La vérité sur l’affaire Vivès, de Bastien Vivès
Un article de PRESENCEVF : Charlotte éditions
L’auteur au travail tourne le dos au public © Charlotte éditions
Ce tome contient une suite de vingt-trois scénettes consacrées à l’auteur ou à son avatar. Sa première publication date de 2024. Il a été réalisé par Bastien Vivès. Il comporte cent-cinquante-six pages de bande dessinée, en noir & blanc. Il révèle toute sa saveur si le lecteur est conscient des accusations d’apologie de pédocriminalité qui ont été portées contre l’auteur à partir du début des années 2010 (en particulier contre Les melons de la colère, 2011, La décharge mentale, 2018, Petit Paul, 2018), et l’annulation de l’exposition Carte blanche au festival international de bande dessinée 2023 à Angoulême.
Depuis la rive droite, Bastien admire le quartier de Beaugrenelle de l’autre côté de la Seine, en tenant la poussette d’une main. Le journaliste venu pour l’interviewer arrive avec un peu de retard, et il présente ses excuses : c’est parce qu’il travaille de l’autre côté de Paris. Bastien attire son attention sur Beaugrenelle et lui explique que quand il a commencé la BD, il n’y avait rien ici, que des champs de patates tenus par de vieux Irlandais… et aujourd’hui c’est le futur de Paris. Il continue : ce sont leurs pères et leurs pères à eux qui ont fait sortir de la terre ces mastodontes. Il ajoute : N’empêche que la pédopornographie ça a toujours été la Rolls Royce de l’humour, tout comme les prouts et les blagues belges. Le journaliste lui fait observer que les Belges ont toujours détesté la condescendance des Français avec leurs blagues belges. Bastien rétorque que bien sûr que non, les Belges adorent ces histoires. Il en a raconté deux lors de son dernier passage à Bruxelles, ils étaient pliés en quatre. Le journaliste rebondit immédiatement en lui demandant s’il va souvent en Belgique. Bastien sourit : si son interlocuteur pense qu’il va tomber dans ce genre de pièce grossier… Son éditeur est belge, voilà tout.
Bastien reprend : Dans cette affaire, il n’y a qu’une seule victime, c’est la bande dessinée. La bande dessinée qu’il aime tant, cet espace de liberté incroyable qu’il chérit depuis sa plus tendre enfance. Touché, le journaliste lui demande pourquoi il ne mettrait pas ça dans un album, en faire son grand œuvre. Été 1991, Bastien a sept ans. Sa famille se réunissait tous les étés dans le Sud de la France. Ils passaient la journée au bord de la piscine, avec ses cousins, cousines. Il a peu de souvenir des choses en général, mais ce moment il ne l’oubliera jamais. Il est dans la piscine avec ses lunettes de plongée ; le moment : celui de sa tante s’apprêtant à rentrer dans l’eau. Il a repensé à ce moment toute la journée sans savoir qu’il y repenserait toute sa vie et qu’il allait être l’élément matriciel de tout son travail en bande dessinée. Dès lors, encombré d’un pénis surdimensionné, sa scolarité fut plus que chaotique… Bastien revient au moment présent : son épouse lui dit qu’elle part au boulot, et elle lui demande si c’est aujourd’hui qu’il se rend chez la police. Il a son fils dans les bras, et il lui répond que oui, et qu’il passe chez BD Occaz’ avant.
Bien sûr, il est possible de ne rien connaître de cet auteur, de n’avoir jamais entendu parler des accusations qui pèsent sur lui, de la polémique. Le lecteur découvre alors une bande dessinée vraisemblablement autobiographique (c’est l’auteur qui le dit dans le chapitre d’introduction), évoquant un acte répréhensible de nature pédocriminelle, même s’il n’est pas explicité, vraisemblablement une bande dessinée impliquant un acte sexuel avec un enfant.
