ENNIS WAR – 1° partie

Les comics de guerre de Garth Ennis

Par TORNADO

– C’est la guerre !

Cet article inaugure un cycle anthologique consacré aux comics de guerre écrits par le scénariste Garth Ennis, lequel en a fait une spécialité au cours de sa carrière, et l’une des thématiques principales de son œuvre.

Étant donné la vaste production du sujet, toujours en cours puisqu’Ennis est encore en activité (que Dieu lui prête vie !), et puisqu’il existe déjà plusieurs articles sur notre blog bien-aimé dédiés à certains de ces comics (souvent de la plume de mes collègues), cette suite d’articles rédigés par votre serviteur ne suivra aucun ordre chronologique préétabli, préférant égrainer les ouvrages par ordre de découverte, par association logique, ou ne faisant qu’en survoler quelques-uns, voire juste en se contentant de citer ceux qui ont déjà été abondamment explorés dans d’autres articles (qui a parlé du Punisher ?).

Parfois, au contraire, on se risquera à développer une série déjà présentée ailleurs s’il y a matière à le faire. Bref, pas de contrainte. Juste le plaisir de visiter la bibliographie de l’un des plus grands auteurs de l’histoire des comics qui, s’il ne plait pas à tout le monde, a le mérite de mettre tout le monde d’accord sur le fait qu’il sait écrire sur la guerre…

La guerre, ça laisse des marques !
© DC Comics / Vertigo (VF : le Téméraire)

LE SOLDAT INCONNU par Garth Ennis & Kilian Plunkett (1997)

Première mini-série de quatre épisodes réalisée avec le dessinateur Kilian Plunkett (et les couvertures de Tim Bradstreet) sous le label Vertigo. Elle ne doit pas être confondue avec les autres versions du personnage, notamment celle de 2008/2010 par Joshua Dysart & Alberto Ponticelli (SOLDAT INCONNU), publiée en quatre tomes VF chez Urban Comics.

Le pitch : Lors d’une enquête complexe et atypique, William Clyde, un agent de la CIA, découvre l’existence d’un mystérieux soldat, inconnu de tous, qui aurait participé à tous les derniers conflits internationaux américains.

L’enquête va mener notre agent sur la piste d’un homme au visage bandé, sorte de justicier insaisissable autour duquel pleuvent les morts, dont l’origine remonte à la seconde guerre mondiale, depuis le camp de concentration de Dachau…

Un décor hélas immédiatement reconnaissable… Cette fois, Ennis n’est pas là pour rigoler !
© DC Comics / Vertigo

Le personnage du Soldat Inconnu est un classique estampillé DC Comics, une création de 1966 (par Joe Kubert et Robert Kanigher) dont l’illustration cache traditionnellement, derrière un patriotisme de pacotille, exacerbé et artificieux, une métaphore et une critique acerbe à propos de toutes les actions stupides que les différents gouvernements peuvent commettre dès lors qu’ils sont impliqués dans un conflit armé. Il s’agit d’un militaire spécialisé dans les missions les plus périlleuses, fréquemment envoyé au bout du monde, depuis la seconde guerre mondiale.
Son visage ayant été brûlé à la guerre, il porte des bandelettes façon “momie”, ne dévoilant que ses yeux (rouges) et sa bouche aux dents perpétuellement serrées, le tout dissimulé sous un uniforme de soldat et un chapeau à larges bords.

Bref, un sujet en or pour notre auteur, dont les thèmes de prédilection vont trouver, comme nous allons le voir, le terrain idéal afin de s’épanouir dans une harmonie parfaite…

Inconnu au bataillon ?
© DC Comics / Vertigo

Voici une œuvre remarquable de la part de notre auteur, alors qu’il s’agit au départ d’un simple travail de commande, un labeur de jeunesse (il a vingt-sept ans à l’époque) qu’il réalise à la fin des années 90 sous le label Vertigo, la branche adulte de DC comics. Notons qu’Ennis vient alors de livrer son dernier travail sur la série HELLBLAZER, qui l’aura occupé pendant une bonne partie de la décennie, et qui l’aura durablement installé aux USA dans le haut du podium de tous les auteurs de comics venus de Grande-Bretagne.

