Thunderbolts par Warren Ellis & Mike Deodato
Première publication le 06/01/2015. Mise à jour le 1/05/16.
AUTEUR : TORNADO
VO: Marvel
VF : Panini
Ces 12 épisodes des Thunderbolts se situent immédiatement après Civil War. Il s’agit d’une conséquence directe de la loi d’enregistrement de Tony Stark qui monte une équipe de super-vilains supervisée par Norman Osborn pour traquer les super-héros non enregistrés ! Parus d’abord en kiosque, l’intégralité de ces épisodes a été réédité par Panini en édition Deluxe en 2015.
J’aime bien les comics de super-héros. Mais j’aime surtout les comics pour adultes. Et par dessus tout, même si cette dernière notion peut paraître prétentieuse, j’aime les comics d’auteur. Et celui-ci est tout cela à la fois ! Ben oui, tant pis si c’est prétentieux. Les comics mainstream uniquement divertissants m’ennuient. J’aime avoir l’impression d’être intelligent quand je lis quelque chose, même si je ne le suis pas.
C’est Descartes qui le disait : On ne peut juger de sa propre intelligence étant donné que c’est avec cette intelligence que l’on juge ! Sous-entendu : Tout le monde se trouve très intelligent, puisque jamais assez intelligent pour s’apercevoir qu’il ne l’est pas assez ! Pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? Et bien, c’est très maladroit, mais je suis entrain d’essayer de vous convaincre que les Thunderbolts par Warren Ellis, c’est du mainstream de haut niveau, qui survole à des années-lumière le tout venant de la production de comics mainstream ! Le top du top en matière de bande dessinée liant le fond et la forme.
D’abord, commençons par présenter cette équipe : Il y a Norman Osborn alias le Bouffon vert. C’est le chef ! Et tout le monde le croit guéri. Erreur ! Grave erreur ! Il y a ensuite Moonstone, leader du groupe sur le terrain (c’est une femme, mais c’est pas une lavette !), et véritable sociopathe ivre de pouvoir. Il y a Songbird, Swordsman, Radioactive Man, Penance (ex-Speedball). Tous ceux-là sont ambivalents car ce ne sont pas forcément des vilains irréductibles. Penance est un ancien super-héros qui recherche la rédemption, puisque c’est en partie à cause lui qu’ont eu lieu les terribles événements de Civil War…
Il y a enfin Bullseye et Venom, les deux psychopathes du groupe. Deux atroces vilains irascibles, le premier ne trouvant la jouissance que dans le meurtre, le second dans le cannibalisme pur et simple !
Ellis, brillant scénariste (pour moi l’un des meilleurs, tout simplement, parce que Planetary quoi ! Parce que The Authority quoi !), nous offre ici le sommet de la série Thunderbolts. Le concept est le suivant : Il s’agit d’une équipe de super-vilains placés sous haute surveillance, employés par le gouvernement pour lutter contre… les super-vilains !
Sauf qu’ici, nous sommes au lendemain de Civil War, au cœur de la période appelée « Initiative », qui voit les super-héros refusant de se faire enregistrer par le gouvernement être considérés comme des hors-la-loi. Ainsi, cette version des Thunderbolts a pour mission de traquer et d’arrêter les renégats. Le monde à l’envers ! En règle générale, le passage dans cette équipe est censé permettre à ses membres d’obtenir un retour en grâce. Une sorte de réhabilitation. Dans la réalité, ce n’est évidemment pas si simple !
Warren Ellis nous raconte cela de manière viscérale, comme si l’on y était, le tout saupoudré d’une violence extrême, étonnante pour une série Marvel liée à la continuité. Il a le don de nous happer dans son histoire en nous électrisant par des séquences construites de manière si redoutables qu’elles nous plaquent sur notre fauteuil ! Une sensation d’immersion totale, rendue palpable par un art des dialogues consommé, le scénariste alignant les pages de parlote sans que le lecteur ne s’ennuie une seconde !
Les personnages sont exposés dans leur nudité psychologique la plus extrême. Il s’agit probablement de la dimension la plus passionnante, voire fascinante, de tous ces épisodes. En effet, comme nous suivons le parcours d’une tripotée de gugusses plus azimutés les uns que les autres (qu’ils soient tantôt malhonnêtes, violents, masochistes, martyrs, déviants ou bien carrément psychopathes), nous pénétrons le mal de l’intérieur.
Non pas un mal d’opérette comme on peut le voir dans la plus-part des comics mainstream, avec ses bons bien gentils et ses vilains bien méchants, mais quelque chose de bien plus crédible, troublant et malsain. Les Thunderbolts selon Warren Ellis sont des sociopathes qui sonnent juste.
