Sex criminals 1 – One weird trick par Matt Fraction et Chip Zdarsky
AUTEUR : PRÉSENCE
Ce tome est le premier d’une série indépendante de toute autre.
Il contient les épisodes 1 à 5 initialement, parus chez Image en 2013/2014, écrits par Matt Fraction, dessiné et encré par Chip Zdarsky, mis en couleurs par Becka Kinzie, Christopher Sebella et Zdarsky.
Le premier épisode permet de faire connaissance avec Suzanne, une jeune femme entre 25 et 30 ans.
Les différentes séquences la montrent à des âges différents, à des moments importants de sa vie, dans lesquels elle apparaît également en tant qu’adulte qui commente ce que fait son moi plus jeune, offrant ainsi des réflexions rendues savoureuses par le fait qu’elle connaît les conséquences de ces moments.
Suzie a éprouvé son premier orgasme sexuel alors qu’elle prenait un bain. Il a fallu plusieurs années pour comprendre que l’arrêt de l’écoulement du temps pendant une certaine durée est un phénomène qui n’a rien de normal et qui ne se produit pas pour d’autres personnes.
Dans le deuxième épisode, elle rencontre Jonathan, un jeune homme de son âge, qui déclenche le même phénomène au moment de l’orgasme. Après la jouissance, tout est figé dans le temps autour de lui, mais lui peut encore se mouvoir et agir normalement. Suzanne travaille pour une bibliothèque qui va devoir fermer pour des raisons économiques. Jonathan lui propose d’utiliser leur extraordinaire capacité pour voler de l’argent afin de sauver le fond de la bibliothèque.
Ce tome commence avec Suzanne et Jonathan en train de faire l’amour dans les toilettes publiques d’un lieu indéterminé. Dès cette première séquence, les auteurs montrent qu’ils ne plaisantent pas avec leur titre : il sera réellement question de relations sexuelles, en acte comme en parole. Ils adoptent une narration relativement peu explicite d’un point de vue visuel. Il s’agit plus d’érotisme soft que de pornographie.
Il n’y a pas de doute sur ce que font les personnages, mais il n’y a pas de gros plan de pénétration, très peu de dessin d’organe sexuel (moins d’une demi-douzaine, et plus d’homme que de femme), une ou 2 poitrines féminines à l’air, et un peu plus de fesses. Il n’y a donc pas vraiment de quoi se rincer l’œil, ce n’est pas une bande dessinée que l’on lit d’une seule main. Le corps de la femme n’est donc que rarement réduit à un simple objet du désir, et moins de fois que celui de l’homme.
Pourtant la sexualité est bel et bien abordée, et de manière graphique. Fraction évoque la découverte du plaisir sexuel par Suzanne dans son bain, Zdarsky montre le filet d’eau chaude dans une chaude lumière reliant ainsi l’écoulement des fluides. L’une des premières fois où Jonathan éjacule, il contemple ses gouttes de sperme figées dans l’air (le temps s’étant arrêté).
À plusieurs reprises, l’histoire amène les personnages à déambuler dans un sex-shop (au nom certainement réprouvé par les critères de bienséance Cumworld), les dessins montrant dans le détail tous les types d’articles (du vibromasseur à une vaginette, en passant par les menottes).
D’un point de visuel, ce tome est un vrai régal, très agréable à l’œil. Chip Zdarsky réalise des planches comportant une moyenne de 8 cases par page, ce qui est un nombre assez élevé pour des comics. Il dessine de manière réaliste, avec de nombreux détails, et la présence d’arrières plans dans plus 3 cases sur 4. Il réalise lui-même les couleurs, avec l’aide d’assistants qui lui délimitent chaque zone bénéficiant d’une couleur particulière. Il adapte sa palette à chaque objet, sans chercher à donner une couleur dominante par séquence.
Il utilise régulièrement des couleurs vives et gaies, sans transformer ses planches en pages pour enfants en bas âge. Dans 2 pages en fin de tome, il explique le processus de la mise en couleur, en commençant par des aplats uniformes, puis en ajoutant des effets spéciaux, en particulier lors des suspensions de temps.
