Handicaps & Super-héroïsme – Entre clichés et inspirations. 

Focus : Handicap et super-héroïsme

SPECIAL GUEST : NICOLAS

1ère publication le 7/09/23- MAJ le 27/08/24

Depuis des années, nous nous tournons autour avec Nicolas auteur d’un blog souvent passionnant : Ecologeek/le cabinet des curiosités Marvel. Ce début de saison faisant le larron, nous lui tendons le micro pour un sujet passionnant qu’il maîtrise : Handicap et Super-Héros !

Corps parfaits, capacités hors du commun, véritables sur-humains, les personnages super-héroïques se sont imposés comme un archétype d’une humanité sublimée les plaçant au rang de divinités. 

Et si l’altérité et le handicap ont fini par trouver péniblement leur place dans ce panthéon, on peut dire que l’on revient de loin. 

Le Golden Age : Prejudices & Pride 

Moches et méchants 

Premier super-héros de comic-book, Superman devient le paragon du genre. L’un de ses premiers adversaires, l’Ultra-Humanite va également engendrer une longue lignée de savant fou en chaise roulante.(Action Comics # 13 – 1939) 

Il suit ainsi un modèle en opposition au « Kalos Kagathos », expression grecque signifiant littéralement « Bel et bon », où la laideur physique est associée la noirceur d’âme. Cet adage se retrouve dans certains légendes grecques où le handicap est une juste punition infligée après une faute. (Syndrome de Larunda

L’association se poursuivra dans la représentation des adversaires Allemands ou japonais. Elle sera même renforcée par les autorités qui, en période de pénurie de papier, accordaient des quotas de tirage plus importants plus l’ennemi était représenté monstrueusement et ainsi déshumanisé, l’exemple le plus connu étant le Crane Rouge

Un cas emblématique est le Armless Tigerman, véritable caricature raciste, saboteur nazi monstrueux, qui voue une haine contre les machines depuis qu’un accident du travail lui a fait perdre ses deux bras. (Marvel Mystery Comics #26 – 1941) 

A noter que la guerre n’est pas la seule responsable dans cette stigmatisation. Dès 1937, 30 états des USA sur les 50 ont voté des lois eugénistes imposant la stérilisation « aux personnes faibles d’esprits, aux criminels et aux handicapés ». On remarquera l’amalgame entre les criminels et handicapés. 

Handi mais pas trop 

Il faut attendre 1940 pour qu’on introduise un handicap sous un jour positif : Le Daredevil de Lev Gleason est en effet muet. Ayant assisté enfant à la mort de son père par des malfrats, puis marqué au fer rouge, Bart Hill perd l’usage de la parole. (Silver Streak #6 – 1940). Une particularité qui ne dure qu’un épisode puisque sans aucune explication, le héros est parlant au second numéro. 

D’autres héros, aveugles cette fois, lui emboitent le pas comme The Mask (Exciting Comics # 1 – 1940), Nightro ( Daredevil Comics #2 – 1941) ou Dr Mid-Nite (All-American Comics #25 – 1941). Une cécité de façade puisque les héros feignent d’être aveugles ou voient avec des lunettes spéciales. Le handicap ne sert ici qu’à des vagues capacités augmentées mais surtout à une couverture imparable : qui pourrait deviner qu’un aveugle soit un super-héros ? 

Même lorsqu’un non-voyant est à l’honneur, c’est son chien guide qui devient le vrai héro du titre comme dans Rex the seeing-eye Dog. (Choice Comics #2 – 1942).
Mais le comics le plus malaisant de cette période est sans doute le Yankee Doodle. En quelques cases, on montre 3 vétérans estropiés de la première guerre mondiale se sacrifiant pour donner naissance au Yankee Doodle. De quelle manière est-il créer ? Est-ce une sorte de monstre du Dr Frankenstein ou ont-il donné leurs organes pour qu’un héros plus jeune vive ? Rien n’est expliqué et il vaut presque mieux. Il ressort l’idée que 1 valide = 3 handicapés ou que la vie des vétérans estropiés n’est tout juste bonne qu’à fournir des pièces détachées. (Yankee Comics #1 – 1941) 

Captain Marvel Jr ou le syndrome de Tiresias  

Par sa durée et sa popularité, Captain Marvel Jr est le personnage handicapé qui bénéfice de la plus grande exposition durant le golden age. (Whiz Comics # 25 -1941) 

Blessé lors d’un combat entre Cap. Marvel (Shazam) et Captain Nazi, le héros lui partage ses pouvoirs pour sauver le jeune garçon. Freddy Freeman sera désormais Captain Marvel Jr mais gardera des séquelles : il est obligé de se déplacer avec une béquille à vie.  

