Batman : The Dark Prince Charming par Enrico Marini
Une marinade de JP NGUYEN
VO : DC Comics
VF : Dargaud
1ère publication le 18/06/19 – MAJ le 29/08/20
Publiée en 2 tomes de 72 pages au format européen en 2017-2018, Batman : The Dark Prince Charming est une histoire hors-continuité de l’homme chauve-souris, écrite et illustrée par Enrico Marini, un auteur italien connu et reconnu pour son travail de dessinateur sur les séries RAPACES (scénario de Dufaux), LE SCORPION (scénario de Desberg) ou encore LES AIGLES DE ROME (en solo). Au menu, un nouvel affrontement entre le Dark Knight et son ennemi juré le Joker, avec pour nouvel enjeu le sort d’une petite fille dont le père n’est autre que…
Ouf, l’annonce spoilers tombe pile à temps, j’allais commettre un impair en dévoilant le père….
Pendant l’été 2017, je me souviens avoir eu vent de ce projet : une histoire de Batman réalisée par Marini. Ca m’a ramené 20 ans plus tôt, lorsque je découvrais cet auteur dans « Les Yeux Noirs », le tome 4 de GIPSY, une de ses premières séries, écrite par Thierry Smolderen et prêtée par un pote étudiant (Thom’, je crois). C’était un temps où voir l’équipe de France gagner la Coupe du Monde de football était pure fiction… et c’est pourtant ce qu’il se passait dans cette BD dont je garde un souvenir brumeux mais sympathique (je crois Tsagoï le gitan transportait dans son camion du caviar de mauvaise qualité ainsi qu’un autre chargement encore moins ragoutant…).
Bref, ce qui m’avait le plus marqué, c’étaient les chouettes dessins de Marini.
Quelques années plus tard, un autre pote (Seb) achetait la série RAPACES et me prêtait ses tomes (alors que le susnommé Thom’ ne m’avait jamais prêté ses Seb, à moins qu’on ait utilisé son appareil à crêpes, une fois ou deux…). A la base, RAPACES, c’est un truc avec des vampires, alors moi, vous savez… c’est pas trop ma tasse de thé. Au passage, ça me rappelle la blague du vampire qui se fait une infusion avec un… Non, vous avez raison, on s’en tamponne. Ça se passait à New York, de nuit, avec de belles bastons et des nanas bien roulées. Les gus étaient habillés en rouge mais moins couverts que Daredevil et je me rappelle m’être dit que « Punaise, ce dessinateur collerait trop bien à un comics de justicier urbain… »
Bref, ce qui m’avait le plus marqué, c’étaient les chouettes dessins de Marini.
Or donc, quand j’appris qu’il s’était vu confier un projet Batmanien, je fus furtivement saisi par l’allégresse avant d’être assailli par le doute. Batman vs le Joker ? Une quinze-millionième fois ? Sur deux tomes au format BD ? Qu’est-ce que ça pourrait bien donner ? Je me rappelais le relatif flop de la collection Marvel Transatlantique des années 2000 avec des histoires réalisées par des auteurs européens (SPIDERMAN : LE SECRET DU VERRE, WOLVERINE : SAUDADE et DAREDEVIL&CAPTAIN AMERICA : DEUXIEME MORT). En 2011, JEUNES FILLES EN FUITE, une aventure des X-Women par Milo Manara, n’avait pas non plus été une réussite ultime du neuvième art…
Mais bon, il ne faut pas toujours s’attendre à ne lire que des chefs-d’œuvre. Et puis, ce qui m’intéressait le plus dans ce projet, c’étaient les chouettes dessins de Marini.
Dans la préface, Marini explique la genèse de cette BD par une rencontre avec le Dark Knight qui aurait déboulé un beau jour (ou était-ce une nuit ?) dans son atelier en exigeant que Marini lui livre une nouvelle histoire. Oui, oui, un peu comme Paul Dini dans son DARK NIGHT, Marini prétend malicieusement avoir dialogué avec l’homme chauve-souris, qui lui aurait intimé de lui écrire une histoire. Et on ne dit pas non à Batman ! Fort heureusement, le résultat ne donne pas l’impression d’un travail de commande. L’auteur s’avère être un bon connaisseur de la mythologie du justicier de Gotham et il en utilise les éléments les plus classiques tout en y amenant sa propre touche.
