Alex + Ada 1 par Jonathan Luna et Sarah Vaughn
AUTEUR : PRÉSENCE
VO : Image
VF: Delcourt
Ce tome est le premier d’une nouvelle série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2013/2014. L’histoire a été conçue par Jonathan Luna et Sarah Vaughn.
Les dialogues ont été réalisés par Vaughn. Jonathan Luna a réalisé les dessins, l’encrage, la mise en couleurs et le lettrage, ainsi que l’habillage graphique de la série.
Dans un futur proche les androïdes sont devenus une réalité, et les êtres humains peuvent s’implanter des puces électroniques leur permettant d’établir une connexion wifi avec les appareils informatiques.
Les écrans physiques ont majoritairement disparu, au profit de projection en 2-D. Ce matin Alex est réveillé par l’ordinateur domotique lui indiquant l’heure et lui proposant un choix entre des chaînes d’information.
La présentatrice évoque un massacre perpétré il y a un an, par un androïde doté d’intelligence artificielle (IA) sur des êtres humains, ce qui avait conduit à la promulgation de lois interdisant les IA. Durant sa journée, Alex se rend au travail, et répond à un appel d’Emily une amie, et un autre de sa grand-mère qui jouit des attentions d’un androïde de compagnie. En rentrant chez lui, il découvre que, contre son avis, elle lui a offert un modèle X5. Il ne sait pas trop quelle attitude adopter.
Jonathan Luna s’est fait connaître en réalisant des histoires particulières (et indépendantes) avec son frère Joshua, comme Girls (en 4 tomes, disponible en français), ou The Sword (en 4 tomes également). Ils ont décidé par la suite de travailler chacun de leur côté : Joshua Luna a réalisé Whispers, et Jonathan Luna Star Bright and the looking glass (un récit complet en 1 tome).
Le début de l’histoire ressemble à un rêve humide de jeune adulte mâle esseulé : une poupée animée programmée pour servir et réaliser toutes les demandes (y compris de nature sexuelle) de son propriétaire. Jonathan Luna expose ce dernier point avec une certaine espièglerie puisque que c’est la tante (une soixantaine d’années) du personnage principal qui utilise son propre androïde comme sextoy, et qui l’indique sans minauderie à Alex ; les adultes donnent un drôle d’exemple.
Comme dans Girls, Luna met en scène un jeune adulte qui ne pense pas avec ce qu’il a entre les jambes, qui n’est pas le jouet de ses hormones. Pour Alex, la relation interpersonnelle passe avant la bagatelle. Du coup les atermoiements d’Alex commencent par générer un malaise quant à la nature d’Ada.
Certes elle ne dispose pas d’intelligence au sens humain du terme, et donc pas de conscience. Toutefois sa ressemblance avec un être humain et son autonomie relative en font un petit peu plus qu’une simple poupée grandeur nature, avec une programmation simulant l’affection.
Dans ce tome, le thème principal n’est cependant pas celui de la naissance ou de la frontière de la conscience. En fait Jonathan Luna s’attache plutôt au décalage entre les fonctionnalités d’Ada et l’attente d’Alex en termes de relation. Il sonde la question de l’autonomie de l’individu par le biais d’Ada dont le comportement est entièrement dévoué à servir Alex de son mieux, mais qui dépend des informations qu’il lui donne quant à la nature de ce qui lui fait plaisir. Cette approche constitue une réflexion habile sur ce que l’individu attend de sa compagne, en forçant le personnage à réfléchir et exprimer ses attentes.
L’intelligence de la narration de Jonathan Luna est de montrer ces attentes relationnelles d’Alex, et les réactions programmées d’Ada qui ne répondent pas à ses attentes. Il évite les longs discours au profit d’une mise en scène parlante. « Alex + Ada » n’est pas un comics d’action, ce qui ne veut pas dire qu’il ne se passe rien ou qu’il n’y ait pas de suspense.
