Blade Runner, par Ridley Scott
Team-up : JP NGUYEN + TORNADO
1ère publication le 16/04/16
MAJ le 18/05/19 par PIERRE N et BRUCE LIT
Dernière publication le 18/05/19 après le décès de Rutger Hauer.
1968 : Philipp K. Dick publie Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, un roman de SF où un chasseur de primes traque des androïdes illégalement enfuis de Mars vers la Terre.
1982 : Ridley Scott réalise une adaptation du livre, avec Harrison Ford dans le rôle principal.
2016 : Deux chroniqueurs de Bruce Lit décident de s’attaquer à ce monument de la culture geek.
Cet article retranscrit l’interrogatoire du suspect Dolly Prahn par l’inspecteur Dick Ricard, dans un futur pas si lointain. Il est susceptible de comporter un langage non châtié, ainsi que des spoilers.
8ème heure de garde à vue
Inspecteur : Est-ce qu’au moins tu sais pourquoi tu es là ?
Suspect : On se pose tous un peu la question, non ?
I : Je te rappelle les faits, on t’a coincé hier soir à l’astroport alors que tu débarquais illégalement de Mars. L’immigration de répliquant sur Terre est rigoureusement contrôlée.
S : Il y a erreur, je ne suis pas un répliquant ! Je suis prêt à passer tous les tests pour vous le prouver !
I : On t’a déjà fait passer le test. Et tu t’es endormi devant…
S : Quoi, ce film, là ? Roller Blade ou chai plus trop quoi… Je l’avais déjà vu, mon père avait le DVD.
I : Primo, en tant que répliquant, tu es un être artificiel et ne possèdes donc pas de père au sens classique du terme. Deuxio, c’était quelle version sur ce DVD ? Y’avait une voix-off dans la version que tu connais ? Et à la fin, comment ça se passait ?
S : Ah parce qu’il y a deux version en plus ???
I : Il existe en tout 5 montages différents. Les trois principaux sont : Celui de la sortie du film en 1982 (International), celui de 1992 (Director’s cut) et celui de 2007 (Final cut). A cela il faut ajouter la même version que celle de 1982 avec un peu plus de sang (International cut !), et enfin la copie de travail (Workprint), une version du film présentée à l’occasion d’un projection-test et qui a été abandonnée (très mal perçue à l’époque) afin d’aboutir à la version 1982 dite “International”. Cette copie de travail est d’ailleurs très intéressante car elle diffère de toutes les autres versions (plans alternatifs, musique de Jerry Goldsmith à la place de celle de Vangelis, dialogues différents…).
S : Euh… Purée ! là aussi j’ai failli m’endormir ! Vous le faites exprès où quoi ?!!! Enfin… ouais, y’avait une voix off. Façon Mike Hammer, du genre qu’on trouvait aussi dans les vieux polars, où le privé qui a beaucoup bourlingué et failli avaler son bulletin de naissance plus souvent qu’à son tour jette un regard désabusé sur la vie…
Pour la fin, je peux pas dire, je m’étais endormi aussi !
I : Toi, tu aggraves ton cas…
S : Mais qu’est-ce que ça fait si je connais pas la fin de Running Man ?
I : En observant tes réactions pupillaires pendant les premières minutes du film, ainsi que tes autres stimuli corporels, nos experts ont déduit que l’endormissement était une feinte défensive face à un récit en totale résonance avec ton expérience cognitive. Ce film raconte tout à fait ton histoire : des Répliquants en fuite sur Terre et cherchant désespérément à prolonger leur existence.
S : Ah bon, j’aurais pensé que c’était plutôt l’histoire du flic qui cherchait à les descendre. Un vrai malade de la gâchette, ce Rick Deckard… M’enfin, j’aurais pas été fâché qu’il en dégomme davantage, y’avait pas tant d’action dans ce film. Et leurs scènes de parlotte, ça avait tendance à me désintéresser. Et vos experts, ils se sont foutu le doigt dans l’œil. Y’a pas besoin d’être un répliquant pour piquer du nez devant un film soporifique…
I : Ecoute moi bien, mon pote : ce film soporifique, c’est ta seule chance de sortir de cette taule. Tu vas me regarder toutes les versions et me lire le bouquin par-dessus le marché. S’il te prend l’envie de pioncer, un collègue viendra te remettre en forme. T’as intérêt à tout mater jusqu’au bout. Ensuite je reviendrai te causer et on en reparlera.