Le récit se présente sous la forme d’un prologue, et de vingt-deux chapitres comptant entre cinq et huit pages chacun, pouvant aller jusqu’à dix pages pour deux d’entre eux. La mise en page présente des caractéristiques très particulières : absence de bordure pour les cases, généralement deux dessins par pages, des arrière-plans majoritairement vides, quelques accessoires et meubles, des personnages présentant un niveau de détail s’approchant du croquis. Le lecteur observe également que le dessinateur utilise la technique de reproduire le même dessin à plusieurs reprises sur la même page, sur plusieurs pages à suivre : comme un plan fixe au cours duquel les mouvements des personnages sont insignifiants, leurs expressions de visage restent invisibles, toute la narration est portée par leur posture et les dialogues. L’introduction établit sans doute possible qu’il s’agit d’un récit humoristique jouant dans le registre de l’absurde, avec cette évocation hors de propos des Irlandais et de leurs champs de patates. Régulièrement, ses interlocuteurs rappellent à Bastien que la pédophilie ne prête pas à rire, qu’elle ne peut pas faire l’objet de blagues. Mais quand même…
Dans le doute, il y a toujours un stage. © Charlotte éditions
Cette bande dessinée paraît à l’automne 2024 : Bastien Vivès est alors l’auteur de plus d’une quarantaine de bandes dessinées, et certaines procédures judiciaires à son encontre n’ont pas encore fait l’objet d’un jugement. Au cours de la bande dessinée, le personnage principal est appelé Bastien Vivès de manière explicite… et dans le même temps la mise en œuvre d’un comique dans le registre de l’absurde indique clairement qu’il s’agit plus d’une autofiction que d’une autobiographie.
À partir de là, libre au lecteur de projeter ce qu’il veut dans chaque scénette, de soupeser le pourcentage de réalité contenu dans chaque chapitre. Concrètement, il lui est impossible de savoir, ce qui provoque un automatisme de prise de recul très déstabilisant. Il s’agit donc d’une fiction, et dans le même temps chaque situation semble authentique et réelle, entre processus de prévention, de réhabilitation morale de l’individu, même s’il est supposé être innocent tant qu’un jugement n’a pas été prononcé. Il tombe sous le sens qu’il soit convoqué par la police pour être entendu, qu’il doit (sur un plan moral) se soumettre à une remise en question, et qu’elle pourrait très bien prendre la forme d’un stage, à l’instar des conducteurs qui veulent retrouver des points sur leur permis, après des infractions ayant donné lieu à des procès-verbaux. Le lecteur se trouve tout de suite convaincu par l’attitude de Bastien Vivès (le personnage) qui ne peut pas s’empêcher de faire de l’humour sur ce même sujet. Pour autant, son séjour en prison dépasse la réalité, puisqu’il n’a pas été condamné à une telle peine au moment où il réalise la présente bande dessinée. Par voie de conséquence, puisqu’il s’agit plus d’une fiction que de la réalité, le lecteur s’en trouve dédouané : il peut rire sans honte, sans arrière-pensée, sans se demander s’il cautionnerait quelque chose.
En effet, l’humour de ces scénettes atteint sa cible pile entre les deux yeux : l’auteur marie l’exagération et l’absurde, du décalage, avec une précision imparable et un sens de l’économie incroyable en faisant un usage sophistiqué des sous-entendus et des non-dits. Bastien réagit à la seconde près sur le sous-entendu relatif à la Belgique, c’est-à-dire ses affaires de pédophilie. Puis le jeune Bastien marqué à jamais par la poitrine de sa tante moulée dans son maillot de bain : entre traumatisme indépassable et révélation, tout ça avec quelques tâches de noir qui ne sont rendues suggestives que par le bref commentaire. Puis la mention que ce moment clé a changé sa vie à jamais, et est l’élément matriciel de tout son travail en bande dessinée, entre dramatisation et autodérision (avec l’évidence que la majorité de la population masculine a vécu un moment similaire d’éveil sexuel devant le corps d’une femme). Bastien se retrouve dans un bureau devant deux policiers qui lui indiquent qu’il doit faire un stage anti-pédophilie, ce à quoi il répond qu’il n’est pas pédophile : imparable. Le lecteur subit comme lui le paradoxe imbécile de se voir projeter des images, avec des électrodes implantées pour tester ses réactions et déceler de tendances pédophiles, mais la docteure qui rectifie leur implantation est une magnifique blonde avec une grosse poitrine. Impossible de résister à l’intervenante sur le module de la bande dessinée déconstruite qui se trompe sur le genre d’un participant, et qui démissionne à la suite de cette erreur gravissime de mégenrage. Ou madame Vivès qui vient chercher son époux à la sortie de prison, et qui discute avec le gardien comme si elle venait chercher un enfant à la sortie de la crèche, ou encore l’analyse faite par l’éditeur de la BD proposée par Vivès, analyse réalisée par un robot et qui conclut à la composition suivante : 9% raciste, 17% sexiste, 12% misogyne, 3% négationniste, 2% antisémite et 88% pédophilie.