L’auteur sait également insérer plusieurs formes d’humour. Il y a bien sûr les réactions empruntées et gênées d’Alex face à cette androïde qu’il ne sait pas trop comment gérer. Il y a aussi des réflexions plus terre à terre. Ainsi les androïdes peuvent tirer leur énergie de la nourriture qu’ils consomment, comme les êtres humains. L’un des personnages se demandent si cette consommation est sans résidu, ou s’ils doivent également se rendre aux toilettes. De l’incongruité de la réflexion, naît le comique.
Le lecteur ayant déjà lu « Girls » ou « The sword » retrouvera l’esthétique caractéristique des frères Luna. Chaque personnage et chaque élément de décors est détouré par un trait fin d’épaisseur uniforme sans variation. Il n’y a pas d’aplat de noir ou de hachure pour figurer une texture. Seules les variations ténues de nuances de couleurs reflètent la variation de la luminosité, ou soulignent les volumes.
Dans « Girls » et « The sword« , ce mode de représentation pouvait parfois donner l’impression de dessins figés, ou manquant de substance. Ici cette impression a presque disparu. Pour commencer, Jonathan Luna a investi du temps dans la représentation des environnements. Ils présentent à la fois une apparence simpliste, et une conception réaliste. D’un côté le lecteur peut s’agacer de cette apparence filaire peu substantielle ; de l’autre, il peut se projeter dans ces endroits, même s’ils manquent de texture.
Ensuite, Luna a banni les angles de vue à effet dramatique exagéré, ou les scènes spectaculaires. Il narre son récit sur le mode du quotidien. Cela ne signifie pas qu’il en devient banal. En particulier, il a imaginé quelques accessoires technologiques d’anticipation, comme une machine à café, ou une voiture, qui montrent qu’il s’agit d’un futur proche.
Il a également imaginé une manière discrète et habile de rendre visible l’utilisation de l’implant électronique dans la boîte crânienne qui permet de communiquer en wifi. Il propose une visualisation des pièces de discussions virtuelles (chatroom de forum internet), perspicace et traduisant bien les différentes options disponibles (conversation privée et sécurisée).
Il s’appuie sur des mises en scène simples et efficaces. Les dialogues sont souvent l’occasion de montrer le décalage entre 2 comportements, ou d’opposer des points de vue. Ainsi les individus se font face, l’angle de vue étant choisi de manière à ce les interlocuteurs soient de chaque côté de la case. Si cette mise en scène est simpliste, elle est ici utilisée avec intelligence, pour une grande efficacité narrative. Le lecteur a alors devant lui les 2 personnages dont il peut observer les réactions au travers de leur dialogue, mais aussi de leur langage corporel mesuré.
Avec ce premier tome, Jonathan propose un point de départ qui aurait pu être scabreux (un androïde sans conscience utilisé comme sextoy). En fait, il développe une réflexion sur la manière dont l’individu se représente son compagnon de vie, ce qu’il attend de lui. Loin d’être une dissertation aride sur le couple, il s’agit d’une histoire avec une intrigue bien réelle, baignant dans une anticipation mesurée, avec une sensibilité intelligente et peu commune. Les 2 derniers épisodes ouvrent le récit, avec un danger qui fait augmenter la tension narrative d’autant.
Je n’ai lu quasiment que des bonnes critiques sur cette série. Je suis étonné qu’une VF ne soit pas déjà prévue…
Comme d’habitude, belle analyse de Présence. Seul petit bémol, dans l’article, l’influence de Sara Vaughn est peut-être trop minimisée (mais ce n’est pas forcément évident d’identifier sa contribution, tandis que pour Luna, vu qu’il dessine aussi, ça se « voit » forcément plus…)
Et une petite correction des familles : je crois que le TPB couvre les numéros 1 à 5 et pas 1 à 6 (la série est en 15 numéros, soit 3 TPB en tout…)
Tu as raison : épisodes 1 à 5. Je viens de finir le tome 3 et toute la série est excellente de bout en bout.
La contribution de Sara Vaughn : je serais bien incapable de dire l’étendue de sa contribution dans cette histoire. Impossible de savoir si elle s’est limitée à peaufiner les dialogues, ou si elle a remplacé l’autre frère Luna en participant au scénario, au découpage des scènes, etc. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi ce mode rédaction en me concentrant sur Jonathan Luna.