Il s’inscrit ainsi dans la lignée des personnages « frappées d’un handicap » mais qui en contrepartie recevoir des facultés divines comme Tiresias. Ce personnage des légendes grecques devient aveugle en ayant vu Athena nue. En compensation, elle lui accorde le don de voyance. 

 Bien que visible, le handicap de Freddy n’est jamais vraiment évoqué dans la série. A cette époque, la vie privée des héros est réduite à une portion congrue.  Il faudra attendre la série « The Trials of Shazam! » en 2006 où Freddy avoue le ressentiment qu’il a envers Captain Marvel pour lui avoir en partie gâché sa vie. 

Dans la même veine, on peut rapidement citer le personnage mineur de Steel Fist qui perd son bras dans de l’acier en fusion lors d’un sabotage mais qui le récupère en version surpuissante grâce à « l’incarnation de l’esprit américain de la liberté » (sic). Une capacité qui préfigure l’ère des cyborgs à venir. (Blue Circle Comics #1 – 1944) 

Héros de guerre 

Si le conflit mondial a mis l’emphase sur la monstruosité du camp d’en face, le retour des soldats héros au pays oblige les auteurs à revoir leurs copies. Le handicap n’est plus une honte. Il est le symbole du sacrifice et du courage des combattants, en tout cas pour un temps. 

L’héroïne Black Venus aide les vétérans redonner un sens à leur vie. (Contact Comics 9 – 1945). On conte les exploits de héros réels comme l’aviateur Douglas Bader, double amputé des jambes, qui a continué à combattre dans son avion. (Pionneer Picture Stories – 1945).

L’histoire la plus réussie de cette phase est le numéro 27 de All Star Comics (1945) qui voit le retour au pays d’un soldat amputé d’un bras. Son petit frère, atteint de polio, a perdu l’usage de ses jambes et le regard de son ainé a changé à son égard. Il ne ressent plus de pitié pour lui, il va pas chercher à le ménager mais au contraire l’inciter à réaliser ses projets. Il fait donc appel à la Justice Society of America dont chacun des membres va parrainer un jeune en différentes situations de handicap. Prouvant que malgré certaines limites physiques, ils peuvent aussi accomplir de grandes choses face à l’ennemi. 

Si on passe sur l’idée d’amener des mineurs sur un champ de bataille, l’histoire est plutôt bien écrite pour l’époque et finit par une charte et une évocation de personnages historiques présentant un handicap comme Franklin D. Roosevelt, Beethoven, Helen Kenner ou Demosthenes 

Silver Age : Le handicap au premier plan ? 

Le concept de All Star Comics qui est repris presque à l’identique dans Justice League of America #36 en 1965 à la différence que les héros vont connaitre le même handicap que leur filleul durant l’aventure. D’avantage maladroit et validiste que son prédécesseur, le comics se limite au minimum syndical de la réflexion et ne prend même pas la peine de mettre à jour l’évocation des figures historiques. 

Loin des héros lisses et parfaits de la distinguée concurrence, dès 1961, Marvel va prendre le contrepied et introduire des personnages humanisés présentant des fêlures. Le handicap sert encore une fois de couverture et d’élément dramatique, les personnages ne sont sentant pas capables d’aller vers les autres de peur d’être éconduit notamment par l’être aimée. Mais il sert à la fois de talon d’Achile et de twist scénaristique pour résoudre une péripétie. 

Hulk et la Chose qui par leurs aspects sont craints et rejetés. Alicia Masters, la petite amie aveugle de Ben Grimm, Iron Man et sa faiblesse cardiaque, Don Blake alter-égo boiteux de Thor, Dr Strange dont les mains trop abimées ne lui permettent plus d’exercer, la figure du vétéran est toujours présente à travers Nick Fury et surtout Daredevil, le super-héros aveugle.  

