AUTEUR: JP NGUYEN
1ère publication le 02/07/15- MAJ le 26/01/19
Bruno Maïorana est le dessinateur de Garulfo, BD dont j’avais chanté les louanges dans un article du blog. Par le truchement des réseaux sociaux, Bruce l’a contacté et Bruno a accepté une interview, principalement consacrée à sa contribution à ces six albums sur lesquels il a œuvré pendant neuf ans. Les images ont été piochées dans son album-photos Facebook avec sa gracieuse autorisation. L‘ interview a été réalisée par mail en avril 2015.
Chaque album de Garulfo s’ouvre sur un dessin « pleine page » découpé en plusieurs cases à la narration ultra-efficace. Ce découpage était-il le choix d’Alain Ayroles ou le tien ? Quel est ton point de vue sur ce type de narration ?
Le découpage était fourni sous forme de story-board par Alain. Une première et essentielle précision s’impose, en ce début d’interview : Au début, Alain était parti pour réaliser le dessin, la couleur, et bien-sûr le scénario de Garulfo, qui était son projet bien personnel. On bossait en même temps tous les deux dans le dessin animé, en ces temps reculés, et lorsque plusieurs refus furent essuyés par Alain, concernant son dessin, il finit par me demander si ça m’intéresserait, éventuellement, que de m’y coller, au dessin. J’étais plutôt tourné vers les vampires et ce genre d’ambiance, à l’époque, faut bien dire. Et représenter toutes ces bestioles sautillantes et grimaçantes était pour le moins éloigné de ce que je me voyais dessiner. Et pourtant…
Donc, la première page. Ma foi, elle n’échappe pas à la règle, elle est story-boardée par Alain. Et à dessiner, ce n’est pas si difficile, en fait. Mais très long, ça oui. Très agréable aussi. Car je savais dès que je m’attelais à cette première page que si je m’plantais pas trop, j’obtiendrais un résultat pas dégueu du tout… Pour un dessinateur, c’est agréable de savoir ce genre de truc. Car une planche “ordinaire” doit laisser passer au second plan l’aspect purement esthétique, pour rendre prioritaire, fortement prioritaire même, l’aspect purement narratif. Pas simple pour un gars comme moi qui se considère comme un dessinateur et rien d’autre, et qui aime jouer sur tout ce qui concerne le trait, la composition, les matières (et le tout sans coller un seul aplat noir, au passage…), ce genre de trucs.
Et si on passe aux pages de fin, certaines me restent particulièrement en mémoire comme celles du tome 1 ou 4, qui comportent des cliffhangers très bien amenés, est-ce que ce sont des planches plus difficiles à réaliser que les autres ?
Ces suspens si bien amenés sont le résultat de gros efforts, certes, mais du coté d’Alain, encore. Car pour moi, elles ne sont pas différentes des autres, ces dernières pages.
Sauf sur le plan émotionnel, peut-être, mais ceci n’est guère mesurable (Pour l’anecdote, je vends de temps à autre des planches de Garulfo, mais les premières et les dernières planches de chaque tome, je les mets si cher, qu’il y a assez peu de chance pour que quelqu’un décide de les acquérir. Ce qui est une manière hypocrite de ma part de les conserver, en réalité…).
Au niveau du design des personnages, je suis toujours scotché lorsque je vois le dragon du tome 2 et j’aime aussi beaucoup le look de l’ogre. Parmi tous les personnages/créatures dessinés dans Garulfo, quels sont ceux que tu as préféré dessiner ?
Il se trouve que le dragon et l’ogre font partie des personnages que je prenais le plus de plaisir à dessiner.
Comme je le disais plus haut, Garulfo,au départ devait être intégralement réalisé par Alain Ayroles. Ce qui implique qu’il avait déjà dessiné certains des personnages principaux, comme le prince et la princesse, mais aussi nombre d’autres, qui interviennent principalement dans le premier cycle. Mais dès que j’ai pu y mettre ma propre touche, et donc m’approprier de plus intime façon l’univers de Garulfo, j’ai commencé à dessiner à ma sauce les persos qui, pour certains, allaient prendre de l’importance par la suite.