Pas encore prévue : Delcourt est en train de publier la précédente série des frères Luna The Sword. Le tome 4 doit sortir en décembre de cette année. Peut-être que si le succès est au rendez-vous, ils enchaîneront avec Alex + Ada.
Décidément, l’univers graphique des frères Luna me fait froid dans le dos. J’ai vraiment du mal avec cette esthétique aseptisée.
Froid dans le dos : c’est vrai qu’en regardant les images je me dis qu’elles sont aseptisées et fonctionnelles. Mais d’un autre côté, cet assemblage de cases raconte l’histoire, et donc remplit sa fonction.
Sans la photo, je n’aurai jamais imaginé que Luna était asiatique…Ca ne change pas grand chose, bien entendu mais je lui trouve fort belle allure…Je n’ai pas relu Girls depuis longtemps mais force est de constater que la découverte d’une femme objet qui va permettre de disserter sur la nature humaine semble être une constante de Luna. J’hésite beaucoup à investir dans The Sword, peut être attendrai je la fin de sa parution….
Ton article m’évoque de curieuses familiarités avec la série Real Humans qui met presque en scène la même thématique. C’était brillant sur papier, soporifique à l’écran…
Et la parenté avec la Mai de Demokratia est bienvenue aussi. Voici l’avantage de laisser des articles en stock au fond de la cave de Bruce Lit…On finit toujours par y trouver une correspondance….
Je note enfin que Image se spécialise dans les comics déviants : la délinquance de Deadly Class, la perversion sexuelle de Sunstone et ici les Sextoys…
Les comics de superhéros présentent une pathologie encore plus lourde : la spécialisation dans la violence, comme solution préférentielle à tous les problèmes.
J’avais adoré Girls (en dépit d’une fin un peu décevante) et Sword était aussi de très bonne tenue (même si le thème était moins fort)… Je suis donc ravi d’apprendre le retour d’au moins un des Luna !
Si j’en juge par les scans le dessinateur a un peu plus fouillé ses décors les cases font donc moins « vides » même si l’esthétisme est toujours aussi froid…
Le thématique est forte évoquant, comme le disait Bruce, la série « Real Humans », dont la saison 1 était un chef d’œuvre ! (A noter que « L’emballage » du robot est identique à celui de la série ! ce n’est donc pas un hasard) mais aussi « Monique » avec Dupontel pour le coté Sextoy…
Bravo Présent tu l’as très bien vendu 😉
Méééé ! Patrick, y fait rien que me contredire ! Real Humans, un chef d’oeuvre ? Ce truc plat ? Cette réalisation soporifique ? Ces milliers de thèmes jamais explorés à fond ? Ce basculement incompréhensible vers de l’action pure au dernier épisode alors que l’intégrale de la série semble prise de logorrhée verbale ?
Je garde par contre un très bon souvenir de Monique…
Sur les deux points abordés nous sommes au moins d’accord sur la moitié ! Ce n’est pas si mal :)) Concernant la série (bientôt adapté par les Américains – On craint le pire) on avait rarement vu à la télé ce thème abordé de cette manière (on a bien plus l’habitude des traitements à la Terminator avec des machines passablement belliqueuses). Alors certes la série n’est pas basée sur l’action, loin de là, mais j’ai envie de dire heureusement ! Cela permet à la psychologie des personnages (furent-ils mécaniques) de se développer ! Une série qui questionne son époque et interpelle son spectateur… Bravo les Suédois :)) et quand vous voulez pour la saison 3 😉
Ah ben on a tous eu la même idée. Personnellement, j’ai adoré les deux saisons de Real Humans même si la seconde est effectivement moins bonne. Je te trouve dur Bruce, ce n’est pas si soporifique et les thèmes abordés sont passionnants, même si comme nous, les auteurs n’ont pas forcément de réponses. Je n’ai pas vu Monique.
Dur, moi ? C’est la société qui m’a corrompu, enfant j’étais très souriant ! Il semblerait que je sois plus doux en réalité (c’est Jp qui l’a dit !….).
