourd’hui.(A cause du « gros décalage » dont il est question dans cet article ).
Très bon article qui m’a donné envie de relire « L’île noire.(Mais dans sa version de 1943 😉 )
Remarquable publication de Tornado, Merci encore pour tout ce travail. Une remarque cependant, une autre aventure fut remaniée elle aussi 3 fois. Il s’agit de L’Or Noir
– UNE PREMIÈRE VERSION DANS LE “PETIT VINGTIÈME” EN 1939/1940…
L’aventure de “L’Or Noir” a commencé à paraître, sous forme de feuilleton en prépublication, le 26 septembre 1939 dans le “Petit Vingtième” et y fut interrompue le 9 mai 1940 en raison de l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes.
– UNE DEUXIÈME VERSION DANS LE “JOURNAL TINTIN”.
Hergé reprit “L’Or Noir”, non sans mal, dans le journal Tintin à partir du 16 septembre 1948.
Elle fut publiée sur 3 ans (1948, 1949 et 1950). Dans cette version, les références à la situation politique d’Israël de l’époque sont nombreuses et précises, allant jusqu’à mettre explicitement en scène les juifs de l’Irgoun, les mouvements de résistance arabes et la présence politique de l’Angleterre. (La fondation de l’État d’Israël date de 1947 et l’évacuation de la Palestine par les troupes britanniques n’a eu lieu qu’en 1948).
C’est dans cette version que Hergé “intègre” vers la fin de l’histoire le Capitaine Haddock qui n’existait pas en 39/40.
– LA GRANDE “REFONTE” DE 1971 !
En 1971, l’aventure connaîtra une troisième et dernière version due à l’éditeur anglais Methuen (celui-là même qui exigea la refonte de “L’Ile Noire”) sous prétexte qu’il trouvait que le contexte général (la Palestine sous mandat britannique – qui est en fait une période peu reluisante de la politique étrangère anglaise) était trop daté : que pouvait comprendre le jeune lecteur des années 70 à ce conflit israélo-anglo-arabe vieux de 20 ans ?
Hergé supprime donc l’Irgoun, les soldats en kilts et les garde-côtes de Sa Majesté… Oubliée donc, l’arrestation de Tintin par des soldats de la Royal Navy, fini l’enlèvement de Tintin par un commando juif de l’Irgoun, disparus le commandant britannique Thorpe (soit-dit en passant, ce grade n’existe pas dans l’armée britannique, Hergé aurait dû parler de “major”) et les inscriptions en Hébreu sur les devantures de magasins !
L’album est donc “modernisé” et replacé dans un environnement arabe imaginaire à travers le conflit entre 2 émirs arabes : Ben Kalish Ezab et Bab El Ehr qui luttent pour la possession du pouvoir et du pétrole de l’émirat du Khemmed. Ce qui n’est pas sans rappeler “L’Oreille Cassée” où le San Theodoros et le Nuevo Rico, se battaient pour le pétrole du “Gran Chapo”.
Le travail des Studios Hergé et de Bob de Moor est, comme pour “L’Ile Noire” d’un réalisme extraordinaire, chaque case est redessinée et tous les décors sont scrupuleusement exécutés d’après des photos.
Hergé pour cette édition de 1971, pousse même le perfectionnisme confier à un étudiant en langues orientales la traduction exacte des phylactères en langue arabe. (Le résultat se voit dès la couverture de l’album où le sous-titre arabe a été rectifié et signifie maintenant “Or noir”)
Remarquable Tornado !
Du contexte historique bien utile aux Tornado Archives avec un jeune T enragé sur les traces de Nessie, je me suis régalé !
Je ne savais absolument pas cette histoire de massacre en Bolivie et au Paraguay. 100 000 morts ? Dios Mio 🙁
Contrairement à Jean-Luc et toi, j’ai tenté la littérature comparée entre anciennes et nouvelles éditions avant de me raviser…. Les versions modernes sont les seules qui m’intéressent, les plus abouties. Je me rappelle avoir baillé devant la première version du Pharaon et l’avoir revendu sans remords.
Je continue de lire néanmoins ces making of avec attention : quel gentleman décidément ce George Rémi de refaire des planches entières suite aux remarques de ces lecteurs.
Dans mon souvenir, nous sommes dans deux épisodes parmi les plus violents de la série : la noyade des vilains de L’oreille Cassée m’avait marqué enfant. Quant à l’ouverture de l’Île Noire, Tintin est flingué dès le premier épisode. J’ai toujours trouvé le graphisme de L’oreille Cassée très frustre, assez sombre. Presque angoissant. Les séquences où Tintin doit être fusillé et ce dur parfum de folie….
Merci !
Comme pour les articles précédents, c’est passionnant de découvrir l’intention de l’auteur en choisissant la forme de son récit et son thème principal, ainsi que l’évolution de ces albums. Je comprends mieux pourquoi il y a une telle différence de finition entre les dessins de L’île noire et ceux de L’oreille cassée.