Les toits et les rues de Gotham City, le manoir Wayne, la Batcave, le bat-fan peut revisiter tous ces endroits familiers, somptueusement mis en images par Marini. Batman poursuivant des braqueurs ou rencontrant le commissaire Gordon à la lueur du bat-signal, ou encore cavalant après Catwoman la voleuse, autant de figures imposées dont l’auteur s’acquitte avec brio. Grâce à un scénario classique mais bien construit, l’histoire parvient à éviter l’écueil du simple défilé de scènes-clichés, même si certains passages sonnent un peu creux. Au cœur du récit, il y a Alina, une petite fille enlevée par le Joker, alors que sa mère prétendait avoir eu une aventure d’un soir avec Bruce Wayne et réclamait une conséquente pension alimentaire au playboy millionnaire.
Pour habiller ce pitch digne de Voici ou Closer, Marini agence habilement les scènes. Lorsque Batman débarque chez Killer Croc en brisant une verrière ou que Catwoman prend une pose acrobatique après avoir effectué son casse, je ne peux m’empêcher de songer que le dessinateur s’est avant tout fait plaisir en dessinant des poses iconiques. Toutefois, étant venu spécifiquement pour voir l’univers de Batman illustré par cet artiste, je ne saurais m’en plaindre ! Mais qu’est-ce qu’il a de spécial ce dessinateur ?
Eh bien… il ne dessine pas, il peint ! A l’aquarelle, il livre une vision à la fois classique et personnelle de Gotham City. Batman, Catwoman, le Joker ou Harley ont tous droit à un relooking personnalisé. Le chevalier noir porte une armure de Kevlar dont le design « réaliste » semble inspiré par le cinéma. Heureusement, lorsqu’il entre en action, le « Dark Prince » de Marini est bien plus dynamique et pêchu que, disons, le « Dark Knight » de Christopher Nolan ! Le côté clownesque du Joker est souligné par son maquillage autour des yeux et de la bouche, pour un visage davantage grimé que déformé. Le costume de Catwoman porte des lacérations qui marquent à la fois la griffe de la voleuse et la patte de Marini.
Le look des véhicules (la Batmobile, les motos de Bats et Catwoman, le fourgon du Joker) est également bien travaillé mais ce qui m’a davantage marqué, c’est la mise en scène des poursuites, avec un découpage et des cadrages entraînant une forte immersion, retranscrivant bien l’impression de vitesse par le biais de simples images statiques. Plus généralement, Marini assure sur les scènes d’action même si quelques-unes semblent superflues et faire office de remplissage. Par exemple, la scène d’interrogatoire de Killer Croc est plutôt ratée et évoque les pires moments d’un comics de Brian Azzarello (dialogues artificiels en moins).
J’ai été peu convaincu par les scènes de comédie, un peu trop convenues, que ce soit dans les répliques d’Alfred, les dialogues entre Selina Kyle et Bruce ou encore entre le Joker et Harley. Du côté des vilains, Marini introduit d’ailleurs Archie, un nain suicidaire faisant partie du gang du Joker. Avec son côté « clown triste », Archie est paradoxalement le ressort comique le plus réussi mais son rôle dans l’intrigue reste anecdotique.
En fait, celui qui vole la vedette, c’est le Joker, que Marini semble dessiner avec un plaisir communicatif. Dans cette incarnation, son large sourire n’est pas exagérément déformé et ne provient pas non plus d’une horrible cicatrice. Ce n’est qu’un visage maquillé mais que Marini parvient à rendre très expressif, avec des mimiques variées. Quand il joue du Rachmaninoff au piano, danse sous la pluie façon Gene Kelly ou se travestit en prostituée pour rencontrer Bruce Wayne dans un bar, le Joker ne se départ pas d’une certaine grâce.
A la première lecture, le suspense sur le véritable père de la petite Alina fonctionne relativement bien. Comme il s’agit d’un récit hors-continuité, l’auteur peut se permettre d’apporter un changement dans le statuquo de l’homme chauve-souris. A cet égard, selon le niveau d’attente du lecteur, il pourra trouver Marini somme toute assez timide, puisque son récit se conclue plutôt en mode mineur.
Pour ma part, étant venu à ce récit avec une attente limitée (lire du Batman classique avec de beaux dessins), j’en suis ressorti satisfait mais sans enthousiasme excessif. Marini semble s’être bien amusé à concocter ce diptyque, comme un gamin à qui on donnerait accès à des jouets longtemps convoités. Il livre une histoire solide mais sans grande envolée lyrique, revisitant avec beaucoup de respect et un peu de malice l’univers du Dark Knight. Bien qu’il ne s’agisse pas du scénar’ du siècle, j’aurai plaisir à relire ces albums… ne serait-ce que pour les chouettes dessins de Marini !
