Goodbye, blue sky (Quand souffle le vent)

Quand souffle le vent de Raymond Briggs

Un article de BRUCE LIT

VO : PenguinGeneral

VF : Tanibis

Une tragédie sous-marine
©Tanibis

QUAND SOUFFLE LE VENT (‘WHEN THE WIND BLOWS) est une histoire complète écrite et dessinée par Raymond Briggs en 1982 et publiée en VF aux éditions Tanibis avec une traduction irréprochable de Patrick Marcel.

Alors qu’une attaque atomique est sur le point de dévaster l’Angleterre, deux retraités Jim et Hilda rivalisent d’optimisme et de tendresse face au cataclysme qui s’annonce. Obéissant scrupuleusement à une brochure gouvernementale qui leur fournit un didacticiel pour attendre l’arrivée de la bombe, le lecteur suit le quotidien champêtre de deux petits vieux persuadés que le gouvernement anglais gère cette crise de main de maître, que la guerre ne durera pas longtemps et qui succombent même à la nostalgie des bombardements de la seconde guerre mondiale au gré de l’évocation tragicomique de leurs souvenirs.

Un graphisme volontairement simpliste à apprivoiser.
©Tanibis

QUAND SOUFFLE LE VENT comme MAUS est une BD monumentale (et très courte : pas plus d’une cinquantaine de pages) dont le graphisme singulier peut rebuter au premier abord. Chaque page est constituée d’un gaufrier d’une trentaine de cases, maniaquement découpées par Briggs pour décrire le quotidien de Jim et Hilda.

Disposées en strip, cette ligne claire et ses vastes cartouches de textes n’ont rien de spectaculaires à lire ou à déchiffrer. Quant aux couleurs, la postface précise la minutie avec laquelle Briggs a apposé aquarelles et crayons de couleurs.

QUAND SOUFFLE LE VENT est une BD existentialiste qui, de par son manque d’action assumé, vient réveiller notre rapport au temps. Il ne fait aucun doute que nos deux retraités se bercent d’illusions et que le lecteur partage leurs derniers moments.

Une anecdote qui a incité Briggs à écrire cette histoire : la brochure gouvernementale pour survivre à une explosion atomique !
©Tanibis

Jim et Hilda, sont deux fourmis dans l’infiniment petit des victimes d’une guerre. Ils ne vont être ni torturés, violés ou violentés. QUAND SOUFFLE LE VENT montre au contraire une fin de monde indicible, muette, sans hystérie ni départ sur les routes de réfugiés ou déportés. Leurs vies si pleine de détails et d’anecdotes vont être soufflées par l’atome comme des bougies, des bougies réduites à néant.

Beaucoup de BD s’inspirent du cinéma et inversement. QUAND SOUFFLE LE VENT serait davantage du théâtre (on pense beaucoup à Beckett) sur lequel Briggs peint la personnalité de ses personnages, parvient à leur donner une âme avant de les détruire. C’est une peinture non seulement de deux personnages singulièrement attachants mais aussi de la mentalité anglaise et de sa vie à la campagne, celle décrite par Roger Waters dans la chanson TIME : s’ancrer dans ce désespoir britannique si paisible.

Un décor champêtre et paisible, loin de l’apocalypse à venir.
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Jim et Hilda ne remettent jamais en cause les consignes les plus ahurissantes de leur guide survivaliste ; non pas par manque d’intelligence mais par bonté d’âme et foi en les valeurs démocratiques d’un pays qu’ils constituent de toute leur essence. C’est cette tragédie que QUAND SOUFFLE LE VENT met en scène : cette indicible horreur de l’anéantissement, impossible à concevoir qui permet à ces pauvres petits vieux de croire qu’ils survivront en se cachant sous des portes réaménagées en abris de fortune.

Jim et Hilda, comme des moutons à l’abattoir (un autre concept de Waters) creusent littéralement leur propre tombe au sein de leur maison, avec la même logique que le Pangloss de Voltaire : à chaque hécatombe, il est certain que tout va s’arranger et que le gouvernement œuvre au rétablissement de la situation.
Jim et Hilda deviennent les derniers vestiges de notre humanité : cette civilisation bâtie sur le langage, la dialectique et sur les certitudes naïves face au calme de la bombe et des sous marins qui eux, apparaissent silencieusement en pleine page lorsque le lecteur s’y attend le moins.

