Interview Patrick Coutin – Par Bruce Tringale
Être un homme invisible, c’est pratique pour regarder les filles. A 70 ans et un nouvel album dans ses housses de guitares, Patrick Coutin continue d’avoir voix et idées claires.
Interview auparavant publiée dans BEST 5
Donc, après une nuit d’insomnie, tu décides d’enregistrer aux States ?
Je sortais de la pandémie, c’était une mauvaise période. En faisant un tour sur le net, je tombe sur la ville d’Austin que je connais bien puisque j’y avais produit Dick Rivers. Je me suis dit que ça faisait longtemps que je n’y étais pas allé. Je retrouve sur Facebook une pointure, David Grisson qui me lance: « Viens enregistrer ton disque ». Ici rien, ne fonctionnait, j’avais annulé 30 concerts. J’y suis allé et on a enregistré le disque en 3 jours.
La ballade de Jesus Cat est un remarquable titre d’ouverture proche du Bashung de Roulette Russe.
Bashung venait de l’Est, moi du Sud mais on avait la même culture musicale, celle des USA, de Presley, du country rock. Une des rares reprises que je fais sur scène, c’est Osez Joséphine.
Tu as produit Dick Rivers. Quand je suis loin de vous, c’est le titre qu’il aurait pu chanter.
Oui. Bashung aussi a produit Dick, ce qui nous fait encore un point commun. C’était un spécialiste de la musique du sud des USA. Rivers connaissait tous les musiciens de cette scène. Ce morceau c’est du Blue Bayou. Un fan m’a demandé de reprendre C’est comme de l’eau qui coule, une de ses chansons sur scène. Il est très possible que je le fasse.
La nuit est là, La star du comptoir ont de belles guitares Stonienes
Je suis un fan des Stones. Notre génération est celle des guitaristes. J’aime cette spontanéité, c’est ce que doit être le rock, une musique vivante, simple. Ce qui ne veut pas dire qu’elle doit être idiote.
Maman est une chanson sur la mort de ta mère. J’ai parfois pensé au Mama deChristophe…
Ouais, avec Christophe on partage cette sensiblerie italienne distante. Il aimait le studio, comme moi. J’ai un amour fou pour ma mère. Je prenais de l’acide, je fumais du shit, il y avait beaucoup d’héro autour du moi. Inconsciemment, ma mère m’a sauvé : je ne voulais pas lui briser le cœur. A chaque fois que j’étais sur le point de faire une connerie, elle m’apparaissait mentalement.
Sur Mon bébé par la main, tu chantes l’amour comme un jeune homme, celui de Tellement Belle.
J’ai toujours 18 ans dans ma tête et mes idéaux sont restés les mêmes : on s’est battus pour la paix, pour l’égalité hommes-femmes, la liberté sexuelle, celui de passer les frontières.
A part ça tout va bien est ton cri de rage contre le réchauffement climatique. Pense-tu que le Carpe Diem adopté par la génération rock est responsable de cette catastrophe ?
Non ! On peut vivre au jour le jour sans écraser l’autre ou l’opprimer. Le rock est partout dans les films, les pubs. La société a récupéré nos images, mais sans les idéaux de paix, d’égalité, de respect de la planète. Cette chanson, c’est mon hommage à Antisocial de Trust.
Jim Morrison te dirait qu’il n’y a que le chaos, pas de lois….
Dans mon livre je veux démolir cette image. Il avait un quotient intellectuel unique. Ses textes parlaient d’écologie, il a écrit de belles odes aux femmes, il était contre la guerre au Vietnam alors que son père l’avait déclenchée à lui tout seul. Iggy, McCartney continuent de défendre ces idées. Il aurait fait pareil.
Justement, l’an dernier, tu as écrit pour Les Indociles cette superbe biographie de Jim Morrison
Stan Cuesta et moi nous nous appréciions. Il avait deux livres en chantier Janis Joplin et Morrison. Je pensais hériter de Janis et il m’a refilé Jim. C’était l’anniversaire de sa mort et Stan voulait que l’on parle de Morrison autrement que comme un alcoloo défoncé. J’ai dit ok en étant certain que je ne le ferai pas. Et puis le confinement est arrivé, je l’ai passé à la campagne à écouter les Doors en écrivant le livre !
Ton livre insiste sur une dimension inédite : la solitude existentielle de Jim Morrison…
Je voulais lui rendre justice en tant qu’être humain : un homme généreux, gentil et borderline, probablement abusé sexuellement…C’est un truc rarement abordé, la solitude. Johnny aussi était seul, même avec 30 personnes autour de lui. La célébrité t’isole. On te fabrique une image qui devient ta prison. Morrison vivait dans la rue alors qu’il était une star. A Paris, même avec Pamela, il est seul. C’est la solitude qui l’a détruit. Bowie a su se protéger, Morrison non. Le show-business l’a condamné à mort, c’est un meurtre social. L’Amérique est un pays très dur avec ces gens qui s’enrichissait sur son dos. Je suis certain que les services secrets américains et français l’avaient à l’œil.