Notre irlandais nous livre ici un one-shot d’une formidable inventivité. Son script, qui évite tous les clichés naïfs liés habituellement au marché des comics (voire aux histoires de guerre), est à la fois original et virtuose.
Le scénariste commence par contrarier toutes les attentes de son lecteur en reléguant son icone au rang de personnage secondaire. Mais il s’agit d’un parti-pris constructif qui, loin de léser le lectorat, apporte à cette figure mystérieuse du Soldat Inconnu une aura fascinante. Car tout au long du récit, on découvre sa véritable nature par procuration, par petites couches successives, à travers ceux qui l’ont rencontré à un moment donné et qui colportent son mystère…

Les dommages collatéraux : L’un des sujets préférés de Garth Ennis…
© DC Comics / Vertigo

En mêlant tous les conflits ayant impliqué les États-Unis avec une histoire d’espionnage, de trahisons en haut lieu et en insistant sur la folle cruauté générée par cette mécanique malsaine, Ennis brosse un tableau critique corrosif de la politique impérialiste américaine.
Et la construction de l’intrigue est épatante. Comme dit plus haut, Ennis réussit à échapper à tous les archétypes des histoires de guerre et d’espionnage en troussant un scénario unique en son genre, échappant même à ses propres habitudes en développant un récit exempt de tout humour et de toute pointe de provocation surréaliste !
Par son seul talent de conteur, il va même parvenir un temps à nous faire croire à une histoire de héros ordinaires, au détour d’une poignée de personnages attachants, avant de les mener à une conclusion complètement inattendue.
Parallèlement, il y développe ses thèmes favoris et, outre celui de la guerre, on y trouve ses corolaires comme la hiérarchie et les dommages collatéraux, l’Histoire (avec un grand “H”) et sa relation avec les conflits qui en découlent, ainsi que le monde des services secrets, infecté par toutes sortes de manipulations internes.

Le graphisme de Killian Pluncket peut, au début, rebuter le lecteur habitué aux jolis dessins (c’était la marque du label Vertigo, surtout à ses débuts, que de s’éloigner des canons racoleurs des comics de super-héros). Pourtant, son trait tremblant, cru et assez gore selon les séquences, dévoile au second plan une somme de détails extrême et une application sur les décors de l’ordre de la maniaquerie. A l’arrivée, sans être particulièrement esthétique, il sert très bien le récit.

Les femmes selon Ennis : Tout sauf des potiches !
© DC Comics / Vertigo

Remarquons enfin la qualité du travail sur la caractérisation des personnages, qui échappent eux aussi aux clichés habituels, avec notamment un relationnel hommes/femmes qui sort des sentiers battus, enterrant cette sotte croyance que colporte une partie du lectorat selon laquelle Garth Ennis serait un vilain misogyne.

Au final, par sa construction et le développement de ses personnages, LE SOLDAT INCONNU sort vraiment du lot et s’impose comme un comic-book unique en son genre.

Un Ennis sérieux, impliqué, pénétrant et concis, pour un récit conceptuel d’un rythme implacable, d’une ironie constante et d’une maîtrise narrative hors du commun : C’est l’essor d’un auteur qui parvient peu-à-peu à se détacher des grandes franchises (le thème de la guerre avait déjà été abordé de biais dans la série HELLBLAZER) et qui parviendra bientôt à imposer ses propres créations, dans lesquelles ce thème majeur tiendra un rôle conséquent, si ce n’est le rôle principal.