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La BO du jour : Puisqu’il est question de Prince et de Batman…
Pour ma part, étant venu à ce récit avec une attente limitée, j’en suis ressorti satisfait mais sans enthousiasme excessif. – Voilà qui résume bien mon ressenti… pour le tome 1, voire je l’avais même trouvé un peu poussif en termes d’intrigue. Difficile de m’intéresser à une prétendue paternité cousue de fil blanc. Par contre, j’ai été emporté par l’entrain du tome 2 où le plaisir d’Enrico Marini est très communicatif. Comme JP, le personnage que j’ai préféré est Archie.
Mais sinon, est-ce qu’ils sont chouettes les dessins de Marini ?^^
ça a l’air sympa. Comme tu le sais, j’aime bien aussi ce dessinateur.
Après…je lis peu de Batman en BD comme je le disais hier. Donc je sais pas…
En médiathèque peut être.
La version courte de mon avis sur les dessins et la narration visuelle du tome 2.
– Durant ces 66 pages, Enrico Marini s’en donne à cœur joie sur le plan visuel. Le spectacle commence dès la première page, avec ce bar coincé sous une ligne de métro aérien. Ça continue fort tout du long du récit avec une vue ciel de Gotham, une grande halle avec une structure métallique (même si la disposition des poutrelles peut faire tiquer), les rues Gotham sous la pluie et la lumière blafarde des réverbères, une splendide salle avec une hauteur sous plafond monumentale pour la vente aux enchères du diamant, une rambarde en fer forgé sur laquelle Catwoman fait des cabrioles, la vue extérieure d’une centrale désaffectée, ou encore le gigantesque sapin de Noël dans la grande salle du manoir des Wayne. L’artiste se fait tout autant plaisir avec les personnages : un Batman massif rendu encore plus imposant par son armure, un Joker fantasque se lançant dans un Dansons sous la pluie très réussi, un Joker travesti en femme à la séduction troublante, une Catwoman pleine de grâce dans ses acrobaties. Bien sûr, le lecteur peut là encore détecter une hésitation entre une volonté de rester dans un registre réaliste (par exemple le combat de Batman contre les hommes de main de Joker) et une volonté esthétisante en dépit du réalisme (à commencer par les talons hauts de Catwoman, et les tenues provocantes d’Harley Quinn). Marini aime bien aussi jouer avec les expressions du visage du Joker en les exagérant un tout petit peu pour montrer leur intensité et la rapidité déconcertante avec laquelle Joker passe d’un état d’esprit à un autre, sans transition.
[…] Enrico Marini s’implique totalement dans la narration visuelle, citant des influences cinématographiques de manière discrète, et proposant des scènes d’action spectaculaires bien mises en page. Certes Batman se conduit comme un gros bourrin dans la course-poursuite à moto, mais celle-ci présente un vrai panache, avec une dynamique brutale rentre-dedans. Certes Catwoman réalise ses acrobaties avec des talons hauts plus propices à la cheville tordue qu’à la réception, mais le déroulement de son affrontement physique emmène le lecteur dans des mouvements qui s’enchaînent avec logique et des acrobaties à couper le souffle. Certes Batman continue de se conduire en gros bourrin en percutant le mur de la centrale avec sa grosse Batmobile cuirassée, mais les 4 pages d’affrontements physiques qui s’en suivent montre un combattant massif et brutal qui ne fait pas de cadeau et qui obtient des résultats. –
En plus je pense que j’aborderais les dessins différemment maintenant que j’ai lu ton article sur Gipsy qui m’a fait comprendre des caractéristiques que je n’avais pas su percevoir.
Sinon je me suis toujours demandé…mais QUI se dit que c’est une bonne idée de bosser pour le Joker ?^^ Le mec peut te flinguer s’il s’est levé du mauvais pied.
On sent vraiment que le gars se fait plaisir à représenter le Batman au combat, sa silhouette, qu’il essaie de recaser toutes les situations iconiques, d’avoir une représentation personnelle du Joker…
bref, je vais le lire un jour, un bibli je crois…
bravo pour le compte rendu plein d’humour JP…
@JP NGUYEN : Je n’ai toujours pas achevé la lecture de ce diptyque. Pourtant, je suis comme toi un grand admirateur du travail de Marini, mais j’avoue franchement que le JOKER me gonfle. Les années passent et sa seule présence dans une intrigue de Batman (ou autre) me fait lâcher aussitôt le bouquin. Il est aussi exaspérant qu’Axel Borg dans Lefranc.
Cela étant, ton analyse est très pertinente, je suis moi-même passé par nombre de tes réflexions. Peut-être qu’une ultime pichenette finira par me faire reprendre ces deux albums, mais pour l’instant ils vont rester dans la naphtaline.
Ah c’est donc bien cette chose ?