Héritier d’une lignée de détectives aveugles présents depuis le XXème siècle, Daredevil (1964) va s’imposer comme le plus connu des héros à handicap. Au fil des années et des runs, l’importance de cette facette dans sa vie privée va devenir de plus en plus réaliste et précise. Bien sûr, son sens-radar compense la perte de la vue et il n’échappe pas aux clichés autour du super-aveugle mais sa longévité et son traitement en fond un personnage remarquable. 

Un an avant, sort le comics X-Men qui est vu comme une allégorie de la lutte pour les droits civiques des afro-américains puis de la communauté LGBT mais également de l’accueil du handicap et de l’altérité en général dans la société civile. 

Le professeur Xavier en tête, une bonne partie des X-Men doivent cacher leurs particularités physiques qui les rend uniques sous peine d’être rejetés voire lynchés comme des phénomènes de foire. 

Autre aspect déterminant, ils sont nés avec ces singularités. Il ne s’agit pas d’un accident, d’une punition, leurs mutations sont innées. Ils se placent dans le dernier modèle mythologique, celui d’Héphaïstos. Fils de Zeus, né sur l’Olympe mais rejeté à cause de son pied bot. Il devra faire la démonstration de ses talents de forgeron afin d’être autorisé à revenir au royaume divin : une injonction à se surpasser pour être à admis par les autres. 

Le Prof. X est un cas problématique car il retrouve et perd l’usage de ses jambes Xavier toutes les décennies. De facto, le traitement de son handicap galvaude toute sa pertinence d’autant qu’il n’a jamais vraiment étudié en profondément. On parle d’ailleurs de « fiction paraplegy » dans son cas comme dans d’autres, les douleurs, les problèmes de santé et les incontinences possibles n’étant tout simplement pas envisagées par des auteurs valides. 

Chez DC, un autre personnage en fauteuil dirige une équipe brisée par la vie dont l’insertion dans la population est quasi-impossible : la Doom patrol (1963) . Des années plus tard, Morrison poussera le concept jusqu’à son paroxysme en retconnant que le Chief est à l’origine des accidents des héro.ï.nes. En effet, avoir des personnages aux capacités si singulières étaient la seule solution à des menaces tout autant imprévisibles. 

Bronze Age : L’ère des persos augmentés réparés 

Dans les années 70’s, une nouvelle déclinaison sur le handicap émerge : les cyborgs.  Le succès du 6 millions dollars Man adapté du roman Cyborg de 1973 fuse aussi dans la bande-dessinée. 

On pense à Deathlok (1974), à Misty Knight dont le bras est pulvérisé lors d’un attentat (1er femme noire et handi en comics – 1975) mais également à … Human Fly ?!

 

Inspiré d’un personnage réel selon la promotion, il narre les aventures d’un homme ayant perdu sa famille suite à un accident de voiture. Il s’en sort mais au prix de plusieurs opérations et du remplacement de 70% de ses os par des prothèses métalliques. A sa sortie de l’hôpital, il décide d’être une source d’inspiration pour toutes les personnes en situation de handicap à commencer par sa propre équipe. Ainsi, un numéro sur deux, il visite des écoles spécialisées ou rencontre des quidams aux différents handicaps. On est proche du concept de All Star Comics sur le long terme. 

Human Fly est une curiosité mi-super-héros, mi-réaliste qui, bien que maladroit, est une première pour le genre. (The Human Fly #1-19 – 1977) 

Le tableau ne serait pas complet sans évoquer Cyborg dont le traitement sera plus nuancé. On comprend vite que le consentement de Victor Stone n’a pas été requis pour remplacer une grande partie de son corps par des prothèses. Même si sa vie était en jeu, Victor vit très mal sa transformation forcée pendant les premières années de sa création. (1980) 

Ironiquement les possibilités de la cybernétique ont tendance à invisibiliser le handicap pour très souvent être oublié des scénaristes.  

Modern Age : Handicap partout, progrès nulle part ? 