Vous trouvez qu’il n’y a pas assez de pédophiles en France ? © Charlotte éditions
Ben si, il y a forcément des arrière-pensées à la lecture. L’auteur s’offre un droit de réponse sous la forme d’une bande dessinée, à des accusations pour lesquelles le procès ne s’est pas encore tenu. C’est plus compliqué que ça bien sûr : il y a eu deux classements sans suite à des signalements concernant Petit Paul, et d’autres plaintes déposées ensuite. C’est plus compliqué que ça : Bastien Vivès met en scène l’absurdité de suivre un stage anti-pédocriminalité alors qu’il n’a jamais été condamné. Il tourne en dérision ses interlocuteurs qui interprètent chacune de ses phrases avec l’intention d’y voir de la pédocriminalité. Il met en scène un intervenant lui-même accusé du même crime, vestimentairement. Il montre que cela ne sert à rien de protester : entre ses parents qui aggravent son cas en s’exprimant mal à la radio, l’analyse de son prochain ouvrage par un robot servant de lecteur sensible, ou même une tentative d’explication dans une émission de radio où le comique de service tourne tout à la dérision faisant tourner court tout début d’explication complexe. Il conclut avec un chapitre où des Japonais viennent sonner chez lui pour qu’il réalise un manga avec les mêmes caractéristiques, au Japon, pour le marché japonais, car culturellement cela correspond à critères mis en avant comme étant de qualité, sans une once de quelque criminalité potentielle.
D’un côté, le lecteur prend fait et cause pour le narrateur pour les situations ubuesques auxquelles il doit se soumettre ; de l’autre côté, l’auteur réalise bien un ouvrage qui fait explicitement référence (rien que le titre) au lynchage médiatique qu’il a subi, en se moquant systématiquement de chaque reproche, de chaque forme de réhabilitation. Quand bien même ces processus ne sont pas justifiés, il prend un malin plaisir, et il le fait avec talent, à tout réfuter, sans nuance, sans aucun doute.
Voilà un bien étrange ouvrage. L’auteur Bastien Vivès a été accusé d’un crime grave, et condamné par une partie de l’opinion, après deux classements sans suite, et avant le jugement des plaintes postérieures. Il utilise sa possibilité de répondre avec une œuvre qui porte le titre explicite de La vérité sur l’affaire Vivès. Il fait à nouveau preuve d’une élégance dans la narration visuelle, d’une précision minimaliste d’une incroyable justesse et d’une efficacité imparable, pour des moments très drôles. Dans le même temps, il tourne en dérision et ridiculise chaque contradicteur, avec verve et sans questionnement. Il répare l’injustice qu’il a subi, sans volonté d’analyse.
Ce n’est pas le sujet, on parle de fiction. © Charlotte éditions
Pour compléter l’article, une interview de Vivès
La BO du jour
Merci pour cette analyse. A la lecture de l’article, j’ai l’impression que l’auteur pose son avatar en protagoniste infortuné d’une histoire Kafkaïenne, où l’engrenage judiciaire continue de tourner malgré les arguments ou l’absence de preuve (ici, en l’absence de condamnation).
Très belle synthèse de ce que j’ai ressenti à la lecture.
Je m’en veux de ne pas avoir pensé à Kafka : c’est exactement ça.
Oui, il y a de ça.
Je n’avais pas vu le lien vers l’interview de 2024 de Vivès en fin d’article, c’est très informatif et un excellent complément.
Bravo et merci Présence pour t’être penché sur ce cas. Je tiens à relever que le titre rappelle celui du premier best seller de Joël Dicker, LA VERITE SUR L’AFFAIRE HARRY QUEBERT, comme si Vivès voulait appâter les lecteurs et lectrices avec des atours de polar. Je remarque également la notation : moins de 4 ! Pour sûr, je ne courrais pas l’acheter. En fait, j’ai peu de Vivès chez moi et n’en ai pas lu plus. De ceux que tu cites en préambule, je ne connais que LES MELONS et ma foi, c’était une petite bd un peu marrante et décalée. J’ai toujours hésité à acheter ses petits tomes sur de grands sujets, des choses qu’il faisait sur son blog avant de l’effacer, mais je trouve le rapport quantité / prix trop déséquilibré. J’apprécie le trait de Vivès, surtout que c’est un excellent metteur en scène et conteur. Mais ce que je retiens surtout pour le moment, c’est LAST MAN, qu’il a fait avec deux autres compères, même si j’avais bien aimé POLINA également.
« Par voie de conséquence, puisqu’il s’agit plus d’une fiction que de la réalité, le lecteur s’en trouve dédouané » C’est très intéressant, ce cheminement : tu accumules des indices pour en aboutir à cette conclusion, et donc à l’attitude la plus probable à adopter. Ce qui sera sans doute rejeté par ceux et celles qui n’accepteront pas de lire cette bd avec ce point de vue fictionnel.
« mégenrage » Ce mot existe-t-il désormais ?