It’s time to planes…
© Marvel Comics / Panini Comics

WAR IS HELL par Garth Ennis & Howard Chaykin (2008)

Nous faisons un bond en avant d’une dizaine d’années pour retrouver notre auteur derrière une autre vieille franchise de héros de guerre, mais cette fois chez le concurrent à supers-problèmes de la Distinguée Concurrence… j’ai nommé Marvel Comics !

À l’origine, L’Aigle-Fantôme est un personnage créé à la fin des années 60 dans la série anthologique MARVEL SUPER-HEROES par Herb Trimpe & Gary Friedrich. Il s’agit d’un aviateur américain d’origine allemande qui décide de prouver son patriotisme en défendant son pays lors de son entrée dans la Première Guerre mondiale. Tué en plein combat, il revient sous la forme d’un aviateur fantôme pour se venger ! On le verra effectuer cette vengeance (en abattant celui qui l’avait envoyé au trépas) dans un épisode de GHOST RIDER !

En 1973, une nouvelle série Marvel intitulée WAR IS HELL propose des rééditions de vieux récits de guerre, où un autre personnage, le polonais John Kowalski, vole également par-delà la mort…

Garth Ennis profite ici du label MAX (une relecture de personnages Marvel la plupart du temps hors-continuité, sans aucune censure) pour réinventer le fameux Aigle-fantôme (qui se nomme Karl Kaufmann) en le débarrassant complètement de ses oripeaux pour en faire un simple soldat de la Grande Guerre, dans un cadre parfaitement réaliste. Quant au titre WAR IS HELL, ce n’est là aussi qu’un prétexte pour travailler sous la bannière Marvel !

© Marvel Comics

C’est donc l’histoire d’un jeune aviateur au temps de la Première Guerre mondiale. Nous suivons son parcours dans ce qui deviendra plus tard la Royal Air Force, de ses débuts entant que bleusaille à ses exploits de guerre. Dit comme ça, la trame de l’histoire peut paraître romanesque. Il n’en est rien. Ennis et le dessinateur Howard Chaykin composent une quête initiatique réaliste qui ne fait pas dans la dentelle : C’est tragique, cruel et antihéroïque au possible. Pas de méchants, aucun archétype relatif aux récits historiques. Les héros de WAR IS HELL sont de simples hommes qui vivent la guerre de l’intérieur et de manière viscérale, évitent les belles manières quand il s’agit de survivre et morflent face à la mort.

Garth Ennis réussit une fois de plus son alchimie réflexive et défoulatoire sur l’absurdité de la guerre. C’est densément documenté, caustique et cynique, violent -voire gore par moment-, bassement sarcastique mais très attachant, car le scénariste possède un “sens du détail” et un humour bien à lui qui font que l’on ne s’ennuie jamais.
Si notre bonhomme a fait de la seconde guerre mondiale une de ses terrains de jeu favoris, il fait ici une entorse à ses habitudes en embrassant la Guerre 1914-1918, qu’il décortique de l’intérieur, depuis les premiers combats aériens jusqu’à la vie dans les camps, beaucoup plus terre à terre…
Ennis n’a pas son pareil pour gorger son scénario de références historiques sans alourdir un seul instant le cœur du récit, vécu en gros plan par une poignée de personnages.
Son style relativement provocateur et son humour en dessous de la ceinture peuvent ne pas plaire à tout le monde. Mais son talent de conteur est objectivement exceptionnel.

© Marvel Comics

Je n’ai en revanche pas été conquis par la partie graphique. Le vétéran Howard Chaykin, s’il réalise de belles images lors des combats aériens, opte pour un découpage des planches paresseux et monotone, représentant les événements par une succession d’images fixes pas toujours bien reliées entre elles. Au lecteur de conceptualiser l’enchaînement des faits par le texte !