16ème heure de garde à vue :
I : Alors, t’en as pensé quoi ?
S : C’est marrant, je pensais que pendant les gardes à vue, y’avait de la privation de sommeil…
I : Arrête tes conneries, on t’avait à l’œil et l’officier de garde n’a même pas eu besoin de venir te secouer les puces. Alors quelle version t’as préféré ?
S : Pfff… Après 5 versions et un livre, j’aurais tendance à confondre un peu, vous ne croyez pas ?
I : OK. On n’est pas pressés. Je crois qu’t’as encore besoin d’un peu plus de temps, hein ? Pas de problème, je repasse dans un moment. Et d’ici demain tu me revois tout ça en boucle !
44ème heure de garde à vue :
I : Bien ! Il est plus que temps de passer aux aveux, qu’en penses-tu ?
S : Espèces d’ordures. Vous n’avez pas le droit de m’infliger ça !
I : Penses-tu ! Sur Mars, tu étais probablement un esclave qu’on obligeait à réparer des vaisseaux en plein milieu d’une pluie de météorites, alors…
S : Ok. OK ! La première version, là, façon Mike Hammer, c’est la mieux !
I : Ah…
Bon alors c’est parti. N’oublie pas de répondre simplement. Le temps de réaction est important dans ce test, alors concentre-toi et réponds aussi vite que tu peux… Qu’est-ce que tu as aimé dans cette version ?
S : J’aime bien la fin, quand Deckard s’en sort. Il s’en va avec Rachel et on les voit partir en lousdé dans le nord de l’Amérique, là où la pollution n’a pas encore tout bouffé. Et y a une belle image de fin, positive, avec des belles montagnes et tout…
I : Ah…
S : Ouais, et puis, la voix-off, ça rend le truc plus dynamique. On s’identifie mieux au flic. Moi j’aime bien le flic. J’aime pas ces ordures de répliquants. A part Rachel. Parce qu’elle aussi, c’est une répliquante, vous savez ?
I : Aïe, je vois qu’on a affaire à un expert. Ton analyse d’ensemble est drôlement pénétrante, dis-moi ! On dirait un des amerloques du projection-test de 1982…
I : Bon, on va faire simple, alors. On va se contenter de comparer le montage de 1982 (International) avec celui de 2007 (Final cut). Et on va jouer au jeu des différences, d’accord ?
S : D’accord. Là c’est facile : les principales différences sont : (1) suppression de la voix off à la Mike Hammer, (2) ajout de 15 secondes de « licorne » qui évoquent un souvenir implanté artificiellement, (3) changement de couleur du ciel derrière la colombe et (4) suppression de la dernière minute du film…
I : Biiieeeen !!! Mais tu sais que t’es un vrai p’tit génie toi !
Alors d’accord, commençons par toutes ces différences techniques. Par exemple, je peux te dire que le « Director’s cut » de 1992 a été rendu obsolète par le « Final cut », non pas à cause de certains plans d’effets spéciaux entièrement refaits (attention, c’est un travail d’orfèvre et c’est très discret, on n’est pas chez George Lucas…), mais surtout par rapport à l’attention apportée au travail de remastérisation effectué sur le son et l’image. Une première dans l’histoire du cinéma. Ça t’en bouche un coin, hein ?
S : Hé ?
I : Je plaisaaannte ! Je savais que ça ne t’avait pas échappé. Donc, tu es déjà d’accord que, niveau technicité, le Final cut est un petit miracle de restauration permettant à un auteur de peaufiner son œuvre, n’est-ce pas ?
S : Mouais, bof. Qu’est-ce qu’on s’en fout ! Une œuvre est bonne dès le départ. Ou bien elle est mauvaise. La refaire 25 ans plus tard, moi j’appelle ça tricher avec le public. Et en plus, si c’est un film de 1982, lui donner des airs de film sorti en 2007, moi j’appelle ça de la dénaturation. Ça prive ce que vous appelez une « œuvre » de son aspect historique.