Je suis très surpris : selon ton livre sa mort dans les toilettes du Rock’n’roll Circus ne serait qu’une hypothèse comme une autre et non pas la version officielle du décès de Jim Morrison.
Oui, cette version, c’est une connerie. Trimballer un mort de 100 kilos sur 3 étages, c’est pas possible. Tu le sors d’un bar, tu le mets dans un taxi, tu te tapes les escaliers pour le mettre dans une baignoire ? Voyons ! Il suffisait de le laisser dans une rue… On a parlé d’un Morrison barbu dans les chiottes alors qu’il était de nouveau imberbe. Il s’est autodétruit et il a fait la connerie de mélanger héro et alcool.
Lorsque j’allais à la Loco dans les 90’s, la guitare fuzz de J’aime regarder les filles passait juste après I wanna be your dog…
C’est la première fois qu’on me le dit ça ! On en a un peu chié pour la voix. J’avais des bouts de textes qui trainaient. On était à Hérouville, Laurent Thibault avait une disponibilité et du super matériel, notamment le prime time lexicon. Au bout de deux ou trois heures, la bande continuait de tourner. On est passé d’une version de 15 à 5 minutes en gardant le meilleur. C’est là que j’ai finalisé mes paroles malgré nos incapacités musicales. Je ne savais pas compter, mes couplets faisaient 12 puis 9 mesures. Aujourd’hui quand je joue avec de très bons musiciens, ils sont incapables d’en retrouver le rythme.
Fais-moi jouir est sans doute la chanson française la plus scandaleuse après Je t’aime moi non plus…
Elle a été censurée par le président de CBS qui ne voulait pas que ses enfants l’écoutent. Il m’en voulait parce qu’il ne pouvait pass’empêcher de la fredonner. J’ai eu beaucoup de mal pour le deuxième album. Il fallait travailler mon look, ça me cassait les pieds. Quand je suis passé à la TV, mes copains me traitaient de vendu.
Monter sur scène pour les revivals 80 avec Julie Piétri, Mader ou François Feldman, c’est Morrison compatible ?
Morrison, j’l’emmerde (rires). J’avais besoin d’argent, Il fallait nourrir ma famille. J’ai posé mes conditions : ne pas jouer sur bandes, ramener ma guitare électrique. C’était aussi l’occasion de jouer au Zénith. Tu te retrouves devant un public énorme, j’étais le seul rocker de la bande. On m’a traité avec gentillesse. Je ne le regrette pas : ça m’a remis dans le move au niveau technique. C’est ce que j’attends de cet album : qu’il se vende pour me permettre de repartir sur scène et faire vivre plein de gens.
Super ITW, qui sait ne pas être consensuelle tout en restant chaleureuse.
Enfin un chanteur de rock français qui passe plus de temps à parler musique qu’attitude (l’attitude arrivant d’ailleurs naturellement avec) ! Et qui aligne des références que je peux entendre (qu’est-ce que ça fait plaisir d’entendre « country-rock » plutôt que « punk » !). On voit de toute façon qu’il est d’une génération plus tournée vers les USA que le UK.
La chanson du dernier album est sacrément réussie ! Je l’ai déjà en tête ce matin avec l’envie de la réécouter !
En revanche, je trouve dommage d’avoir mis JRLF dans l’article. Cette chanson, je suis fan bien sûr, mais on la connait par coeur et j’aurais préféré entendre une autre nouvelle chanson.
On m’a offert le bouquin sur Morrison quand il est sorti. Après avoir lu PERSONNE NE SORTIRA D’ICI VIVANT de Sugerman et Hopkins, on y apprend pas grand-chose, mais Coutin pimente ses textes d’une approche musicale qui lui apporte un plus, justement. J’aime quand on parle plus de musique que d’attitude rock. Quand on écoute une chanson, c’est la musique qui doit passer en premier. L’attitude, c’est du barnum.
Bon, sinon c’est déjà fini ? C’est trop court, on en veut encore ! 😆
Lorsque j’ai rencontré Coutin, je lui ai dis avoir été surpris de le savoir vivant. Sa pochette de JRLF est si intense que l’on aurait pu le croire mort d’une OD.
C’est un monsieur drôle, gentil, très distrait façon Pierre Richard avec qui je suis resté en contact. Il serait question ces jours-ci d’une deuxième interview pour PLAYBOY. Stay Tuned.
Poster JRLF me semblait indispensable pour attirer l’attention d’un lecteur novice mais si tu as aimé le nouveau titre, fonce tout l’album est de cet acabit et dispo sur les plateformes de streaming.
Enfin j’ai mis un extrait de son deuxième album qui est tout aussi formidable.
Oui, c’est que je me suis dit pour JRLF. Je réagissais juste égoïstement. Mais oui je vais écouter l’album.
Je suis également surpris de le savoir vivant et actif. Méconnaissable, mais éminemment sympathique (Polnareff est également méconnaissable, mais là c’est carrément une autre personne qu’on a l’impression de voir (et d’ailleurs je trouve qu’il est littéralement devenu quelqu’un d’autre, quelqu’un qui a oublié qui il était, quelqu’un qui n’a plus aucun rapport avec la personne qu’il était)).