Quant à la physionomie de ses personnages, c’est un supplice tant ils sont affreux, caricaturaux et souvent tous plus ou moins ressemblants (trimbalant les mêmes expressions grotesques). Un dessinateur qui, tout comme un certain Richard Corben, a évolué vers un système de représentation humaine très particulier. Je sais que certains lecteurs sont fans de cet artiste. Ce n’est pas mon cas.
L’histoire se lit néanmoins d’une traite, nous faisant regretter, à la fin, de quitter ces personnages et ces lieux, pourtant bien inhospitaliers…

Un dessin… particulier.
© Marvel Comics

Les fans des comics de guerre de Garth Ennis l’ont très vite remarqué : L’auteur est passionné par les armes, non pas par fétichisme, mais pour l’alchimie qu’elles tissent fatalement avec les comportements humains et les effets et autres répercussions qu’elles peuvent engendrer sur les petites histoires comme sur la Grande. En se focalisant sur certaines d’entre elles, notre auteur a découvert que les armes racontent une certaine aventure humaine, tout à fait passionnante à décrypter.

Parmi toutes ces nombreuses créations meurtrières, tristement célébrées dans son pays d’adoption, Ennis semble s’intéresser à deux d’entre elles en particulier : les tanks et les avions. WAR IS HELL fait donc la part-belle à la seconde catégorie. Quant à la première, nous y arrivons…

© Dark Horse Comics

WORLD OF TANKS par Garth Ennis, Carlos Ezquerra (épisodes #1 et 2) & P.J. Holden (épisodes #3 à 5) (2016)

Nouveau bond en avant dans le temps pour ce comic-book en cinq parties publié chez l’éditeur Dark Horse en 2016 comme l’adaptation officielle, sous forme de bande-dessinée, d’un célèbre jeu-vidéo à succès.

Au départ, je ne représente pas du tout le cœur de cible de cet album, puisque je ne joue à aucun jeu-vidéo (je ne sais même pas si ça s’appelle encore comme ça vu que celui-ci se joue “online” si j’ai bien compris), que je déteste ça, et que cela m’intéresse à peu-près autant qu’une boite d’allumettes vides, écrasée et desséchée…
Je ne sais donc absolument pas de quoi il retourne à propos du produit initial et je ne pourrais certainement pas vous dire s’il s’agit d’une adaptation fidèle, si elle entretient un rapport plus ou moins étroit avec la chose, ou si au contraire elle s’en démarque de près ou de loin.

Un monde dominé par les tanks !
© Dark Horse Comics

Pourtant, cet album évoque un intérêt certain chez moi car il met en scène une histoire de chars d’assaut, et de chars de la deuxième guerre mondiale, qui plus est.
Cela m’étonne moi-même aujourd’hui, mais lorsque j’étais jeune adolescent (autour de dix-douze ans), j’étais passionné par les chars en général, par ceux de la 2nde guerre mondiale en particulier, et surtout par les chars allemands. Je collectionnais alors tous les livres qui traitaient de ce sujet, je fabriquais patiemment des maquettes que je peignais avec minutie (et que je plaçais dans des décors reconstituant tel ou tel épisode de telle ou telle bataille célèbre !), et j’étais même abonné à un magazine spécialisé : L’ENCYCLOPÉDIE DES ARMES !
Je me passionnais alors pour la suprématie de ces panzers (dont les deux stars demeuraient le “Tigre” avec son canon de 88 mm et le “Panther” avec son 75 mm, même si l’on appréciait également les “Panzerkampfwagen I, II, III et IV”, le “Jagdpanzer”, son cousin le “Jagdpanther”, le “Tigre II” (ou “Tigre Royal”) et enfin le surpuissant “Maus” de 188 tonnes armé de son canon de 128 mm resté à l’état de prototype !), capables de réduire en bouillie n’importe quel char ennemi, tout en résistant à ces derniers dont les coups de canon venaient ricocher sur leur blindage.