Je comprends tout à fait l’envie de Vivès d’avoir un droit de réponse, et comme tu le soulignes, il est souvent très drôle, dans l’absurde ou non. Je passerai sans doute un moment agréable à lire ceci, pour la verve et le trait, si je tombe dessus. Merci encore pour l’analyse !
La BO : ça faisait longtemps que je n’avais pas écouté ça. Ca sonne différemment maintenant que je sais pour les accusations contre Gaiman, et cette chanson me rappelle beaucoup un titre du The Wall de Pink Floyd, peut-être The Worms.
L’instant pédant ET woke : « mégenrage » existe, puisqu’on l’utilise et surtout qu’il répond à un besoin qu’a priori aucun autre mot ne remplit. De même, « scénette » n’existait pas mais l’orthographe « saynète » est vraiment tarabiscotée (et l’histoire de l’orthographe en général une farce). Concernant le besoin auquel répond le mot je ne pense pas que cet espace de commentaire soit le meilleur endroit pour l’expliquer et le défendre, mais je le fais volontiers par d’autres canaux.
J’ai également adopté le mot scénette dont le sens est différent de saynète, pour disposer d’un mot désignant une courte scène.
fr.wikipedia.org/wiki/Sayn%C3%A8te
J’ai vérifié avant de me lancer, et les sources divergent. Et autant divergent c’est énorme, comme écrivait Desproges, autant je ne me lancrai pas dans une discussion sur le sujet, aussi sayne soit-elle.
Ah vous m’apprenez quelque chose pour « scénette ». Jusqu’à maintenant j’utilisais toujours l’autre orthographe.
Et bien sûr merci Chip pour avoir répondu à ma question. Loin de moi l’idée de lancer un débat : je suis bien trop ignorant pour en parler et de loin cela me semble très compliqué à suivre.
@Jyrille : Je ne disais pas celà pour lancer un débat, mais bien comme une offre de partage d’expérience, de la part d’une personne tout à fait cisgenre et binaire à (a priori) une autre, sincère et sans désir de polémique.
Pour avoir assisté au battage sur les réseaux sociaux et dans la presse, relatif à cette affaire, j’étais très curieux de découvrir comment Bastien Vivès allait répondre au travers d’une bande dessinée.
J’avais été autant choqué par la violence de ses propos envers Emma en réaction à sa BD La charge mentale, que par l’annulation de l’exposition de Vivès au FIBD et la distanciation de la totalité du monde de l’édition.
Mégenrage est un terme que j’ai déjà vu utilisé à plusieurs reprises et il a droit à son entrée dans le witkionnaire. Il m’a semblé qu’il a sa place dans cet article.
https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9genrage
Merci Présence pour le lien ! Il a en effet tout à fait sa place. Je me souviens avoir lu l’article de Jean-no sur le sujet mais je crois que c’est à peu près tout.
hyperbate.fr/castagne/2022/12/24/art-liberte-et-responsabilite/
Réticence. C’est bien le mot qui définit mon rapport à Vivès maintenant, car autant j’aimais son trait spontané et son sens du décalage, au-delà de ce dont il a été accusé c’est plus son attitude de défense ou d’autres choses ressorties (les appels à la violence contre Emma) qui dessinnent une personne au comportement assez détestable. On a beau vouloir (ou non, on est pas obligés) séparer l’homme et l’artiste, quand ça se passe en temps réel c’est plus compliqué – parce que les artistes pédophiles abondent dans l’art et la littérature, de tête Gide, Montherlant, possiblement Flaubert, je ne parle pas de Kinski dont on sait maintenant pourquoi il incarnait si bien les démons, ni du mondain Matzneff qui en faisait, toute honte bue, son sujet.
Et donc voire Vivès défendre Vivès, payer pour un plaidoyer pro ped… pro domo, ça avait et a encore pour moi un côté obscène qui renforce l’insincérité, réelle ou non, que j’avais perçue. Je ne doute pas qu’il le fasse avec talent, mais la conclusion « ce n’est pas le sujet, on parle de fiction » me laisse penser qu’il s’agit d’un immense homme de paille, et je suis allergique.
Oubli : l’insincérité _ de ses excuses_
Je partage ton sentiment sur ce sujet. J’ai quelques anecdotes personnelles qui donnent du corps à cette impression de non sincérité et de l’attitude détestable du personnage irl sur les question liées à la sexualité. Difficile dans ce cas de séparer de l’homme de l’artiste.
