BATMAN : MINUIT A GOTHAM, par Steve Niles et Kelley Jones
Un article de : TORNADO
VO : DC COMICS
VF : PANINI COMICS
1ère publication le 30/2019-MAJ le 30/10/22
BATMAN : MINUIT A GOTHAM est une maxi-série datant de 2008 et 2009, créée par les spécialistes de l’épouvante Steve Niles (scénario) et Kelley Jones (dessin), sur le principe très prisé depuis BATMAN : UN LONG HALLOWEEN de la saison, c’est-à-dire douze épisodes publiés sur une année.
Panini Comics a traduit la chose dans une édition souple en un seul volume depuis longtemps épuisé. Un recueil de feu leur collection DC Big Books au moment où la collection était passée au papier glacé de meilleure qualité. Pour espérer dénicher la chose aujourd’hui, il faut chercher du côté de l’occasion. Mais ce n’est pas une mince affaire car, apparemment, le bouquin a été édité à très peu d’exemplaires.
Le pitch : L’histoire rappelle celle du désormais classique BATMAN : SILENCE, avec le gros des ennemis de Batman lancé à ses trousses par un nouveau venu machiavélique qui, de son côté, arrache le cœur de ses victimes en se faisant appeler Minuit…
Mais la tonalité de cette série n’a rien à voir avec celle de Jeff Loeb et Jim Lee. Qui plus est, contrairement à un SILENCE noyé dans la continuité de l’univers DC, MINUIT A GOTHAM est une histoire auto-contenue se déroulant dans le passé du personnage (absence de Robin, Gordon ne connaissant pas encore l’identité de l’Homme chauve-souris, etc…). Elle est donc parfaitement accessible au néophyte.
Niles et Jones nous concoctent une histoire à l’ancienne, telle qu’à l’époque des comics d’épouvante comme on pouvait les lire les TOMB OF DRACULA de Marvel ou autres CREEPY, EERIE et VAMPIRELLA des magazines Warren. Une tonalité très premier degré, gorgée d’humour noir et de fantaisie, mais fort bien emballée (c’est-à-dire avec une narration moderne et percutante, très éloignée de celle, ampoulée, des comics 70’s auxquels elle fait référence).
On peut reprocher quelques défauts à l’ensemble : Un sentiment de redite par rapport à SILENCE, un premier degré parfois naïf et superficiel (bien évidemment volontaire), un dessin hypertrophié et peu réaliste (pourquoi Jones est-il incapable de donner deux fois la même tête à Bruce Wayne ?), ainsi qu’une énigme prévisible (encore que je ne suis pas forcément d’accord : c’était l’avis général des fans lors de la parution de l’album mais il m’aura fallu personnellement attendre le huitième épisode (sur douze quand même) pour me douter de l’identité de l’assassin, et le chapitre 55 (sur 56 !) pour en être certain…). Mais, au final, les qualités l’emportent haut la main !
Conceptuellement, MINUIT A GOTHAM est une pépite. Les références citées plus haut sont admirablement digérées par un duo d’auteurs qui nous régalent d’une histoire frissonnante comme quand on était petits (Scoubidou où es-tu ???), mais sans aucun infantilisme. On pense au duo Jeff Loeb/Tim Sale pour l’effet nostalgique, mais sans la modernité visuelle et la prose épurée. Niles et Jones préfèrent opter pour un classicisme référentiel. Une manière différente de donner dans la création postmoderne. Ainsi, les planches de MINUIT A GOTHAM regorgent de citations visuelles et sémantiques à tout un pan de la culture populaire horrifique qui viennent rappeler au sénior, à travers une sorte de nostalgie universelle, pourquoi il aime tant ce genre de lecture prétendument enfantine. Des plus évidentes (le moulin de SLEEPY HOLLOW, le combat Batman/Killercroc calqué sur celui de King Kong et du tyrannosaure dans le classique de la RKO) aux plus obscures (une cour nommée Hazel Court, actrice culte du cinéma d’épouvante des années 60 ; une église nommée Fredric Francis, allusion à Freddie Francis, grand chef opérateur et metteur en scène de plusieurs films d’horreur de la Hammer et de la Amicus), les auteurs nous promènent avec générosité et jubilation dans nos souvenirs et ravivent les frissons de notre enfance, tout en flattant notre culture d’adulte !