Le premier personnage que j’ai pu dessiner à ma façon est la sorcière Malvéliande. Alain m’avait proposé une sorcière stéréotypée, volontairement, mais je n’ai pu me résigner à la sempiternelle sorcière au chapeau pointu et à la gracieuse verrue plantée sur le pif. Malvéliande, je le savais déjà, était entourée d’une bande d’oiseaux, tous d’ailleurs des oiseaux de proie, diurnes ou nocturnes. J’ai imaginé qu’elle-même pourrait peut-être ressembler, plus ou moins, à l’un de ces compagnons emplumés. C’est ce que j’ai fait, en lui collant ce long cou, ainsi que ces hardes, traitées comme s’il s’agissait d’une sorte de plumage.
Le dragon ne participait pas d’une telle réflexion, mais devait, plus simplement, être graphiquement traité de sorte qu’il me satisfasse pleinement. Je crois, d’une manière tortueuse, que, certainement en rapport avec mon passé à travailler dans le dessin-animé, je voulais qu’il ne soit quasiment pas reproductible, par qui que ce soit, tellement le graphisme utilisé se devait d’être complexe (ce qui n’est pas si malin, puisqu’une bande dessinée a tendance à demander qu’on reproduise de case en case tel ou tel perso. Mais ce défi tordu m’amusait, en vrai…).
Pour l’Ogre, que j’adorais dessiner, c’est son caractère qui m’a inspiré. Un ogre romantique, aimant à collectionner les cristaux, quel magnifique contraste. Mais comment traduire ça, quand on dessine un personnage qui est aussi un monstre classique de l’univers des contes de fées ? J’ai imaginé que son costume serait ce qui symboliserait cette contradiction. Et quoi de mieux dans ce contexte tout Garulfesque et médiéval, qu’un costume à crevés, plutôt inspiré par la renaissance, cette période représentant une forme de poésie et de finesse dans un monde où moult chevaliers s’affrontent en rugueuse joutes… L’idée était peut-être bonne, mais combien de fois me maudis-je, aussi, devant la complexité de ce foutu costume à crevés…
Le lutin, c’est encore autre chose. Ce perso, que j’aimais aussi grandement dessiner, était un personnage que je dessinais avant que de commencer à collaborer avec Alain sur Garulfo. En fait, à l’époque où je bossais dans le dessin-animé, il m’arrivait souvent de dessiner sur les décors de mes potes, dès qu’ils s’absentaient pour une raison ou pour une autre, le plus de petits lutins possible, de façon très légère (afin qu’ils puissent être aisément gommés, tout de même). Comme ça, par pur vice de ma part. Bref, ce lutin, qui n’avait ni nom, ni fonction, ni caractéristique particulière, devint sous la plume d’Alain, Bernardeau, le fidèle serviteur de l’ogre. Pertinente, plus que pertinente, réutilisation de mon lutin par Alain !
Du reste, le langage particulier de Bernardeau le lutin est aussi le fruit de mon minuscule cerveau : J’avais, dans une revue mise sur pied par un mien pote, réalisé une courte histoire mettant en scène ce lutin (et ses potes lutins). Le seul mot qu’ils utilisaient était ce blë, dont le lettrage différent à chaque fois était censé donner un sens précis à chaque “blë” prononcé…
J’ai aussi aimé dessiner les chevaliers, de façon plus générale, le Chat Botté, et beaucoup d’autres. Le second cycle me permettait de créer complètement les persos, graphiquement parlant, et, forcément, pour le modeste dessinateur que je suis, le plaisir n’en était nécessairement que plus important, pardi…
Tu as travaillé dans l’animation et les planches de Garulfo sont par moment très dynamiques, on se croirait dans un cartoon, as-tu eu des influences particulières dans ce domaine ?
