LE DIABLE DANS TOUS SES DETAILS (DAREDEVIL vol 1 #234-280)
PARTIE 6 : INTERVIEW DE DAN CHICHESTER
Une interview réalisée et traduite par DOOP O’MALLEYAprès Gregory Wright, dont vous pouvez retrouver l’interview sur notre site, voici un nouvel entretien avec l’un des scénaristes les plus connus de DAREDEVIL dans les années 90 : Dan Chichester ! Je l’ai contacté il y a quelques mois et sa réponse a été assez inattendue. En effet, Dan, qui est d’une gentillesse extrême, m’a renvoyé plus de 30 pages de réponses ! Il ne s’est véritablement pas moqué des lecteurs de BRUCE LIT et a précisé longuement son parcours, sa manière d’écrire et sa relation de travail avec les artistes de l’époque. Et bien sûr, il a livré quelques anecdotes sur son passage dans DAREDEVIL que je n’ai jamais pu lire ailleurs ! Une très longue interview qui offre un tout nouveau regard sur cette période. J’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cette interview que moi à la traduire.
Un grand merci à Julian Mitchell pour sa relecture bienveillante ainsi que Mathilde Henry et Madelyne Lemoine pour les dicussions autour des subtilités de traduction.
Bonjour Dan. Commençons par vos débuts chez Marvel. J’ai lu que vous y aviez travaillé quelques mois lorsque vous étiez étudiant avant que l’on vous recontacte pour un travail d’assistant éditeur chez Epic. Travailliez-vous avec votre ami Greg Wright à l’époque ?
Oui, c’est à peu près ça. Il me fallait financer mes études de cinéma, je n’avais plus d’argent et j’ai donc pris un job chez Marvel. Ils recherchaient des étudiants pour faire du travail de dactylo, travail qui s’est transformé en assistant de l’assistant de l’éditeur en chef. Je me trouvais à côté du bureau de Jim Shooter. J’observais ce qui se passait et découvrais les ficelles du métier tout ça en accomplissant diverses tâches parfois étranges au sein des bureaux, selon les besoins. Une fois parti à la fin du semestre, j’ai été appelé durant l’été par Jo Duffy, qui était l’une des principales éditrices chez Epic et qui recherchait un assistant. Problème : je devais retourner en classe pour un autre semestre. Je lui ai donc expliqué que j’aimerais bien travailler avec eux tout en continuant mon cursus. Je n’envisageais alors pas les comics comme une solution à long terme, mais plutôt comme une opportunité qui pourrait créer une passerelle vers le cinéma. Jo Duffy a dit OK. C’était parfait pour moi.
À cette époque, je ne travaillais pas encore avec Greg Wright. Nous étions amis depuis le lycée et nous sommes devenus colocataires à la fac. Je travaillais chez Marvel et lui réfléchissait à un petit job sans intérêt après son diplôme, du genre empaqueter de la viande dans un supermarché. Je lui ai dit que c’était ridicule. Que s’il devait faire un travail aussi abrutissant, autant venir travailler comme réceptionniste chez Epic. Que ce serait plus intéressant, que l’environnement serait plus créatif et que cela lui permettrait de se poser en attendant de se décider pour son avenir. Il est donc devenu réceptionniste et cela a été un tremplin pour lui puisqu’il est devenu assistant éditeur et puis éditeur tout court. C’est quand-même nettement mieux que de s’occuper de la langue de bœuf dans un supermarché !
BLOOD, A TALE : Une série éditée par Dan Chichester (©JM De Matteis, John J Muth)
Qu’avez-vous appris aux côtés d’Archie Goodwin ou de Jo Duffy.
Travailler à côté de n’importe quelle personne chez Epic, que ce soit Jo Duffy, Margaret Clark, Robbin Brosterman (qui était notre designer) ou Archie Goodwin, c’était juste extraordinaire ! Tous avaient le plus grand respect pour les créateurs et voulaient produire le meilleur comics possible. Leur volonté de rémunérer les auteurs par le biais de la propriété de leurs créations m’a beaucoup marqué et m’a appris à respecter la vision des artistes. Ainsi que cette envie d’atteindre des standards très élevés en matière de production de bandes dessinées. Chez Epic, nous travaillions avec du papier de meilleure qualité et donc des dessins de meilleure qualité aussi. Il y avait beaucoup à apprendre, et c’est ce que j’ai fait à travers ces collaborations.
Travailler avec Archie a été une occasion incroyable de découvrir l’homme qui se cachait derrière la légende. Je connaissais déjà un peu le travail de Jo Duffy via ses scenarii mais je ne connaissais Archie que par sa fantastique réputation. D’abord chez Warren Comics, puis par son travail sur ALIENS avec Walt Simonson. Je n’aurais jamais pensé le rencontrer un jour et ce n’était même pas un objectif. Mais de subitement travailler avec cet homme, pour cet homme, qui avait un vif sens de l’humour et un engagement farouche envers la créativité, c’était juste un plaisir. J’étais intimidé, mais j’ai tiré parti autant que possible de ces leçons. Et je pense que la plus grande leçon c’était avant tout ce respect indéfectible pour le créateur et le processus créatif. Cela signifiait pour moi la possibilité d’être un meilleur éditeur envers les artistes que j’allais représenter. Cela m’a aussi permis de réfléchir à la façon dont je voulais créer mes comics et à la qualité de ces derniers, en essayant de raconter une histoire de manière claire tout en faisant passer un message. J’ai donc été très chanceux de rentrer dans ce cercle sans l’avoir vraiment envisagé : un véritable alignement de planètes.
Est-ce que votre travail en tant qu’éditeur était pour vous un moyen de devenir un scénariste ?
J’aurais aimé avoir assez de recul à l’époque pour utiliser mon travail éditorial comme un moyen de devenir écrivain ! Pour moi, être éditeur, c’était juste une transition : rassembler quelques fonds, établir un plan, puis probablement « partir à l’ouest » et faire fortune dans l’industrie cinématographique. Je ne voulais pas sortir de l’université sans perspectives et passer tout mon temps à chercher du travail. Là, j’évoluais dans un environnement créatif, avec des tonnes d’histoires et beaucoup d’inventivité. Je ne pensais vraiment pas y faire carrière !
Au fil du temps, et particulièrement lorsque je suis devenu assistant éditeur, travailler au contact de tous ces créateurs fantastiques et éclectiques ressemblait plus à assister à une masterclass qu’à un vrai travail. Il fallait être au service de leurs besoins et anticiper ce qu’ils désiraient faire, ce qu’ils recherchaient à travers leurs comics. Je le répète, c’était du comics dont les droits appartenaient aux créateurs et j’étais là à les aider à trouver leur voie alors que moi-même je passais du rôle d’assistant éditeur à éditeur.
Je travaillais beaucoup avec les scénaristes. Pat Mills sur MARSHALL LAW est le nom qui me vient à l’esprit en premier. Il était tellement intelligent, tellement vif, et ses scénarios racontaient toujours quelque chose. Dès la première phrase, ça sonnait juste. Je n’arrivais pas à imaginer que ce gars puisse commettre une erreur, changer ou modifier quoi que ce soit, ce qu’il a sûrement fait par ailleurs, mais c’était tellement brillant. Tout était là, sur la page ! Lui donner des retours sur ses histoires, écouter ses observations sur ce qui était bon ou mauvais m’a poussé à réfléchir sur la manière d’écrire. Cela m’a donné les bases pour pouvoir, au fil du temps, utiliser au mieux ce que j’avais vu pour mes propres histoires, pour ma propre écriture.
MARSHAL LAW : Une inspiration pour le jeune éditeur (©Pat Mills, Kevin O’Neil)
Epic avait cette approche « multi-genres » : on y trouvait de tout, de l’humour grivois aux poèmes en prose, en passant par le surnaturel, de l’aventure avec un grand A jusqu’à la bande dessinée pour adultes. Chez Epic, on avait devant nos yeux toute l’étendue de ce que les comics pouvaient vraiment proposer. J’ai vu tous les aspects du processus créatif et collaboratif à travers les yeux de ces auteurs que mon travail d’éditeur consistait à aider. Et puis j’ai commencé à réaliser que je risquais de faire carrière dans cet univers. J’ai donc envisagé mon travail d’éditeur comme la possibilité de devenir scénariste. Et tout ce que je voyais et apprenais sur mon futur métier, c’était à travers le prisme de comics comme MARSHALL LAW, GROO THE WANDERER, STRAY TOASTERS ou ELEKTRA ASSASSIN : tous des livres auxquels j’avais participé, à un degré plus ou moins important, du point de vue éditorial.
Vous travaillez d’abord avec une équipe, et puis, lorsque vous êtes scénariste, vous travaillez avec des artistes. Il n’y a pas le choix. Et il y a beaucoup d’écueils qui peuvent vous faire échouer dans cette collaboration. Comme par exemple être tellement amoureux de votre histoire au point de ne pas réaliser qu’elle va être altérée par votre dessinateur. Vous devez avoir ça en tête et cela signifie que vous devez d’abord penser visuellement à votre histoire. En tant qu’aspirant-cinéaste, j’ai toujours pensé de manière visuelle. En travaillant avec les plus grands talents du secteur, j’ai observé comment ils racontaient leurs histoires et comment ils réussissaient leur coup. Cela m’a aidé à atteindre des aspirations plus élevées dans mon propre travail. Bon, il y a parfois un peu de friction. Comme la gestion des egos mais aussi le fait que comme les livres de la ligne Epic appartenaient à leurs créateurs, ces derniers ne voulaient pas toujours entendre parler d’un rédacteur en chef débutant dans l’équipe. Cependant, j’ai toujours appris en les observant et j’ai transposé ces connaissances plus tard dans ma manière d’écrire.
Après quelques numéros de JUSTICE et de SOLO AVENGERS, vous êtes devenu le scénariste de SHIELD puis DAREDEVIL. Comment avez-vous obtenu cette dernière série ? Existe-t-il des différences de style entre les personnages que vous écrivez ?
Il est important de préciser que c’était juste un épisode de JUSTICE et un épisode de SOLO AVENGERS. Les deux ont été réalisés en collaboration avec Margaret Clark, qui co-écrivait les scénarii. J’étais en effet trop anxieux pour réaliser une histoire tout seul, et j’ai trouvé en elle une bonne partenaire et un appui qui m’a permis de me mettre en selle et de prendre confiance en mes capacités.
En ce qui concerne DAREDEVIL, c’est une série que je n’aurais jamais pensé envisager. Je ne pensais pas que j’avais le niveau suffisant à l’époque pour écrire un personnage aussi majeur de l’univers Marvel. Sans manquer de respect à la série, écrire NICK FURY AGENT DU SHIELD, c’était la même chose que d’écrire du James Bond. Et comme j’étais un grand fan de Bond, c’était facile. DAREDEVIL semblait représenter le niveau supérieur d’écriture à atteindre. Parce la série existait depuis longtemps mais surtout parce que l’ombre de Frank Miller planait toujours au-dessus d’elle. Je ne me sentais pas prêt à relever le défi. Mais mon ami Steve Buccellato avait été mis au courant du départ d’Ann Nocenti et il pensait que je devais proposer des idées pour le titre. Ralph Macchio, l’éditeur de DD aimait beaucoup mon travail sur NICK FURY. Je pense que c’est parce que je respectais énormément le personnage et son histoire tout en faisant joujou avec certains aspects de l’âge d’or Marvel. Alors j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai demandé à Ralph : « J’ai appris qu’il y avait une place de disponible sur DAREDEVIL, est-ce que je peux proposer un synopsis ? ». Ralph, dans sa grande gentillesse, m’a répondu « Bien sûr, si tu te sens, vas-y ! ». J’ai toujours eu l’impression qu’il avait simplement essayé de ne pas me contrarier.
