Cendres par Alvaro Ortiz
Cendres est un roman graphique scénarisé et dessiné par Alvaro Ortiz un jeune auteur espagnol. Il est édité en France par les éditions Rackham et bénéficie d’une traduction irréprochable.
Cendres raconte le périple de trois amis perdus de vue depuis 5 ans ( Polly, Moho et Piter).
Le temps et la réalité ont eu raison de leurs illusion de jeunesse, notamment d’ouvrir un hôtel nommé d’après un livre de Paul Auster : Hotel Existence. L’absence et une certaine amertume ont peu à peu remplacé les rêves d’amitié et de solidarité de nos amis.
Polly débarque un jour avec les cendres du quatrième larron : Hector. Son testament demande à ce que la bande sillonne l’Angleterre jusqu’à une mystérieuse destination pour répandre ses cendres.
Commence alors une expédition picaresque où accompagnés d’un singe et poursuivis par deux jumeaux échappés d’un disque de ZZ Top, le trio roule vers son destin parsemé d’une amitié qui refuse de mourir, de déboires inattendus et de beaux moments d’émotion.
Dès le début, Ortiz indique via la réplique de Moho que ce genre de récit autour façon road movie corrobore ses codes et ses clichés : personnages hauts en couleurs, moment d’intimité où les héros sont confrontés à leurs angoisses existentielles et certaines situations ubuesques.
Ortiz en indiquant qu’il n’est pas dupe donne quand même à son lecteur ce qu’il attend de ce genre de récit : beaucoup d’humour, de tendresse et une empathie authentique pour ses personnages et ce qu’ils traversent.
Ortiz part d’une situation dramatique ( la mort d’un ami ) pour inciter Polly , Moho, et Pitter à retrouver du sens à leur vie. Il évite tout pathos, pas un personnage ne pleure. Ils sont trop occupés à douter. Chacun voit ses intérêts personnels confrontés à celui du groupe, son égoïsme sacrifié au don de soi.
Derrière son graphisme simple façon ligne clair, Ortiz s’inscrit dans la ligne de conteurs comme Charles Burns, Clowes voire Paul Auster. Des auteurs américains à la narration fluide derrière laquelle se cachent des questions métaphysiques complexes autour de la condition humaine.
Du nom de l’hôtel, au déroulé de l’intrigue en passant par l’emprunt de la couverture de Brooklyn Folies, Ortiz multiplie les clins d’oeil au grand écrivain américain. Et s’aligne sur les mêmes obsessions : quête de la liberté, grands espaces, quotidien aliénant, variation autour de l’identité. Une certaine poésie aussi.
Le montage est travaillé et multiplie les focus sur les personnages. Hector n’est jamais présenté comme une personne. Ortiz choisit d’intégrer son absence dans les décors qu’il a côtoyé sans jamais le dessiner. Ou, quand il choisit de le faire, il le met en scène en pointillé sans qu’aucun trait distinctif ne nous permette de l’identifier.
A certains moments ces procédés narratifs ne sont pas sans rappeler le travail de David Mazzuchelli dans Cité de Verre, une graphique novel adapté d’un roman de Paul Auster !
Et comme Auster, Ortiz ouvre des parenthèses fascinantes d’intelligence sur l’historique de la crémation à travers les siècles.
De ses origines bibiliques liées au Phénix à l’obscurantisme religieux, des rives du Gange en passant par Auschwitz, Ortiz retrace avec humour et simplicité une histoire humaine sur un rite funéraire majeur de l’humanité.
Fidèle à la citation de Jules Renard : La mort des autres nous aide à vivre, voici nos amis portés eux mêmes comme les cendres par le vent,où l’irrémédiable fin rend finalement les choses plus légères, plus gaies, plus facile.
Ce point de vue résolument optimiste mais pas niais, Ortiz le communique à ses personnages jusqu’aux méchants, les jumeaux Smirnov qui peuvent rappeler le burlesque des rats garoux de Bone, une autre série irrésistible de simplicité et de joie de vivre.
Avec une fin superbe avec un coup de théâtre magnifique et un épilogue Austerien où Ortiz se met en scène en côtoyant nos amis qui lui inspirent le sujet du livre entre nos mains, on termine la lecture de ces Cendres ravi, plus intelligent qu’au départ et plus léger à l’arrivée…