On a tous des influences. Pour moi, elles ne sont pas spécialement liées au fait que j’ai pendant quelques années bossé dans le dessin animé, pour être franc.
Tout môme, j’étais gros lecteur, de tout, romans, manuels d’utilisation, étiquettes de vin, et un peu de bandes dessinées. Bon, beaucoup de BD. Des BD franco-belges autant que les comics de l’époque (Strange, Titans et un paquet d’autres). J’étais tout aussi fan de Gaston Lagaffe, de Pif le chien, que d’Iron Man et Spiderman (j’étais plus Marvel que DC, j’dois dire). Et pour le coup, du dynamisme, y’en a, dans les comics ! Et j’ai aussi découvert Albator et Goldorak, à la téloche, autre choc, et choc cool.
Tout ça, c’est ce qui a constitué le premier étage de mes influences. Mon petit doigt me dit qu’on doit être un certain nombre de dessineux de ma génération dans ce cas…
Garulfo exigeait que mon dessin soit dynamique, ou, plus exactement, le plus expressif possible. Si on devait établir un cinématographique parallèle, j’dirais qu’on faisait dans le cinéma réaliste italien, là où on faisait plutôt dans l’esprit grand breton pour notre série suivante, où il est question de créatures assoiffées de sang…
Et puis, comme tout était à la base story-boardé par Alain, j’étais poussé à essayer d’obtenir le plus d’expressivité possible. Un story-board où le dessin est à l’état de rough est d’un dynamisme mortel, qu’il est pour le moins difficile de retrouver, dès lors que l’on commence à se lancer dans la finalisation d’une planche, avec décors, et tout et tout (et tout et tout voulant dire composition lisible, extra lisible si possible, gestion de ces putains de bulles qui sans cesse viennent manger mes p’tits dessins, et enfin, et surtout, la phase dite de l’encrage. Mortel, l’encrage, vu comment ça peut rapidement figer un dessin, là où le crayon naturellement met de la vie…).
Tu as déclaré avoir progressé sur les expressions faciales grâce aux exigences du scénario d’Alain dans Garulfo. En complément, as-tu souvenir d’éléments que tu as rajouté qui n’étaient pas présents dans le script original ? (à part le lutin susmentionné)
En fait il y a eu un certain nombre d’éléments qui au fil des albums ont été rajoutés par le double diabolique qui de temps à autre s’empare de mon crayon. Mais quasiment à chaque fois, ils furent supprimés au moment du passage à l’encrage : Alain, tenait absolument à ne pas créer de confusion avec des détails graphiques susceptibles de modifier le sens de ce qui était proposé. Faut dire aussi que son exigence envers le découpage et les dialogues était telle qu’à priori, dessiner le mieux possible était encore le meilleur moyen de retranscrire la substantifique moelle de l’histoire en tant que telle, sans artifice plus ou moins pertinent.
Mon graphisme se confrontant à son écriture devait, pensions nous, amplement suffire à montrer ce qu’il y avait à montrer. Sinon, si par éléments rajoutés on entend personnages secondaires, jamais le cas ne se présenta, de mémoire. Il pouvait juste advenir que ma manière de représenter tel ou tel personnage pouvait, éventuellement, augmenter ou diminuer le rôle dudit personnage. Mais là, seul Alain peut répondre.
La série Garulfo t’a occupé pendant neuf années, quel est ton meilleur et ton pire souvenir dans la réalisation de cette BD ?
Il y a des milliers de meilleurs petits souvenirs. Et il y a des milliers de pires petits souvenirs. Le fait même de travailler sur quelque chose qu’on aime à ce point (car j’ai adoré dessiner Garulfo, vraiment), est en soi une aventure qui efface la notion de bon ou mauvais souvenir. C’est un tout. Un tout superbe, grisant, tout c’qu’on veut.