La partie graphique est le clou de la saga. J’adore Kelley Jones au point, éventuellement, de ne pas être objectif. Mais force est d’admirer le soin maniaque qu’il a déployé jusqu’au moindre détail pour nous plonger dans l’épouvante gothique des maîtres de la bd old school (on pense tout autant à Berni Wrightson qu’à Gene Colan) : Ses planches sont des modèles de composition baroque, qui pourraient être aussi belles en noir et blanc. Elles fourmillent de détails, d’ornements, et viennent parachever le voyage pour une ligne directe vers l’esprit de la nuit d’Halloween
Le bonhomme va à l’opposé du Batman réaliste comme on a pu le voir dans les adaptations cinématographiques de Christopher Nolan, contemporaines de la publication de la maxi-série. Il lui préfère et assume au contraire une approche très BD, dans le sens le plus populaire et le plus naïf du terme. Ses personnages sont donc volontairement hypertrophiés, ils prennent des poses improbables et réalisent des prouesses physiques impossibles. L’architecture des lieux, ultra-gothique, est rocambolesque, la batcave offre un décor dantesque et un déploiement technologique absolument irréalisable (surtout par deux hommes !), les costumes sont caricaturaux et invraisemblables (Batman se trimballe avec des oreilles de 50 cm et une cape d’au moins 8 mètres !). Mais il se dégage de ces images un merveilleux parfum de poésie naïvement macabre, avec juste ce qu’il faut de mauvais goût, faisant ainsi corps avec la candeur du sujet, telles les rimes au service de la prose.
Alors certes, MINUIT A GOTHAM est un simple divertissement. Loin de moi l’idée, en lui accolant près de cinq étoiles, de l’élever au rang des créations majeures de son médium. Mais dans son genre, à savoir une bonne petite histoire gentiment horrifique à lire un soir d’Halloween (soit exactement ce que j’ai fait !), gorgée de nostalgie et de références, il est juste… parfait !
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BO : Le titre original de MINUIT A GOTHAM, c’est GOTHAM AFTER MIDNIGHT. Presque comme dans la chanson de J.J. Cale.
Kelley Jones il a un style bien à lui hyper stylisé qui plaira…ou pas.
Moi j’aime bien mais je trouve qu’il en fait un peu trop avec la cape de 3km de Batman^^
Enfin quand même…pour faire classe, je veux bien. Mais sur le scan « Et sonnent les cloches… » on dirait 2 tapis enroulés les morceaux de sa cape. Là c’est plus très classe, ça semble juste hyper encombrant^^
C’est marrant que tu dises que SILENCE est noyé dans la continuité. C’était mon premier comics Batman et j’ai tout compris. Y’a plein de persos certes, mais avec comme background uniquement le dessin animé des années 90, j’ai pas eu de problème.
Bon sinon je n’ai pas lu ce minuit à Gotham, faute de savoir dans quelle édition le choper (ou alors il est devenu très cher ? je sais plus, mais j’avais lâché l’affaire)
J’aime énormément ce dessinateur ! Je pense faire craquer le petit cochon pour me prendre ce recueil.
J’ai beaucoup aimé ce bouquin, idéal pour celui qui veut lire un truc indépendant au parfum gothique…
je sus assez d’accord, en noir et blanc ça serait aussi bien, les couleurs sont flashy et pas terrible…
l’intrigue est en effet très similaire à SILENCE et ça peut gêner…
par contre j’adore le dessin, pas réaliste, plus dans l’idée de la réalité plus que la description de la réalité…
Steve Niles est un peu en mode automatique sans réél fulgurance dans le scénar,
C’est vraiment cool mais ça m’a laissé un goût de trop peu…
Bon, je me le note pour quand je le trouve un jour pour Batman. Je n’ai dû lire qu’une fois du Kelley Jones sur SANDMAN et c’était effectivement lugubre à souhait. Pourquoi pas ! (je n’en reviens pas les mecs, je LIS du Batman désormais !).