Que penses-tu de sa théorie Jim Morrison ?
Ben le bougre fait preuve de bon sens. C’est fou. Aucune théorie ne semble tenir la route dans cette histoire… Et quand on écoute les témoignages différents, ils semblent tous convaincants. J’ai vu une émission qui relate la mort du chanteur en étayant chaque théorie (trois en tout, je crois). C’est narré comme une enquête d’investigation et ça n’avance pas une théorie en avant des autres. Et à chaque fois qu’on écoute une théorie distinctement, on se dit : « mais oui, c’est ça »… avant de se dire la même chose à la suivante… Et vu que tous les témoins sont morts aujourd’hui, tout ça semble destiné à demeurer éternellement un mystère, à l’image de la légende de Jim…
Je dois dire que je n’avais rien à redire au bon sens de Coutin. Je ne m’étais jamais figuré ça comme ça. Je serais nul en détective.
Première réaction à la vue de l’article : c’est qui ce gars ?
J’entame la lecture et je vois que c’est le gars qui a chanté JRLF. Ah ok.
J’écoute les autres morceaux proposés.
Ca ne me parle pas. C’est pas mon univers. Cet espèce de rock à la française, ça n’a jamais été mon truc.
Mais c’est une belle interview et le gars me parait vraiment attachant.
Hello Zen.
Plus le temps passe, plus je m’attache à la chanson française voire à la variété. Nous avons une scène assez impressionnante.
J’aime regarder les filles : quel morceau !
Ainsi donc, il y a une vie après un tube aussi écrasant.
Après avoir lu l’interview, je suis allé consulter sa page wikipedia : une petite dizaine d’albums mine de rien.
Coutin a produit Dick Rivers ! Est-ce l’annonce d’un article sur Hervé Forneri pour la prochaine saison ?
Ouf….
Avant Dick Rivers, il faudrait déjà que je m’attelle à celui sur Christophe que je reporte depuis 3 ans.
Il y a des années (facile 15 ou 20 ans), un pote de Paris qui bossait dans le milieu du spectacle m’avait parlé de cet artiste et de sa chanson la plus célèbre… Il l’avait croisé pour le boulot, je ne sais plus trop dans quelles conditions exactes.
Dans ma tête, il était donc jusqu’ici comme l’homme d’un seul tube, à l’instar d’un autre Patrick, Hernandez (dans la Bruce Team, on attend avec impatience le grand succès de l’été chanté par Patrick 6).
Cette interview change forcément ma perception du monsieur. Hélas, les tentatives d’écoute dans le tram ce matin ne m’ont pas trop harponné. Cet article ne changera donc pas mon approche de son répertoire : Coutin, j’écoute un peu, mais pas beaucoup…
Bonjour.
Je découvre totalement Patrick Coutin, rocker dans l’âme avec le blue du sud des states, Bashung, Rivers, les Stones et puis Morrison.
J’ai du entendre une ou deux fois le « j’aime regarder les filles » surement avec une oreille et des pensées assez méprisante (mon côté petit con).
J’ai apprécié les différentes BO. Je pense que je vais rapidement me pencher sur sa discographie, surtout le dernier album.
Je ne me suis pas encore procuré son livre sur Morrison, mais là c’est carrément un appel du pied. Comme pour Kennedy, c’est fou le nombre de théorie que cela engendre.
Très sympa comme itw, une bonne lecture de samedi matin après son footing (le boss dans les écouteurs par contre :))
Du Bruce dans les écouteurs et sur l’écran : ça me va.
Super interview bien trop courte. Je n’ai pas appris grand chose car oui, je connais Coutin. J’ai écouté plusieurs de ces disques, je n’accroche pas à tout mais j’aime beaucoup certaines de ses chansons : J’aime regarder les filles, Fais-moi jouir (qui m’est toujours apparu comme une relecture ou un hommage à Je t’aime moi non plus), Lolita Gardenal et ouais, Tellement Belle est cool. Je les réécoute régulièrement, il faut dire que j’ai une histoire avec Fais-moi jouir : c’est grâce à cette chanson que ma femme m’a adressé la parole pour la première fois, en 1995 – elle était étonnée que quelqu’un en connaisse les paroles par coeur alors qu’elle ne l’avait jamais entendue auparavant. Je l’avais mise dans ma playlist de mariage (pour l’apéro).
C’est vrai que sa théorie sur Morrison est pleine de bon sens, mais bon, comme pour Elliott Smith, cela fait longtemps que je sais que l’on ne saura jamais le fin mot de l’histoire et que c’est pas très grave. Ca donne envie de lire son livre.
Je reviens après avoir écouté les autres titres plus récents.
Je transmets tout de suite ton anecdote à Courtin concernant ta femme et toi.
Passe-lui le bonjour alors !
Sinon j’ai écouté le nouveau titre, très blues-rock, c’est sympa mais je vais pas me pencher plus dessus.