J’étais impatient d’obtenir un peu plus de reconnaissance avec une série majeure. Et DAREDEVIL semblait parfait pour ça. J’ai donc proposé un traitement où Daredevil devait arrêter de faire mumuse avec le Caïd pour le mettre définitivement hors d’état de nuire. C’était le point d’orgue de mon histoire. Ça semblait relativement simple, et quelque part ça l’était mais personne n’avait encore tenté cela ! Il y avait aussi cette idée de faire de la ville un personnage à part entière de la série. Daredevil devait être le protecteur de New York, franchir la frontière de Hell’s Kitchen. Je voulais considérer tous les différents quartiers de New York comme des personnages secondaires. Et quelque chose dans mon traitement a attiré l’attention de Ralph, qui m’a donc donné la série. Ce qui m’a totalement pris de court !
En ce qui concerne le fait d’écrire des personnages de manière différente, je pense que c’est l’essence d’un bon scénariste, d’un bon écrivain. Il ne faut pas simplement amener votre empreinte (« J’écris comme ça, j’utilise ces mots-là, ces phases-ci ») mais entrer littéralement dans la peau et les émotions de votre personnage. En faisant cela, ce dernier commence à parler à travers vous. Vous devenez une planche de Ouija vivante ! C’est vous qui canalisez ce qui se passe : c’est tout du moins ce que j’ai toujours ressenti en écrivant. Chaque personnage est différent et vous vous mettez à la recherche de différents thèmes qui le concernent. Quand j’écrivais NICK FURY AGENT DU SHIELD, je me suis intéressé énormément à l’espionnage, aux assassins et aux ouvrages géopolitiques. Lorsque j’écrivais DAREDEVIL, j’étais plus axé sur l’infrastructure de New York, l’histoire de la ville et les éléments un peu plus sombres de certains de ses quartiers. Je lisais la presse locale, en cherchant des bribes de faits divers, de crimes relatifs à la ville mais aussi des personnages qui pourraient prendre vie dans les histoires de DAREDEVIL que j’allais écrire. Vous vous immergez totalement dans vos recherches et vous absorbez tout ce matériel qui, avec de la chance, prend racine dans un coin de votre esprit et vous récompense avec des histoires dont vous devenez le réceptacle et l’exécutant. C’est en tout cas ma manière de faire.
Premier numéro signé D.G. Chichester (©Marvel Comics)
Combien de temps avez-vous eu entre le moment où on vous a désigné pour écrire la série et le premier délai ? Plus généralement, comment se prépare-t-on à écrire une série avec près de trente ans de continuité ?
J’ai eu le temps généralement accordé aux auteurs de l’époque : entre quatre et six semaines. Ce n’était pas beaucoup et il a fallu s’adapter assez vite. J’étais pile dans les délais. Mes idées sur le personnage étaient basées sur la proposition que j’avais faite plus tôt, c’est-à-dire de mettre en place la chute du Caïd. Lee Weeks et moi étions sur la même longueur d’ondes. Nous voulions revenir à un Daredevil plus urbain, avec des rues qui ressemblaient plus à celles décrites dans les films de Martin Scorcese comme dans LES AFFRANCHIS, à l’opposé du travail beaucoup plus réfléchi et métaphysique d’Ann Nocenti sur le personnage. C’était vraiment ce que je recherchais.
Première mission : mettre en place avec Lee Weeks les différents éléments de la chute du Caïd durant les 8 épisodes qui précédaient le très attendu numéro 300. Et je n’ai pas eu à m’adapter à l’artiste du tout. Lee et moi discutions très bien. Nous ne nous connaissions pas vraiment, mais nous avons rapidement découvert que nous partagions une certaine énergie et un certain engagement à vouloir faire de notre mieux et à prouver notre valeur sur le titre. Nous avons tout donné !
J’ai effectué la lecture de quelques anciens numéros mais je connaissais déjà le personnage. Je lisais régulièrement ses aventures, en particulier lorsque je faisais partie du staff de Marvel et que je recevais des exemplaires du comics. Dans les histoires récentes, et comme pour beaucoup de lecteurs, BORN AGAIN a véritablement redéfini l’image de Daredevil dans mon esprit.
J’avais bien évidemment lu le travail d’Ann et je l’avais apprécié, mais pas autant qu’aujourd’hui. Je pense que j’étais encore dans cet état d’esprit qui consistait à penser que le personnage devait toujours être très proche de la rue. À l’époque, je n’avais pas remarqué tous les sujets métaphysiques qu’elle introduisait dans le livre. J’aime profondément ce run aujourd’hui et j’aurais aimé être assez intelligent à l’époque pour l’utiliser davantage dans mes histoires. Savoir ce qui s’est passé avant est un élément essentiel pour comprendre un personnage et lui rendre justice, même si vous n’aimez pas ce qu’un auteur précédent en a fait.
De fait, je considère Frank Miller et Ann comme les précurseurs directs du travail que j’ai effectué et je les admire tous les deux énormément. Je pense qu’il faut toujours s’investir dans le personnage, les situations et les rythmes qui ont été créés avant votre venue pour réfléchir à ce que l’on va y ajouter ou à ce que l’on va en tirer soi-même. C’est la seule façon de se préparer à écrire pour quelque chose qui existe depuis si longtemps. Il faut vous impliquer totalement dans tout ce qui existe à propos du personnage.
Et puis il y avait le HANDBOOK OF THE MARVEL UNIVERSE, une sorte de proto-Wikipedia élaboré par nos historiens Marvel qui était un excellent document de travail. Ils vous expliquaient comment les bâtiments étaient disposés, comment les gadgets fonctionnaient, comment les costumes étaient fabriqués, les tissus et proto-molécules qui entraient dans la composition des objets. Cela permettait de trouver beaucoup d’inspiration concernant les choses que vous alliez créer.
En tant que scénariste et créateur chez Marvel, vous êtes dans un univers partagé, un bac à sable commun de personnages, d’opportunités et d’histoires. C’est en partie ce qui fait la joie de travailler dans un cadre comme celui-ci : vous avez la possibilité d’être le responsable de quelque chose pendant un certain temps. Mais à un moment donné, vous allez aussi le rendre ou vous le faire reprendre. Il ne faut donc pas trop s’y attacher, mais y consacrer autant d’efforts que possible. Essayer de proposer le meilleur tant que vous êtes aux commandes et que vous contribuez à l’histoire de l’univers Marvel !
Retour à un DD plus urbain (©Marvel Comics)
Comment avez-vous écrit vos premiers épisodes ? Vous êtes-vous adapté au dessinateur ?
Lorsque nous avons commencé à travailler ensemble sur le livre, Lee et moi essayions prudemment de nous comprendre tout en affirmant nos positions respectives dans nos carrières. Lee avait plus d’expérience avec DD, mais nous avons rapidement constaté que nous avions une excellente relation de travail. Nous aimions la compagnie de l’autre et nous partagions le sentiment que le personnage, son histoire et le numéro 300 pouvaient être importants pour nous. Que cela nous permettrait de mieux nous faire connaître en tant que créateurs et de gagner en notoriété grâce au personnage. Nos échanges étaient très fluides et précis car nous savions où nous voulions aller. Nous échangions sur les rebondissements, les décors ou les références visuelles dont Lee pouvait avoir besoin, car j’étais plus proche de New York et je pouvais les lui fournir. Nous étions vraiment sur la même longueur d’onde.
Je travaillais selon la « méthode Marvel ». L’intrigue passait en premier, et par intrigue, j’entends un plan détaillé de ce qui se passe sur chaque page. Je n’écrivais pas d’intrigues en vrac. Je chorégraphiais ces événements dans ma tête et j’essayais de les décrire presque image par image, même si ce n’était pas écrit en tant que tel. Ce processus me permettait de m’assurer que le rythme et les rebondissements étaient cohérents.
Un artiste comme Lee interprète mes descriptions de manière parfois différente, respectant parfois le rythme imposé ou l’adaptant. J’ai rapidement appris à lui faire confiance pour faire les bons choix, plutôt que de m’inquiéter du nombre de cases utilisées. En tant qu’auteur, vous vous adaptez à l’artiste et à son style. Dans le cas de Lee, son travail incarne parfaitement le réalisme urbain, ce qui a influencé la narration et le ton général. Si nous avons pu avoir parfois l’impression de nous amuser avec les dialogues, l’humour et les moments humains, nous ne sommes jamais tombés dans la facilité.
Il ne faut pas croire que parce que vous travaillez sur DAREDEVIL et Hell’s Kitchen, tout doit être sombre. Lee est un artiste très humain et cela transparaît dans ses dessins. C’est grâce à lui, je pense, que j’ai été amené à considérer davantage l’humanité des personnages tout au long de l’histoire, y compris celle du Caïd.
Que se passe-t-il quand j’écris ? Est-ce que je planifie ce qui se passe page par page ? Oui. Je vois les choses très visuellement, même si, en fin de compte, ce qui se passe dans les images est très différent de ce qui va se produire ensuite. Dans ma tête, je vois une page, puis des cases. J’ai besoin de décomposer ces temps pour m’assurer que cela fonctionne, pour m’assurer du rythme de la narration dans l’épisode mais aussi pour donner une impression dramatique à certains dialogues ou événements. J’essaie de le décrire au mieux à l’artiste, même s’il ne s’agit pas d’un scénario complet.
L’artiste va ensuite améliorer cela. Il l’améliore presque toujours. Dans le cas de DAREDEVIL et de Lee, cela a toujours été le cas. Lorsque ses dessins revenaient sur mon bureau, les planches contenaient plus d’émotion et plus de gravité. C’est ce qui donne une véritable valeur ajoutée à l’histoire, aux dialogues et aux descriptions.
J’entends souvent des dialogues dans ma tête lorsque je travaille sur l’intrigue et les images. Des lignes de dialogue me viennent à l’esprit, une tournure de phrase, voire une séquence entière. C’est ce qui me permet de définir le rythme. Parfois, je n’ai pas le dialogue en tête et je dois le trouver plus tard. Mais il arrive que les choses changent lorsque l’on voit le dessin, et ça constitue un véritable tournant. Vous adaptez alors votre travail à ce qui se trouve sur la page au niveau des visuels. Cela peut nécessiter moins d’explications ou vous donner l’occasion d’aller dans une autre direction. Dans de rares cas, il est parfois nécessaire d’ajouter des dialogues pour rectifier le tir et faire comprendre au lecteur ce qui se passe.
Dans vos premiers épisodes, DD revient en terrain connu avec le retour de Karen Page et de la Main, accompagnés de Tombstone, Taskmaster et même le Punisher en invités surprise. Pourquoi autant de personnages secondaires ? J’imagine que ça devait être fun d’écrire tous ces personnages.