I : Et ben voilààà ! Je savais qu’t’étais un esthète ! Franchement, pour moi, seuls les collectionneurs de l’extrême et les nostalgiques du montage d’origine pourront pinailler quant à la sortie d’une ultime version retravaillée par le metteur en scène lui-même dans les conditions idéales. Le plus important demeurant le somptueux travail de remastérisation qui a permis au Final cut de rivaliser avec la haute définition des films les plus récents !
Une création origamique qui fait écho à une vision onirique…
S : …Ça fait toujours partie du test, là ?
I : Non, c’est juste pour discuter un peu, pour se mettre dans l’coup…
Pour moi, la version d’origine fonctionne surtout pour le nostalgique l’ayant découverte à l’époque. C’est la version la plus différente du résultat proposé dans le Final Cut. Pour la petite histoire, Ridley Scott fut viré avant le montage final et les producteurs rajoutèrent la voix off façon Mike Hammer tout en modifiant la fin en insérant un happy-end qui contredisait au passage toute l’histoire et annulait la révélation finale voulue au départ par les auteurs du métrage. Ils enlevèrent également certains des plans les plus sanglants que l’on pouvait néanmoins apercevoir sur la version appelée « International cut »…
Du coup, ton argument sur la « dénaturation de l’œuvre », et bien il tombe un peu à plat, non ?
Mais reprenons le test, je vais te poser des questions courtes et toi tu devras développer un peu mais pas trop, ok ?
S : Dacodac
I : Punaise, tu sors de quelle époque, toi ? Bon, allons-y. Le film ou le roman ?
S : Le film parce que le roman avec ses moutons électriques, ça aurait tendance à m’endormir.
I : Film noir ou de SF ?
S : Noir, avec un habillage SF… ou inversement, les deux s’enrichissent et se complètent
I : Action ou réflexion ?
S : Réflexion, c’est même un peu trop mou du genou pour moi.
I : Pris ou Rachel ?
S : L’esprit de Rachel dans le corps de Pris, ce serait possible ?
I : Deckard ou Batty ?
S : Deckard, parce qu’il s’en sort vivant… Mais Batty a un chouette speech final.
I : Deckard : répliquant ou humain ?
S : Quelle différence ?
I : Hey, c’est moi qui pose les questions, ici ! Alors, répliquant ou humain ?
S : Ben, humain alors. Mais pour moi, il pourrait être répliquant, ce serait le même tarif. Il arriverait juste à péremption plus tôt, c’est tout. « Dommage qu’il doive mourir, mais c’est ce qui nous attend tous… »
I : Ahah, tu cites tes classiques ! Chef d’œuvre ou pas ?
S : Bof, honnête divertissement, quand on doit pas se fader les cinq versions en 24 heures… Quoique, ça m’a donné envie de voir la suite… Blade Runner 2, qui serait en préparation…
I : Gasp – J’aurais vraiment tout entendu !
Sinon, juste une précision : Le film et le roman sont à ce point différents que le sujet principal n’est même plus le même. Tu confirmes ?
S : Heu… Ouais, ouais…
Bien… Face à de tels arguments je m’incline, mais rappelons quand même que le sujet principal du livre était que les androïdes devenaient plus humains au fur et à mesure que les humains qui les pourchassaient devenaient plus inhumains. En définitive : Une vision du futur où l’on assisterait à la perte de l’humanité. Le film de Ridley Scott transforme les androïdes en répliquants et interroge le degré d’humanité qui va et qui vient chez l’homme en fonction des civilisations. Nuance…
L’inspecteur fait une longue pause et scrute les relevés de la machine de test, d’un air impénétrable
S : Alors, j’ai réussi le test ?
I : C’est pas fini… Tes réponses n’étaient pas trop déconantes mais t’es quand même à côté de la plaque sur certains points… Mais c’est plutôt de l’ordre de la divergence de goût.
Dernière série de questions. On va véritablement mesurer tes capacités d’empathie. Les formulations seront un peu plus longues mais tâche de rester concis dans tes réponses, ok ?