De scène en scène, le lecteur découvre toute l’étendue du talent de Zdarsky. S’il prend soin de décrire minutieusement l’environnement de chaque scène, il ne surcharge pas ses cases. Il introduit également une forme de légère exagération dans les expressions des visages, ou de simplification (telle qu’un simple trait pour figurer 2 lèvres pincées).
De ce fait, ses personnages sont très expressifs, sans en devenir caricaturaux, leur ajoutant ainsi un degré de vitalité, les rendant plus plaisant. Le lecteur plonge donc dans un récit d’une grande richesse visuelle, entièrement au service de la narration, jamais juste pour épater les mirettes.
Matt Fraction entame son récit avec une situation périlleuse pour les 2 personnages principaux, afin d’être sûr d’accrocher le lecteur par la promesse d’un peu d’action. Les 3 premiers épisodes sont essentiellement consacrés à l’histoire personnelle de Suzie, puis celle de Jonathan, puis des débuts de leur relation.
Matt Fraction raconte avec franchise et une forme de candeur sans pudeur ni niaiserie, leur découverte de la sexualité (leur première fois en solitaire), puis leur découverte de leur capacité singulière (ce qui n’a rien d’évident de demander à quelqu’un si le temps s’arrête pour lui juste après la jouissance). Le dispositif narratif consistant à faire commenter leur souvenir respectivement par Suzie et Jonathan, introduit un regard adulte et bienveillant sur ces événements.
Outre la tension née de la connaissance de cette situation périlleuse qui attend les 2 personnages principaux dans le futur, la narration de Fraction dépasse le simple cadre d’une sitcom. Pour commencer les dessins de Zdarsky crée une réalité riche et attractive, équivalente à une sitcom au budget illimité (presque un oxymore). Fraction utilise un ton léger, intègre différentes formes d’humour (des taquineries verbales, à une relation intime à la saveur dérisoire du fait du fond sonore, à savoir un CD d’ Esteban, un guitariste américain), manie avec dextérité les provocations (inoubliables furetages dans le sex-shop), et ajoute un zeste de culture.
Suzie raconte une blague relative à Thomas Pynchon (par exemple Vice caché). Jonathan cite le texte de Lolita de Vladimir Nabokov. Enfin, il manie avec habilité des formes de style élaborées. Par exemple, lorsque Suzie chante Fat bottomed girls de Queen (extrait de l’album Jazz), il y a des post-it sur les phylactères. Dessus, Fraction explique qu’ils n’ont pas obtenu le droit d’utiliser les paroles (cela rappelle des expérimentations narratives de même nature qu’il avait réalisées dans Gula, le tome 2 de Casanova).
Lors des 2 derniers épisodes, Suzie et Jonathan mettent en œuvre leur projet de cambriolage, ce qui les met face à une certaine Kegel, l’action reprend ses droits, sans que le récit perde en humour. Le temps passé à apprendre à connaître Suzie et Jonathan induit une empathie totale pour eux et pour la réussite de leur projet.
Le titre de ce tome est entièrement exact. Matt Fraction et Chip Zdarsky présentent au lecteur un couple ayant une vie sexuelle bien remplie et s’apprêtant à commettre un crime. De plus ils ont la capacité l’un et l’autre de réaliser un truc bizarre (weird trick). Zdarsky réalise des dessins à l’apparence mignonne et séduisante, sans rien sacrifier des détails ou de l’expressivité des personnages. Fraction embarque le lecteur dans une comédie traitant de vie sexuelle de manière franche et décomplexée, sans voyeurisme malsain ou complaisant.
Petit vicelard !! Moi qui ait vomi sur Fraction et ses X-Men, tu as réussi à me convertir à son Iron Man ! Et maintenant, cette série que j’ai bien envie de tenter !
Les couleurs sont splendides ! J’adore le découpage de la planche Nabokov et le thème a l’air intéressant !
Une sortie française ?