Les années 80’s et 90’s introduisent plus de diversité dans les origines et les pouvoirs que cela soit chez les héros où leurs entourages : 
-Les Teen Titans avec Jericho (muet) et Cyborg (1980) 
-Alpha Flight avec Puck (atteint de nanisme), Aurora (dédoublement de la personnalité) et Box (né sans membres inférieurs).(1983) 
– Mais encore Madame Web, Destiny, Blind Faith, BlindFold, Cassandra Craft (Aveugles mais voyant le futur comme les pythies), Harold Allnut muet et bossu, l’ingénieur de Batman qui dessinera la nouvelle armure pour Azraël (figure moderne du mythe d’Héphaïstos), Legion et ses multiples personnalités, Forge, Deathstroke, Nathan Lubensky, l’ami paraplégique de Tante May, Blind Al, l’amie aveugle de Deadpool, Silhouette, Volt, Becky Blake, Donovan Caine … 

Continuer cette liste à la Prévert n’aurait pas nécessairement d’intérêt d’autant que leur développement restera limité néanmoins, il montre la volonté et l’intérêt des scénaristes d’introduire plus de diversité même s’il s’agit parfois que d’un gimmick . 

On notera l’arrivée des personnages ou de relectures qui mettent en avant les handicaps cognitifs. Le succès de Rain Man et la vision simpliste de l’autisme n’y sont pas étrangers. Par exemple, le coté froid, détaché parfois autoritaire de Mr Fantastic couplé à ses capacités intellectuelles hors du commun est interprété comme un syndrome d’Asperger. 

Les personnages à multiples personnalités sont également assez présents : Aurora, Légion, Mary Typhoïd, Badger, Hulk, Moon Knight (4 personnalités) jusqu’à Crazy Jane (64 !) dans Doom Patrol. 

Malheureusement, il faut y voir au mieux un moyen d’expliquer des errements scénaristiques passés comme pour Moon Knight) et au pire un simple Deus Ex Machina permettant de sortir d’un péril par un nouveau pouvoir tout en surprenant le lecteur. 

Les plus grands héros sont aussi mis à l’épreuve pour une période longue à l’échelle du comics mais généralement limitée à une année (ce qui est déjà mieux que les plots one-shot des années 70) 

Tony Stark deviendra paraplégique avant de retrouver l’usage de ses jambes. L’occasion de s’apercevoir que les locaux de Stark n’étaient absolument pas accessibles.  

Wonder Woman deviendra aveugle. Flash restera bloqué en fauteuil avec deux jambes cassées. Bruce Wayne perd aussi l’usage de ses jambes dans l’Arc Knightfall. Aquaman perdra sa main durant une très longue période. 

La perte des pouvoirs est également présentée comme une forme d’amputation/handicap comme pour Storm et Angel chez les X-Men qui perdront leurs pouvoirs, tombant ainsi dans une dépression qui les poussera au bord du suicide. 

Les histoires qui en découleront seront plus ou moins réussies. Elles auront, a minima, eu le mérite d’évoquer le handicap et parfois ses conséquences quotidiennes. Mais leurs développements restent bien trop superficiels. Si on couple à ça la certitude du retour au statu quo; ces arcs laissent un gout d’inachevé voire d’amertume sur l’usage léger que l’on fait du handicap. 

Oracle : Miracle ou mirage ? 

Oracle failli être une exception à cette règle.  Dans the Killing Joke Après s’être fait tirée dessus par le Joker, violentée, humiliée et laissée paralysée, l’ex-Batgirl est abandonnée à son sort.  L’histoire n’était pas censée être en continuité mais devant l’engouement des lecteurs, DC l’intègrera à son univers principal. 

Barbara Gordon devient une nouvelle victime du syndrome « Women in refrigerator ». Alan Moore lui-même regrettera ce traitement.  

Il se passera un an avant qu’on réintroduise Barbara. Sous le nom de code d’Oracle, elle aide le gouvernement dans ces investigations. Elle finira par se révéler au grand jour pour devenir de nouveau membre important de la Bat-Family. Sa reconstruction mentale, physique et affective, sa ténacité, ses capacités intellectuelles au niveau de Batman vont progressivement lui conférer un statut de fan-Favorite aussi bien pour les valides que pour la communauté de fans en situation de handicap. Initialement prévu pour un rôle en retrait dans la série Bird Of Prey, elle finit par voler la vedette à Black Canary. Les auteurs/autrices avaient enfin réussi à intégrer intelligemment sa paraplégie comme quelque chose qui faisait partie d’elle sans pour autant la définir. 