Je considère plutôt Taskmaster ou Tombstone comme les vilains de ces épisodes, ceux qui créent les différents conflits à résoudre dans l’histoire. Ils m’ont semblé être des némésis intéressants, des adversaires de rue plus féroces qui ramèneraient plus d’action. D’une certaine manière, j’essayais de proposer un contraste par rapport au travail d’Ann. Je voulais créer une sensation brute et viscérale à travers laquelle je voulais faire évoluer mon personnage à ce moment-là, avec mon niveau de compétence et ma sensibilité.
Le Punisher, quant à lui, était définitivement une guest-star. Des personnages comme lui ou Ghost Rider, très populaires, étaient souvent utilisés car non seulement c’était fun de les faire évoluer, mais surtout parce qu’ils faisaient monter les ventes. Lorsque Lee et moi avons repris la série, nous étions tous les deux plutôt des inconnus. Nous voulions donc créer le plus d’attention possible sur le titre, sur ce que nous allions en faire et sur la direction que nous allions prendre. Et l’un des moyens d’y parvenir était de faire appel à des personnages comme ceux-là.
Et puis, c’est clair que ce sont des personnages très amusants à utiliser. C’est tout l’intérêt de pouvoir travailler dans l’univers Marvel ou dans n’importe quel univers partagé : pouvoir s’emparer de ce genre de héros et les interpréter d’une manière un peu différente. Et c’est à ce moment que les parties vraiment intéressantes de l’histoire apparaissent. Lorsque vous créez cette friction, cette fission entre les différents types de personnages et la façon dont ils voient le monde. Et si vous vous y prenez bien et que vous vous y investissez à fond, vous pouvez tirer partie de tous les éléments uniques de chaque personnage, de la férocité du Punisher jusqu’à la droiture du Ghost Rider. Et montrer comment la vision du monde de Daredevil est différente de la leur. On obtient ainsi une grande variété d’idées, de personnages et de situations.
L’utilisation des super-sens, omniprésente chez Dan Chichester (©Marvel Comics)
Vous avez beaucoup utilisé les « super-sens » de Daredevil dans vos histoires. Pensez-vous qu’ils étaient un peu sous-exploités à l’époque ? Comment imaginiez-vous ces sens dans votre esprit ? J’imagine que cela doit être assez difficile de se mettre dans la peau d’un personnage aveugle.
Ça me fait plaisir de constater que vous avez remarqué l’utilisation des super sens. J’en suis particulièrement fier. J’ai toujours considéré Daredevil à travers cet aspect et la façon dont ses pouvoirs fonctionnent m’a toujours attiré.
Je ne sais pas vraiment si les super-sens étaient sous-utilisés à l’époque. Je n’ai pas le souvenir d’un moment de m’être dit avant de prendre la série que quelqu’un n’en tirait pas le meilleur parti. Utiliser à fond ses super-sens était pour moi une manière de le rendre aussi unique qu’il l’était. C’est la façon dont il « voit le monde ». J’ai donc tenté une approche à partir de là, et cela a abouti immédiatement à une richesse inédite. Ces sens et leur interprétation sont devenus pour moi un moyen d’apprécier qui il est et ce qu’il vit.
Votre question suggère qu’il est difficile pour un écrivain qui n’est pas aveugle ou malvoyant d’écrire un personnage aveugle. Je ne me trouve pas dans cette situation, heureusement, mais je peux me mettre à la place des personnes qui le sont sans toutefois me comparer à eux. Peut-être que si j’avais eu plus de recul à l’époque, j’aurais fait plus de recherches à ce sujet. En fait, j’ai simplement fermé les yeux et imaginé ce que serait le monde. Même dans le cadre de votre chambre, lorsque vous écrivez et que vous commencez à écouter, à sentir et à toucher des choses, vous arrivez à vous mettre dans la peau de Matt Murdock et Daredevil. Vous vous imaginez passer vos doigts sur le bois d’un château d’eau ou sur le bord d’une brique, vous ressentez l’humidité d’une nuit et les sensations de l’air qui se déplace. Et ce sont toutes ces sensations qui permettent de rajouter des détails à l’histoire.
Parfois, j’ai eu tendance à trop sur-écrire ces sens. Vous essayez de tout décrire et vous remplissez la page de mots à n’en plus finir. Après, j’ai quand-même souvent trouvé le juste équilibre entre la description et la cadence de ces sens hypersensibles afin de proposer quelque chose qui fonctionne. J’ai pu remettre ces éléments sur le devant de la scène avec la série DAREDEVIL BLACK ARMOR où je pense avoir mieux décrit cet aspect.
Une relation entre Matt et Karen qui prend son temps (© Marvel Comics)
Que pensez-vous de la relation entre Karen et Matt ? Vous avez mis beaucoup de temps avant de les réunir de nouveau (et je trouve que vous l’avez vraiment bien réussi).
J’ai récemment découvert que certaines personnes n’aimaient vraiment pas leur relation et qu’ils se réjouissaient presque du fait qu’elle ait été tuée dans la série après mon départ. Je suppose qu’ils ont considéré que Karen avait trahi Matt dans la série BORN AGAIN lorsqu’elle était toxicomane et que le Caïd et ses sbires l’avaient forcé à révéler le secret de Matt, que c’était une traîtresse et qu’elle méritait ce qu’elle a eu par la suite. Mais moi j’ai adoré ce que Frank Miller avait fait de Karen sur BORN AGAIN : passer de quelqu’un de complètement brisé à une personne qui acceptait ce qu’elle avait fait.
Tout le monde est brisé, tout le monde a des défauts et nous cherchons tous un chemin vers la rédemption. Et je crois que c’est la force du personnage. Matt se bat lui-même contre ces choses, alors comment pourrait-il ne pas respecter les épreuves que Karen a traversées ? J’ai vraiment essayé de reprendre leur relation avec tout le respect qui est dû à ces personnages et leur histoire.
Cela m’a pris du temps avant de les amener là où ils pourraient à nouveau accepter leur synergie romantique. Tout cela pour nous conduire vers FALL FROM GRACE. Je pense qu’en tant qu’écrivain, vous savez que vous êtes au bon endroit quand les personnages vous disent qu’ils sont prêts, quand ce sont eux qui vous guident et que vous n’êtes plus qu’un suiveur. C’est lorsque vous essayez de faire entrer de force des expressions dans leur bouche ou dans leur tête que vous vous retrouvez avec une histoire très maladroite. Et je me suis certainement rendu parfois coupable de cela. Mais pas ici : le rythme correspondant à leur relation et le fait d’essayer d’exprimer cette émotion à travers eux a vraiment bien fonctionné. Scott McDaniel a réalisé des dessins très humains et plein d’émotion et je suis très heureux que nous ayons eu l’occasion de le faire.
Avez-vous trouvé votre « voix » rapidement ? Avez-vous changé votre manière d’écrire au fil des épisodes ou modifié certains plans ? Dans quelle mesure votre expérience en tant qu’éditeur a été un appui pour votre écriture ?
Je pense que j’ai trouvé ma voix assez rapidement avec Daredevil parce que j’avais en tête une idée de l’énergie que je voulais développer, probablement en lien avec la série de Frank Miller. Je n’essayais pas de me comparer à lui ou de l’imiter, mais je m’en inspirais. Ce sentiment d’intensité et de maturité qui se dégageait de ce type d’histoire, puis de certains comics de l’époque qui devenaient plus sombres et plus réalistes. J’étais éditeur sur la ligne Epic, qui proposait des bandes dessinées par des créateurs plus matures. Il y avait donc forcément plus de thèmes à aborder. Pat Mills et son travail sur MARSHALL LAW ont eu une grande influence sur moi.
Marshal Law n’a rien à voir avec Daredevil, mais j’ai beaucoup appris du sens de l’histoire de Pat, son utilisation précise de la langue et des personnages. Je me suis donc inspiré de tout cela, ainsi que de mon propre goût pour les produits de la culture pop et du cinéma. Martin Scorsese, que j’ai déjà mentionné, a été une grande influence : ce type de criminalité urbaine et tout ce genre de choses. Comment approcher au mieux ce rythme-là ? Comment le mettre en avant ? Tout cela a influencé ma voix. Encore une fois, je ne me suis jamais dit « Oh, je veux ressembler à cet écrivain« , mais je m’en inspirais. Et je m’y confrontais dans le sens où je me questionnais toujours sur le fait de dire « Est-ce que ça sonne aussi bien, est-ce que c’est le bon rythme ?« . Lorsque c’était le cas, j’étais très heureux, et lorsque ce n’était pas le cas, j’étais contrarié jusque dans mon sommeil (rires).
En ce qui concerne ma manière d’écrire, je ne pense pas avoir changé beaucoup de choses durant mon travail sur la série, tout du moins, pas au début. Je pense qu’au départ, je voulais que le livre, le personnage et les histoires ressemblent aux références que j’ai citées plus haut. Si c’était le cas, cela me convenait. Parfois, cela fonctionnait plutôt grâce à un monologue interne ; parfois, c’était une phrase de dialogue. Mais je pense (en particulier durant la période qui a précédé le numéro 300 qui a marqué un tournant) que j’ai eu l’impression de faire feu de tout bois ! Travailler avec Lee a été, comme je l’ai décrit à maintes reprises, une expérience incroyable et épanouissante. J’avais l’impression que tout allait bien entre nous et que nous atteignions ce que je voulais et ce que j’espérais.
En tant qu’auteur et créateur d’histoires, je pense que je me suis parfois égaré, ce qui a entraîné des incohérences dans la manière dont j’abordais mon travail. Même si j’avais une vision de la manière dont devait évoluer l’histoire, je n’arrivais toutefois pas toujours à créer une ligne directrice de bout en bout. Je m’en tenais à ma vision mais elle n’était parfois pas aussi cohérente que ce que je souhaitais. Cela a changé avec FALL FROM GRACE car j’avais un fil rouge solide à suivre, ce qui m’a aidé à aller de l’avant.
J’ai quand-même modifié mon style d’écriture, passant du monologue interne à une description à la troisième personne. Je ne sais pas exactement pourquoi j’ai fait ce choix. Si cela a parfois bien fonctionné, d’autres fois cela a donné un texte un peu trop verbeux.
Mon expérience en tant qu’éditeur m’a été précieuse. J’ai beaucoup appris des créateurs avec lesquels je travaillais. Pendant de nombreuses années, j’ai eu le sentiment d’être meilleur éditeur qu’écrivain. Aujourd’hui, j’ai confiance en mes capacités d’écrivain, mais je continue d’apprendre en observant des personnes talentueuses au sommet de leur art.
Passons à l’arc LA CHUTE DU CAID. Dans cette histoire, Matt est décrit comme une « âme pure » qui ne veut pas franchir la ligne rouge et qui montre des regrets, voire de la tristesse envers Typhoid ou le Caïd. Est-ce que cette tendance à pardonner est l’un de vos aspects favoris concernant le personnage ?
Je ne suis pas vraiment d’accord. Matt prend des décisions très réfléchies dans l’histoire. Il choisit de séduire Typhoïd pour la ramener à lui, puis l’enferme dans un foyer alors qu’elle est affaiblie, éliminant ainsi une ennemie dangereuse. Il manipule également certains événements ou les laisse se dérouler afin de contrôler émotionnellement le Caïd et e faire tomber.