La signature du contrat fut symboliquement le moment ou d’individu normal, je devenais le super-héros que je rêvais d’être, ça peut être considéré comme un foutu bon souvenir. Et quitter tous ces personnages d’encre et de papier fut un moment fort triste, alors peut-être celui-ci, de moment, correspondrait-il à peu près à ce qui pourrait s’apparenter à la notion de pire souvenir, j’sais pas trop.
J’ai vu sur le Net qu’une traduction de Garulfo en anglais avait été envisagée mais sur les sites de commerce, je n’ai trouvé que des éditions allemandes. Pas de diffusion plus internationale prévue pour notre prince grenouille ?
Avec toute la meilleure volonté du monde, je ne saurais point répondre à cette dernière question. Ces détails n’ont jamais réussi à attirer mon intérêt, j’dois dire. Ce qui est sans doute du, aussi, au fait que le peu de matière grise encore exploitable sous mon petit crâne sert complètement à essayer de dessiner de digne manière… Quoique ça me semble assez regrettable que le vaste monde puisse à ce point se passer de notre œuvre à l’universelle portée. En même temps, j’ai ouï dire que Garulfo bénéficiait déjà d’un bon nombre de traductions, ici, sur Terre. Qui sait, ce n’est peut-être pas fini…
Je connais un pote féru d’encrage alors je me sens obligé de t’en demander un peu plus sur ta technique. Pourquoi n’utilises-tu pas du tout les aplats noirs ? Avec quoi encres-tu ? Plume, pinceau, feutre ? Un mélange des trois selon le besoin ?
Pourquoi pas d’aplats noirs ? Pas de réponse à ça, du moins pas de réponse rationnelle. Il y a plus de 20 piges que mon dessin s’est dirigé sur cette voie. Tout seul. Naturellement, quasi.
Une voie qui n’est pas toujours la plus simple. Car ne pas avoir la possibilité de mettre un aplat noir, c’est réfléchir autrement à comment faire se séparer les avant-plans des arrière-plans, donc jouer sur l’épaisseur des traits, la circulation du blanc, la composition, tout ça. C’est aussi être obligé de tout dessiner… Un aplat noir, parfois, ça permet de se dispenser du dessin de certains détails, ça peut faire gagner du temps… Là, pas question de gagner du temps, au contraire. Sans doute déjà je sentais la direction qu’allait prendre beaucoup plus tard la BD : dessiner vite, de plus en plus vite, pour avoir la chance de manger plusieurs fois par jour des pates, mioum mioum…
Je crois que j’ai fait à peu près tous les choix graphiques les plus chronophages, donc les moins rentables. Donc les moins viables… Dommage pour moi…
Je pousse même le vice jusqu’à me réserver le lettrage, fait bien comme y faut à la plume, vu que je considère que le lettrage fait partie intégrante du dessin. Le lettrage, c’est tout, sauf de l’écriture, si j’puis dire, contrairement aux apparences. C’est du dessin, quoi, tout simplement. Mais là aussi, quel temps je gagne sur mes planches… Avec quoi j’encre, sinon?
Des plumes, plusieurs. En fonction des besoins. Si les plans doivent être traités de manière forte, ou de manière fine, si on a affaire à une scène d’action, ou à un scène plus psychologique. En fonction de la personnalité même du protagoniste (si, si). En fonction de ce que je veux arriver à rendre comme texture. En fonction de mon humeur, des fois, juste… Bref, des plumes, rien que des plumes. Sur du papier assez ordinaire, somme toute, car tout ce dont j’ai besoin c’est d’un support qui ne bave pas, grosso modo. Le pinceau ne me convient pas, et j’parle pas du feutre, qui m’fait vomir, limite (et dont l’encre ne reste pas noire, avec le temps, ce qui est un peu fâcheux…)
En regardant tes dessins en noir et blanc, on constate une précision quasi chirurgicale (ou plutôt de dentelière) mais aussi le dynamisme évoqué plus haut. Cependant, une partie du rendu final est aussi laissée au coloriste. Comment travaillais-tu avec Thierry Leprévost ?