C’est assez incroyable de penser que l’éditeur anglais ait eu un tel pouvoir ou telle force de conviction vis-à-vis d’Hergé, au point de le convaincre de recommencer son album.
Merci à tous pour les retours.
Je préfère également les albums dans leur version finale. Mais je reconnais qua ceux qui ont été uniquement redécoupés et mis en couleur (comme Le Lotus Bleu et L’Oreille Cassée) et non ceux qui ont été entièrement refaits (comme Les Cigares du Pharaon et L’Île Noire) ont un côté beaucoup plus fluide dans la version originelle des 120 pages.
Concernant l’Île Noire il est certain que la version 1966 est anachronique. Hergé a été un peu maladroit lorsqu’il a modernisé la forme sans changer le fond. Mais quand même, comme je l’ai écrit dans l’article, ma préférence va vers la version définitive, plus agréable à la lecture (mais c’est mon côté « je préfère la forme au fond »).
En relisant l’article, je me suis dit « Merde, j’ai écrit que l’Île Noire était le seul album aux trois versions ! Merde j’ai oublié Au Pays de l’Or Noir ! » Et voilà (évidemment) que ce n’est pas passé inaperçu ! 😀
Sur le moment, j’avais oublié de réviser…
Hergé a toujours accepté de refaire ses albums et d’en changer le contenu si on le lui demandait et s’il trouvait cela justifié. Je pense qu’il était perfectionniste mais également très affecté par les reproches qu’il avait subi pour ses maladresses sur Tintin au Congo et L’Etoile Mystérieuse. Du coup, il devait se sentir redevable et se mettait à la tâche sans discuter.
C’est quoi le problème de L’Etoile Mystérieuse ? C’est pas le truc un peu délirant avec une météorite sur laquelle pousse des gros champignons ? Moi j’avais pris ça pour un récit rigolo de SF quand j’étais petit. Je ne l’ai pas relu depuis un bail alors je ne sais pas du tout où est le problème^^
@Jean-Luc : Ah ! ça y est, je me rappelle maintenant pourquoi j’ai écrit « le seul album au trois versions » : C’est parce que « Au Pays de l’Or Noir » a beau avoir connu trois versions lui aussi, deux seulement ont été publiées sous la forme d’un album (la 1° version inachevée ayant été publiée uniquement dans les pages du Petit XX°). Ouf, je m’en sors bien ! 😀
Grrr…
Et tu m’as pas répondu. Pourquoi il fallait coller à l’actualité quand on demandait à Hergé de corriger les erreurs ? Quand on restaure un tableau de la renaissance, on ne modifie pas le décor pour que ça colle au 20eme siècle^^ C’est Hergé lui-même qui faisait ce choix ?
Et bien si, j’ai répondu en disant que je pensais que c’était un changement maladroit (changer la forme sans changer le fond). 🙂
Euh voui mais moi je me questionnais surtout si l’éditeur anglais lui imposait ça pour coller à l’actualité de son pays ou si c’est Hergé qui, en plus de corriger des erreurs, avait décidé de son plein gré de changer complètement l’époque durant laquelle se déroule sa BD (par exemple avec les pompiers plus modernes). C’est pas hyper clair dans l’article s’il se pliait à des demandes un peu abusives ou s’il a voulu actualiser lui-même en se prenant les pieds dans le tapis^^
De ce que j’ai compris, l’éditeur anglais demanda à Hergé de refaire l’album car un grand nombre de détails ne correspondaient plus à l’actualité de l’Ecosse, dont les jeunes lecteurs découvraient à peine les aventures de Tintin. Il craignait que ces lecteurs ne reconnaissent pas leur pays et trouvent cette représentation ridicule. Il aurait donc encouragé Hergé à moderniser sa représentation de l’Ecosse. Hergé obtempéra, mais fut maladroit en dupliquant systématiquement ses vignettes sans en changer le fond. Certaines situations devenant ainsi anachroniques.
Ok. D’un autre côté s’il avait du refaire le fond, c’était carrément un nouvel album avec un sacré boulot à abattre. C’est abusé de réclamer ça quand même.
C’est comme si on disait qu’il fallait refaire les EC comics parce que les jeunes américains d’aujourd’hui ne reconnaitraient pas leur pays.
Ce sont aussi des produits de leur époque, c’est pas forcément pertinent de les modifier pour coller à l’actualité.
Quand j’ai découvert Tintin dans mes jeunes années, j’aimais beaucoup le général Alcazar, je ne saurais trop expliquer pourquoi…
Outre la sympathique madeleine que constitue cet article, j’en retiendrai surtout que Tornado eut à une époque le cheveu fort dru…
Merci beaucoup Tornado, j’apprends une tonne de choses. En fait je ne connaissais rien de ces histoires d’albums recadrés, d’éditions multiples, de retouches, et cela éclaire d’une lumière toute nouvelle l’oeuvre d’Hergé. Je comprends ainsi mieux sa réputation de perfectionniste.