Matt décide que « trop c’est trop » et utilise toute son intelligence, son sens de ce qui se passe dans la rue et son expertise juridique pour atteindre son objectif. Il ne croit pas au meurtre ni aux dommages collatéraux excessifs, mais il repoussera les limites pour traduire le Caïd en justice. Il ne s’agit pas tant de regrets ou de tristesse, mais plutôt d’un engagement dans une voie qu’il croit juste et appropriée.
Cependant, Matt fait un choix en ce qui concerne le pardon, en particulier pour le Caïd. Il n’est pas satisfait de ce qu’il fait à Typhoïd, mais il sait qu’il doit le faire pour atteindre son but ultime. S’il avait dû affronter Typhoïd et le Caïd en même temps, il lui aurait été impossible de réussir.
Matt veut arriver à la fin de l’histoire où il dit au Caïd « Je te pardonne ». Pour toutes les choses que ce dernier lui a infligées. C’est aussi un choix. C’est passer de la rétribution de l’Ancien Testament, au pardon du Nouveau presque en un instant. Et c’est une partie importante du personnage qui n’était pas prévue comme ça au départ. J’ai certainement dû écrire que Daredevil se tient au-dessus du Caïd et que ce dernier a été vaincu mais c’est vraiment la façon dont Lee a cadré les personnages et a donné une vue globale de l’ensemble qui m’ont conduit à écrire cette phrase de pardon.
Lee n’était pas très satisfait de cette phrase. Nous n’étions pas d’accord, mais même si je n’arrivais pas à l’exprimer totalement à l’époque, je sentais qu’elle était juste et qu’elle provenait de l’histoire, du personnage et du moment. C’est à ce moment précis que je savais que j’étais sur la bonne voie. En fin de compte, je pense que Lee a fini par respecter et apprécier cette réplique. MJ’en étais donc très heureux.
Je pense que le pardon est un élément important des efforts que fournit Matt dans cette lutte entre les différentes facettes de son personnage, de ce qu’il voudrait être. Le justicier et l’avocat, l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Le pardon doit être présent, mais il ne faut pas nécessairement commencer par là. Il y a des tonnes de nuances. Matt ne dit pas : « Laissez-moi tendre l’autre joue ou l’autre corne« . Je pense qu’il y a une réelle motivation chez Matt de faire ressortir le meilleur chez les gens qui l’entourent. Même lorsqu’il faut comprendre qui sont les méchants et pourquoi ils font ce qu’ils font.
Ce n’est pas un processus qu’il a intellectualisé. Il ne s’agit pas de s’asseoir avec le vilain et d’avoir une longue conversation à ce sujet, mais je pense que c’est une partie importante de ce qui motive le personnage et qui devrait aussi nous motiver en tant que créateur de ces histoires.
La fameuse scène où DD pardonne au Caïd (© Marvel Comics)
Dans cet arc, vous introduisez Kathy Malper, une procureure fan des Red Sox, l’équipe de baseball. Je l’ai toujours considérée comme un potentiel intérêt amoureux de Daredevil.
Kathy Malper est un personnage intéressant car inspirée d’une personne réelle. Je crois que son nom était Kathy Palmer et j’ai simplement interverti les lettres pour créer son nom. Kathy était une véritable procureure fédérale de l’état de New York, fan des Sox, et était connue comme « La femme dragon » pour son implication dans l’arrestation d’un cartel de chinois qui dealaient de l’opium ou autres drogues. Comme je faisais toujours beaucoup de recherches sur l’actualité pour trouver de nouvelles idées, son nom a atterri dans l’un de mes classeurs en tant que personnage intéressant à réutiliser pour sa personnalité, son passé et son travail.
L’histoire où elle ouvre un conteneur ou une valise piégés avec un fusil de chasse à l’intérieur pour la tuer est un fait qui s’est véritablement déroulé. Je l’ai donc incorporé dans l’histoire. De fait, j’ai incorporé toutes ces choses que je trouvais être de bons petits éléments de personnalité qui ont contribué à faire d’elle une alliée de Daredevil et de Matt Murdock. Elle a permis à Matt de récupérer sa licence d’avocat.
Je n’ai jamais considéré le moindre intérêt romantique entre les deux. Je pensais que Karen occupait déjà ce terrain et je ne voyais pas la nécessité de mélanger les choses. Et Elektra était toujours là pour remuer le couteau dans la plaie si j’avais besoin de ce genre de tensions, du moins à ce moment-là. Je voyais Malper comme une alliée de type Commissaire Gordon au sein du système judiciaire à laquelle DD pouvait s’adresser et qu’il pouvait consulter régulièrement. Je suis revenu vers elle de nombreuses fois, dès que je le pouvais. Elle est peut-être même apparue dans DAREDEVIL #380, la dernière histoire que j’ai écrite avec Lee et qui clôturait le premier volume de la série.
J’ai toujours aimé ce personnage. Si j’avais pu lui trouver une place dans DAREDEVIL BLACK ARMOR, je l’aurais fait. Si j’ai la chance de réécrire DAREDEVIL, je la ferai certainement revenir dans ce rôle.
Une autre anecdote amusante à propos de Malper : lorsque je suis rentré un jour dans les bureaux de Marvel, la réceptionniste m’a prévenu que : « Quelqu’un du FBI a appelé. Ils veulent vous parler. » Il s’est avéré que mes petits clins d’œil au vrai procureur avaient attiré l’attention de l’agent qui travaillait avec elle.
Je ne savais pas s’ils voulaient m’interroger à ce sujet, me saluer ou me réprimander. Cela m’a un peu inquiété et je les ai immédiatement rappelés. Et en réalité l’agent du FBI était un fan de comics, qui avait fait le lien et désirait me saluer. Il n’y a jamais eu de réprimande ni rien, mais c’était un moment assez lunaire qui m’a bien fait peur. Faites attention à vos références, elles peuvent vous causer des ennuis !
Le personnage de Kathy Malper, qui a valu à Dan Chichester un coup de téléphone du FBI (© Marvel Comics)
Parlons de DD #304, l’épisode 34 heures qui enfonce le clou sur le rôle de DD en tant que protecteur de New York.
34 HEURES est certainement l’un de mes épisodes préférés de DAREDEVIL. 80-90% des éléments de cette histoire sont des évènements dont j’ai été le témoin direct ou des faits divers que je trouvais potentiellement exploitables et que j’ai conservés dans un carnet au cas où. Un bébé laissé sur un quai de métro et un train qui s’en va, des jeunes qui jouent au tennis dans une rue passante ou bien quelqu’un qui grille la politesse au moment de prendre un taxi.
En fin de compte, je ne savais pas comment toutes ces informations allaient s’agencer dans le cadre d’une histoire jusqu’à ce qu’un article soit publié dans le New York Newsday, l’un des journaux les plus importants de l’époque, prioritairement consacré à tous ces quartiers de New York. L’article parlait de ce que nous venions de vivre : 34 heures sans meurtre dans toute la ville : un laps de temps extraordinaire ! C’est effrayant quand on y pense mais c’était pour moi le point de départ de l’histoire. Si Daredevil n’était pas confronté à des menaces plus grandes les unes que les autres, que ferait-il ? Que ferait-il du temps qu’il a récupéré ? Se contenterait-il de se détendre et de raccrocher ses cornes, ou se lancerait-il à la poursuite de tous ces petits larcins qui lui passent d’habitude à côté ?
Tout cela est devenu une suite de petites vignettes qui, mises bout à bout, formaient une histoire solide. Et quand en plus c’est porté par la travail phénoménal de Ron Garney, cela devient une histoire que beaucoup de gens ont apprécié.
34 HOURS, une histoire basée sur des faits réels (©Marvel Comics)
Quelle a été votre implication dans le crossover DEAD MAN’S HAND ? Comment vous êtes-vous coordonné avec les autres scénaristes du crossover, Fabian Nicieza et Chuck Dixon ?
Je crois que j’étais quasiment le responsable du crossover. Le département marketing avait fait mention du fait qu’un crossover entre nos trois séries pouvaient leur apporter un peu plus d’attention. Le but premier, c’est quand-même de vendre des comics : vous n’écrivez pas pour faire plaisir à un lectorat limité mais vous essayez de créer un événement pour le grand public. Nous voulions donc que nos livres attirent davantage l’attention. C’était aussi simple que cela. Chuck, Fabian et moi étions tous amis, au moins sur le plan professionnel, et nous nous sommes dit qu’il fallait tenter le coup. Nous sommes donc allés déjeuner et nous avons mis au point toute l’histoire et son articulation, en nous basant sur les éléments que chacun d’entre nous voulait faire dans sa série. On a construit le crossover à partir de là.
« OK, le numéro de DD se termine là-dessus, Chuck tu prends le relais et passe ensuite le témoin à Fabian. Qui va ensuite me le redonner et ainsi de suite ». Nous n’avions pas tous les détails précis de chaque numéro mais nous avions défini les points forts. Ensuite, nous nous sommes envoyés les synopsis de nos séries respectives pour être au courant de ce qui se passait dans les autres revues et éventuellement utiliser un nouvel élément.
La collaboration s’est merveilleusement déroulée, de manière très amicale. Il s’agissait vraiment de construire l’histoire et de s’amuser avec les personnages. C’est la meilleure façon de travailler. Je comprends que cela puisse être beaucoup plus compliqué de nos jours avec des évènements de plus grande ampleur et peut-être des contraintes éditoriales plus importantes. Mais là, c’était juste des amis qui se connaissaient bien qui se mettaient au travail et qui construisaient l’histoire. Je crois que nous sommes ensuite simplement retourné voir nos éditeurs et nous leur avons dit : « Hé, concernant ce grand crossover, j’espère que vous êtes prêts, parce que nous sommes déjà sur les rails ! ».
Glenn Herdling a scénarisé les épisodes de DD#310-311 en plein milieu de votre run pour une histoire avec Calypso et un démon. Aviez-vous besoin de temps pour autre chose ? Et étiez-vous au courant de ce que Glenn allait faire ?
Je n’ai malheureusement aucune réponse à apporter. Je vous promets que j’ai contacté tous ceux qui auraient pu être impliqués ou au courant de ce qui se passait avec Daredevil à ce moment-là, y compris Greg Wright. J’ai même envoyé une note à Glenn lui-même, mais personne ne s’en rappelle. Personne ne se souvient de ce qui a généré l’histoire sur Calypso ou de la raison pour laquelle j’ai pris des congés.
J’ai pris du temps pour la mini-série ELEKTRA LES RACINES DU MAL et je travaillais en coordination avec Ralph Macchio pour que quelqu’un d’autre vienne me remplacer sur DAREDEVIL. En principe, lorsqu’on vous remplace, vous vous attendez à savoir ce que l’auteur va faire ou, comme je le disais avec le crossover entre Chuck et Fabian, vous savez à quoi ressemble le passage de témoin. Vous pouvez demander au scénariste : « Ne t’occupe pas de ça » ou « Peut-être que tu peux me préparer ça à la fin de l’histoire, laisser les choses à un certain endroit pour que ce soit plus facile pour moi de les reprendre quand je reviendrai ». J’ai peut-être fait ça avec Glenn, je ne sais pas. C’est juste une de ces histoires qui ne m’est pas restée en tête. Et cela fait vraiment longtemps !