Pour être honnête, je ne sais pas trop ce que je laisse à Thierry… J’ai essayé de lui faciliter la tâche : mon graphisme est assez complexe –complexe, dis-je bien, pas bon, ce serait plus que prétentieux de ma part-, et j’ai tendance à considérer le graphisme comme une sorte de jeu. Je ne ferme pas tous les traits, je dessine ce qui ne devrait pas être ”trop” dessiné, je dessine peu, ou pas, ce qui devrait être “très” dessiné. Je fausse des perspectives. Je mets énormément de détails à certains endroits, peu ou pas du tout à d’autres. Je joue sur la lumière, mais une lumière symbolique plus que réaliste qui influencerait mon trait (puisque je ne pose pas d’ombre, pas d’aplats noirs…)…
Mais je crois avoir échoué, l’un dans l’autre, et je ne lui ai guère facilité la tâche, au bout du compte, et il a du me maudire un bon milliard de fois tout au long de ces années. Le problème, c’est que je n’ai jamais voulu modifier ma façon de dessiner, au fond, considérant que ma planche en noir et blanc devait d’une certaine façon se suffire à elle-même. Se suffire à elle-même de mon point de vue totalement objectif…
Par contre, je lui ai toujours laissé une totale liberté quant à ses choix. Je considérais qu’il était impossible que je lui donne une quelconque indication. D’une part, parce que je suis une buse niveau couleurs. D’autre part, parce que si je commence à lui donner une indication, pourquoi pas deux, pourquoi pas trois et ainsi de suite. En gros, à part lui casser les noix et le brider, j’vois pas trop ce que ce genre de collaboration a à la fois d’agréable et de constructif… Les seules indications qu’il recevait venaient d’Alain, et étaient à priori des indications d’ordre essentiellement narratif.
Dans une autre interview, tu as déclaré que tes deux grandes références en dessin étaient Moebius et Mignola. J’imagine que ce n’est pas juste parce que leur nom commence par M comme le tien… Qu’apprécies-tu chez ces deux artistes ?
Mais tout, mon bon monsieur, j’apprécie tout chez ces deux Dieux parmi les dieux. Et je n’réponds pas ça par facilité, genre je veux éluder parce que j’ai la flemme d’entrer dans les détails (ou parce que c’est un peu pédant que de se targuer d’être capable de se lancer dans ce genre d’analyse, quand on n’est qu’un petit dessineux comme ma petite pomme flétrie).
Quand j’aime un groupe rock, même quand il fait de la merde, j’aime. Je perds tout sens critique. J’adore perdre tout sens critique. Quand j’aime quelqu’un, j’aime tout, c’est ainsi…Par exemple, j’sais intellectuellement que les Stones ont une période plus dorée, mais pas grave, j’écoute tous leurs morceaux, et faudrait qu’on me menace de mort pour que j’admette qu’un de leur morceau est peut-être un peu en dessous. Et y’a pas qu’eux.
Des fois je me dis d’ailleurs que la musique que j’aime m’influence bien plus qu’un dessinateur, fût il capable des plus grandes prouesses techniques (qui en vrai ont tendance à bien m’emmerder. Un dessin bien dessiné, ça veut dire que dalle, ça suffit pas, un dessin bien dessiné faut autre chose, pour que ce soit bien dessiné. Un truc en plume, ou pas en plume, mais un truc.). Et ces deux monstres du dessin, dès que je les ai découverts, je les ai adorés.
Mais pas qu’eux. Y’a Franquin, aussi ! Ces trois là, j’étais –je suis encore- capable de regarder pendant des heures une seule de leur page, un seul de leur dessin. C’est ainsi, comme que je disais. Pas rationnel du tout. Mais c’est ça qu’est si bon.
Tu as déclaré plus haut avoir connu les publications de super-héros Lug (Strange, Titans etc.) et avoir apprécié les aventures du Tisseur et de Tête de fer. Y-a-t-il des histoires de super-héros qui t’ont particulièrement marqué ? Lis-tu encore des comics ?