J’ai trouvé une analogie avec Vivès : Dieudonné. Au début des années 2000, je découvre ses seul en scène et j’y trouve un interprète largement au-dessus de ce que j’avais vu dans ses duos avec Élie Seimoun. Vous connaissez la suite… Par ailleurs ses obsessions ont, de ce que j’ai vu, complètement déraillé son talent comique puisqu’il donne depuis à son public ce qu’il est venu voir (notamment des vannes négationnistes).
Autre ajour, pour lier les polémiques, ahem, mais ça n’est que mon ressenti : j’ai du mal avec Vivès à cause de cette attitude défensive et euh, dérogatoire, parce que je ne trouve pas de meilleur mot et que je suis colonisé par l’anglais comme Jean-Claude Van Damme, en revanche, par rapport à Gaiman, je vois un homme dont le discours était sincère mais qui par ailleurs les a trahis dans sa vie personnelle. Son atitude de défense est elle aussi détestable (mais plus pro, il a plus d’expérience et de fric…) mais colore moins ses oeuvres dans mon regard. Comme quoi tout ça est très subjectif, puisqu’objectivement, sur le plan des actes de VSS, Gaiman est accusé alors que Vivès n’en est a priori qu’au stade du discours (et des actes pour les apples à la violence puisque les deux sont une seule et même chose).
Je ne connais pas Bastien Vivès personnellement : je n’entends parler de lui que par personne interposée, sur les réseaux sociaux ou dans la presse. En réalité, je ne le connais qu’au travers de l’impression de son image publique qu’en donnent des tiers. Aussi, je ne suis pas légitime pour juger des faits dont la réalité ne me parvient qu’après plusieurs intermédiaires, que je ne connais pas non plus.
En recoupant des sources diverses, il reste des propos inqualifiables sur les réseaux sociaux, la mise en scène de pédopornographie dans des BD, son bannissement du monde de l’édition traditionnelle.
C’est la raison pour laquelle ma lecture a été faite avec un recul certain, ou une distance certaine.
Bannissement relatif.
Dès les débuts de la polémique ses livres se sont classés dans le top vente en réaction et Casterman son edireur historique continue de le publier. Corto Maltès déjà qui s’est poursuivi pendant la polémique et si j’ai bien compris, ses futurs projets.
Au temps pour moi, je me suis basé sur les déclarations de Vivès sur son rejet généralisé par les éditeurs.
Quant à la reprise de Corto Maltese, je n’avais pas vu que Quenehen & Vivès en avaient réalisé un deuxième en 2023. Je m’étais trompé en pensant que Canales & Pellejero étaient devenus les repreneurs exclusifs.
Propos très justes.
La vérité sur l’affaire Vivès c’est que chaque fois qu’on lui a tendu un micro (et c’était souvent, parce qu’il était considéré comme un bon client par les médias) il a raconté une quantité de conneries abyssale. C’est ce qui arrive quand on dit tout ce que vous passe par la tête et qu’à part les Tortues Ninjas et Street Fighter, on est expert de rien mais qu’on donne son avis sur tout. Résultat, beaucoup d’attention portée sur du pas grand chose et beaucoup de bêtises et donc une forte communauté qui suit ses faits et gestes. Ça donne des ravages lorsqu’il jette l’opprobre sur une autrice féministe et qu’il la menace avec outrance. Ça met un effet loupe sur lui lorsqu’on retrouve ses interviews où il avoue fantasmer sur de jeunes gamines ou qu’il proclame que l’inceste c’est kiffant (j’ai plus les termes exacts) et par voie de conséquence, ça conduit à la suspicion sur son travail, notamment les livres où des enfants se font violer.
La vérité sur l’affaire Vivès c’est qu’il est son plus grand ennemi et qu’il – je pense sincèrement – n’a pas une seule fois remis en cause son attitude ou ses propos sincèrement.
Merci pour ces informations supplémentaires sur le comportement de cet auteur.
Sans aller jusqu’à une remise en question ou une autocritique, il ne m’est pas apparu de questionnement dans cette lecture, que ce soit sur le mécanisme social qui l’a rendu radioactif, ou sur les faits qui ont mis en branle ce processus social.
Bonjour Loïc et bonne année.
« La vérité sur l’affaire Vivès c’est qu’il est son plus grand ennemi et qu’il – je pense sincèrement – n’a pas une seule fois remis en cause son attitude ou ses propos sincèrement. »
Je suis assez d’accord.
Bonne année à toi aussi et à l’équipe ! Encore de chouettes articles à lire ici, je n’en doute pas une seconde.
Pour répondre à l’affaire Vivès évoquée dans cet album.