À partir du numéro #312 jusqu’au #319, vous avez écrit beaucoup d’histoires solo ou en deux parties dans de nombreux registres différents comme la comédie, le métro, une histoire de crime avec plusieurs points de vue. Pouvez-vous nous en dire plus ? J’ai trouvé cette approche vraiment intéressante.
Merci pour avoir trouvé de l’intérêt à ces histoires. Je pense que j’essayais simplement différentes choses. Des exemples d’histoires réelles qui se trouvaient dans mon carnet de notes et dont je me disais que cela ferait une histoire intéressante dans laquelle Daredevil devrait s’impliquer. C’est probablement ce qui a été à l’origine de ces intrigues. De la contrebande de graisse, un incendie criminel dans une pizzeria : ce sont autant de points de départ pour une bonne histoire. Cela m’a permis d’essayer différents tons et de voir ce qui peut fonctionner avec une histoire de Daredevil. Et en fin de compte, presque tout peut fonctionner avec une histoire de Daredevil.
Beaucoup de gens n’ont pas aimé l’histoire autour du trafic de graisse, parce que : « comment osez-vous faire de la comédie avec Daredevil ? ». Mais je suis vraiment fier de cette histoire. Je la trouve drôle et elle met en avant de nombreux aspects de Daredevil que j’aime en termes d’humanité. Jouer avec différentes personnalités de méchants était fun. Cependant, je considère aussi que ces histoires plus courtes n’ont pas fonctionné et que j’en suis responsable. Non pas en tant qu’auteur d’histoires individuelles, mais en tant qu’histoires sur une certaine durée car cela cassait une certaine continuité, ce qui est toujours handicapant avec une série mensuelle. La continuité peut être gênante et miner les bonnes histoires. J’aurais dû mieux planifier les choses que je ne l’ai fait. J’avais commencé à mettre en place certaines choses immédiatement après la chute du Caid, avec une vacance du pouvoir et des gens qui se disputaient le contrôle. Et j’ai laissé tomber ça pendant plusieurs numéros, oubliant Fisk et le reste. J’ai raté le coche avec lui et j’aurais dû le mettre davantage en scène. Je pensais certainement que j’allais avoir plus de temps devant moi et que j’y arriverais. Et je pense qu’au fond de moi, je me disais : « Laissons-le hors du terrain pendant un moment. Cela montrera aux gens que nous avons fait quelque chose de différent » Mais en fin de compte, ça n’a pas fonctionné sur les lecteurs. Je pense qu’il s’agit vraiment de vouloir essayer de nouvelles choses. Certaines ont très bien réussi, d’autres étaient de bons concepts qui n’ont pas tout à fait fonctionné.
Une série d’épisodes auto-contenus qui a, selon D.G. Chichester, cassé le rythme de la série (© Marvel Comics)
Passons à FALL FROM GRACE. Cette histoire était un moyen de remettre en avant le titre et de changer les choses. Qui a décidé de mettre un invité spécial à chaque épisode ? Y a-t-il eu beaucoup d’interférences éditoriales ?
C’est exactement ça. FALL FROM GRACE a été créée spécifiquement pour secouer le cocotier et générer des ventes. DAREDEVIL ne se vendait pas aussi bien que Marvel le souhaitait et nous voulions booster les ventes. Et j’endosse ma part de responsabilité : je ne racontais peut-être pas d’histoires assez vendeuses et trop auto-contenues. Même si c’était de bonnes histoires, elles n’arrivaient pas à générer un élan chez les lecteurs réguliers à la recherche souvent d’un cliffhanger. MAN WITHOUT FEAR de Frank Miller et John Romita allait sortir et Marvel allait y consacrer toute sa publicité. En attirant l’attention des lecteurs sur le fait que c’était « le retour de Miller et des grands créateurs de DAREDEVIL ». Nous savions alors que nous devions faire tout notre possible pour attirer l’attention aussi sur la série et relever le défi. Nous avons donc eu recours à toutes les recettes qui faisaient vendre : les couvertures gadgets, le changement de costume et les invités vedettes. On a tout mis là-dedans et c’est ce qui a été le moteur de beaucoup de choses.
Il n’y a jamais eu d’interférence éditoriale, juste beaucoup de conseils : « modifiez ceci », « changez cela », « intégrez Elektra ». C’était une suggestion éditoriale, en fin de compte, qui aurait dû être davantage mise en avant en termes de ventes et de promotion, mais c’était le choix – ou le non-choix, d’ailleurs – de Marvel. En revanche, le soutien de Ralph Macchio et de Pat Garrahy, le rédacteur en chef et le rédacteur en chef adjoint de la série a été sans faille. Ils étaient toujours là pour améliorer l’histoire, et nous pouvions leur demander des conseils : quel personnage fait vendre, et surtout pouvons-nous l’utiliser ? Car il s’agissait aussi de faire des choix en fonction des héros disponibles : Silver Sable se vendait bien et je savais que je pouvais l’utiliser. Elle n’était peut-être pas la plus vendeuse, mais nous avons fait en sorte que cela fonctionne. De la même manière, Morbius n’était probablement le plus gros vendeur, mais je savais que je pouvais l’utiliser et faire quelque chose d’intéressant avec lui. Venom, en revanche, a été un sacré moteur !
Rétrospectivement, certains de ces héros n’étaient peut-être pas aussi vendeurs que d’autres, mais en fin de compte, tous ont pris leur place dans l’histoire et l’ont faite avancer. FALL FROM GRACE est tellement dense, avec tellement de personnages : c’était à la limite de l’explosion, de la rupture ! Et il s’en est fallu d’un électron pour que cela se produise. Je ne pense pas que je le referais de cette manière, mais cette histoire a quand-même marqué son époque.
Vous avez travaillé pendant presque 3 ans avec Scott Mc Daniel. J’imagine que ça a dû être assez satisfaisant de le voir évoluer tout au long de la série. Quelles étaient vos relations de travail ? A-t-il beaucoup participé aux histoires ?
Travailler avec Scott a été une opportunité fantastique. Ce fut l’une des collaborations les plus déterminantes de ma carrière voire de ma vie. Je l’ai vu évoluer en tant qu’artiste, passant d’une carrière d’ingénieur à l’univers incertain de l’illustration et de la narration de bandes dessinées. Il a fait preuve d’une grande force de caractère et d’une volonté de perfectionner son art au fil du temps.
L’évolution de Scott ne s’est pas limitée au changement radical de style qui s’est produit avec FALL FROM GRACE. Tout au long de la première année et demie, il a continué à affiner son langage corporel, sa narration. Au départ, son style ressemblait un peu à celui de Mark Bagley, mais il a fini par évoluer vers quelque chose d’unique. Lorsque nous avons travaillé sur FALL FROM GRACE, c’était le moment idéal pour lui d’expérimenter les changements qu’il avait envisagés.
Ce changement de style en a surpris plus d’un, et si certains en ont été rebutés, beaucoup d’autres ont adoré. Les choix impressionnistes décidés par Scott durant cette période ont défini le scénario à bien des égards et l’ont rendu encore plus passionnant. Notre relation à l’époque était cordiale et sans accroc. Nous discutions plusieurs fois par semaine, qu’il s’agisse de l’histoire ou simplement pour papoter.
Comme nous travaillions tous les deux dans notre coin, ces appels téléphoniques constituaient une pause bienvenue dans le travail et un bon moyen de passer le temps. C’était probablement une façon de procrastiner, mais cela stimulait aussi la collaboration et la pensée créative.
Le va-et-vient des idées a toujours été un processus intéressant. Rétrospectivement, j’aurais pu lui soutirer plus d’idées mais je pensais que c’était à moi de construire l’histoire tout seul, que c’était ma responsabilité en tant qu’« auteur ». Notre relation de travail a été très forte, du moins de mon point de vue. J’en suis venu à comprendre et à faire confiance à son talent à tel point que, même lorsque le résultat n’était pas exactement ce que j’avais en tête, il me semblait parfait. En voyant une illustration de Scott, je me disais toujours : « OK, C’est le bon choix ».
À partir d’un certain point, je n’ai plus ressenti que de la confiance dans son travail. Mes écrits lui servaient de feuille de route pour atteindre le bon résultat. J’ai beaucoup apprécié notre collaboration et j’espère que lui aussi.
Malheureusement, je n’ai plus autant de contacts avec lui que je le souhaiterais. Nous échangeons de temps en temps sur des questions pratiques, comme les chèques d’encouragement de Marvel ou les personnes à contacter pour certains problèmes commerciaux. J’ai soutenu certains de ses projets Kickstarter et je reconnais toujours l’influence qu’il a eue sur moi et le rôle qu’il a joué en tant que partenaire créatif. C’est particulièrement vrai pour la récente série DAREDEVIL BLACK ARMOR, qui utilise le costume que nous avons créé ensemble. Il a dirigé l’aspect visuel, tandis que j’ai créé l’histoire du costume. Je m’assure toujours de lui donner du crédit et de le mettre en lumière en tant qu’initiateur de ce travail de conception.
La Black Armor (© Marvel Comics)
Dans FALL FROM GRACE, vous avez ressuscité ELEKTRA et même réalisé une mini-série. Pensiez-vous à une série régulière autour du personnage ?
Eh oui, c’est nous qui avons ramené Elektra ! Et qui peut nous le reprocher finalement quand on voit son utilisation dans les séries récentes de Daredevil. La décision était controversée à l’époque, Elektra était morte et même le fait de penser à la ressusciter était interdit et inimaginable. Un bon moment avant FALL FROM GRACE, j’avais évoqué à Ralph Macchio la possibilité d’intégrer Elektra dans une intrigue de Daredevil. Et il a immédiatement mis son véto : une rumeur circulait depuis longtemps selon laquelle Frank Miller souhaitait qu’on ne la ressuscite jamais. Je ne sais pas si c’était vrai ou non mais j’ai de fait abandonné l’idée. Je me suis dit que c’était un terrain sur lequel il ne fallait pas s’aventurer. Dépendre d’anciens personnages pour rendre la série attractive n’était pas une bonne idée et je préférais en créer de nouveaux. Mais lors de la préparation de FALL FROM GRACE, alors que nous réfléchissions aux meilleures idées qui permettraient d’attirer l’attention sur le bouquin, Ralph a évoqué le retour d’ELEKTRA. Scott et moi avons accepté et nous avons été très heureux de cette décision.
J’ai toujours pensé et dit que FALL FROM GRACE avait autant à voir avec Elektra qu’avec Matt Murdock et Daredevil. Peut-être même plus. Parce que c’est elle qui quitte un espace paisible avec les Chastes, le groupe de Stick (Je crois même que c’est nous qui leur avons donné ce nom). Elektra s’est purifiée, est allée au sommet de la montagne, pour ne jamais revenir. Dans notre vision de l’histoire, elle s’était purifiée et refusait de revenir. Mais à cause de la Dent du Serpent et de la création d’une version alternative d’Elektra, elle devait redescendre et remettre les choses à l’endroit. C’était sa responsabilité. De fait, elle tombe littéralement en disgrâce. Nous étions très enthousiastes à propos de ce que nous faisions avec elle et nous avons immédiatement commencé à planifier nos prochaines actions.