S : J’ai hâte qu’on en finisse…
I : En 1982, Marvel publia une adaptation de Blade Runner avec Archie Goodwin au scénar et Al Williamson/Carlos Garzon aux dessins, le tout sous une cover de Jim Steranko. Des auteurs talentueux mais qui ne disposaient pour s’exprimer que de 44 pages et un format au vieux papier et aux couleurs toutes moches. C’est pas du gâchis, selon toi ?
S : J’connais aucun des types que vous avez mentionnés et une BD adaptée d’un film lui-même adapté d’un roman… Pitié, ne me demandez pas de lire ça aussi !
I : Ne me tente pas. Je pourrais aussi te donner l’adaptation en 12 numéros parus chez BOOM ! Studios en 2010, en prime ! Question suivante…
Rutger Hauer, l’acteur qui incarne Batty, le chef des répliquants, s’est beaucoup impliqué dans son rôle et notamment sur la scène finale ou il eu l’idée d’inclure une colombe et de raccourcir son monologue pour lui donner plus d’impact. C’est classe, non ?
S : C’était l’une des meilleures scènes de sa filmo, à mon avis… Rutger’s Hour, comme qui dirait… Cela dit, s’il a raccourci son texte, c’était peut-être pour avoir moins de choses à mémoriser, non ?
I : Hmmph, fais-moi penser à te montrer La Chair et le Sang de Verhoven, un de ces quatre…
Ridley Scott à présent… Tu te souviens qui c’est ?
S : Un répliquant ?
I : Le réalisateur du film… A l’époque on disait de lui que c’était un visionnaire.
S : Tu parles, le film qui endort, il fallait l’inventer !
I : Ridley Scott, donc, tout juste auréolé de son succès sur Alien, Le 8° Passager (il n’avait auparavant réalisé qu’un seul film : Les Duellistes, en 1977), proposait une alternative sombre et réaliste à la trilogie Star Wars en matière de SF ! Il nous dépeignait un futur terrestre glauque et mélancolique au travers d’une série de décors inouïs, en partie créés par le génial Douglas Trumbull (oui, le même spécialiste des effets spéciaux que sur 2001 L’Odyssée De L’Espace de Kubrick !).
S : Ah ouais ! Un film hyper-dynamique celui-là aussi !
I : …et inspirés des travaux de Moebius et Mézières, qui allaient traumatiser toute une génération de cinéphiles et même impressionner rétroactivement George Lucas, qui tentera désespérément d’en retrouver l’essence en imaginant le look de la planète « Coruscant » lorsqu’il s’attellera à la mise en chantier de sa préquelle étoilée…
Le résultat est sublime ! Blade Runner est le premier projet en 55 ans capable de s’élever sur le terrain du mythique Metropolis de Fritz Lang en termes de thématique et d’esthétique science-fictionnelle !
S : OK ! Vous m’avez convaincu : Vous voulez pas me passer la saga Star Wars plutôt ?
I : Poursuivons : Le problème est un peu le même que celui que vécut Orson Welles en son temps : Scott, ultra créatif mais guère protocolaire, allait peu à peu se disputer avec tout le gratin des producteurs hollywoodiens qui ne lui laisseront plus jamais les coudées franches dans la suite de sa carrière…
A l’arrivée, Blade Runner ne connaitra pas le succès qu’il mérite et Ridley Scott en prendra un méchant coup au moral artistique…
S : Purée, vous allez me faire chialer, là…
I : (Ben, c’est un peu le but, en fait)… La faute à une mauvaise promotion publicitaire qui vendra le métrage comme un blockbuster bourré d’action alors qu’il était tout l’inverse. Car en effet, le parti-pris narratif de Blade Runner s’apparentait davantage au Mort à Venise de Visconti qu’à Star Wars !
S : Bon, alors, si je vous suis : Métro-Police, 2001 L’Espèce d’Odyssée, Venise Mortelle et Blade Runner, c’est tout un peu de la même famille, c’est ça ? Et on est sensé s’éclater, là ?