Néanmoins, je nourrissais également une grande affection pour les chars américains et principalement pour le “M4 Sherman”, d’abord parce qu’il était le char emblématique du camp des « gentils”, ensuite parce qu’on le voyait dans un grand nombre de films de guerre, notamment dans le jouissif  DE L’OR POUR LES BRAVES (réalisé par Brian G. Hutton en 1970, avec Clint Eastwood, Donald Sutherland et Telly Savalas !), et non dans LA BATAILLE DES ARDENNES (réalisé par Ken Annakin en 1965) qui, bien que demeurant un excellent “film de chars”, mettait en scène de faux blindés (principalement des “M24 Chaffee” à la place des “M4 Sherman”, et des “M47 Patton” pour figurer les “Tigres” et les “Panthers” !) faute de ne pouvoir utiliser un grand nombre de chars d’époque à l’écran…

© Dark Horse Comics

WORLD OF TANKS – ROLL OUT (le comic-book) raconte l’histoire de deux groupes ennemis s’affrontant sur le front de Normandie peu après le débarquement, avec d’un côté un escadron britannique à la tête d’un bataillon de quelques chars “Sherman Firefly” (un modèle de “M4 Sherman” amélioré par les anglais en terme de puissance de feu) et surtout d’un grand nombre de “Cromwell A-27” (le char britannique principal de son époque), et de l’autre une unité de panzers d’élite (principalement des chars “Panther”) menée par le commandant Haupman Karl Kraft (notons le clin d’œil à WAR IS HELL). Parmi les chars “Cromwell”, l’un d’eux s’avère être un prototype engagé sur le front par erreur, dont le faible blindage rend le véhicule deux fois plus rapide, ce qui va changer le cours de la bataille…

En termes de conflits du XX° siècle, on songe parfois qu’Ennis pourrait en remontrer à plus d’un historien, mais on est surtout épatés par la maitrise avec laquelle il nous raconte une histoire de guerre. Avec lui, on sort du schéma manichéen primaire pour découvrir qu’il y a du bon et du mauvais dans tout être humain quel que soit le camp dans lequel il se trouve, on perçoit la complexité des conflits embrouillés par les arcanes de la hiérarchie, et l’on vit ces histoires de l’intérieur, à hauteur d’homme.
Son point de vue est plutôt original puisqu’il s’attarde surtout sur le quotidien des soldats plutôt que sur les hauts faits ayant marqué l’histoire. Il s’agit donc pour le lecteur d’assister à une série de “tranches de vie” plutôt qu’à des batailles spectaculaires, même si celles-ci ne sont pas oubliées… La plupart du temps, Ennis soigne sa narration, ses dialogues, dessine la personnalité de chaque individu, principal ou secondaire, avec une verve et un sens du détail qui n’appartiennent qu’à lui. Puis il compose une toile de fond passionnante, richement détaillée et documentée, là encore pleine de détails parfaitement vérifiables d’un point de vue politique (les décisions inhumaines prises en haut lieu), mais aussi d’un point de vue technique (les armes -ici la technologie liée aux véhicules blindés-, le langage tactique militaire, etc.) et d’un point de vue historique (les soldats de l’ombre, à telle période et à tel endroit). À ce stade, Ennis n’a plus rien à prouver. C’est un maitre de la bande-dessinée de guerre.

L’humain, avant tout…
© Dark Horse Comics

Pour autant, cette adaptation de WORLD OF TANKS n’est pas le meilleur travail du scénariste en la matière (on est loin de ses BATTLEFIELDS et autres WAR STORIES sur lesquels nous reviendrons dans un prochain article). On ne peut pas dire qu’il ait pris le sujet à la légère car on y retrouve toutes les qualités de fond relevées plus haut. Le problème, en vérité, tient davantage à la forme.