Des pleines pages muettes et effroyables.
©Tanibis

La crise du COVID l’a montré : en cas de crise, la croyance en un gouvernement qui multiplie mensonges, contrevérités et approximations tient du sacerdoce, celui du bon citoyen affairé à son quotidien loin des enjeux géopolitiques qui le dépasse. Quant aux conflits en Ukraine et en Palestine, voilà des mois qu’ils ravivent le spectre d’un holocauste nucléaire alimenté par des fondamentalistes, des terroristes et des démocraties promptes à succomber aux extrémistes.

QUAND SOUFFLE LE VENT est bien entendu un album qui ravira les fans de Roger Waters avec ces dissertations autour de l’aliénation du rêve d’après guerre. Il existe même une bande originale que le bassiste du Floyd composa pour l’animé du même nom dans les années 80. Une BD qui au delà de son rôle d’alerte générale sur l’horloge de l’apocalypse, rappelle à quel point la vie est fragile et précieuse.
Maman, tu crois qu’il vont la lâcher, la bombe ?

Le film des années 80.

LA BO du jour :


23 comments

  • JP Nguyen  

    D’un côté, on peut se réjouir que l’apocalypse nucléaire n’ait pas encore eu lieu.
    De l’autre, on peut noter qu’il risque de se faire coiffer au poteau par un concurrent, le changement climatique, moins rapide dans son action mais quand même très destructeur…
    La BD présentée dans cet article semble avoir des qualités. En me lançant dans la lecture d’une planche, je parviens à passer outre le graphisme. Cependant, vu le sujet, merci mais non merci.
    On est en novembre, il fait gris et il pleut, je vais chercher autre chose qu’un champignon atomique pour éclairer ma journée…

    • Bruce Lit  

      Je t’invite à relire le DD de Nocenti, avec l’épisode consacré au petit Lance… 😉

      • Bruno :)  

        Oh le sadique !

  • Tornado  

    Je connaissais surtout l’album (la BO du film d’animation), et un peu le film par procuration (je n’en ai vu que des extraits), mais absolument pas la BD, au point que je ne savais même pas que tout venait de là…
    Je suis étonné et un poil frustré que tu ne dissertes pas sur le rapport entre les trois versions (BD/film/album), du coup ^^. Voilà qui aurait été une bonne occasion de parler un peu musique à partir d’un album de BD.
    L’album est pour moi le plus sous-estimé de Waters et je le trouve magnifique. Je parle de son album dans l’album, pas des autres chansons de Bowie, des Stranglers ou de Genesis qui sont insipides. Après, c’est très compliqué parce que la chose a été longtemps inédite, cantonnée à une vieille version vinyle introuvable. Et du coup on a glané sur le net des enregistrements pirates avec moult versions alternatives, des medleys et des démos dans tous les coins. À l’arrivée ça me fait bizarre d’écouter la version originale d’une traite, comme ça aujourd’hui !

    Pour la BD, nul doute que ce soit très bien. Mais bon… Faudrait déjà qu’un jour je me décide à lire MAUS… Mais comme JP le relève, ce sont des sujets qui ne s’imposent pas tellement en matière de divertissement…

    • Bruce Lit  

      Le film : je ne l’ai jamais vu. Il a dû passer sur ARTE sans que je m’y intéresse plus que ça.
      Tout bonnement parce que je trouve que c’est le moment où Waters est au point mort de sa carrière et que l’OST est très mauvaise, les titres qu’il signe étant les moins pires.
      Je pense que le CD mériterait d’être réédité, par contre, ça oui.

      • Tornado  

        Je pense exactement l’inverse pour la carrière de Waters : THE PROS & CONS et WHEN THE WIND BLOWS sont (de loin) mes deux albums solos préférés (ils sont vraiment dans la lignée de THE FINAL CUT musicalement). Ensuite je n’aime plus du tout, sauf le tout dernier.
        Je trouve d’ailleurs que la cantonade sous-estime ces deux premiers albums (je parle niveau musique/émotion, pas niveau contenu/texte).

  • Présence  

    Une BD dont je n’avais jamais entendu parler : merci pour cette découverte. Ah mais non, suis-je bête on en a discuté sur les réseaux. 😀 Du coup, je suis encore plus curieux de découvrir ce dont il retourne.

    Un gaufrier d’une trentaine de cases : un format inhabituel.