Aussi quand DC reboote son univers « New 52 » en 2011 en lui rendant l’usage de ses jambes, c’est un choc parmi les fans qui voit un des rares personnages dans lequel ils pouvaient se projeter, effacée en claquement de doigt. 

Quelles pistes pour la suite ? 

Des exemples comme la série Hawkeye de 2014, qui présente de façon innovante sa surdité, prouvent que le comics de super-héros peut encore surprendre et intéresser le lecteur sans jouer sur le pathos ou le gimmick en mettre en scène intelligemment le handicap. 

Surdité que tout le monde avait oublié et qui datait de 1982. Une nouvelle preuve que les handicaps invisibles finissent par se perdre au fil des scénaristes. 

L’introduction d’Echo, l’héroïne sourde, a offert des moments particulièrement originaux et drôles dans la série Daredevil comme lorsque Matt et Maya Lopez vont au cinéma en s’expliquant le film pour compenser le sens manquant de l’autre. Même son récent passage au statut de Phoenix n’a pas effacée sa surdité. 

Le sort de Flash Thompson qui perd ses jambes suite à un attentat durant la guerre du Golfe offrira des numéros bien écrits, notamment un sur les différentes étapes de l’acceptation du handicap et du deuil en général. Sa fusion avec Venom le replongera malheureusement dans des écueils validistes connus. 

Les studios ne s’y sont pas trompés et n’ont pas eu à inventer des personnages pour inclure plus diversité avec l’agent De Suza, Freddy Freeman, Jericho, Hawkeye, Misty Knight ou Oracle. Plus surprenant, ils ont permis des réinventions totales comme War Machine, Bolivar Trask (X-Men) ou Makkari dans les Eternals 

Des propositions d’autant plus notables que les acteurs sont réellement handicapées. Les écrans réussiront-ils à représenter correctement le handicap là où les comics, à coup de loupés ou de fulgurance, tâtonnent depuis 80 ans ? 

Sources : 

  • Disabled Gods: A Critical Disability Studies. Analysis of Ancient Greek Myths – Haley R. Graham 
  • Not Superhero Accessible: The Temporal Stickiness of Disability in Superhero Comics Casey – M. Ratto 
  • A Case Study of Disabled Superheroes – Meredyd’s blog 
  • Uncanny Bodies: Superhero Comics and Disability –  Scott T. Smith 

La BO du jour

Un chanteur paraplégique légendaire

35 comments

  • Bruno :)  