On ne pouvait laisser cette histoire se dérouler dans les pages de DAREDEVIL d’une manière ou d’une autre. Nous avions donc planifié la mini-série LES RACINES DU MAL en même temps que FALL FROM GRACE. Et je suis très satisfait de cette mini-série même si je reconnais que l’ai écrit une fin trop précipitée. Et puis c’était l’occasion de travailler encore avec Scott. Je regarde toujours cette histoire avec beaucoup de plaisir et de fierté.
Nous n’avons jamais pensé à une série régulière pour Elektra, qui lui ôterait selon nous son aspect exceptionnel et envisagions plutôt une série de mini-séries. Mais elle serait apparue dans les pages de DAREDEVIL. Ces petites mini-séries que l’on prévoyait s’inscrivaient dans le plan que Ralph et moi essayions de mettre en place, à savoir étendre l’univers du personnage et de la série. Pour nous, il devait toujours y avoir au moins une mini-série en cours en plus de la série régulière. Ainsi, Daredevil aurait un profil plus élevé. Nous avions plusieurs projets en tête, dont certains avaient même été approuvés mais ils n’ont jamais vu le jour car j’ai été renvoyé pour raisons éditoriales.
Le retour d’Elektra (© Marvel Comics)
Vous avez beaucoup utilisé la technologie dans la série (le nouveau costume, le nouveau hibou, les ordinateurs) : était-ce un aspect important pour vous ?
J’ai toujours été fasciné par la technologie, depuis que j’ai vu pour la première fois des ordinateurs et des jeux vidéo. Mais mon intérêt pour celle-ci dans l’industrie s’est amplifié lors de la venue d’artistes comme Mike Saenz et Pepe Moreno chez Epic. Ils ont en effet réalisé les tout premiers comics par ordinateur. Ces bandes dessinées étaient très pixelisées : elles sont très anciennes et n’avaient pas le raffinement de l’art numérique d’aujourd’hui, mais elles étaient révolutionnaires. Pepe avait un studio extraordinaire avec d’énormes écrans à la Star Trek et des versions bêta de logiciels de création graphique que les entreprises lui envoyaient pour qu’il puisse les essayer et les valider. C’était à l’époque où les éditeurs de logiciels recherchaient la validation des artistes au lieu de vouloir les remplacer par une intelligence artificielle.
Cela a été un véritable tremplin pour moi lorsque j’ai commencé à me pencher davantage sur la manière dont la technologie pouvait être utilisée pour raconter des histoires. C’était une époque formidable où la technologie commençait à s’intégrer davantage dans notre société. Des magazines comme MONDO 2000 et WIRED étaient à l’avant-garde de ce mouvement, mettant en avant des penseurs et acteurs de ce medium qui ne se consacraient pas uniquement à l’argent, mais sur la façon dont le progrès technique pouvait changer le monde et notre façon de penser. Je me suis lancé à fond dans cette aventure, cela m’enthousiasmait, et j’y voyais des opportunités nouvelles pour raconter des histoires. Cela m’a beaucoup inspiré. J’étais persuadé que certaines de ces histoires étaient tellement en avance sur leur temps qu’elles pouvaient contribuer à me distinguer des autres scénaristes, en partageant avec le public des concepts pas encore abordés par d’autres créateurs. Mais certaines intrigues étaient peut-être trop en avance sur leur temps et les gens ne les ont pas comprises.
TREE OF KNOWLEDGE, qui faisait suite à FALL FROM GRACE, porte sur une cyberattaque de grande ampleur contre la ville de New York, fomentée par Hydra. Une grande partie de l’histoire parle de choses qui étaient très prémonitoires, je pense. Elle était très en avance sur son temps. Les sujets abordés comme les droits numériques, la technologie utilisée contre la société, sont malheureusement des aspects que nous rencontrons aujourd’hui et que, malheureusement, nous acceptons sans trop regarder alors que c’est contre notre intérêt.
Daredevil était l’un de mes principaux outils pour raconter des histoires et j’ai voulu m’en servir d’une manière très particulière. L’auteur William Gibson, célèbre auteur de cyberpunk, a une belle citation dans l’un de ses livres, je crois que c’est Burning Chrome, où il dit que « la rue trouve ses propres usages pour les nouveautés« . J’ai toujours pensé que, quelle que soit la raison pour laquelle une technologie est conçue et construite, la rue s’en empare, la déconstruit et l’utilise en bien ou en mal, parfois sans le savoir. C’est intéressant, n’est-ce pas ?
J’ai donc commencé à définir cet aspect presque cyberpunk, cette notion de « hacker de rue » dans DAREDEVIL, qui pourrait redéfinir ce qu’est le récit noir. Cela m’aurait permis de passer des AFFRANCHIS et de TAXI DRIVER pour quelque chose qui me serait propre et qui serait propre à la série. C’est ce qui a motivé les histoires sur le Hibou, ou TREE OF KNOWLEDGE.
Sinclair Spectrum, cette hackeuse qui joue un rôle majeur dans cette histoire, canalise et personnifie beaucoup cet aspect. C’est quelqu’un qui a accès à tous ces éléments de technologie, qui les démonte et les utilise dans son propre intérêt d’une manière qui est certainement à la limite de la loi, ce qui amène Daredevil à s’en mêler.
La technologie, c’est pour moi plus un moyen d’explorer le monde plutôt que de l’ancrer dans le réel. C’était peut-être trop compliqué pour les gens parce qu’encore trop confidentiel à l’époque. Je crois que j’ai réussi à certains endroits, et moins à d’autres. Peut-être était-ce dû à un mauvais mélange au mauvais moment. Il serait intéressant d’explorer à nouveau ce concept. S’il y avait un jour une autre histoire située à l’époque du nouveau costume, il serait intéressant de revisiter cette technologie et même de faire revenir Sinclair Spectrum.
Captain America et DD opposent leurs points de vue face à Sinclair Spectrum (© Marvel Comics)
Je trouve qu’il y a beaucoup de messages derrière vos histoires : les médias, les sans-abris, la technologie. Dans quelle mesure est-ce important pour vous de donner différents points de vue à travers vos histoires ? Et comment les concilier avec des histoires de super-héros ?
Pour moi, les histoires sont toujours plus fortes lorsqu’elles contiennent un message. Mais l’utiliser directement dans les comics n’est pas un but en soi. Je veux dire par là que si quelque chose est vraiment important pour vous, il faut lui laisser du temps avant de l’exprimer à travers les personnages et les histoires. C’est exactement le contraire d’utiliser des personnages comme porte-parole de vos opinions sur les sans-abris, la politique, Donald Trump, le fascisme ou toute autre inégalité dans le monde. Si vous utilisez les personnages comme porte-parole de vos opinions, vous écrivez en fait un essai ou un pamphlet, pas une histoire de super-héros. Vous allez interrompre complètement l’histoire, et cela commencera à ressembler à un prêche.
Cependant, ces messages sont un élément moteur : ils vous poussent à raconter un certain type d’histoire et vous passionnent. Ils façonnent vos personnages d’une certaine manière et les rendent beaucoup plus intéressants. Vous êtes alors plus inspiré, vos mains se déplacent mieux sur le clavier et les dialogues glissent tous seuls. Et les personnages commencent à vous guider parce qu’ils ont une motivation. Investissez-vous donc dans vos passions, vous écrirez des histoires plus facilement !
Ces points de vue sur la société sont ceux qui m’intéressent le plus. Je passais beaucoup de temps au rayon sociologie des librairies à l’époque, achetant des livres que je ne lisais qu’en partie, mais assez suffisamment pour m’intéresser à une cause, à leur impact sur le monde.
À un moment donné, j’étais très intéressé par l’énergie atomique et j’en ai beaucoup parlé dans mes histoires. Notamment CRITICAL MASS avec Kevin O’Neil pour EPIC. Cela ne traitait pas que de la mauvaise utilisation de l’énergie atomique ou les catastrophes, mais surtout la façon dont elle affectait les gens dans ces centrales ou dans les villes avoisinantes. C’est cette humanité, cette misère et ces choses qui en découlent qui vous donnent envie de les partager à travers une histoire. Mais cela doit avant tout être guidé par les personnages. Ce sont toujours eux qui décident. Vous pouvez les inviter dans cet espace : « Daredevil, Captain America, aimeriez-vous venir m’aider à raconter cette histoire de mauvaise utilisation de la technologie ? » mais ce sont leur voix, pas la vôtre. Parfois ça marche, d’autres fois beaucoup moins.
Il y a une scène dans TREE OF KNOWLEDGE, plutôt bonne à bien des égards, mais qui ne fonctionne pas. C’est celle où Captain America et Daredevil débattent de la protection de la vie privée dans une rave et qui est un peu bizarre. Il faut m’imaginer au clavier en train de dire : « Je les utilise vraiment comme mes porte-parole pour représenter les idées et les pensées que j’ai rassemblées. » Ces thèmes sont importants, mais plutôt que de les faire ressortir naturellement à travers certains aspects de l’histoire, j’arrête presque complètement cette dernière pour qu’ils puissent en discuter dans la scène. Il faut laisser les choses s’exprimer naturellement. Parfois, il faut s’en éloigner pendant des heures, des jours, voire des années, afin de trouver le bon rythme. Les histoires qui parlent de quelque chose sont plus importantes pour vous et, par conséquent, pour le public. Elles vous paraîtront plus riches, plus réelles et plus vivantes. Le but n’est pas de réaliser « l’histoire la plus importante de 2024 sur le changement climatique » mais partager ce qui vous tient à cœur à travers les personnages. S’ils acceptent toutefois l’invitation que vous leur avez faite.
Et puis Marvel décide de vous remplacer sans vous le dire. Comment avez-vous réagi à cette décision ? Est-ce que ça a affecté votre manière d’écrire, notamment pour votre dernière histoire réalisée sous un pseudonyme ? Avez-vous des regrets ?
C’est une manière très diplomatique de dire les choses. Dans un sens c’est vrai : j’ai été remplacé, mais la manière était assez inélégante et irrespectueuse envers mon implication et mon professionnalisme. Mais ce n’était pas Marvel qui a pris la décision, simplement certaines personnes qui étaient alors aux commandes. La série devait passer du bureau de Ralph Macchio, pour qui j’avais le plus grand respect, à celui de Bobbie Chase, qui avait repris des titres urbains sous la ligne MARVEL EDGE.