Si Ennis fait toujours le nécessaire pour s’adjoindre les services des dessinateurs avec lesquels il aime travailler, on ne peut hélas pas dire qu’il fait équipe avec les meilleurs. Pourtant, Carlos Ezquerra sort habituellement du lot (voir l’excellente série JUST A PILGRIM, probablement leur meilleure association. Et puis il est le créateur de JUDGE DREDD !). Mais ici, ce dernier réalise un boulot à l’arrache. Et c’est encore moins bon avec les trois épisodes dessinés par P.J. Holden. L’amateur de tanks et de batailles militaires espère voir de magnifiques spécimens de ces chars, richement détaillés, exposés sous toutes leurs coutures et toute leur majesté. Il devra hélas se contenter de dessins grossiers, où l’on peine à différencier les différents types de blindés, perdus au milieu d’une série d’explosions minables, illustrées chichement afin de mieux masquer le manque de détails. A l’arrivée, ce n’est quand même pas une catastrophe, mais ça sent globalement le travail précipité avec un traitement du sujet principal -les tanks- grossier et sous exploité.

D’un point de vue strictement formel, le scénario de Garth Ennis pêche également par manque de précision et plus d’une planche s’avère difficile à déchiffrer, la mise en scène des mouvements de chars et des affrontements n’étant franchement pas toujours évidente à saisir.
Si les dialogues sont une fois encore soignés et sophistiqués (bien qu’en apparence un peu rudes puisque soumis à une volonté de sonner “vrais” lorsqu’ils sortent de la bouche des soldats au front, certains pratiquant un argot bien senti), l’ensemble souffre de ruptures brutales au sein de la narration dues à un découpage à la serpe, comme si le story-board avait été bâclé.
Au bout du compte, on ressort déçu de cette lecture au vu de ces dessins grossiers et de ce découpage laborieux, alors que l’on pouvait s’attendre à beaucoup mieux.
L’ensemble demeure tout à fait divertissant et sort tout de même du lot grâce à la personnalité de son auteur. Pour le lecteur de passage pas très regardant sur la forme, ça passe, mais pour le lecteur “aguerri” (ahahah !) et familier des œuvres de guerre de Garth Ennis, ce n’est pas à mettre dans le haut du panier.

Ce premier article d’une suite en cours d’écriture vous a proposé trois ouvrages distincts. Trois one-shots variés qui exposent chacun une facette de l’œuvre de notre scénariste sur les histoires de guerre, sur ses marottes et sur ses armes de prédilection, tout en restant dans le registre des adaptations (libres, il va sans dire avec Garth Ennis). Le premier est un chef d’œuvre du genre, le second est un bon divertissement, et le troisième un travail de commande plus ou moins décevant.

Nous n’avons pas encore abordé les propres créations de l’auteur. Nous reviendrons donc bientôt pour conter la suite de cette bibliographie exceptionnelle où le meilleur, n’en doutons pas, reste encore à venir…

Niveau dessin, on a quand-même vu mieux…
© Dark Horse Comics
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La BO : The Doors – THE UNKNOW SOLDIER (LIVE AT THE BOOL ’68)

17 comments

  • Jyrille  

    Merci Tornado pour ces présentations et informations ! J’étais persuadé que le Soldat inconnu n’était le fait que de Dysart (je n’en ai pas lu un seul exemplaire). Le personnage rappelle énormément celui d’un privé de 100 BULLETS.

    J’aimerais bien lire tout ça mais j’ai la flemme de chercher surtout que, même si les scans présentés ne sont pas horribles (tu fais bien de rappeler les premiers Vertigo), ils ne sont pas non plus très attirants.

    Je savais que WORLD OF TANK était un jeu vidéo, mais pas du tout que le jeune Tornado en était dingue ! C’est marrant, je ne te voyais pas du tout comme ça. Je suis sûr que ce doit être passionnant mais en tant qu’inculte des chars, je ne saurais pas les reconnaître.

    La BO : super. J’avais vu la vidéo complète du concert en VHS, il y a trente ans environ. Je me souviens bien de ce passage (super mise en scène non ?) mais j’avais oublié la chanson, elle est cool.