Il y a plus de 20 ans que je n’lis plus de comics. Spiderman, Iron Man, Daredevil, les X Men, les 4 fantastiques étaient mes super-héros préférés. J’ai détesté Kirby, quand je l’ai découvert, et presqu’aussitôt, aussi, je l’ai adoré. Un dieu parmi les dieux, encore, tiens… J’ai en tête l’ambiance des aventures des X Men scénarisées par Claremont. J’ai aimé la période Miller sur Daredevil, et pas qu’un peu. J’ai aussi pris une beigne énorme quand j’ai découvert le Batman de Miller. Pas tout jeune tout ça, comme je disais.
Y’en a plein d’autres bien-sûr, mais si je ne prends pas quelques secondes de réflexion pour me ramentevoir ce qui m’a marqué dans les comics, alors se présentent à mon cerveau systématiquement c’que j’ai cité à la menthe ci-dessus.
En mai 2014, tu as annoncé arrêter la BD, en raison, si j’ai bien compris, de la précarisation d’un métier qui ne te permettait plus de gagner correctement ta vie. Presque un an après, quel bilan tires-tu ? Quelles activités exerces-tu à présent ?
Le bilan que j’en tire ? La situation est de pire en pire. Mais tout ça se fait tranquille, sans faire de bruit à la téloche ou ailleurs. Le monde de la BD ressemble maintenant complètement au monde extérieur, le vrai monde. C’est le seul tout petit riquiqui problème. Youpi. Donc, aucune chance pour que ça s’améliore. Mais si je ne peux pas me soustraire au monde extérieur, le vrai monde quoi, (du moins sans opter pour une radicale solution), du moins puis-je me soustraire au monde de la BD.
Mes activités présentes me permettent de dessiner mieux que jamais, sans les contraintes et les pressions qu’on trouve dans un métier qui exige légitimement beaucoup de nous en échange des sommes de plusieurs centaines de centimes d’euros par an à nous allouées qu’on ne sait plus comment tout dépenser, même, tellement c’est énorme sa mère…
C’qui est marrant, quand j’y pense, c’est que ce qui a permis que je signe mon premier contrat, c’était le fait que mon dessin proposait une certaine complexité, une multitude de détails, un vrai travail sur le trait lui-même, des trucs qui prennent plusieurs minutes par planche, on peut dire, pour le moins. Et c’est pour ces mêmes raisons, exactement, que je ne puis continuer dans ce boulot que tant j’aimai, vingt piges plus tard…
Et je n’entre pas plus dans les détails, pour ce qui concerne mes actuelles activités, car certaines choses se mettent en place, et sont si fraîches que ma superstition inhérente au petit nombre de mes moribonds neurones m’empêche de trop préciser encore. Mais rien ne fera disparaître cette tristesse qui s’est logée à jamais dans mon vieux cœur d’avoir ainsi mis un terme à l’un de mes rêves de minot. Faire de la BD, j’veux dire.
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Et voilà… C’est en préparant cette interview que j’ai appris que Monsieur Maïorana s’était retiré de la BD. Cela m’a fait un petit pincement au cœur, je dois dire. Mais il nous aura livré de très belles pages et une série formidable avec Garulfo (oui, désolé, je n’ai toujours pas lu son autre série, pour cause d’allergie Vampiresque ). Encore merci à Bruno pour avoir répondu aux questions, avec gentillesse, humilité mais aussi humour (ses jeux de mots valent bien les miens… hem, est-ce un vrai compliment ?) et érudition (je ne connaissais pas le verbe « ramentevoir »). Je lui souhaite plein de bonheurs dans ses nouvelles activités et pour finir cet article sur une note optimiste, voilà un dernier dessin.
Teaser :
« Special 500 » 4/6
Attention invité de marque : Bruno Maiorana le dessinateur pendant 9 ans de la série Garulfo ! Dans un entretien au verbe haut, Bruno aborde les secrets liés à la création et au développement de l’univers de la grenouille, son choix d’abandonner la BD ainsi que son amour pour Franquin mais aussi pour les comics, notamment Frank Miller et Mike Mignola ! Du très haut de gamme cousu main par Jean-Pascal Nguyen.