Un bémol qui pourrait m’arrêter : de Steve Niles, je n’ai jamais rien lu d’exceptionnel, à vrai dire, je l’ai toujours même trouvé un peu mauvais.
Scoubidou : en voilà, une belle idée d’article !
John Cale : tiens, je n’avais jamais écouté. D’habitude je goûte peu à ce genre de blues super décontracté, mais là, ça sonne super bien. Très beau son de guitare. Du coup je m’écoute ça depuis ce matin en tachant d’éviter de faire le rapprochement avec Mark Knoppfler qui s’en est beaucoup inspiré (Dire Straits et leur MONEY FOR NOTHING, c’est le mal !).
Pas gothique pour un sou mais voilà qui me donne envie de caler ça entre mes Neil Young. Et je sais que Christophe (le chanteur) est fan. Bien joué !
Alors c’est J.J. Cale. John Cale ça n’a absolument rien à voir (c’est un violoniste), si ce n’est qu’il joue sur un ou deux albums de Nick Drake dans mon souvenir.
De J.J. Cale je te conseillerais trois ou quatre albums : Naturally (dont est tiré After Midnight), Troubadour qui est mon album préféré, Shades et Grasshopper. J.J. était l’idole de Clapton qui a repris plusieurs de ses chansons (dont After Midnight) mais personnellement je préfère 100 fois les originales !
Il y a quelques temps je t’avais conseillé un album d’Andy Shauf (The Party), dans lequel plane un peu les atmosphères de J.J. Cale je trouve.
Ah oui, j’ai oublié un -J.
Aucun risque cependant que je le confonde avec le violoniste du Velvet et le producteur de Nico.
Clapton, ça refroidit tout de suite, je ne supporte pas sa voix. En fait j’aime quand il joue comme sur l’ost de Rush ou le solo de Waters.
Ah oui, idem pour Clapton. Les deux albums que tu cites sont les seuls que j’ai de/avec lui !
Merci pour cet article. J’avais adoré le run de Kelley Jones sur Détective comics et j’ai justement évoqué le sujet avec François Hercouet lors de la Comic Con. J’ai milité pour sa traduction dans son intégralité, ce à quoi il ne semblait pas opposé une fois trouvé le bon format. Assez bizarrement, je ne m’étais pas jeté sur ce recueil malgré la présence de Kelley Jones car je n’aime pas Niles et la colorisation me semblait gâcher les planches de Jones. Sans compter l’arnaque des softcovers Panini à 30 euros.
En novembre, bien que je déteste l’horrible concept du Mag Batman de 300 pages, je compte le prendre car il contiendra une mini-série illustrée par Jones
« bien que je déteste l’horrible concept du Mag Batman de 300 pages, je compte le prendre car il contiendra une mini-série illustrée par Jones »
ça devient à la mode ces machins on dirait. Panini a déjà sorti des mag énormes « marvel heroes » avec des séries completes dedans, notamment la She Hulk de Mariko Tamashi.
Je sens que je vais devenir customiser de livres moi. Tailler les pages qu’il faut et fabriquer des couvertures pour garder juste ce qui m’intéresse…
On est d’accord que ce n’est pas le scénario de Steve Niles, très bateau, qui fait l’intérêt de cette série, mais plutôt le concept gothique référentiel et bien évidemment la patte graphique. Bruce n’aimera pas je pense. Matt devrait adorer par contre.
Quand j’ai découvert Kelley Jones sur Batman, dans la revue « Batman Legend » de Semic, je n’avais pas du tout aimé son style. Mais les scénarios de Doug Moench étaient efficaces et bien foutus. Ils donnaient un petit goût de reviens-y.
Des années plus tard, après une indigestion d’events insipides côté Marvel comme DC, je goûtais bien davantage ces intrigues courtes avec la formule simple mais éprouvée du « vilain de l’histoire ». Et les exhubérances graphiques de Jones avaient fini par me parler, conférant une ambiance si particulière et plaçant les récits un peu hors du temps.
Lorsque les hardcovers Batman par Kelley Jones sont sortis il y a quelques années, je me suis jeté dessus. Et pour combler ma dose, guidé par ce commentaire de Tornado, vu sur la Zone, je suis parti en quête de ce Gotham After Midnight, que je n’ai déniché que en VO, avec un exemplaire totalement décrépi.
