Weapon X par Barry Windsor-Smith
Par : JP NGUYEN
VO : Marvel
VF : Semic/Bethy/Panini
1ère publication le 17/10/16 -MAJ le 05/02/22
Personnage à la popularité grandissante dans les années 80, Wolverine était un X-Man entouré de mystère. A proprement parler, ses seuls pouvoirs de mutant sont des sens sur-aiguisés et un « facteur guérissant », lui permettant de récupérer des pires blessures à une vitesse prodigieuse.
Ah ? Mais alors, son squelette indestructible et ses griffes en adamantium, avec lesquels il nous bassine si souvent, ça ne faisait pas partie du package initial ? Ben non, ça, c’était de la customisation… Weapon X, écrit, dessiné et mis en couleurs par Barry Windsor-Smith, raconte justement comment Wolverine a acquis son squelette et ses griffes d’adamantium.
Initialement publié en VO dans la revue bimensuelle Marvel Comics Presents de mars à septembre 1991, dans treize chapitres de 8 pages, l’histoire a depuis été rééditée à plusieurs reprises en album relié.
Le Boss vous en avait déjà parlé dans les premiers temps du blog, mais cette œuvre de qualité méritait bien qu’on revienne dessus. Voilà donc un deuxième regard sur ce comicbook.
Protocole expérimental : le sujet souhaitant poursuivre la lecture de l’article doit disposer d’une tolérance élevée aux spoilers.
Avant la parution de Weapon X (l’Arme X en VF), le passé de Logan alias Wolverine (ou Serval pour les vieux franchouillards) était assez brumeux. Il avait été retrouvé nu, errant dans la neige, par un couple de jeunes mariés canadiens, James MacDonald et Heather Hudson, futurs membres de la Division Alpha, l’équipe de super-héros du Canada.
Les Hudson l’aidèrent à sortir de l’état animal et il intégra le Département H, l’agence du gouvernement canadien dévolue aux affaires méta-humaines. Après avoir combattu Hulk, le titan vert, et Wendigo, une grosse peluche blanche et anthropophage dans Incredible Hulk 180, il se fit débaucher par le professeur Xavier et rejoignit les « nouveaux » X-Men d’alors dans Giant-Size X-Men 1, paru en 1975.
En 1991, au fil de ses aventures au sein des X-Men et des mini-séries qui lui ont été consacrées (et notamment la toute première en 1982 avec Frank Miller au dessin), Wolverine a atteint une nouvelle stature dans le Marvel Universe, et ce, bien que le personnage ne mesure qu’environ un mètre soixante… Il possède sa série régulière depuis 1988 et fait l’objet de plusieurs one-shots, en solo (The Jungle Adventure dessiné par Mike Mignola, Bloodlust par Alan Davis) ou associé à un autre super-héros (Spider-Man, le Punisher, X-Force…), capitalisant sur sa popularité et sa posture d’antihéros ne répugnant pas à tuer.
Pour les fans jamais rassasiés du Glouton, il fallait donc produire toujours plus d’histoires de Wolverine. Et pour combler leurs attentes, quoi de mieux qu’un récit levant le voile sur le passé si mystérieux du X-Man griffu ? Chris Claremont s’étant progressivement éloigné de sa création et quittant Marvel en 1991, remercié par le rédacteur en chef Bob Harras, c’est à Barry Windsor-Smith, principalement connu comme artiste (sur Conan le Barbare et plusieurs épisodes marquants de la série Uncanny X-Men, disponibles en VO dans le recueil Lifedeath) que va revenir ce redoutable honneur.
Marvel fera le choix de pré-publier le récit dans la revue « Marvel Comics Presents », un bimensuel contenant 4 histoires de 8 pages, complètes ou à suivre. Cette contrainte de format sera plutôt bien gérée par BWS : il s’en sert pour structurer le début de son récit mais sait aussi s’en détacher pour dérouler des scènes plus longues, sans que les « raccords/cliffhangers » entre numéros ne soient préjudiciables à la fluidité de la lecture.
On se doutait bien que Logan n’avait pas trouvé son adamantium dans une pochette surprise et le récit raconté par Barry Windsor-Smith va en faire voir des vertes et des pas mûres au petit canadien. Capturé par une organisation secrète, il devient malgré lui le sujet de l’Expérience X : un projet scientifique visant à injecter de l’adamantium dans le corps humain mais aussi des faux souvenirs afin de parvenir au contrôle mental de potentiels super-assassins.