La BO du jour : Bruno Maiorana nous aura dessiné une superbe série avec Garulfo, et le lecteur avide pourrait en vouloir davantage mais après avoir achevé son autre série, « D », l’auteur s’est hélas retiré de la profession… You can’t always get what you want
http://www.dailymotion.com/…/x20joe_the-rolling-stones…
Ramentevoir – Respect, je ne connaissais pas non plus et j’aurais du mal à le recaser, si tant est que je m’en souvienne.
A nouveau une très belle interview. J’ai énormément apprécié les détails à la fois technique (l’usage de différentes plumes, l’absence d’aplats), et l’approche plus globale (des dessins très détaillés). En fait j’ai été séduit dès la première question. Je me pose souvent cette question de l’intérêt de concevoir une page comme une seule case artificiellement découpée en plus plusieurs. La réponse est aussi franche qu’exaspérante (ce n’est pas Bruno Maïorana qui a choisi).
Je suis également très impressionné par l’humilité de cet artiste quia accepté de se mettre au service de la vision d’un autre Alain Ayroles, en respectant son découpage, sa conception graphique des personnages. Quelle belle preuve d’esprit d’équipe.
« Je voulais que le dragon ne soit quasiment pas reproductible. » – Excellent, l’analyse de ce choix est aussi savoureuse, que ses conséquences (encore plus de temps pour le dessiner), sans oublier le plaisir pour le lecteur qui trouve encore plus de plaisir à contempler ces mondes imaginaires très étoffés.
Je n’aurais jamais pensé que les étiquettes de vin puissent être une source d’inspiration.
Comme il est étrange que Mike Mignola puisse être une source d’inspiration pour Bruno Maïorana qui a proscrit les aplats de noir.
Merci beaucoup pour cette immersion dans le cœur de la création.
Une Interview haute en couleurs à laquelle je tiens beaucoup car je n’ai découvert Garulfo que très récemment via l’article de JP. Et de la première à la dernière page, tout est parfait, c’est une série véritablement exceptionnelle spirituelle, habitée, incroyablement dialoguée et plein de rebondissements. Naturellement le graphisme de Maionara qui sait donner une identité spécifique à tous ces personnages y est pour beaucoup.
Et puis ce type atout bon : un amateur de Franquin, de Comics, capable de voir les super héros autrement que de haut et amateur de Stones et de bons mots. Je ressortirai le droit de cité à la menthe, c’est sûr. La filiation de Franquin m’apparaît évidente.
Par contre pour titiller JP et Bruno puisque c’est plus facile en tant que nouveau lecteur, je ne peux m’empêcher de noter que Félix le chat qui apparaît dans le deuxième cycle ressemble étrangement à Wolverine ! Dîtes moi que j’ai raison !!!
Sur le fait que Bruno ait renoncé à son métier, je trouve çà à la fois très courageux et très triste. Depuis le début des interviews de Bruce Lit, aucun des artistes interviewés ne vit de son métier. Sont ce là les fameux artistes assistés si sont souvent décriés par nos gouvernements ?
Indeed.
Les rouflaquettes sont un hommage volontaire à Wolverine (que l’on connaissait plus sous le nom de Serval, d’ailleurs, en cette époque pré-cambrienne).
Et les bottes de sept lieues sont un hommage aux jet-boots d’Iron Man premières générations.
Et Hulk n’est pas totalement étranger à l’apparence quasi évanescente de l’ogre…
Yes !!! Il me semblait bien ! Par contre, non, je n’avais pas saisi l’allusion à Iron Man !
Pareil que Présence. J’ai été happé dès la première question.
Mon rêve d’enfant était de devenir dessinateur de bandes-dessinées. Hélas, je me suis laissé bouffer par mes études et j’ai fini par opter pour le professorat.
