Interview Arno Monin : le retour !
Propos recueillis par BRUCE LIT
Où Arno Monin accomplit une sorte de prouesse pour le blog : être le premier à décrocher une deuxième interview pour la suite de L’adoption, l’album phénomène de l’an dernier. De son travail de dessinateur au scénario controversé de Zidrou, il nous dit tout. Il nous a surtout fourni pour cette interview du matériel inédit en exclusivité. Merci à lui.
Salut Arno, on se retrouve alors que l’Adoption vol 2 est dans les bacs. Comment vas-tu ?
Bonjour Bruce ! Impeccable merci ! Je suis dans le développement de mon nouveau projet avec Aurélien Ducoudray.
Un peu en récupération d’un mois de Juin chargé avec ce travail et la promotion du tome 2 de l’Adoption.
Dans quel état d’esprit t’es tu trouvé pour dessiner la suite des aventures de Gabriel et Qinaya ?
Je me suis lancé dans cette deuxième partie de l’aventure avec enthousiasme et pression. Le tome 1 avais très bien fonctionné, une attente était palpable. Ce qui est tout à fait positif nous sommes bien d’accord, mais il faut tâcher de l’oublier bien vite pour faire les choses avec le même allant.
J’avais aussi envie de travailler différemment ma documentation en me rendant au Pérou. Ou j’ai pu faire mes propres photos que je n’ai malheureusement pu rapporter, ni l’appareil d’ailleurs !! Mais j’ai tout de même pu puiser dans mes impressions, et les notes prises sur place sous forme de mots-clés souvent.
As-tu rencontré des difficultés pendant la conception de l’album ?
La difficulté majeure a été, comme vous pouvez l’imaginer, l’après Qinaya. Dès la page 20, grosso modo, je suis rentré dans cette sorte de nébuleuse fertile. Ce moment de perte de cap, d’errance. Temps nécessaire pendant lequel les idées de Gabriel font leur chemin. J’avais donc deux contraintes, le temps, car un tome 2 connait des impératifs de rendu, c’est un peu moins strict pour un tome 1 ou un one shot. Et surtout le devoir de se faire comprendre du lecteur, qu’il y ait adhésion ou pas.
Il a été dit que Zidrou a pris le contrepied de son scénario. Tu étais au courant ou l’as tu découvert aussi ?
C’est délicat de parler de contrepied au scénario. Car il est tel qu’il a été conçu dès l’origine.
Elle a pour moi un propos qui s’identifie très progressivement mais dont on ne dévie pas. C’est l’histoire de Gabriel. La structure le dit sans équivoque. Et c’est ce que Gabriel traverse qui nous intéressait en tant qu’auteurs. Donc pour répondre à ta question, en effet j’étais au fait des tenants et aboutissants de l’histoire. 😉
Qinaya n’apparaît que dans quelques pages. Ton plaisir de la dessiner reste évident mais elle disparaît totalement pour laisser place à l’odyssée de vieux hommes. Elle ne t’a pas manquée ?
Alors ça … C’est la bande dessinée ! On dessine au service d’une histoire. La notion de plaisir est intimement lié à la narration. Je ne pourrai pas avoir de plaisir à dessiner des pages mettant en scène tel personnage ( quand bien même j’ai une affection pour lui ) si je ne suis pas convaincu que la scène a une utilité. J’ai autant de plaisir à dessiner une scène avec Qinaya, qu’à dessiner la Garua (un terme utilisé pour désigner la grisaille au Pérou- Ndr) qui arrive sur la cote péruvienne. Je me réjouis de l’effet que va procurer une case. De ce qu’on va pouvoir raconter avec ça. C’est surtout ça la bande dessinée.
Une question que je me suis toujours posé à propos des dessinateurs d’enfants : te racontes tu des histoires concernant Qinaya ? T’es tu amusé à la dessiner adulte ?