I : Le problème c’est que, comme ces bourrins de spectateurs de l’époque qui se sont attendus à un blockbuster, tu ne vois que la surface des choses. Car les qualités de l’œuvre qui nous intéresse ici sont à chercher ailleurs :
1) Dans son atmosphère : Blade Runner est un mélange de film d’anticipation à la Soleil Vert, de roman policier à la Dashiell Hammet et de poésie tragique ! Le rythme est hiératique mais envoûtant. Passé une première demi-heure d’acclimatation, on se sent loin de notre réalité quotidienne et la découverte de cet « ailleurs » est à la fois terrifiante et fascinante. Le soin et le sens du détail apportés aux décors nous dévoilent un Los Angeles postmoderne absolument dantesque, mélange exotique de toutes les cultures, de passé et de futur, qui s’impose comme la mégalopole terrestre ultime. Et enfin, la lumière électrique nocturne, les vapeurs constantes et la perception naturaliste et quasi olfactive des lieus parachèvent le voyage vers cet inconnu troublant.
2) Dans sa musique : En passant, Vangelis compose son chef d’œuvre. Jamais synthétiseurs n’ont été utilisés de manière aussi riche et symphonique. La pièce maîtresse « Blade Runner Blues » (qui n’a de blues que les mesures) réussit à restituer les codes du polar tout en sonnant SF ! La partition, omniprésente dans le film, opère un rôle narratif et illustratif à elle seule, rendant la plupart des scènes, totalement exemptes de dialogues, vivantes et mélancoliques. C’est futuriste ET symphonique à la fois. Impressionnant.
3) Dans ses personnages (et ses acteurs) : Si Harrison Ford est parfait en Rick Deckard et s’il marque durablement les esprits par son jeu halluciné (c’est l’époque de Han Solo et Indiana Jones !), si Sean Young (Rachel) et Darryl Hannah (Pris) sont poignantes d’humanité robotisée à fleur de peau, et si Brion James (Léon) est impressionnant de brutalité teintée d’innocence, Rutger Hauer (Batty) crève l’écran et compose un des méchants les plus ambivalents et les plus fascinants de l’histoire du cinéma.
La caractérisation des personnages, qui échappe à tout manichéisme primaire, est ainsi à marquer d’une pierre blanche, car dans le genre de la science-fiction, on n’avait encore jamais porté à l’écran des individus aussi troubles, crédibles et bouleversants.
4) Dans son final : Un final en deux temps, qui voit deux retournements de situation (des « twists », comme on dit aujourd’hui) élever le sujet et culminer dans une magnifique envolée lyrique sur la volonté de vivre et la valeur absolue de la vie (un film antichrétien, en somme !), sur la froideur et la cruauté du monde technologique et sur la valeur des souvenirs comme accomplissement personnel et nourricier.
Ça t’en bouche un coin, je vois…
S : Non, non, continuez. Vous avez l’air possédé maintenant…
Rutger Hauer et son flamboyant monologue final…
I : Et bien s’il fallait encore en rajouter, je dirais de Blade Runner qu’il s’agit d’une pièce maîtresse de l’histoire du cinéma, fédératrice, matricielle, bouleversante… Il est impossible de ne pas l’aimer, à moins que…
S : Et par rapport à Independance Day ?
I : …(Silence pesant)…
Tu te souviens que tu me disais qu’il s’agissait davantage d’un film noir que d’un film de SF ?
S : Ouais.
I : C’est le parti-pris conceptuel…
S : Le quoi ???
I : C’est le parti-pris conceptuel le plus fort du film, qui instaure un climat morbide, violent, sexué et désespéré, qui illustre tout simplement le côté obscur de notre inconscient social. Tous ces éléments du genre polar, issus de l’une des périodes les plus sombres du cinéma américain, sont ainsi réinjectés dans le film de Ridley Scott de manière esthétique. Un rapport absolu entre le fond et la forme si tu préfères.
S : Je préfère… rien dire…
I : Tu dois comprendre que cette esthétique n’est pas gratuite (quand bien même certaines critiques intellos ont cru pouvoir tacler le film sur ce sujet, arguant qu’il s’agissait d’une boursoufflure stylistique clinquante). Il s’agit au contraire d’une technique narrative, dont la ville est le sujet principal, et dont les personnages illustrent un mal-être généralisé.
I : Ouais, ben moi ce mal-être, il me fout le cafard.