    …! J’ignorais totalement la mésaventure de Robert Wiatt !! Quelle tristesse.
    Je l’ai découvert grâce à la reprise (somptueuse et, fatalement, plus facilement abordable pour l’habitué Pop que je suis…) par Rolland Orzabal du titre choisi pour illustrer l’article : ses mélodies réservent de sacrées surprises !
    Article très chouette, et plein de références ; mais, même si les différentes perceptions du handicap au sein des Comics, au travers des époques, ont forcément reflété l’opinion générale des populations, je ne suis pas sûr que les auteurs aient perçu en détail les limites de leurs mises en abîme du sujet et la véritable profondeur humaine représentée par celui-ci. Il ne s’agissait, comme pour le reste, que d’un gimmick plus ou moins riche de possibilités scénaristiques à exploiter : le médium est rarement plus qu’une distraction sans profondeur, et c’est véritablement la perception du lectorat qui crée la valeur -réelle ou imaginaire- des histoires.
    Malgré le fait que Thaddeus Tenterhook soit né bossu, Ciro Tota, après le premier cycle des aventures de Photonik, n’aborde que très rarement les conséquences psychologiques et sociales que sa différence impose au héro. L’auteur avoue n’avoir donné sa bosse au jeune homme qu’en souvenir d’un oncle qu’il aimait bien : cette particularité, qui force notre sympathie de facto pour le personnage, n’est qu’un détail caractéristique et, très honnêtement vis-à-vis du genre, Tota s’en tient là, sans chercher à exploiter éhontément le filon.
    J’ai souvenir sinon d’une histoire du grand Archie Goodwin, où un vétéran de la deuxième guerre mondiale, amputé des deux mains, prend la parole lors d’une cérémonie de remise de médailles, sensée récompenser son héroïsme au combat, pour fustiger les autorités qui dénient cet honneur au soldat qui s’est sacrifié pour lui sauver la vie, uniquement parce que la couleur de sa peau n’était pas conforme… Ici, l’infortune par trop voyante du héro se transforme en référence vis-à-vis d’ une toute autre forme de « handicap » imposé, poussant le lecteur à une appréhension plus profonde de sens même du mot.
    Du même auteur, on a aussi une très simple mais profonde exploration des mécanismes de sauvegarde de notre psyché pour échapper aux conséquences d’un handicap trop lourd à porter : jusqu’au bout, on croit avec l’héroïne de « La Nuit Où Willa Jane Gornley rentra Chez Elle » qu’un destin tel que le sien ne peut s’expliquer que par le fait qu’une terrible erreur a été commise, quelque part. Et si la fin de cette courte histoire parait renvoyer aux pires clichés « rationalisants » et réactionnaires cités dans l’article, le malentendu ne tient pas en face du trésor d’humanité représenté par la peinture faite par Goodwin de l’enfant en souffrance.
    Byrne n’a pas développé Roger Bochs dans Alpha Flight, et c’est bien dommage car, encore une fois, le personnage avait été créé sans laisser de doutes sur la manière dont l’auteur, fidèle à lui -même, pouvait le mettre en scène. Mais il présentera deux analyses de comportements aux antipodes, plus tard dans Next Men ; avec d’un côté David, devenu asocial et suicidaire à cause de son apparence physique inhumaine et Ignis, tout aussi incapable de se fondre dans la société mais qui préfèrera en expérimenter le vécu au travers des rapports affectifs des autres, sans interférer directement.
    Bien sûr, le genre du Super Héros offre une foultitude de possibilités à la mise en valeur de nos limites humaines tant la perfection (…) divine des personnages est quasiment impossible à éviter au sein des pages des Comics ; mais, le plus souvent, il ne s’agit vraiment que d’un élément-contraste à la magnificence promise derechef au lecteur lambda.
    Une démarche franchement critique et/ou froidement lucide sur le sujet semble bien compromise, à l’heure (l’ère !) où même les morts ressuscitent sans arrêt !!

    • JB  

      Avec Bill Mantlo, Bochs, en adoptant une apparence « normale » dans le sens compatible avec la norme (des jambes, perte de poids), devient inhumain d’abord dans le comportement, puis physiquement.

      • Bruno :)  

        Je n’ai lu de cette période que sa mort (particulièrement horrible !) aux « mains (!!) de Scramble/Oméga. Mais, en vérité, je n’ai fait que survoler sporadiquement la reprise de la série par Bill Mantlo, car ça m’a très vite semblé un jeu de massacre gratuit particulièrement grandiloquent.
        L’apparence physique de Roger Bochs avait quelque chose de poignant dans sa « vérité » sans concessions, en contraste avec tout l’univers des Super-Héros Marvel -ou autres. Même cet angle-ci, bien plus intéressant que la « simple » inhumanité radicale induite par l’aspect de personnages malgré tout « classiques » comme Isaac Christian (Gargoyle) ou même Hank Mc Coy (Beast), appuyait sur une autre forme de handicap (l’apparence), beaucoup plus superficiel dans son existence mais néanmoins très sérieux au niveau des conséquences car entièrement inféodé au jugement de l’autre.
        Il y a des millions de pistes qui demeurent inexploitées sur le sujet au sein de ces univers-là.

    • Bruce lit  

      La cécité de Daredevil est à mon sens ce qu’il y a de mieux exploité dans tout ce listing de personnages handicapés.
      J’irais même plus loin : on reconnait un bon run de DD à l’utilisation de son auteur du sens-radar. Il y a des scénaristes qui semblent avoir quasiment oublié que Matt est aveugle.

      • JB  

        J’aime bien les scènes dans le run de Nocenti où il tente de servir de mentor à un jeune ado, aveuglé comme lui par une substance toxique, mais sans le « bonus » d’un sens radar. Matt tente d’appliquer les méthodes de Stick mais a des difficultés à s’identifier aux problématiques d’un aveugle normal, sans sens augmenté.

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