Non, non … En fait je suis très vite dépassé parce qu’il y a à faire. Ce qui est contenu dans le scénario. Je n’ai pas de grande facilités en dessin à ce jour ( ça viendra peut être ! ). Et mon énergie passe déjà dans le fait de poser tout ce qui va être employé dans le champ de l’histoire. Et une fois que tout ça est fait, je crois que j’ai plutôt envie de dessiner tout autre chose. De changer de planète. D’aérer mon dessin. Mais je comprends que tu y penses. En fait je suis comme le lecteur. Je peux me faire une idée de ce qui arrivera éventuellement aux personnages. Mais là dessus personne ne sait rien.
Tout l’album se passe au Pérou et évite les décors de cartes postales. En quoi a consisté ton travail de documentation ?
Ah ! Comme je disais plus haut. J’avais très envie de m’amuser avec des photos que j’aurais pris sur place. Aussi durant le voyage, j’ai mitraillé les décors urbains en décomposant tout ce que j’avais sous les yeux. Pour accumuler des détails. Si je me trouvais devant une petite place, j’avais une photo pour le pavé, une pour le réverbère, l’enseigne, les petites chaines qui font le tour de la place, la végétation, les véhicules… Plus que je n’en aurai utilisé c’est certain. Mais je voulais pouvoir faire mes choix une fois rentré. C’était très .. spécifique. Mais j’ai pu m’en tirer avec google maps en retournant sur certains lieux. Je pouvais aussi comparer ce que je trouvais sur le net avec mes souvenirs. Hiérarchiser la pertinence de mes recherches sur le net. C’est resté une démarche utile.
Le ton de l’histoire est plus mélancolique. Tous les personnages sont en deuil réel ou imaginaire. Le travail autour de leurs expressions, ce doit être un vrai défi ?
Pour la figuration des émotions, je compose beaucoup avec mon tempérament. Une tendance à la réserve. Je rechigne à figurer des larmes. Ce n’est pas parce qu’on a figuré un personnage en gros plan avec des filets d’eau de chaque côté des yeux qu’on se trouve en empathie avec sa peine. C’est un truc qui peut vite mettre de la distance. Ne pas sembler sonner juste. Le recul peut tout aussi bien faire sentir l’accablement. Je tâtonne … Et garde ce qui me semble le plus pertinent dans ce que j’ai sorti. C’est un peu comme avec des acteurs : on peut demander plusieurs prises et faire son choix au dérushage.
Sur certaines planches, ton crayonné reste visible et pourtant la finition est irréprochable : pourquoi ce choix ?
En fait il n ‘y a que du crayonné sur l’Adoption. Pas de dessin préparatoire afin de revenir à une certaine spontanéité. Des choses parfois allusives, esquissées.
Ces traits de constructions participent de la chaleur de l’ensemble, de même que les petits débordements de couleur. Les tâches. J’avais envie de quelque chose de moins contrôlé, de vivant.
Tu as encore assuré ta mise en couleur. Je l’ai trouvé plus effacée que pour le premier volume. Pourquoi ?
Tout à fait. Je pense que la réponse est tout simplement le fond de l’histoire. Le tome 2 s’appelle la Garua, cette grisaille liménienne. Donc des couleurs moins éclatantes.
La couleur doit participer de la mélancolie. Je te donne mes intentions, bien entendu la façon de réaliser tout ça est toujours discutable. On fait des tentatives !
Ta couverture est de nouveau superbe. Le cadrage est le même que pour le volume 1 mais la solitude Gabriel est déchirante. C’est ton premier choix ?
Merci ! Pour les couvertures ces derniers temps, j’ai tendance à faire peu de propositions mais à défendre assez loin celle que je ressens le plus. A la résoudre jusqu’à ce qu’elle soit satisfaisante. En l’occurrence, j’avais envie que les deux couvertures se tiennent une fois en vis à vis. Et j’aimais tellement la première, je supportais mal l’idée d’avoir une couverture en deçà pour la suite.
La composition est en miroir du tome 1. Mêmes masses. Ou devrait être Qinaya, un vide, un champ d’action pour le personnage qui s’est mis en marche entre ses les deux volets de l’histoire. On est dans le sujet. raccord avec ce point où nous avons quitté le personnage. Une idée simple.