S : Bien sûr ! C’est parfaitement voulu ! Et au passage j’appellerais ça plutôt de la mélancolie.
Je vais t’expliquer précisément pourquoi ce film te dérange : Il te dérange parce qu’il résonne dans ton esprit comme l’illustration d’un cauchemar collectif. Celui d’un futur qui nous guette à tous !
Tu vois, ça te cloue le bec !
Tu te rends compte que la fin du film (dans le Final cut) insinue que Deckard est un répliquant, lui, le chasseur de répliquants ?!!! Et le Dr Eldon Tyrell, le dirigeant de la Tyrell Corporation (ton créateur, peut-être…), en est probablement un lui aussi, derrière ses airs de momie et son absence totale de sentiments (probablement un clone du vrai Tyrell, mort depuis des lustres). Vertigineuse mise en abîme sur les degrés de perception de la réalité. C’est dingue quand on y pense.
I : C’est dingue ? Je vais vous dire pourquoi c’est dingue : C’est dingue parce que vous êtres dingue ! Vous voyez des répliquants partout !
S : Peut-être est-ce parce que c’est le sujet du film ? Une société qui aliène tellement ses citoyens, qui dénature à tel point leurs sentiments, qu’ils peuvent très bien n’être plus que la simple « réplique » d’autres êtres, plus humains…
Le Los Angeles de Blade Runner est le prototype ultime de la ville noire, l’enfer urbain dont on ne parvient pas à s’échapper. Une mégalopole qui n’est même pas réaliste puisque il fait nuit et qu’il y pleut tout le temps ! Mais une ville métaphorique, dont le climat lugubre illustre la sinistre condition aliénée de ses habitants qui, au final, ne sont même pas capables de trouver les ressources afin de rejoindre les fameuses planètes paradisiaques dont on voit les publicités dans tous les coins…
Et, en définitive, les Blade runners qui pourchassent les répliquants finissent par se révéler moins humains que leur cible androïde !
S : J’aime bien ce que vous dites là…
I : Ah ? Et pourquoi ?
S : Rien… C’était pour provoquer un peu…
I : Très amusant. N’empêche que c’est vrai : La fin du film est poignante car elle nous montre qu’un être humain artificiel parvient à se révéler plus humain que les soi-disant « vrais humains » qui le chassent, histoire d’enfoncer le clou quant à l’idée que ce n’est pas notre nature qui fait notre humanité, mais bel et bien notre cheminement personnel. C’est le moment où le sujet du livre de Phillip K. Dick rejoint celui du film de Ridley Scott.
S : Tout ça c’est bien joli, chef, mais je commence vraiment à fatiguer de vos films et de vos discours. J’en suis à combien d’heures de garde à vue, là ? Avez-vous trouvé des motifs pour me garder encore, ou est-ce que je peux partir ?
I : Attends encore un peu, j’ai encore deux trois choses à vérifier sur le test. Je reviendrai dans un moment.
33 minutes plus tard…
I : Mon cher Dolly, d’après mon analyse des résultats du test de Voight-Kampff : Tu es un répliquant.
S : Qu’est ce qui vous prouve que j’en suis un ?
I : Voyons… Quelqu’un qui n’a pas aimé le film Blade Runner, qui n’a pas été sensible aux changements effectués avec le Final cut et qui n’a pas été bouleversé par l’envolée poétique du monologue final de Roy Batty ne peut être qu’une « gueule d’humain ». Aucun être doué de sentiments et de sensibilité ne peut être impassible face à un tel chef d’œuvre.
S : OK. OK ! Attendez ! Laissez-moi réfléchir une minute ! Si j’ai bien suivi votre raisonnement, n’importe qui peut être un répliquant alors, même le spectateur du film ?
I : Absolument. Il y a d’ailleurs des individus enregistrés comme humains qui n’ont pas aimé ce film. Et c’est ce qui te sauve, finalement. Tu es comme eux.