Je me suis dit « Okay, j’ai déjà travaillé avec Bobbie sur NIGHTSTALKERS et sur MIDNIGHT SONS. Je vais lui présenter toutes les idées que j’ai en tête pour la série et on va trouver un nouveau rythme ». Sauf que pour elle, le nouveau rythme c’était de me virer. Et c’est tout. Aucune explication. J’ai appris ça lors d’un coup de fil de Marie Javins, qui avait été désignée comme éditeur de la série sous la coupe de Bobbie. Elle tournait autour du pot, n’osant pas me dire que j’étais viré mais me demandant de m’y préparer. J’étais en plein milieu du nouvel arc : WAGES OF SIN. Dans mon esprit, j’envisageais pour la suite d’alterner entre de grandes sagas comme TREE OF KNOWLEDGE et des histoires plus modestes comme celle-là. La nouvelle m’a totalement déstabilisé. Et j’ai vraiment fait n’importe quoi. Oui, je pense qu’on peut parler de mini-dépression. Tous les plans que nous avions pour la série tendaient vers le numéro 350 où nous pensions encore tout chambouler. J’avais de réels plans pour ce Jack Batlin et ce nouveau Daredevil en armure. Qu’est ce qui allait se passer ? Je n’avais pas toute l’histoire dans le détail mais je savais exactement ce que j’envisageais pour ce numéro…et les suivants ! DAREDEVIL c’était ma série, celle pour laquelle j’étais le plus reconnu et qui pouvait me procurer de nouvelles opportunités en tant que scénariste. Et là, en étant débarqué de la série, j’ai vu les dominos de ma carrière tomber en cascade. Ça m’a totalement foutu en l’air ! On m’a gracieusement « autorisé » à terminer mon histoire, mais mon cœur n’y était plus. Peu importe J’ai amèrement renommé tous les titres originaux des histoires de cet arc en « trahison », « duplicité », « malignité » ! Je voulais montrer mon mécontentement et prendre le pseudonyme d’Alan Smithee était un moyen de leur mettre le doigt dans l’œil. Alan Smithee c’est le nom qu’utilisent les réalisateurs lorsqu’ils n’ont plus le contrôle de leur film et quand ils pensent que le résultat est tellement peu représentatif de leur travail que cela pourrait leur porter préjudice. Ayant fait des études de cinéma, je n’ai pas hésité une seconde, pensant que j’allais leur montrer de quel bois je me chauffais ! Et la seule chose que cela m’a apporté c’est juste une référence obscure sur Wikipedia à la page Alan Smithee ! C’est assez rigolo ! On m’a même demandé un jour de signer un autographe sous ce pseudo, ce que j’ai joyeusement accepté ! Mais bon, pour revenir à la question, ça m’a rendu malade et j’ai totalement décroché sur la fin de l’arc. J’ai eu plus de bons moments dans mon écriture que de mauvais durant toutes ces années et je pense que j’avais assez de compétences pour finir WAGES OF SIN, mais je n’y suis pas arrivé (même si après une relecture récente, l’histoire se tient mieux que ce que je pensais). De fait, je me suis carrément mis en pilotage automatique pour terminer l’histoire.
Être débarqué du titre a affecté ma volonté de démarcher d’autres éditeurs et de trouver d’autres projets durant le temps qui a suivi. J’ai immédiatement arrêté de lire DAREDEVIL et je n’ai lu les histoires suivantes que lorsque les éditeurs m’ont fourni du matériel pour préparer ma nouvelle mini-série DAREDEVIL BLACK ARMOR. Je voulais voir ce qui s’était passé depuis et s’il y avait quelque chose que je pouvais utiliser. Il y a eu un épisode assez comique (écrit je crois par Warren Ellis) où ils mettent 20 pages à détruire le costume ! Pourquoi ne pas l’avoir relégué au fond d’un placard ? Clairement, quelqu’un devait le détester ! Si j’avais lu cet épisode à ce moment-là, j’aurais été encore plus déprimé mais maintenant j’arrive à les lire et à en rire. Cela n’influence plus ma manière de voir les épisodes que j’ai réalisés à l’époque ou la façon dont j’imagine le personnage aujourd’hui. Pour moi, ces épisodes n’existent pas vraiment.
Une fin en roue libre pour Dan Chichester, enfin, pour Alan Smithee (© Marvel Comics)
Et vous voilà pourtant de retour quelques années plus tard avec Lee Weeks pour DAREDEVIL #380, le dernier du premier volume. Comment est-ce arrivé ?
C’était un cadeau de l’éditeur de l’époque, Tim Tuohy. Nous avions déjà travaillé ensemble et nous avions des relations très amicales car nous étions fans du film ALIENS. Tim avait pris en main la série et avait la sinistre tâche de la faire vivoter jusqu’à ce qu’une équipe plus prestigieuse s’en empare. Je ne sais pas qui travaillait sur le titre à l’époque, mais d’après Tim, les histoires n’étaient pas terribles. DAREDEVIL allait être relancé sous la bannière MARVEL KNIGHTS par Joe Quesada, Jim Palmiotti et Kevin Smith. Tout le monde attendait ce relaunch donc tout le monde se foutait de ce qui allait se passer avant. Tim aurait pu laisser le titre mourir jusqu’à la fin, mais il voulait finir avec une histoire qui se démarquerait par sa qualité ! Et pour Tim, ça ressemblait à ce que l’on produisait à l’époque avec Lee, ce qui est très gentil et très généreux de sa part. Il m’a appelé et m’a demandé si je voulais revenir pour cette histoire unique et si je voulais y mettre toute mon énergie. À cette époque, je ne travaillais plus dans les comics et niveau financier, c’était pas génial. C’était donc le bon moment ainsi qu’une bonne opportunité pour retrouver la lumière des projecteurs. C’était tactiquement bien vu pour Tim, mais j’ai vraiment apprécié le fait qu’il nous choisisse. Je ne sais plus qui a appelé qui, mais Lee n’était pas vraiment intéressé ! C’aurait été pour lui un pas en arrière et il n’avait pas envie de faire cette histoire. Ça a pris beaucoup de temps mais j’ai réussi à la convaincre ! D’ailleurs, Lee est revenu plusieurs fois sur ce titre avec tout le talent qu’on lui connaît ! Il y avait beaucoup de respect entre nous et j’y suis allé franchement. Je lui ai dit qu’il ne s’agissait pas de refaire ce qu’on avait fait avant mais simplement une chance pour nous de retravailler ensemble. Que ce n’était pas un retour un arrière, mais une occasion de mettre justement en avant notre travail actuel ! Et ça l’a convaincu. Et à partir de là, on a retrouvé l’énergie d’avant, avec un super rythme ! J’aimerais juste retravailler encore avec Lee simplement pour revivre ces moments. Avec en plus, les compétences que Lee a accumulées en tant que narrateur, scénariste et dessinateur. À l’époque, c’était pour moi une chance de me sentir à nouveau pertinent sur un personnage qui a une importance particulière. Et envers lequel je me suis senti spolié ! (Après soyons clair, Marvel avait tout à fait le droit de m’enlever le titre, comme peut le faire n’importe quelle compagnie. C’est pas ça le problème. Simplement traiter les gens et les professionnels avec respect, ce qui n’a pas été le cas à l’époque.)
Je sentais que c’était une chance de voir reconnu tout le travail que j’avais pu effectuer sur le personnage, même si c’était juste l’idée de Tim Tuohy. Alors on a tout donné et ça a bien fonctionné : j’ai vraiment aimé cette histoire ! Archie Goodwin venait juste de nous quitter et étant donné son rôle dans ma carrière et le fait qu’il soit à l’origine de milliers d’histoires géniales, ça me paraissait juste de lui dédier cette histoire.
Et là vous revenez avec une nouvelle mini-série DAREDEVIL BLACK ARMOR. Pouvez-vous nous en dire plus ? Ça doit être un sacré défi d’écrire du DAREDEVIL 30 ans plus tard ? Comment a évolué votre écriture avec 30 ans d’expérience en plus ?
L’histoire se situe à l’époque de l’armure, juste après FALL FROM GRACE. Elle se déroule dans les années 90. Ce n’est pas une série du type « il y a 30 ans » mais ça y ressemble énormément. Avec des technologies actuelles pour faire en sorte que cela ne soit pas trop daté. En tout cas avec toute l’énergie de cette époque-là.
Notre manière d’aborder la série a été de se dire qu’il y avait certainement eu d’autres histoires inconnues qui impliquaient ce costume. Il y a eu FALL FROM GRACE, TREE OF KNOWLEDGE, WAGES OF SIN, FATHOMS OF HUMANITY par Greg Wright et ELEKTRA LES RACINES DU MAL, mais c’est tout ! Après ça, le costume a été jeté aux oubliettes comme un malpropre par le staff Marvel et n’est jamais revenu ! On a pu le voir sur des cartes, ou en DLC sur un jeu vidéo mais la plupart du temps on le voyait d’un mauvais œil. Mais pas par le staff actuel de Marvel ! Ils m’ont contacté pour écrire spécifiquement une histoire qui se passerait à l’époque de l’armure. Peut-être s’agit-il de personnes qui ont grandi en lisant FALL FROM GRACE et qui sont devenus des responsables éditoriaux ou tout simplement parce que c’est un costume qui en jette ! Quoiqu’il en soit, on a décidé de revisiter l’époque et le costume et de créer une aventure « canon » qui n’avait pas encore été racontée.
L’idée de départ : des habitants de Hell’s Kitchen ont été enlevés pour de sombres raisons. Il s’agit du Baron Strucker qui oblige ces prisonniers à se battre entre eux, pour son propre amusement et celui de ses amis suprémacistes. Evidemment, Daredevil et Matt Murdock vont mettre leur nez là-dedans. J’ai été associé au dessinateur Netho Diaz qui est un artiste phénoménal et qui a réussi non seulement à capturer l’essence des années 90 mais à la moderniser et à apporter un sens de la narration remarquable. La plupart des personnes qui l’ont lue ont aimé cette escapade nostalgique et ce mélange d’action et d’histoire que l’on recherche dans ce type de comics.
En termes d’approche scénaristique, ça n’a pas été difficile. C’était un vrai bonheur et un réel privilège de pouvoir revenir vers ce personnage et son monde tout en y apportant d’autres qualités inhérentes à ma maturité de scénariste de comics.
Même si j’ai lu de très bonnes histoires sur le personnage, comme celles de Mark Waid, je n’ai pas ressenti de sentiment d’intimidation. Ce n’était pas du genre « Comment je vais pouvoir me comparer à Chip Zdarsky, Mark Waid et tout ce qu’ils ont réalisé ? » ou « Qu’est-ce que je connais de Daredevil actuellement ? ». Juste une sorte de réacclimatation. Une manière de me dire « je vais revenir à une époque et un endroit que j’adore, que je connais très bien ». Je me suis imprégné des sensibilités actuelles qui ont rendu à mon sens l’histoire beaucoup plus forte. Je pense aussi que j’ai réussi à éviter les pièges et les mauvaises vieilles habitudes en me concentrant sur le but de la série, le langage et le rythme. Je n’ai pas eu à forcer les choses et je ne peux pas être plus content de la manière dont ça a tourné !
Cette expérience répond aussi à la question de l’évolution de mon style 30 ans plus tard. J’ai consacré une grande partie de ce temps à travailler dans la publicité où j’ai dû acquérir beaucoup plus de discipline dans mon écriture. La plupart des travaux me demandaient d’accomplir certaines tâches en un temps donné, d’utiliser une voix particulière et d’incorporer dans mon écriture des attendus. Et j’ai pu utiliser ça dans BLACK ARMOR.
Cette mini-série m’a été offerte par Marvel, par Devin Lewin et C.B. Cebulski, et je l’ai accepté avec plaisir, faisant de ce projet le mien. Il fallait raconter une aventure fantastique à travers mon prisme et ma sensibilité, en utilisant les outils et les compétences que j’ai accumulées durant toutes ces années. Cela m’a permis d’écrire une histoire plus cohérente et de la considérer en tant que telle, sans ressentir ce syndrome de l’imposteur ou toutes ces dépréciations personnelles qui auraient pu intervenir à une autre époque devant mon clavier. Cela a été un réel privilège et j’espère que les lecteurs l’ont aimé. Et j’espère que vous l’aimerez aussi.