Je n’ai pas autant apprécié ce recueil par rapport au run de Detective Comics car l’encrage de John Beatty donnait plus d’impact au dessin de Jones et le scénar de Niles est plan-plan et moins fun que celui de Moench. Au final, c’est une maxi-série où Kelley Jones se fait plaisir avec ce qu’il aime faire mais l’histoire est trop faiblarde pour que je puisse relire le bouquin avec plaisir, autrement que pour admirer les délires visuels du dessinateur.
Tornado, merci pour un truc, c’est éclairage cinéphile sur ce bouquin, un point de vue qui me manquait forcément et qui rajoute quand même une petite épaisseur « méta » à l’ensemble…
100% d’accord avec ce superbe commentaire, bien meilleur que ce que j’aurais plus faire grâce à ta culture en films de référence.
Ce qui m’avait bien plu dans ce tome est que Kelley Jones s’est appliqué et cela se voit. Chaque exagération ou disproportion sert le dessin. Pour les décors, il a fait un effort de conception et le look rétrofuturiste de l’ordinateur de la batcave est une merveille visuelle. Les moyens de transports utilisés par Batman sont absolument et délicieusement improbables et délirants.
En 2019, il a réalisé une nouvelle minisérie avec un scénario de Scott Peterson : Batman: Kings of Fear, pas ma du tout non plus. Dans ma pile m’attend l’intégrale de Deadman avec des scénarios de Mike Baron, encore plus macabre.
Je viens de l’acquérir pour 20 euros sur le Bon coin suite à la lecture de l’article. Les gars, vous commencez à me coûter cher.
Merci de nous rappeler, via cette chronique, combien Steve Niles peut être agréable à lire. Ma relecture en VF – il y a quelques jours – de The Disciples m’avait laissé un goût amer, tout comme son remake de 30 days of Night. Quant à Kelley Jones, je suis tout aussi subjectif que toi et, contrairement à Matt, j’adore cette cape qui semble vivante…
Je me réjouis d’autant plus d’avoir acheté cet album à l’époque et de le conserver précieusement dans ma bibliothèque.
Voilà un article qui m’a étonné par sa « longueur », étant donné l’auteur de l’article ! Donc félicitations, Tornado, un article court tout en gardant sa richesse !
Ce n’est pas un comics que je l’ai lu, et je ne suis pas attirée plus que ça. De toute façon, cette semaine, je vais être la rabat-joie de service : je n’aime pas Halloween 😉 .
Cela ne m’a pas empêché d’apprécier la lecture de cet article !
Je n’avais jamais entendu parler de cette maxi-série. Je n’ai d’ailleurs jamais lu SILENCE. J’aime beaucoup les scans, ils sont très angoissants et la cape de Batman semblent faites de viscères et de tendons…
Si j’avais lu cette bd, sans tes précisions et ton article magnifiquement mis en parallèle avec beaucoup de références, je n’aurai sans doute jamais retrouvé les clins d’oeils : je n’ai pas du tout cette culture de ciné d’horreur, ni du ciné de quartier ! C’est là que ton article est très bon, en démontrant les liens et donc les intentions des auteurs.
J’adore réellement te lire quand tu sais être concis, érudit et pertinent comme ici… Ca me rend admiratif.
La BO : pas mon truc mais c’est sympa.
Très fan de Kelley Jones, dont le dessin foutraque et difforme est parfait pour ces ambiances (je me suis repris y a quelques années son run sur la regular Batman.
et cette maxi était bien fun (j’adore le moment où Bruce et Oliver, en costume, se croisent dans la foule)
Oui c’est plein d’easter eggs. Des petits détails qui font la plus-value de la chose en y revenant. C’est marrant : C’est une histoire premier dégré… à prendre au 2nd degré !
Je suis très étonné qu’Urban Comics n’ait pas encore capitalisé sur le run (regular, comme tu dis) Doug Moench/Kelley Jones. Du très bon matos, entre le old-school et le moderne, qui plairait sans doute à une grande majorité de fans du Caped.
Moi aussi j’aimerais bien… je suis preneur.