Je suis toujours passé à côté en librairie, sans m’arrêter. Ça ressemblait trop à un exercice de style un peu creux (démonstration iconique à la limite de l’illustration, sans réel concept autre que de rajouter une histoire par dessus ensuite).
Merci donc pour l’article qui me dit qu’en fait c’est du beau boulot, même si ça reste parfaitement basique en terme de scénario.
Une réédition en intégrale pour un cadeau de noël ? Pourquoi pas.
Et sinon, qui se souvient encore aujourd’hui d’Aldo la classe, Aldo Maccione ? Qui était fan de PLUS BEAU QUE MOI TU MEURS ou de TAIS-TOI QUAND TU PARLES, PIZZAÏOLO & MOZZAREL ou C’EST PAS MOI C’EST LUI et JE SUIS TIMIDE MAIS JE ME SOIGNE ? Moi moi !!! 😀
Je me rappelle très bien d’Aldo Maccione, un des héros de mon enfance, avec Jean Lefebvre et Louis de Funès…
Mais je n’ai quasi aucun souvenir de ses films !
Ça a hyppeeeeer mal vieilli. Pire que les comics old school ! 😀
L’été dernier, avec les enfants, on s’était regardé les deux premiers LA 7ÈME CIE. Ils ont beaucoup rigolé, et j’avoue que moi aussi j’ai passé un bon moment nostalgique, et trouvé drôles des choses que je n’avais pas capté à l’époque
Avant de lire l’article, je me suis dit « Ah, une énième histoire entre Batman et le Joker… »
Mais l’idée de l’aquarelle, et le style de Marini m’attirent l’œil, et puis j’ai bien envie de faire connaissance avec ces nouveaux personnages.
A lire, donc !
Merci JP !
Bon je résume : d’excellents dessins mais une histoire euh convenue… Ma foi si le plaisir des yeux est au moins au rendez-vous ce n’est déjà pas si mal !
Je dois confesser ne pas connaitre cet auteur, mais sortir de sa zone de confort n’est pas une chose si courante (ni si facile) qu’on peut au moins saluer l’initiative !
Bref si j’en ai l’occasion je lirais cette bd !
@Eddy : oui, il m’arrive de faire de l’humour en dehors des FR 😉 (le prochain et dernier de la saison me fait d’ailleurs suer sang et eau)
@Pascal : la deuxième partie m’a parue plus dynamique, comme l’a relevé Présence, et du coup cela relève l’ensemble.
@Tornado : moi aussi, je regardais les films avec Aldo
@tous : si vous êtes un tantinet amateur de Batman, ce récit devrait vous faire passer un bon moment. Rien de révolutionnaire mais de la belle ouvrage.
Oui je pense qu’on avait tous bien compris en lisant ton article 😉
Je suis amateur du personnage. J’étais moyennement motivé pour le lire, mais du coup grâce à ton article je vais lui donner sa chance 🙂
je fus furtivement saisi par l’allégresse avant d’être assailli par le doute
Un JP même furtivement saisi par l’allégresse, ça vaut le coup d’oeil
SPIDERMAN : LE SECRET DU VERRE, WOLVERINE : SAUDADE et DAREDEVIL&CAPTAIN AMERICA : DEUXIEME MORT) : qui se charge de couvrir ça ?
J’ai bien aimé cette histoire haute en couleur qui m’a rappelé l’univers des jeux Arkham Asylum.
« une infusion avec un… Non, vous avez raison, on s’en tamponne. » Krkrkrkr <- je suis mort de rire !
"les chouettes dessins de Marini" Je te rejoins totalement là-dessus, et j'hésite encore à mes les prendre pour cette raison.
A te lire (ça fait super plaisir), c'est une histoire plutôt mineure, je ne vais donc pas me ruer dessus, mais bon sait-on jamais… lorsqu'il sera réédité en un tome peut-être ? En tout cas merci pour le tour d'horizon d'une bd qui a beaucoup fait parler !
La BO : je ne suis pas fan de cet album de Prince mais ce titre est plutôt réussi, totalement déconstruit, sonne totalement comme du Prince et le clip m'avait bien marqué. Je le trouve toujours très fort visuellement.
Rien à voir (enfin si un peu quand même) mais je me suis pris les 12 premiers tomes de la série Le Scorpion illustrée par Marini.
Il parait qu’au terme des 12 tomes il y a une « sorte de fin de cycle »…
Toujours pas de vraie fin cela dit.
Mais Marini a arrêté au tome 12.
Je vais voir si ça se tient suffisamment pour que je garde ces 12 tomes. C’est la classe visuellement en tous cas.