J’ai dans ma collection de BD les albums suivants :
La Dernière Récré, album post-apocalyptique de Carlos Trillo décrivant une monde où seuls des enfants et des préados survivent à une guerre bactériçologique, certains ayant des rapports sexuels (ils meurent au moment de l’émergence de la puberté). La ‘petite mort’ prend tout son sens içi.
La trilogie Ranxerox de Liberatore dans lequel le protagoniste, un androide, a des rapports sexuels avec une prostituée mineure (consentante car amoureuse de Ranxerox).
Comme c’est un androide, un robot, bon ça passe.
La BD Je suis un monstre (Godard-Robera) chez Glenat dans lequel une jeune adolescente de 14 ans au dons de télékinésie a un rapport sexuel expressément consenti avec un adulte de 40 ans qui montre clairement l’immature affectif qu’il est.
Ce sont des albums qui datent des année 80, une épque ou one ne parlait pas d’inceste et de pédophilie. Dois-je faire un stage anti-pédophilie parceque je garde ces albums ? Ou aller en prison ?
Ce sont avant tout de bonnes histoires, la sexualité des mineures n’en est qu’un détail. Seulement 40 ans plus tard ça devient pour le moins sulfureux, comme le Lemon Incest de Gainsbourg.
J’ai également lu Décharge Mentale du sieur Viès qui parodie clairement l’inceste puisqu’il s’agit d’un père de famille qui a des rapports sexuels librement consentis avec ses trois filles. Mais c’est de l’humour, de l’humour noir ce qui ne cautionne nullement l’inceste.
Je doute que les auteurs des albums que j’ai cité aient voulu cautionner les abus sexuels envers des mineurs.
Sans parler de Lost Girls d’Alan Moore que tout le monde ici connait j’imagine.
Enfin voilà quoi.
J’en rajoute une couche ?
Et si on parlait d’Esparbec et sa collection de romans pornographiques mettant en scène une adolescente qui se tape tout ce qui bouge, écrit de manière racoleuse et vulgaire.
Ou cette BD sortie en 1992 dans lequel un flic des moeurs infiltre un réseau de traite des mineurs avec des scènes d’exploitation sexuelles très graphique, désolé j’ai oublié le titre et le nom de l’auteur. Mais je me souvient avoir été choqué à l’époque.
Vous savez, nous vivons dans un époque ou tout est monté en épingle et les gens ne savent plus faire la distinction entre premier et second degré surtout quand des imbéciles ouvrent un peu trop grand leurs gueules.
Tout est monté en épingle : entièrement d’accord, dans un objectif de créer de la polémique de toute pièce pour faire vendre, ou au moins parler de soi.
Dans cette affaire, je ne me sens pas capable de m’y retrouver quand les opinions de chacun occupent toute l’espace de discussion, abandonnant toute velléité de parler des faits.
Je suis également très sensible à la séparation entre réalité et fiction, et l’effet cathartique de la fiction qui va provoquer une réaction de répulsion, de compréhension de la nature abjecte d’un crime et de ses conséquences concrètes.
Ce sont justement les propos exhumés de Vivès qui ont donné un ton particulier a posteriori à ces albums et laissé penser que la frontière entre réalité et fiction, ou premier et second degré, avait été brouillée.
Houla Bastien Vivès…
comment ne pas faire de polémique avec un client pareil.
Je n’ai aucune connexion avec cet auteur qui m’a toujours ennuyé et même un peu répugné à chaque livre/interview.
D u coup je n’ai pas d’avis super pertinent sur « l’affaire »
Pour autant je comprends tout à fait qu’il veuille se défendre et le fasse en BD puisque c’est l’outil qu’il maitrise le mieux…
Un truc pourtant me fascine chez lui et d’autres qui ont tendance à s’enfoncer (j’ai un peu tendance à penser que je pourrais faire la même chose tant le reflexe de la provocation et l’envie de tendre le doigt est plus fort que l’instinct rationnel ou social) c’est cette attitude qui consiste à rester arc-bouté sur ses positions pour ne pas plier devant une masse qu’on rejette de toute façon.
Dans son cas, c’est son œuvre que je n’aime pas du tout, mais alors pas du tout.
Je n’aime pas non plus l’œuvre d’Emma d’ailleurs…
Merci Présence pour cet article qui me maintient au courant du contenu de la seule BD qui pourrait m’intéresser de lui, parce qu’en définitive la description d’une machination involontaire mais tout aussi implacable est assez fascinant à observer du point de vue de l’accusé.
Comment ne pas faire de polémique avec un client pareil ? Je crois que la réponse est dans la question : ce n’est pas possible.
La description d’une machination involontaire mais tout aussi implacable est assez fascinant à observer du point de vue de l’accusé : c’est très exactement ce à quoi ma curiosité n’a pas su résister.