    Le Pangloss de Voltaire : à chaque hécatombe, il est certain que tout va s’arranger et que le gouvernement œuvre au rétablissement de la situation. – Une autre coïncidence, j’ai croisé une mention de sa philosophie dans une bande dessinée ce mois-ci.

    Pangloss – Il est démontrable, dit-il, que les choses ne peuvent pas être autrement que ce qu’elles sont ; car tout étant créé pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin.

    Synchronicité quand tu nous tiens : un article qui croise une discussion sur les réseaux, et la réminiscence du risque de guerre nucléaire, évoquée avec Bruno sur un autre article.

    • Bruce Lit  

      J’ai lu CANDIDE en troisième, A l’époque, ma prof de français nous dépeignait Pangloss comme un parfait abruti. Peut-être qu’avec l’âge, une deuxième lecture me le ferait apparaître comme plus nuancé.

      • Présence  

        Après un passage sur wikipedia, la philosophie de Pangloss est une critique de celle de Liebnitz.

        radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-malheur-des-uns/pangloss-ou-l-evolution-de-candide-2978379

        wikipedia.org/wiki/Candide#Pangloss

        Le raisonnement de Pangloss repose également sur une erreur logique, un contresens de la théorie de l’évolution.

        L’optimisme de Pangloss repose sur l’erreur logique du raisonnement circulaire : la même proposition apparaît à la fois comme prémisse (le volcan de Lisbonne ne pourrait se trouver ailleurs qu’à Lisbonne) et comme conclusion (Lisbonne est le meilleur endroit possible pour le volcan).

        sparknotes.com/lit/candide/quotes/character/pangloss/#:~:text=Pangloss%27s%20optimism%20relies%20on%20the,possible%20spot%20for%20the%20volcano.

  • JB  

    Je pense que je vais essayer de me trouver ça, le sujet m’intéresse ! Le trait volontairement rétro, qui m’évoque un peu les bandes dessinées de la fin du XIXe ou du début du XXe comme Le Sapeur Camembert ou La Famille Fenouillard, s’oppose dramatiquement à la page des bombardiers (?) en approche.
    Par contre, j’ai l’impression que l’on est passé en prêt d’un demi-siècle de l’optimisme aveugle du « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » de Pangloss à un fatalisme résigné du type « ce qui doit arriver arrivera ». Pour moi, on a remplacé la confiance dans le gouvernement par un cynisme complet… pour un résultat absolument identique !

  • Bruce Lit  

    Je n’ai jamais entendu parler de SENTEUR CAMEMBERT.
    « Pour moi, on a remplacé la confiance dans le gouvernement par un cynisme complet… pour un résultat absolument identique ! » J’aime beaucoup cette remarque qui rappelle que malgré notre intelligence, notre culture et notre vécu, les idéologies politiques quelques soient leurs idéaux, broient les individus et sont des entonnoirs à toutes les simplifications.

  • zen arcade  

    Merci pour l’article qui attire mon attention sur une bande-dessinée que je ne connaissais pas et qui m’intéresse beaucoup.

    Un petit correctif en passant :
    « QUAND SOUFFLE LE VENT (‘WHEN THE WIND BLOWS) est une histoire complète écrite et dessinée par Raymond Briggs en 1982 et publiée pour la première fois en VFaux éditions Tanibis avec une traduction irréprochable de Patrick Marcel. »

    C’est un détail mais « Quand souffle le vent » avait déjà bénéficié d’une édition française en 1983.

    • Bruce Lit  

      Salut Zen.
      Oui, Antone Ozanam vient de me le signaler également : l’album est effectivement sorti aux Editions Garnier – La Marelle (dont je n’avais jamais entendu parler).

  • Jyrille  

    Merci Bruce pour cette oeuvre dont je n’avais jamais entendu parler. Ni de la bd, ni du dessin animé ni de sa musique. J’en suis très étonné je te l’avoue, cela aurait dû m’arriver à un moment ou un autre.

    « un gaufrier d’une trentaine de cases, maniaquement découpées » Ceci et les extraits que tu mets en exemple rappellent fortement Chris Ware.

    J’ai tout de même le sentiment que cette bd est datée par son sujet. Aujourd’hui, les gens qui croient aveuglément aux gouvernements me semblent minoritaires, et cette peur du nucléaire, bien que toujours existante, n’a plus la naïveté de l’époque (je ne me remettrai jamais de Tchernobyl, même nos profs rigolaient quand ils nous en parlaient en classe).