Si le complexe où se déroule l’histoire regorge de gardes anonymes, BWS se concentre sur le casting resserré de l’équipe de recherche : le Professeur, un chauve à lunettes profondément antipathique, le docteur Cornelius, un barbu au passé trouble et Carol Hines, la secrétaire très observatrice mais plutôt effacée. Alors que Logan est réduit à l’état de rat de laboratoire, bardé d’électrodes pour le monitorer, filmé sous toutes les coutures, nos vaillants scientifiques échafaudent des théories, valident des hypothèses et se congratulent des « progrès » réalisés dans leurs travaux.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », Weapon X est une très bonne illustration de la maxime de Rabelais. La dérive scientiste manifeste du Professeur et de son équipe révèle ce qu’il peut y avoir de pire chez des chercheurs dépourvus d’éthique. Pour reprendre le parallèle avec la Shoah établi par le Boss dans son article, ce récit est une parabole glaçante sur « ce qu’un homme est capable de faire à un autre homme ». Paradoxalement, Logan, régressant à un état sauvage, se montre plus humain que ses bourreaux. Il refuse sa condition de marionnette et reprend le contrôle de son existence.
Son ennemi le Professeur est assez détestable, avec une personnalité de psychopathe (il envoie sciemment un laborantin à la mort pour tester l’humeur de Logan). Dénué d’empathie, il énonce ses observations cliniques, méprise et manipule son équipe tout en se comportant comme un insupportable chefaillon. Son humanité se manifeste seulement à travers sa vanité quand à sa réussite professionnelle et sa couardise face à la mort. Avec un tel leader à la tête des humains, le lecteur est d’autant plus enclin à se ranger dans le camp de la bête, ce cher Wolverine qui ne porte pas encore son nom.
Pour recouvrer sa liberté, Logan doit notamment écarter de sa route un tigre de Sibérie, envoyé par le Professeur pour éprouver la puissance de l’arme qu’il a forgée. Le Tigre, nous avons eu l’occasion de l’évoquer dans un autre article, reste un des prédateurs les plus emblématiques et charismatiques du règne animal. Le triomphe de Logan sur le Tigre, qui succède à d’autres victoires, plus tôt dans le récit, face à des loups et un grizzli, place notre griffu tout en haut de la chaîne alimentaire. Sans l’énoncer explicitement, BWS démontre que Logan, agent gouvernemental à la dérive au début de l’histoire, est bien devenu « le meilleur dans sa partie ».
La narration implicite, les ellipses, les allusions constituent un des points forts du comicbook. Là où d’autres auraient maladroitement voulu tout montrer, tout expliquer, BWS parvient à préserver le mystère tout en le dévoilant ! Pour autant, on ne se sent pas floué avec des révélations bidons façon Scooby-Doo dont se rendront coupables des scénaristes comme Daniel Way ou Jeph Loeb. BWS laisse simplement des pistes ouvertes. Il révéla d’ailleurs dans une interview au magazine Wizard qu’il avait inclus une allusion permettant de relier l’Expérience X à un ennemi majeur des X-Men : Apocalypse ! C’était l’idée initiale de Chris Claremont et BWS avait eu l’élégance de laisser cette porte ouverte au cas où papy Claremont souhaiterait un jour revenir raconter cette histoire.
Si le scénario de Weapon X est bon, il prend incontestablement une autre dimension grâce aux illustrations. Le trait de BWS, qui a ses débuts singeait Jack Kirby, avait atteint la pleine maturité. Les fans Marveliens avaient pu admirer ses one-shots d’Uncanny X-Men, avec des pages fourmillant de détails et des personnages d’une grand expressivité. Les vieux marvelophiles français auront aussi en mémoire un superbe dessin en buste de Wolverine, au dos de la revue « Version Intégrale » de Serval… Ici, il assure dessin, encrage et mise en couleurs. Ses décors de laboratoire comportent une profusion de câbles enchevêtrés et de consoles, boutons, leviers au fonctionnement abscons. Piégé au milieu de toute cette machinerie mortifère, Logan est le fauve acculé mais mortellement dangereux, dont le regard brûle d’un feu indomptable, d’une intensité formidablement capturée par le dessin de Barry Windson-Smith.
L’implication totale de l’auteur sur la partie graphique confère au récit une atmosphère unique et renforce le côté immersif de ce huis-clos dans le complexe déshumanisé de l’Expérience X. La froideur des lieux est aussi évoquée à travers la palette de couleurs utilisée par BWS, qui fit des merveilles malgré les contraintes techniques d’impression de l’époque (qui plus est pour Marvel Comics Presents, une revue imprimée sur un papier très basique).
Malgré toutes ces qualités, on pourrait ressortir un peu frustré de cette expérience (X) de lecture. Comme dit plus haut, le récit est elliptique et BWS laisse planer plusieurs zones d’ombre. Quelque part, il ne livre pas tout à fait ce que le lecteur pouvait attendre (de belles origines pour Wolverine, précises et cadrées, des détails sur sa vie d’avant…). Mais quand on voit ce que Jim Lee et même Larry Hama ont pu livrer à l’époque dans ce registre, dans les séries X-Men et Wolverine (des récits indigestes d’espionnage kitsch remplis de clichés), la pertinence de l’approche de BWS est indéniable : Wolverine est un personnage qui fonctionne beaucoup mieux en gardant sa part d’ombre (que ce soit par rapport à son passé ou sa personnalité).