Un grand merci à Présence pour traiter de cette BD de manière si distanciée et objective.
J’en suis ressorti pour ma part assez déçu : si c’est cela la vérité Vivès, elle tient dans moins de 50 pages Ce qui parait dérisoire eu égards à la violence des accusations pesant sur lui. J’ai souvent pensé à sa famille et surtout ses enfants, victimes collatérales de cette hystérie collective, qui se sont pris en boomerang des torrents de haine à destination de leur père et ce pendant les fêtes de noël.
Sur cette BD, j’ai trouvé le dessin assez quelconque avec quelques passages amusants et Kafkaiens.
Mais on est très loin du talent comique de Fortu, Fab Caro ou de L’abbé.
Une autre chose m’a gêné : le manque d’introspection de Vivès ou de la moindre autocritique sur ses propos souvent lamentables. C’est d’ailleurs ses propos qui l’ont mis au pilori, je pense.
Je suis même persuadé que sans ce projet d’exposition à Angoulême, on lui aurait foutu une paix royale. Une leçon à retenir : le roi d’un jour finit idiot pour le reste d’une vie.
Sur son oeuvre : je suis un grand admirateur de LAST MAN mais aussi de certaines de ses BD : LE CHEMISIER, POLLINA et même UNE SOEUR. J’avais chroniqué PETIT PAUL ici-même et trouvait le truc amusant et trash.
N’ayant lu aucune de ses interviews, ses bastons avec Emma (que je ne connais pas), ni LA DECHARGE MENTALE ou LES MELONS DE LA COLERE, j’ai qu’une vision très parcellaire de la chose qui m’a tenu à distance de la chose.
J’observe juste que Vives paie sans doute une ascension fulgurante nimbée d’arrogance et de déclarations idiotes (celle sur les déportés juifs m’était restée en travers de la gorge) et sexistes, donc.
De l’autre côté le fait qu’il reçoive des menaces de mort est tout aussi inadmissibles comme cette pétition de 100 000 personnes contre lui qui m’interroge : ces 100 000 personnes ont lu PETIT PAUL ? , sûrement tiré à pas plus de 5000 exemplaires.
Les deux parties me semblent complétement à l’ouest quand on aurait pu rêver organiser un débat contradictoire avec l’intéressé qui ne semble n’avoir rien compris à ce qu’on lui reproche. L’interview mise à la fin de l’article le montre un peu plus censé. Mais à peine.
J’attends avec impatience de voir ce que donneront les enquêtes ouvertes sur lui.
J’ai souvent pensé à sa famille et surtout ses enfants, victimes collatérales de cette hystérie collective : merci à Bruce d’avoir une pensée pour eux qui n’ont rien demandé et qui n’y sont pour rien.
L’ampleur et la virulence de la vindicte populaire sont effrayantes, une volonté de destruction et d’anéantissement d’un individu (d’un être humain, c’est-à-dire par essence quelqu’un d’imparfait) au point d’en être obscènes.
Ces dommages collatéraux sur d’autres êtres humains ne sont pas voulus par ceux qui pointent du doigt, et d’un autre côté ils pouvaient se douter qu’il en serait ainsi.
Moi aussi, je pense aux familles qui n’ont rien demandé. Celle d’Emma quand une armée de trolls sont venus lui pourrir la vie en conséquence des propos tenus par Vives et celle de Vivès elle-même, qui n’a rien fait pour subir le tumulte.
pardon, j’ai écrit trop vite : Celle de Vives qui n’a rien fait pour mériter un tel tumulte.
Je ne savais pas pour la famille d’Emma.
Que de haine et de folie.
Coucou,
Merci à Présence, chroniqueur tout terrain, pour ce nouvel article.
Au moment de la polémique, je suis allé lire LA DÉCHARGE MENTALE sur Calameo avant qu’il n’en soit retiré.
J’ai « refermé le livre » (ou plutôt le pdf) avec un certain malaise. Même si ça se veut satirique, la mise en scène m’a dérangé. Il y a notamment une scène où une adolescente effectue un rapport oral avec l’ami ramené par son père et une autre où cet ami répend accidentellement sa semence sur le visage de la petite sœur…
Choisir ce type de scène et prétendre faire rire avec, ça me paraît borderline car ça s’appuie sur une illustration de fantasme pédophile.
Et Vives me semble trop prompt à se dédouaner/victimiser sans se remettre en question…
Je passe aux aveux : je n’ai lu aucun des trois ouvrages Les melons de la colère, La décharge mentale, Petit Paul, ma curiosité n’ayant été éveillée ni par la promesse de parties de jambes en l’air (avec un enfant ou incestueuse), ni par la démarche transgressive.