    Cela dit, je suis certain que ce doit être une belle oeuvre, ton article enflammé en est la preuve. Mais comme je ne suis pas du tout client de Waters, je ne tenterai pas.

    La BO : décidément, Roger Waters, c’est non pour moi.

    • Bruce Lit  

      Oui, tu as raison sur la croyance en les gouvernements.
      Une petite nuance : nos amis sont des personnes âgées comme je le mentionne dans l’article, qui incarnent la croyance en un gouvernement et ses valeurs. Leur mort à la fin de l’album sonne le glas pour le meilleur et pour le pire, de la croyance en la démocratie.

  • Jyrille  

    Ah et sinon, je viens de l’apprendre, mais voici une BO alternative qui est d’actualité : la chanson la plus mystérieuse d’internet, surnommée Like the Wind ou Blind the Wind a été identifiée il y a une semaine, il s’agit d’un groupe allemand nommé FEX.

    wikipedia.org/wiki/Subways_of_Your_Mind

  • Bruno :)  

    Bizarrement -car je ne sais pas d’où m’est parvenue l’information ?!-, j’ai l’impression d’avoir toujours connu l’existence de cet ouvrage : ça remonte aux années quatre-vingt. Peut-être Les Enfants Du Rock, rapport à la chanson de Bowie ?! Il me semble qu’il y a du y avoir un clip vidéo avec ces images, pour « Wild Is The Wind ».
    Daté ou pas, ce graphisme spécifique ne peut qu’appuyer la puissance du propos -comme le « naïf » affiché de l’esthétique du film Animé :  » Le Tombeau Des Lucioles ».
    Nécessaire et imparable, donc ; et probablement insoutenable, pour moi.

    • Bruce Lit  

      LE TOMBEAU DES LUCIOLES reste effectivement le mètre étalon dans la littérature atomique même si j’aime l’idée que ces œuvres se focalisent sur les deux âges extrêmes : l’enfance et la vieillesse.

      • Eddy Vanleffe  

        POur ce qui est du « Pika-Don », j’ai été trè marqué par le film Pluie Noire et surtout le manga-ainsi que l’auto bio-GEN D’HIROSHIMA. valeure sûre et puissante sur le sujet.

  • Ludovic  

    Ca fait longtemps que j’entends parler de cette oeuvre et cette nouvelle édition me tente bien !

    Les britanniques semblent particulièrement doués dans le domaine de la fiction post-atomique et dans les années 80, ca devait etre la grosse poilade pour le spectateur anglais: en 1984 est aussi diffusé le téléfilm THREADS qui décrit par le menu l’anéantissement du pays suite à un bombardement nucléaire, le film est paraît-il dans la même tonalité que la BD de Briggs et son adaptation: aucun espoir possible.
    Il faudrait que je le voie un jour !

  • Fusain  

    Les éditions Tanibis sont encore à l’honneur chez Bruce avec du patrimonial anti-atomique. Ce serait intéressant d’aller faire un tour à.Villeurbanne pour rencontrer des éditeurs inspirés.
    Je ne connaissais pas cette bd mais Raymond Briggs et son dessin rond, plein de détails et très coloré oui. C’est un auteur et illustrateur jeunesse célèbre autant que Tomi Ungerer chez nous ou Maurice Sendak aux Etats-Unis.
    Les vacances du sacré père Noël font partie des albums que ma mère m’a lu dans ma jeunesse et que j’ai lu à mes enfants ainsi que Le bonhomme de neige.
    Souffle le vent c’est aussi une chanson très réussi du trio bordelais Odezenne, qui réussi la gageure d’être triste et entraînante tant dans les paroles que dans la musique.
    « L’amour d’ma mère
    Ça m’suffit pas
    J’voudrais qu’elle aime la terre entiére… »
    Bref, je suis loin du jour dernier et de l’inquiétude de la Bombe, mais je sens que je serai plein d’affection pour Jim et Hilda, qui font n’importe quoi avec confiance.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonsoir.

    Je découvre cette oeuvre et ton article va m’inciter à me pencher très sérieusement à me la procurer.

    Une bd qui semble majeur, exactement ce que j’ai envie d’avoir dans ma bibliothèque.

    Un des meilleurs articles que j’ai lu cette année sur la blog.

    Ta dernière phrase fait peur.

    • Bruce Lit  

      Merci, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas lancé dans un article avec autant d’énergie.
      La dernière phrase est de Roger Waters sur THE WALL, chanson : Mother.

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