Impossible de voir un passage clouté sans penser à Abbey Road. Clin d’oeil ?
Ah ah ah ! Normal d’y penser. Mais pas du tout ! Je voulais simplement un déccroché entre le personnage et cette sorte de foisonnement urbain derrière lui.
Ces grandes lignes graphiques que forme le passage piéton, permettent de ramener de la lumière, et l’évocation d’une traversée m’allait très bien.
Gabriel a abandonné son fils pour une inconnue. Quel regard pose tu sur lui ?
Je suis très fier de Gabriel. Tout le monde fait des conneries, mais tout le monde n’en prend pas les leçons. Et puis savoir bouger de sa ligne à cet âge là, c’est encore une autre paire de manche !
Tu as passé deux ans avec Gabriel et Qinaya. Quand arrive le mot fin, tu ressens quoi ?
J’avoue qu’il y a un petit soulagement avant tout. Car la bd reste un effort de marathonien. Quelque soit le rendu. C’est une immersion longue. Au bout de deux ans j’étais heureux aussi de me dire qu’il va falloir repartir à zéro maintenant ! C’est excitant.
Tes projets ?
Je travaille donc actuellement sur un one shot dont le scénario est signé par Aurélien Ducoudray. Très heureux d’être propulsé dans une nouvelle exploration. En recherche de nouveaux personnages.
Tu es musicien et comme je suis un gentleman je te laisse choisir la BO du jour. Tu nous proposes quoi ?
Merci bien ! 😉 Alors par exemple ceci. Parce que c’est un album qui me plaît bien, parce que ça se passe dans un hôtel, s’il fallait faire du lien ! C’est surtout un album coup de coeur du moment.
https://www.youtube.com/watch?v=KR-BbOn95uk
Merci pour cette interview passionnante et décontractée. Le rendu très fluide du dessin, son évidence ne laisse pas supposer ce travail de marathonien. Une belle première deuxième interview ! et j’espère une troisième à venir sur l’album en préparation.
Euh, il me semble que M&M parlait juste d’une troisième interview, pour l’album en préparation, c’est tout…
Sinon, le ton est effectivement décontracté et l’itw est agréable à lire.
Petite question, l’image de début d’article avec le grand père de face au passage piéton, c’est une cover alternative ou une image du bouquin ?
C’est une cover alternative.
Cool : on a la réponse, le scénario avait été conçu en entier dès le départ. Je me demande s’il est encore possible pour des créateurs publiés par des grandes maisons d’édition de défendre un projet sans en présenter l’intégralité.
L’anecdote sur la perte des photographies de repérage est assez savoureuse, plus pour nous lecteurs après coup, que pour Arno Monin sur le moment, je n’en doute pas. C’est enrichissant de découvrir que l’artiste s’implique au point d’effectuer des repérages, et google street view consitue un outil fantastique qui permet de nourrir l’authenticité des décors.
J’ai beaucoup aimé les questions sur les crayonnés, l’intention de sens dans les choix de la mise en couleurs et la composition de la couverture. En particulier pour cette dernière les explications de l’artiste permettent de formuler explicitement le ressenti donné par la marche en avant du grand-père et l’absence de vis-à-vis, l’absence de sa petite-fille.
Tout pareil que Présence ! Notamment content de voir que l’histoire était ainsi prévue dès le début.
Quant à la BO, je l’ai offerte à un copain. On l’a écouté autour d’un bon repas mais je ne pourrai pas te dire si l’album est un must have. J’étais tombé, sur Arte Live, sur leur concert à Paris, c’était très sympa. Va falloir que j’écoute l’album solo de Jarvis Cocker un de ces quatre. Là, je ne sais vraiment pas pourquoi, je me suis refait les deux albums des Stone Roses.
Je confonds toujours les Stone Roses et les Happy Mondays. Dans les deux cas, ça ne m’a jamais débouché les oreilles.
Le premier Jarvis est très réussi. Le deuxième pas du tout.