DAREDEVIL BLACK ARMOR : la nouvelle mini-série de Dan Chichester et Netho Diaz (© Marvel Comics)
La BO du jour par Dan Chichester : « Mes chansons préférées changent en fonction du temps, mais en ce moment j’ai une préférence pour celle-ci »
Je n’ai pas fini de lire l’interview, très interessante et complete.
– joli lettre d’amour au passage à Goodwin et Jo Duffy, ainsi que Brosterman (pas vu ce nom depuis … 30 ans !!) et Margaret Clarcke…
Maintenant que tu as tout traduit, adapté , et que Bruce l’a publié, il esrait temps de l’Envoyé à Michael Eury, pour remplir un numéro de Back-Issue ^^ (Ton Itw est bien plus compelte que certaines des ITW proposée )
Merci Ollieneo, c’est un vrai compliment !
Bravo Doop pour t’être lancé dans l’aventure ! C’est un sacré morceau que tu postes ici. Respect pour le travail abattu et surtout pour la traduction qui a dû te prendre un temps fou.
Cependant je ne pense pas lire cette interview : j’ai commencé, ça coule bien, mais je ne connais rien des personnes dont tu parles (ou si peu que je ne mets pas forcément dans le bon contexte) ni de cette période de DD (ou si peu). Et je ne te parle même pas des suites, des DD des 90’s.
Désolé donc mais encore un grand bravo mérité.
La BO : je n’aime pas. Si je tombe dessus à la radio, possible que je ne zappe pas (et encore), impossible que j’écoute ça de mon fait par contre. Ce genre de titres calibrés pour la BO d’un film (en tout cas c’est l’impression que j’en ai), je n’y trouve aucun intérêt.
Il me reste des parties à lire mais déjà merci à Chichester pour ses réponses fournies et bravo à toi pour les questions et la trad.
Il y a un feeling très positif qui se dégage de cette interview même lorsque les moments plus douloureux sont évoqués.
Pour Black Armor, j’y avais jeté un œil mais les dessins ne m’avaient pas trop emballé…
Il y aurait un article à faire sur ses revisites des 90s (avec Madripoor Knights et une autre mini par Hama et DiVito)
J’ai jamais lu ça ! Merci JP !
Ah mais je découvre que Moebius a été publié en Anglais chez Epic : fr.wikipedia.org/wiki/Epic_Comics
Et que j’ai quelques titres de cette division de l’édition Marvel, certains à lire, d’autre lus.
Moeb est publié depuis logntemsp en English …
les Blueberry par Egmont (à l’origine) depuis 1976, puis Avec Heavy Metal, il y a pas mal d’albums (ceux des Humanos) Traduits.
Le contrat avec la MArvel (EPIC) date du moment ou Jean Giraud est parti fonder Starwatcher aux US (en meme temps que la creation de AEdena en France), et a « refondu » toutes ces histoires d SF , dans un catalogue plus cohérent et mis en place le monde D Aedena (justement ^^)
Il y a 7 graphic Novels + 1 (1 à 7 puis le 0 sorti 2 ans après) et ensuite il y a des Blueberry (à partir de La Longue Marche il me semble).
Les version Epic seront reprises par les Humanos pour la refonte des albums de Moeb à la fin des 80’s. (Les albums avec les couv moches qui ont un cadre qui rappelle le drapeau US).
A noter que The Airtight Garage est la version définitve et retraduite (et le nom définitf de Jerry Cornelius / jerek Cornelian / Lewis Cornelian … suite aux problemes de droits liés à Moorcock), et Gardens of Aedena est sorti chez Marvel 9 mois avant sa version Française chez Casterman …. (the Still Planet / Planete Encore aura le même parcours , sorti aux US chez Dark Horse dans un numéro Special de Concrete sur la journée de la terre (Mars 1990), il sera traduit 5 mois plus tard.. en complément de A Suivre (oct 1990 – n# 151)
Le 0 qui est sorti tardivement , est composé autour du Bandard Fou (the Horny Goof en Anglais).
Merci pour toutes ces précisions Ollieno ! Je me souviens de la création de Aedena. Mais pour le premier tome des Jardins, je me souviens surtout que c’était une commande de Citroën, j’ai le tome complet dans un numéro de Spirou magazine. Par la suite il fut édité en album et Moeb créa la suite.
Merci pour cet interview, que j’avais eu la chance de lire en avant première !
L’engouement de DG Chichester pour le système d’Epic et la mise en avant des créateurs explique bien sa réaction lorsque les éditeurs non seulement le sortent de la série, mais utilisent des circonvolutions pour ne pas lui expliquer clairement la chose.
Encore une fois, c’est enthousiasmant de voir le fonctionnement des coulisses, les relations de travail avec les artistes (et le cas particulier pour l’épisode final de DD avant la relance, à une époque où reprendre une série au n°1 était encore rare).
Avec la mode des mini-série « Symbiote Spider-Man » et autres « Maestro », de futures mini-série sur son DD ou sa version d’Elektra sont peut-être possibles…
pas fana de ce scénariste, à part son run avec lee Weeks (et comme le dessinateur, je n’ai pas aimé la dernière phrase de la chute du caïd) mais TRES intéressante itw, bravo
Merci !
Une interview que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir.
Déjà, elle s’ouvre avec Blood: A tale & Marshal Law (deux articles présents sur Bruce Lit), deux comics qui m’ont ouvert les yeux sur ce que les BD américains pouvaient réaliser, et des auteurs que j’ai suivi pendant des décennies et que je suis encore. C’était fascinant de pouvoir découvrir les réalités éditoriales par les yeux émerveillés de l’interviewer.
Ensuite c’est passionnant de pouvoir découvrir comment un jeune auteur fait pour prendre en main une série aussi emblématique, portée à des sommets par Frank Miller, puis par Ann Nocenti. Je me suis régalé de bout en bout.
Subsiste une question : il fait quoi maintenant dans la vie D.G. Chichester ?
il a travaillé dans de la’pub et a récemment sorti un Daredevil black costume pour Marvel. en mini série.
Waow ! ça c’est de l’interview ! Manifestement CHICHESTER est fort bavard et fort généreux 🙂 En tous cas ses commentaires sont captivants, même si je dois avouer que je n’ai jamais été un grand fan de ses histoires.. Il parle un peu des problèmes sur Fall from grace, mais en effet en l’achetant en comics mensuels, l’histoire était incompréhensible ! Il manquait tout simplement des pages qui furent rajouter pour le TPB, me semble t-il… Par contre au niveau packaging rien à dire, avec ses superbes couverture glow in the dark !
Ceci dit, Blood a tale est magnifique ! J’ignorais la connexion.
Hum pour Les Killers, j’aimais beaucoup le 1er album, aprés cela beaucoup moins !
Lu en deux fois.
Passionnant surtout quand on possède les numéros en question. D’ailleurs j’avais ressorti depuis 15j les numéros de Chichester et Weeks (292 à 300).
Personnellement j’ai toujours trouvé que Chichester s’en était sorti comme un grand pour prendre la suite, au pied levé, de Ann Nocentie, avec un Lee Weeks excellent. FALL OF KINGPIN est une magnifique conclusion à une ère lancé par BORN AGAIN. On peut même arrêter de lire DD après celà.
L’explication sur le retour de Elektra se tient et cette histoire est très respectueuse du travail de Miller sur le personnage voire même bonifié. Elektra, crane rasé et un blanc, une superbe idée. Je trouve même que la voix de Chichester se confond presque avec celle de Miller, jusqu’a proposer des idées assez similaire notamment sur les Chastes mais aussi la guérilla et les personnages de ROOTS OF EVIL. C’est clairement dans le ton de MAN WITHOUT FEAR avec JRjr.
Je m’étais toujours demandé ce que Chichester était devenu après DD. On a l’explication. Quel dommage que cette brutale décision éditoriale ait eu autant de conséquences. Surtout pour lui, professionnellement et humainement. Le monde du travail reste un environnement brutal, violent. Et cela n’a pas changé.
En tout cas c’est une excellente interview, avec un bon choix d’image. Les questions sont d’autant plus pertinente que l’interviewer est un passionné mais qui a surtout travaillé son sujet avec sérieux. J’en voulais plus ….
FALL FROM GRACE reste en effet une sorte d’ovni. Mais c’était une époque où on tentait des choses, avec encore des passerelles interessantes entre mainstream (avec la sacro sainte continuité) et récit mature limite indé. Son expérience chez EPIC lui a beaucoup servi et l’itw le montre bien.
Je ne sais pas ce que vaut BLACK ARMOR, mais de manière générale je trouve assez moyenne ces mini série qui tente de s’insérer dans une vieille continuité avec l’objectif de draguer « la génération c’était mieux avant ». Et graphiquement c’est rarement à la hauteur. J’ai également feuilleté un truc X-Men sur DAYS OF FUTURE PAST qui m’avait l’air pas si mal.
Je ne connaissais pas la BO. Je n’ai pas plus accroché que cela même si l’écoute est agréable.
Merci pour tes articles cette saison, Doop. Au plaisir.
C’est vrai que Roots of evil m’avait pas mal rappelé l’affrontement entre Elektra et Kirigi durant le run de Miller
Merci Fletch ! Si j’en avais mis plus, je crois que Bruce aurait été en PLS ! Et moi aussi tellement le travail de traduction a été fastidieux. Après, je savais que j’allais interviewer Chichester lors de mes relectures. ca m’a permis d’avoir des questions en tête au fil des pages !
3 jours pour tout lire !
Rien que pour mes yeux ! C’est bien parce que c’est DD.
C’est passionnant ces coulisse d’un très bon run qui a de grands moments, je pense notamment à Last Rites – et ton interview le montre bien – Chichester est un auteur qui refuse la facilité. IL ne se contente pas de mettre en scène le match retour de Matt contre Fisk, il brosse toute une toile complexe qui sera bien trop complexe pour FFG où on ne comprenait pas grand chose. Là je sais pourquoi ces guests.
Il n’y a pas grand chose à sauver dans le run Kruel si ce n’est la mort tragique de Glori que j’avais beaucoup aimée. J’en connais maintenant les coulisses et c’est sur mon site que ça se passe.
Merci Doop !
De rien, chef ! Merci à toi pour la publication !
Je repasse pour l’occasion de cette interview magnifique sur un de ces run « mésestimés » et souvent rangés derrière, mais qui au vu de ce qui a été écrit sur le personnage mérite clairement une « réévaluation » .
Lee Weeks et Mac Daniel rien que pour ses compères graphiques, il a pu bénéficier d’une sacrée opportunité.
c’était long mais passionnant.
Merci Eddy
Très chouette interview, d’un scénariste que j’aime moyennement, qui a fait des trucs très sympas, et d’autres qui m’ont fait grincer des dents (notamment sur DD, série sur laquelle il a démarré pas mal, mais à mon avis s’est fourvoyé en route) (bon,ça me donne envie de me pencher sur ce qui se passe entre la chute du caïd et fall from grace, période que j’ai quasi pas lue). mais c’est toujours intéressant de voir l’arrière cuisine éditoriale.
Merci Alex ! J’adore le côté coulisses aussi. C’est souvent le plus intéressant.
Dense et passionnant. Bravo et merci.
Merci ben
Une autre interview passionnante. Bravo pour ce travail considérable. Une chance de lire une review sur Black Armor ?