Je n’ai pas aimé cette série. je ne saurais l’exprimer de manière intelligente et argumentée. Les acteurs m’étaient antipathiques tout comme les personnages. Le rythme trop lent pour moi (même si je savais que l’on était pas chez Terminator) et m’endormais constamment à une époque où j’étais assurément moins fatigué…
Je garde en mémoire un visionnage cauchemardesque, d’autant plus que je me suis forcé à tout regardé pour faire plaisir à mon frangin qui en attendait mon retour…
En série scandinave, j’ai préféré dans un autre style : « The Killing », beaucoup moins froid.
Dommage, car beaucoup des thématiques abordées dans « Real Humans » semblent sorties tout droit de…. »Pluto » !
@Patrick – Je te confirme que Jonathan Luna a fait de gros efforts sur les décors, et ça se voit tout du long des 15 épisodes que dure cette série. Merci pour les précisions sur la série Real Humans que je connaissais pas.
Comme toujours, c’est un plaisir de te lire Présence. Je fais partie de ceux qui n’accrochent pas du tout au dessin des Luna, mais là il semble qu’il faudrait que je passe outre tellement ça a l’air intéressant. Avez-vous remarqué que souvent, la physionomie des dessinateurs transparaît dans leurs dessins ? Comme les personnages des Indestructibles (le Pixar) qui rappellent fortement leur auteur, le fantastique Brad Bird. C’est la première fois que je vois une photo de Luna et je comprends immédiatement sa vision du dessin.
Pour l’histoire, cela ressemble fortement à Real Humans, la série SF suédoise, sans doute moins branchée technologie, mais très réaliste. Bref, je note, ça m’intrigue beaucoup. D’ailleurs je viens d’acquérir Sex Criminals tome 2 et Deadly Class.
Les dessins des frères Luna ne sont pas mon mode graphique préféré, mais ils racontent l’histoire avec clarté. J’ai fini le troisième et dernier tome, et cette série a été excellente de bout en bout.
Je suis très tenté par cette série (qui pour une fois en plus est terminée:). Je trouve aussi que l’esthétique neutre avec une certaine dimension numérique sert le propos. Très bel article as usual.
J’ai lu les deux premiers numéros et ai été happé par l’histoire !!!
Décidément je crois être fan des Luna (rien à voir avec le fait qu’une petite fille chère à mon coeur…euh…rien)
Indépendamment d’intérêts personnels sans rapport avec Jonathan Luna (et Sara Vaughan), je te conseille vivement la suite qui fait preuve d’une sensibilité tout aussi prévenante et intelligente, à chaque épisode. Cette histoire reste dans ma mémoire comme une réussite totale.
Je viens de lire le premier tome édité en VF chez Delcourt, et je suis fort marri de devoir attendre juin 2017 pour lire la suite, mais l’attente a des vertus si les séries ne sont pas interminables, puisqu’elle offre la possibilité d’une nouvelle lecture.
Ta chronique est impeccable et notamment sur le thème des ces premiers épisodes, à savoir l’interaction entre deux personnes dans un couple et les attentes que l’on peut avoir au début d’une relation avec un nouveau partenaire. J’ai trouvé surprenante la franchise de la discussion entre Alex et sa généreuse grand-mère, et de manière générale l’honnêteté des rapports qu’il entretient avec ses amis, même si il aurait préféré gardé son secret pour lui, ainsi que celle qui débute avec Ada.
Alex a généré chez moi une sympathie immédiate, qui fait que je m’intéresse dorénavant à son sort et celui d’Ada.
Je pense que comme toi j’ai été très sensible à la franchise et à l’honnêteté de la série, qui sont avant tout celles du scénariste (ou des scénaristes pour ne pas oublier Sarah Vaughn), ce qui pour moi s’apparente à la volonté des auteurs de transcrire leur propre réflexion sur la relation de couple, sur leurs attentes vis-à-vis de leur conjoint(e). Je garde un excellent souvenir de cette série et de la personnalité de ces auteurs qui transparaît dans leur œuvre, avec la chance de l’avoir lu assez rapidement par rapport au rythme VF que tu indiques.
ça a quand même l’air de ressembler beaucoup à la série REAL HUMANS
oh non Eddy, c’est nettement moins chiant que RH 🙂