Bonjour Présence et merci pour ce retour sur cette BD. Personnellement je vais boycotter. Globalement le travail de Vivès ne m’intéresse pas. J’ai suivi de loin l’affaire et j’ai assez peu apprécié le battage de ses défenseurs en s’en prenant notamment à Emma. La liberté d’expression permet-elle tout ? C’est comme pour son argument massue « on peut rire de tout même de la pédophilie c’est marrant ». Je ne pense pas que les victimes de Matzneff ou autres soient prêtes à rire de l’emprise et des abus subis. Desproges l’a dit mieux que moi, on peut rire de tout mais pas avec tout le monde. Je veux bien rire de l’antisémitisme avec Bedos. Pas avec Dieudonné. Je veux bien rire de la pédophilie mais en plein procès Ruggia il y a un mauvais goût dans la bouche… Alors sur le côté sincère ou insincère de ses excuses j’ai aussi un problème. Il dit avoir été mal compris. Sans expliquer clairement les ressorts de ses oeuvres et le but, il ouvre lui-même la porte à toutes les dérives. Surtout quand il en fait des tonnes avec sa diatribe vomie sur Emma et son ouvrage en la traitant « d’abrutie mongolienne avec un message niveau 2 ans d’âge mental… » Et en rajoutant qu’elle ne sait pas dessiner. Tout me dérange en fait : le côté gratuit généralement de son attitude est malaisant. Et la tribune de soutien sur « le retour de l’obscurantisme » m’a aussi un peu dérangé. Il y avait un peu tout le côté outrancier qu’on retrouve dans cette affaire.
Bonjour Sébastien,
Merci pour ce retour détaillé.
Au fil des échanges, je suis allé vérifié un point qui me chiffonnait : la date de l’appel au crime contre Emma, c’était en 2017. Vivès avait 33 ans, l’âge de raison bien tassé, et ce n’est pas un comportement d’adulte.
La citation de Pierre Desproges : entièrement d’accord. Je suis un lecteur consentant de cette bande dessinée, mû par une curiosité de savoir quel genre de défense Vivès allait présenter.
Le côté outrancier : 100% d’accord aussi, ce n’est pas un débat, c’est une polémique dans une dynamique de confrontation stérile, pas une discussion.
Merci à tous pour cette discussion : grâce à ces échanges riches, j’ai enfin pu mettre le doigt sur ce qui m’a vraiment dérangé dans cette lecture.
Ce n’est pas tant le manque d’excuse ou même de réflexion, c’est sa nature intrinsèquement autocentrée, dépourvue d’empathie pour autrui. L’autobiographie ou l’autofiction n’exclut pas l’autre ou le rapport à l’autre, c’est vraiment un choix de cet auteur.
En repensant aux quelques extraits que j’ai lus, c’est exactement ça.
Je vous rejoins, c’est très nombriliste comme délire,
Après on a le droit d’être nombriliste, c’est juste pas appréciable…
C’est rare mais c’est un personnage qui me donne un frisson de dégoût quand je l’entends parler…
Après voilà, je me contente de ne plus en lire
Bonsoir Présence.
Meilleurs voeux.
J’étais curieux de voir comment tu allais traiter cet album. Je suis un grand fan de Vives où j’ai pratiquement tous à la maison et tous lus (mais pas ses ouvrages pornos car pas ma came tout simplement).
J’adore son trait. Je pense que c’est clairement un des auteurs les plus doués de sa génération.
Mais là sur cet album cela ne m’a pas intéressé de lire cela. Autant je le défendrais sur certaines accusations et au contraire accablerais ses propos et son attitude autant lire un album où il donne SA vérité sans remise en question, non. Déception donc qu’il tombe si bas même si à près tout il se défend avec ses armes et quelles armes : le dessin, ce qu’il sait si bien faire.
J’espère sincèrement qu’il va passer à autre chose. Son dernier vrai ouvrage marquant, Dernier week-end de janvier, était génial et même assagi dans le bon sens du terme.
Bonjour Fletcher,
J’espère que mon commentaire n’a pas été trop irritant à la lecture.
Vivès se défend avec ses armes et quelles armes : le dessin… et l’humour. – Oui, il le fait très bien, il maîtrise la narration par la BD de manière magistrale, je ne m’attendais à une telle maîtrise faussement minimaliste, du grand art.
En te lisant, je me rends compte que je n’aurais pas dû commencer avec cet album pour découvrir cet auteur. Il faudra que je laisse passer quelques temps avant de retrouver l’envie de lire un album de Vivès.