Ainsi, j’ai suivi cette interview avec moult renvois à ma propre expérience, qui a commencé de la même manière que Bruno, pour ensuite évoluer différemment. Ainsi, même s’il est triste de constater que son rêve a été obligé de s’arrêter pour des raisons financière, cela me rassure, égoïstement, quant à la direction qu’à pris ma propre vie et mes propres choix.
Voilà, je n’ai fait que parler de moi, mais d’un certain côté, c’était une manière maladroite d’expliquer pourquoi cette interview (alors que je n’aime pas ça du tout, en principe), m’avait captivé.
Et un grand merci à l’artiste, qui parvient à parler de son activité artistique d’une manière aussi humble qu’amusante !
Merci à vous pour vos retours positifs et bien sûr à Bruno pour ses réponses très fournies. Je n’aurais pas cru que Garulfo comportait des clins d’oeil aux comics. !
Sincères félicitations pour cette belle interview ! Captivante de bout en bout ! C’est super enrichissant de connaitre quelques détails de création…Et d’avoir un aperçu de l’envers du décor…Merci à JP pour ces questions pertinentes et à l’artiste pour avoir accepté d’y répondre avec franchise !
Une interview technique et passionée avec un final de conte de fées qui contrebalance la chute amère de l’article. C’est intéressant car, outre les qualités indéniables de votre échange, on en vient à la difficulté de vivre de son art (de sa plume en l’occurence) alors même qu’on a connu un succès et une reconnaissance importante. Pour les plus motivés, l’apparition du crowdfunding est une alternative intéressante (et de manière plus générale ce type de financement communautaire pour court-circuiter les intermédiaires institutionnels est à soutenir mordicus).
La qualité des scans présents içi me conforte dans le fait d’acquérir l’édition intégrale en N&B de D paru l’hiver dernier. Merci à vous 3 pour cet échange propre à réveiller nos Sticky fingers
Un grand MERCI pour cette interview passionnante de bout en bout. Je retiens surtout et j’admire la cohérence et l’exigence des choix esthétiques et professionnels… même s’il nous amène à une fin que nous déplorons. Bravo à tous les deux.
Je vais regarder ces dessins avec un autre regard désormais comprenant mieux l’exigence qui les sous-tend.
A nouveau, merci pour vos retours. L’essentiel du mérite revient à Bruno, qui a pris le temps de rédiger des réponses détaillées en choisissant bien ses mots (son attachement au verbe évoque grandement les textes de son compère Ayroles).
Making of rapide :
Une recherche sur Google pour lire ou écouter la demi douzaine d’interviews disponibles en ligne. Un premier jet de questions envoyées à Bruce puis transmises à Bruno par mail, par paquet de 3-4… L’attente fébrile des réponses et la surprise de découvrir un auteur de BD franco – belge revendiquant des influences comics.
Quelques questions rajoutées en dernière minute pour rebondir sur les réponses de Bruno.
Ensuite, collecte des illustrations sur le volumineux album Facebook de l’auteur et sélection difficile des images (il y a tellement de jolis dessins).
Enfin, envoi d’un fichier mis en page pour relecture par les 2 B.
Le tout s’étalant sur une dizaine de jours.
Et donc, je le répète, même si l’auteur est la première personne à remercier pour toute la matière fournie, ça fait super plaisir d’avoir vos retours, en reconnaissance de tout le travail effectué « à côté « .
Il faut vraiment que je me mette à Garulfo. Cette interview est très prenante et intéressante à tous les niveaux. Je suis un peu sur ma faim quant à l’analyse du statut actuel des auteurs mais le fait que ce soit abordé peut suffire.
Ramentevoir et les inversions d’adjectif (comme chez les Anglais) donnent une saveur très particulière, vraiment une superbe interview. JP, as-tu condensé plusieurs réponses en une seule ?
Non Cyrille, les réponses ont été fournies ainsi par Bruno, il a pris le temps d’écrire de longues réponses à certaines questions.