Et je maintiens que ses Xmen puent de la gueule…
Il me semble que Urban s’est battu pour récupérer Les Projets Manhattan à Delcourt. Peut-être une parution chez eux ? C’est un flemme honteuse puisque je lis en anglais…
Une fois n’est pas coutume : Les scans ne me font pas envie. je suis devenu allergique aux comics qui sont dessinés avec un style humoristique ou cartoony. même si effectivement les couleurs sont magnifiques.
Je me méfie beaucoup de Fraction mais l’article de Présence me donnerait presque envie d’essayer. Mais, je sais pas, y’a un truc qui me retient. J’arrive pas trop à mettre le doigt dessus…
Concernant l’idée comme quoi les super-héros sont un genre spécifique au comics, autant je comprends l’idée, autant je me dis que c’est plus un constat vis à vis de la production qu’une limite inhérente au genre.
Déjà, il y a bien certains mangas qui touchaient aux super-héros, non ? Et les Sentai, c’est un peu pareil aussi ? (identité secrète, costume).
Je ferais bien un parallèle entre le genre Super-héros et le Western. Ce sont les américains qui en ont fait le plus et le mieux parce que ça parle de leur histoire et que ça se passe chez eux mais il ne serait pas impossible qu’un européen fasse aussi bien. Les comics de Super-héros n’ont peut-être pas encore trouvé leur Sergio Leone. Un frenchie peut-être ? Après le Western Spaghetti, le Comics baguette ?
Encore une fois, Présence, tu me donnes envie au sujet de Fraction (après Casanova que je n’ai toujours pas acquis). Même si comme Tornado je me méfie des scans et je trouve la couleur assez laide (je n’aime pas trop les effets spéciaux…) mais le tout reste attirant, ne serait-ce que par l’originalité du sujet.
Quant aux thèmes spécifiques, je ne connais pas de Western faits en bd par les américains… A part les vieilles éditions genre Zimbra ! (un truc comme ça ?). Blueberry, c’est indispensable. Je trouve également qu’un super-héros français, ça ne colle pas. Les tentatives deviennent souvent des parodies (Superdupont…).
J’ai découvert la face expérimentale et ludique de Matt Fraction avec sa série Casanova : 2 tomes en VF (publiés par Urban), 3 tomes en VO.
@Loane : Je pense que présence garde pour lui ses commentaires les + hot ! C’est injuste !! Les fêtes foraines existent encore en plein mois de novembre ??
Un de mes commentaires les + hot est sur ce site (et il a été pimenté par des images soigneusement sélectionnées par Bruce) :
http://www.brucetringale.com/voyage-onirique-et-erotique/
Pour l’instant, la seule chose que j’ai aimé de Matt fraction, c’est « Iron Man ». J’ai cordialement détesté son « Hawkeye » qui a déclenché l’hystérie collective l’année dernière…
Pour l’instant, je n’ai lu que Fear Itself, en VO de Matt Fraction, et j’ai trouvé ça gentil… Le dessin était sympa. Bon, c’est un travail de commande je crois, je suis prêt à lui redonner plusieurs chances.
Ca y est je l’ai lu ! Et bien c’est une agréable surprise. Ce n’est pas une énorme claque, et je confirme que je ne suis pas fan du dessin, enfin surtout des effets spéciaux, mais malgré tout elle attire immédiatement la sympathie et on a de l’empathie avec les personnages. Et puis c’est drôle et original. Il y a un peu de Craig Thompson dans la manière de raconter le passé, les erreurs, les jeunes années. Je ne suis pas toujours convaincu par les effets narratifs comme lorsqu’on nous dit que nous sommes dans une bd, mais pour les paroles de Fat Bottomed Girls, ça marche.
Je l’ai lu et n’en garde aucun souvenir ! Aucun !
Si ce n’est que la personnalité des deux héros m’était sorti par les yeux et que le côté clinquant de l’écriture de Fraction m’avait comme souvent immédiatement rebuté.
Oui j’ai vu au-dessus. Sans doute que ce n’est pas parlant pour toi car tu n’as pas eu d’empathie avec les personnages. C’est un peu la base, sans ça, l’histoire a un intérêt limité, pas étonnant que tu l’aies oubliée.