S : Mais, j’comprend pas ! Vous aviez dit que d’après votre analyse…
I : Une analyse trop subjective sur laquelle je refuse de fonder une décision qui aboutirait à ta mort…
10 secondes de silence…
I : Allez, pars. Tu es libre…
S : Non, sans déconner ? Ouh punaise, vite avant que vous changiez d’avis…
L’inspecteur escorte Dolly vers la sortie du commissariat…
S : Quand même, j’aurais pas cru que vous seriez chic comme ça… D’autres collègues à vous, résultats de tests ambigus ou pas, pour les faire changer d’avis, tintin !
I : En parlant de Tintin, tu connais ses aventures ?
S : Pour sûr, vous auriez du m’enfermer avec les 24 albums pour les lire à la place de votre pensum, j’aurais moins souffert… Sans vouloir vous vexer, Inspecteur Ricard !
I : Nan, on ne va pas se fâcher maintenant, Dolly… Et c’est lequel ton Tintin préféré ?
S : Sans hésiter… Le Secret de la Licorne !
Je biens de finir le livre. Il y a peu de similitudes avec le film, mais il y en a, c’est un peu perturbant pour moi qui ne l’avais jamais lu mais connaît très bien le film. Le livre va plus loin, évidemment, et n’a pas du tout la volonté d’être un film noir, avec un personnage central très peu dickien. C’est vraiment bizarre, mais c’est un bon cru. La postface de mon édition J’ai Lu (très récente) est très intéressante : on cite le Mythe de Sisyphe de Camus et rapproche Rick Deckard de René Descartes, c’est très bien vu. Faut que je regarde à nouveau ce film… dès que mes enfants seront d’accord.
Super concept de review « fictionnelle »!
Je suis un admirateur tardif de Blade Runner.
Parce que personne ne me l’avait jamais présenté avec tous les éléments permettant de savourer l’oeuvre à sa juste qualité et parce que j’étais perdu avec les différentes versions (maintenant j’attends la version restauré 4k mais le final cut est déjà suffisant je pense).
Je regrette simplement de l’avoir vu dans des conditions pitoyables (pas final cut, très tard le soir et avec plusieurs grammes d’alcool dans le sang). Rattrapage le 8/10/17 sur ARTE.
J’ai été ébloui par 2049 qui n’enlève rien au film originel et est un hommage vibrant bien réalisée en plus d’être une vraie histoire de science fiction.
Comme quoi avec une vraie équipe, on est capable de faire d’excellentes suites (par exemple: Mad Max Fury Road).
Ah, ben je vais voir 2049 ce soir au cinéma, justement ! 🙂
J’ai vu Blade Runner 2049 hier soir et c’était très bien. Les films de Villeneuve ont une sacrée ambiance à chaque fois. J’espère juste qu’il n’a pas ouvert une boite de Pandore et qu’on ne va pas encore avoir une saga avec plein de suites pourries. (ils seraient capable de le faire puisqu’il y a une révolution qui gronde dans le film…)
Un grand merci à Pierre pour son aide précieuse pour ce remaster. Avec cet article, le hastag teamup apparaît enfin. Joie !
Ca c’est de la team-up !
Super l’idée de l’interrogatoire et de la confrontation, qui donne un aspect instructif et amusant.
Concernant le film, j’ai vu la version « Mike Hammer », j’ai dû voir une deuxième version une bonne décennie plus tard, mais j’ignore totalement laquelle. Je ne pense pas qu’il y avait cette licorne.
J’ai toujours trouvé ce film emprunt d’une poésie particulière, avec cette pluie qui ne s’arrête jamais. Très onirique.
Par contre, j’avoue que je me suis perdue dans l’histoire des origamis. J’ai dû m’endormir lors de cette deuxième version. Je ne comprends toujours pas la signification de cette licorne.
La prestation de Rutger Hauer est époustouflante. Revoir la scène grâce à l’article, c’est suffisant pour ressentir des émotions…
Pour le 2, j’ai beaucoup aimé. Je l’ai plus en mémoire que le 1 d’ailleurs. Plus facile d’accès.
Et c’est vrai que Villeneuve fait de beaux films.
Et dans le 2? n’en déplaise aux fans du premier film, il y a une vraie enquête quoi^^
Il se passe quand même pas grand chose dans le premier…
Bonne ambiance, tout ça…mais faut pas être fatigué ou on s’endort tellement c’est palpitant^^
Les origamis je sais plus. Je me demande si Ridley Scott sait lui-même ce que ça veut dire^^ Parce que dans mes souvenirs dans les premiers montages t’étais pas censé savoir si Harrison Ford est un réplicant. Mais avec le final cut, ça répondrait clairement à la question comme quoi il en est un.