Il décortique par ailleurs le mythe du super-héros sous un angle inédit. Traqués, perdus, tragiques ou pathétiques, les « héros » ciblés par les Thunderbolts (des seconds couteaux de l’univers Marvel, qu’Ellis peut malmener comme bon lui semble) évoluent dans un quotidien naturaliste. La perception de leur terrain d’action devient concrète et étouffante (les poursuites citadines ressemblent presque à celles du film Seven, de David Fincher !), propulsant le lecteur dans une atmosphère urbaine cauchemardesque, à mille lieux des combats en toc, tels qu’on peut les voir dans la plus-part des comics de super-héros.
Ellis démontre que l’héroïsme tel qu’il est décrit dans les récits habituels du genre est un héroïsme de pacotille, inhumain, improbable, immature. Quel est l’intérêt de défendre la veuve et l’orphelin contre des monstres masqués si c’est pour, de son côté, leur faire tomber tout autant des immeubles sur le coin de la figure ?
Quand on y réfléchit, le scénariste use de clichés parfaitement éculés : Groupe de baroudeurs peu recommandables offrant leurs services à un gouvernement (les mercenaires, les légionnaires, la légion étrangère), punch-lines médiatisés de type « téléréalité », personnages dessinés à gros traits. Mais toute la différence se joue dans son talent de conteur. En quelques mots, en quelques scènes, par l’équilibre entre les archétypes du comic book et une forme de narration pulsionnelle, héritée d’un réalisme purement cinématographique, il parvient à nous donner le vertige. La grande classe.
Le principal point fort réside évidemment dans le sens de la mise en scène, particulièrement inspirée. Les scènes de combat, dont je me fous complètement en temps normal, sont à tomber ! Le suspense est monstrueux, la niaque est totale ! Une leçon de rythme et de catharsis, à faire pâlir Hollywood ! Le final nous réserve une descente dans la folie et les enfers au milieu d’un bain de sang mémorable.
Evidemment, la liste de louanges ne serait pas complète sans parler de la toile de fond creusée par l’auteur : Les épisodes regroupés ici assènent une critique redoutable de l’establishment, via les politiques d’oppression et de répression qui peuvent se cacher sous les plus jolies démocraties, qui savent utiliser la violence de façon opportuniste. Le tout sans une once de bienpensance !
Quasiment toute la seconde partie du récit se déroule dans les sous-sols de la colline des Thunderbolts, lieu d’une action qui va soudain virer au cauchemar et à la folie totale, où encore une fois le fond et la forme vont s’unir pour emporter le lecteur dans une immersion viscérale, dont il aura du mal à sortir innocemment comme il pourrait le faire dans toute autre lecture inoffensive.
Car le voici soudain plongé dans un huis-clos en compagnie d’une horde de fous psychotiques dont toutes les névroses et autres déviances vont soudain être exacerbées, Ellis réussissant à saisir et pénétrer chaque personnage afin d’en extirper toute la folie meurtrière, le désir morbide et le désespoir nihiliste… Immersion, terreur viscérale, folie psychotique, réflexion, grand spectacle… Les Thunderbolts par Warren Ellis & Mike Deodato, c’est pas de la merde ! (nondidiou !)
Enfin, cerise sur le gâteau (les meilleures bandes dessinées possèdent cette cerise…), la partie graphique est au diapason : Mike Deodato est ici au sommet de son art. Art du découpage, cadrages d’anthologie, maitrise du mouvement et des corps, sens du détail, décors travaillés à l’extrême, rien ne manque. Son style « roman-photo » s’offre ici toutes les virtuosités, tous les points de vue les plus hallucinants. Les personnages ont un charisme dingue, l’atmosphère toute en ombres portées est somptueuse.
Tout simplement le meilleur travail esthétique qu’il m’ait été donné de contempler dans le genre (un genre super-héroïque réaliste et urbain), toute époque confondue. Sans lui, il est probable que ces épisodes de la série Thunderbolts n’auraient pas atteint ce niveau, celui d’un chef d’œuvre du genre. Point.
Soit les épisodes Thunderbolts #110 à 121, avec en bonus un court épisode intitulé The Initiative, écrit par Warren Ellis et dessiné par Marc Silvestri. Soit l’un des meilleurs comics Marvel que j’ai lus de toute ma vie ! Sachant que ces épisodes peuvent être lus indépendamment de toute autre série (il suffit de lire quelques lignes sur le concept de la période appelée « Initiative »), vous allez fissa foncer me lire ça (et répéter cette dernière phrase en boucle sans vous emmêler !). Tiens, j’aimerais beaucoup savoir ce qu’en aurait pensé Mr Descartes…
Franchement, tu peux arrêter là : Une super histoire avec un début et une fin. J’ai trouvé le run de Diggle nul. Et les Dark Avengers de Bendis ne sont intéressants que dans la mesure où le lecteur se tape quasiment toutes les séries du Dark Reign…
Pour ma part, on m’a offert l’Omnibus de THUNDERBOLTS de Busiek et Bagley. J’aime énormément. c’était un concept vraiment inédit à l’époque et ça fonctionne bien.
Il faudrait que je rejette un oeil sur la version Ellis qui dans mon souvenir faisait un peu la version Marvel de SUICIDE SQUAD.