Mais que les fans du Wolverine membre des X-Men et super-héros de son état soient prévenus : c’est un personnage bien moins reluisant qui est ici esquissé dans le chapitre d’introduction : alcoolique, bagarreur, paumé on pourrait presque être tenté de croire le professeur quand celui-ci affirme que l’Expérience l’a révélé à lui-même et a donné un sens à sa vie…
Weapon X raconte les origines d’un surhomme qui a été réduit à l’état de sous-homme par des scientifiques ivres de leur toute puissance. En choisissant de traiter l’histoire sous cet angle, Barry Windsor-Smith a livré bien plus qu’un simple travail de commande : un récit ambitieux, avec un sous texte intéressant et des illustrations réalisées de main de maître. Si sa relative froideur et une absence de véritable héros pourrait en rebuter certains, Weapon X n’en demeure pas moins un récit majeur dans l’histoire du mutant griffu, évitant le bourrinisme et sollicitant le cortex du lecteur, il régale aussi les pupilles par son dessin au style unique et très abouti.
Savant fou, pauvre type rendu surpuissant par le science sans conscience. Fuite . BWS reste d’une cohérence incroyable avec son nouveau chef d’oeuvre « Monstres » avec lequel ce top BD ( à l’époque) a plus d’un point commun.
Acheté pas encore attaqué le MONSTER de BWS. Il attend, tapi dans l’ombre.
Son WEAPON X reste clairement un sommet de sa carrière. Ce n’est même plus du super héros pour moi. Surement le TOP BD que je relis le plus malgré son ancienneté.
Excellent souvenir de ses CONAN, ses UNCANNY X-MEN notamment Lifedeath. aussi la mini série MACHINE MAN où sensé uniquement encrer Herb Trimpe il bouffe son trait, en en faisant sa chose jusqu’à être seule au commande dans le quatrième et dernier numéro. Dans la lignée il signera un angoissant et saisissant épisode d’IRON MAN (le 232).
Un autre avis, déjà posté ailleurs :
Pour le dessin de Barry Windsor-Smith, principalement : on en prend plein les mirettes ; et la colorisation accentue encore le caléidoscope des cases d’action au sein du laboratoire où notre célèbre gnome à poils -et à poil, d’ailleurs- se retrouve avec un squelette et des grigriffes nappés d’Adamantium du plus bel effet !
Bon, j’avoue être un peu resté sur ma faim quant à la représentation du héros tout au long de cette « intrigue » : muet jusque dans ces réflexions mentales, quasiment, on en apprend très peu sur sa personnalité d’avant les X-Men ou même sur ses (probables ?!) cogitations en rapport à ce qu’on lui fait subir -sinon que ça fait bobo ! J’imagine que Claremont, jaloux de ses prérogatives, a exigé que cet album demeure le plus évasif possible pour ne pas entraver la « continuité » des récits à rallonge de ses petits mutants personnels ?! C’est quand même d’une partie essentielle des origines de l’un des Super-Héros les plus emblématique du MCG qu’on parle ; et le récit souffre de ce manque d’implication vis-à-vis du personnage principal.
En même temps, l’angle choisi -par défaut ?!- pour raconter l’histoire (les observations, critiques et interactions des scientifiques attelés à l’expérience) donne un ton assez décalé au Comic, et qui le singularise par rapport aux productions habituelles sur le thème. C’est un peu frisquet pour qu’on s’attache à qui que ce soit, néanmoins ; et j’aurais personnellement apprécié un poil (encore!) plus de « réalisme » et d’intérêt, de la part de ces apprentis-sorciers, pour la condition mutante de leur cobaye : quitte à faire dans le pseudo-scientifique, autant en profiter pour expliciter d’avantage le sujet ! Mais l’auteur/artiste se contente de mettre en scène la douloureuse « transfusion » (OUARF !) de l’alliage incassable. Tant pis.
les affres oniriques subséquentes sont assez plates, graphiquement parlant ; un vrai paradoxe quand on voit comment les scènes d’actions (la folie agressive de Wolverine, très stylisée) sont sublimées par le trait (les traits !) de Windsor-Smith. La terreur engendrée dans le coeur de ses geôliers quand leur « création » se retrouve en roues libres résonne malheureusement très peu tant la progression narrative est ratée. Problème clairement lié aux temporalités parallèles : les souvenirs de Wolvie, les réalités virtuelles auxquelles il est soumis ainsi que les flashbacks concernant les trois principaux bouchers aux commandes du bidouillage chirurgico-metallurgique (!). C’est dommage : il est quand même sensé faire un peu peur, le bonhomme.
Mais c’est quand même fun à lire (et surtout à regarder…).