Du coup…euh…2 réplicants peuvent avoir un enfant ensemble ? Ou un réplicant et un humain ? Ou…
bon je sais plus…
Bah Matt, pour le 2, j’ai répondu dans mon commentaire !! J’ai dit qu’il était plus facile d’accès, et que je m’en rappelais bien, contrairement au 1 où je me suis endormie 😉
Euh oui j’ai vu. En quoi c’est incompatible avec ce que j’ai dit ?^^ Je précisais qu’il y a des trucs que je trouve meilleurs dans la suite.
Ah tu réagis à cause de mon point d’interrogation ?^^ C’est une virgule que j’ai foiré en écrivant (bouton majuscule)…donc pas une question.
Oui, j’ai effectivement cru que tu me reprochais de critiquer le 2 😉
Oui le 2 a une super enquête et un twist assez marquant.
Je suis sur la bio de Dionnet et j’en apprends des belles : Metal Hurlant avait assassiné BLADE RUNNER à sa sortie car trop infidèle à l’univers de Dick. Dionnet n’avait pas apprécié que le film plagie THE LONG TOMOROW de Jean Giraud et ne cite pas ses sources. Il dit avoir téléguidé Manoeuvre pour qu’il descende le film en flêche.
Vous saviez tout ça, les spécialistes de Scifi ?
Ah, je savais que le côté Long Tommorrow avait fâché (mais il y a une connexion Giraud-O’Bannon-Scott évidente), pas que Dionnet était dans le coup.
Il revendique sa mauvaise foi, admet que quelques scènes sont superbes mais trouve le film bancal et malhonnête. Très intéressant.
discuter avec lui est toujours passionnant, mais en effet, y a souvent un recul à avoir.
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La forme que prend le récit -indépendamment de Scott ou non- induit directement les notions décrites dans l’article. Il est compréhensible que les spectateurs, s’ils s’attendaient à un blockbuster commercial, aient boudé ce grand spectacle très adroitement intimiste -ça n’est pas incompatible, comme ici, où il a suffi d’un peu d’alchimie et de hasard (production, casting, Etc…) pour associer les deux ambiances.
Il s’agit d’une fable -ce que sont la plupart des récit d’anticipation dignes de ce nom- très richement brodée d’émotions fortes ou douces, de poésie -visuelle et musicale (!) autant que philosophique- et dont la coloration façon Polar facilite l’appréhension -mais merci Grand Schtroumpf pour la suppression de la voix « off » !!
Je ne me suis pas questionné, par contre, sur ce qui n’est pas explicitement « dit » dans le récit : de l’inhumanité supposée de Deckard à la mise en parallèle de l’évolution des uns par rapport à la déshumanisation des autres, je trouve que la valeur de l’envolée lyrique du long-métrage ne nécessite pas une analyse aussi poussée de ces argumentaires pour être pleinement appréciée (même si je comprends que ça fasse partie intégrante des réflexes intellectuels d’une partie du public). En ce qui me concerne, ces « mystères » ne sont vraiment qu’un corollaire assez anecdotique au sujet proprement-dit, qui porte l’intérêt principal de l’histoire : une romance somptueusement parée de tout un décorum prodigieusement esthétique.
Tellement esthétique, d’ailleurs, qu’à mon sens tout réalisme « Hard Science » (le degré d’évolution suggéré par le niveau technologique nécessaire à la conquête spatiale décrite par le scénario sonne très improbable), s’en trouve définitivement exclu au profit de la profondeur identitaire des personnages ; et la version « sanglante », de part même sa crudité, n’apporte rien sinon un décalage malvenu de l’ambiance, pour les adeptes du caché et hors-champs -auxquels j’appartiens.
Un vrai grand bon moment de cinôche sans prise de tête, doté d’une réelle valeur artistique et, chose rare dans la S.F. cinématographique « grand public », possédant une réelle profondeur Humaniste.
Un classique, du coup.