Je trouve que les décors, sur les scans de l’Ile noire, sont très impressionnants, tout comme la vignette de la pyramide dans l’article sur Blake et Mortimer (que je n’ai pas encore lu). C’est du détail mais vivant, jamais fait pour impressionner mais bien pour représenter. C’est vraiment beau.
Je ne sais même pas si j’ai lu l’Ile noire en fait. Si c’est le cas je n’en ai aucun souvenir. Et puis je viens seulement de lire les Picaros, alors il est fort possible que je ne me sois jamais lu l’Ile noire !
L’oreille cassée, je l’ai lue il y a sept ou huit ans, j’avais été épaté par la partie centrale, celle que tu dénigres un peu : avec mes yeux d’adultes, je me rendais compte de la lucidité et de la roublardise de Hergé avec cette histoire de révolution bananière. C’est drôle et bien vu, carrément une histoire dans l’histoire. Malgré tout, je préfère ce qu’en fait Franquin dans Spirou (Le dictateur et le champignon notamment, mais surtout QRN sur Bretzelburg, da best). Comme tu le dis, cela manque de liant, ses planches sont toujours bien construites (roi de la narration, je pense que c’est pour ça que Hergé est tellement porté aux nues, il est le premier à inventer une grammaire narrative aussi fluide) mais le scénario pêche. Ce qui n’est pas le cas pour Les bijoux de la Castafiore (mon préféré quand j’étais gosse), Les 7 boules de cristal ou L’affaire Tournesol (que j’ai oublié aussi en grande partie).
Bref, merci encore pour ma culture. Tu vas me redonner envie d’essayer Tintin. Mais bon, les dernières fois que j’en ai relu ou lu, j’ai toujours eu du mal… je crois que cela ne passera jamais.
Ah et puis merci pour les photos ! Je ne suis jamais allé en Ecosse mais j’adorerai. Quant à la BO, pas écoutée… pas envie d’essayer non plus.
Hergé ne dessinait pas les décors de ses albums. Il laissait cette tache à ses collaborateurs. C’est ainsi que sont venu briller E.P. Jacobs (par exemple sur Le Sceptre d’Ottokar ou Le Temple du Soleil) et Bob de Moor (sur l’Île Noire). L’auteur de Tintin se « contentait » des story-board, des dialogue et, surtout, des personnages. Un véritable metteur en scène (avec un vrai director’s cut) au pays de la bande-dessinée !
La BO : Jamais je ne me lasserai d’écouter la voix et la guitare de David Gilmour, même dans ses albums les moins créatifs. J’ai toujours préféré la forme au fond, et ainsi je me moque de savoir si tel album est important, ou s’il est adoubé par la critique rock. Le plus important à mon sens étant, déjà, qu’il me donne des frissons… 🙂
Et Roger Leloup, le papa de Yoko Tsuno a redessiné les avions dans l’île noire, et pas mal d’éléments techniques dans d’autres albums vu que c’était un dingue de modélisme (il aurait conçu une maquette de l’avion de vol 714 pour Sydney pour le dessiner correctement)
Anecdote rigolote de wikipédia :
« Roger Leloup évoque une anecdote avec le créateur de Tintin, Hergé : « Quand j’ai quitté le studio, il (Hergé) m’a indiqué que je pourrais revenir quand je le désirais. Quelque temps plus tard, je lui ai montré les débuts de Yoko Tsuno, il m’a simplement souri et m’a dit : « vous, vous ne reviendrez jamais… » »
Pour Bruce qui avait été marqué par la scène de la noyade des méchants dans l’oreille cassée :
HERGÉ COMPLAISANT : LES DIABLES BLANCHIS ET… LEUR SLIP !
En 1967, un abbé basé au Congo, le Père Joseph Lannoy écrivit à Hergé de Kinshasa pour lui faire part de son désir de publier en feuilleton “L’Oreille Cassée” dans la Revue Afrique Chrétienne.
Mais ce brave Père, était gêné par la couleur (noire) des diablotins… ! On peut d’ailleurs comprendre sa prudence compte tenu de son lectorat africain. À dieu ne plaise il demande tout simplement et sans aucune vergogne à Hergé de les… blanchir !!!
Hergé, une fois de plus, s’exécuta fort gentiment et envoya un nouveau dessin accompagné du petit mot plein d’humour suivant :
“…vous trouverez ci-joint le petit dessin des “diables blanchis”, qui n’ont plus de noir, sur le corps, que le slip dont je les ai vêtus”
Pour voir les images correspondantes :
https://drive.google.com/file/d/15UGc7_TvOWtoJVGm0tGCJIXn0jFFl33b/view?usp=sharing
Et bien voilà de fort belles anecdotes qui illuminent ce paysage morne dans lequel notre auteur serait soi-disant, pour les bienpensants nigauds, le diable en personne…