    • Tornado  

      Je n’ai jamais été fan du jeu WORLD OF TANK puisque je déteste les jeux-vidéos et que je n’y ai jamais joué ! 🙂
      J’aimais les tanks quand j’étais pré-ado. Je collectionnais tout ce qui touchait à ce thème (maquettes, films, livres), je me passionnais pour les grandes batailles de chars (Koursk, les Ardennes, El Halamein) et j’étais donc abonné à la revue L’Encyclopédie des Armes rien que pour ça…
      Mais c’est normal que tu ne me voyais pas du tout comme ça : Je ne suis absolument plus du tout comme ça et le pré-ado en question était une autre version de moi-même aujourd’hui totalement disparue ! 🙂
      Cela-dit je garde encore une petite affection pour les chars de la 2nde guerre mondiale, puisque je les connais, et j’ai apprécié les comics de guerre de Garth Ennis (notamment les BATTLEFIELDS et les WAR STORIES) d’autant plus que j’étais capable de partager cette connaissance avec l’auteur (la lecture à l’époque de L’Encyclopédie des Armes m’ayant également rendu connaisseur des avions de guerre et autres machins de type half-track, transporteur de pont et autres bizarreries de machines à tuer)…

      Le concert : Il faudrait que j’essaie de voir si ces prestations des Doors (et même d’autres groupes de l’époque) ont été remasterisées, parce que j’ai vu tout ça comme toi dans des versions VHS et la qualité était quand même très moyenne.

  • zen arcade  

    Superbe article.
    Je pense que World of tanks est le seul comic de guerre d’Ennis que je n’ai pas lu. Je crois que je vais continuer à faire l’impasse.
    Unknown soldier, je l’ai récemment mis dans ma pile de comics à relire. Je vais peut-être me laisser tenter dès ce soir.

    La BO : je n’aime pas du tout

  • AlbanX  

    Un immense merci pour cette chronique…et sa suite. C’est la série d’articles dont je rêvais sans oser l’espérer. Pour ce premier opus j’ai 100% de complétion, j’attends la suite avec une grande hâte car je crois en avoir manqué, enfin je l’espère très fort.

  • JB  

    Merci pour ces retours !

    Le Soldat Inconnu : gros coup de coeur à l’époque du Téméraire, pour une relecture très noire et désabusée du « héros de guerre » américain, qui se pense investit d’un « juste » droit lui autorisant les pires atrocités. Et pourtant, je connaissais la version classique du personnage, déjà plus sombre qu’un Sergent Rock par exemple…

    War is Hell : Howard Chaykin, je ne parviens pas à entrer dans son style moderne, je trouve que ses héros ont tendance à se ressembler les uns les autres. Pourtant, l’histoire du héros qui passe de bleu naïf à vétéran qui a perdu ses illusions est très sympa, même si je l’ai trouvé en deçà d’autres récits du même genre.

    World of Tanks : pourquoi pas ? Je connais assez peu de film sur ce genre, à une exception, LA BÊTE DE GUERRE sur un char soviétique perdu en territoire afghan. Tiens, je me demandais si Ennis avait écrit sur un fameux char de DC Comics, Le Tank Hanté, et voit que c’est le cas dans The Demon 46 à 48 ! Mais c’est John McCrea aux dessins,

  • Fletcher Arrowsmith  

    Salut.

    Un très bon article qui va en amener d’autres.

    Chouette pour le blog ….. moins pour moi 🙂

    A part LE SOLDAT INCONNU les deux autres titres ne m’intéressent pas malgré les qualités que tu mets très bien en évidence (la partie graphique me rebute en plus).

    Je me souviens avoir lu DREAMING EAGLES de Garth Ennis, publié chez Aftershock. Cette mini série m’était tombée des mains

    En plus je ne n’arrive pas à prendre du plaisir à la lecture en VO de Ennis, l’anglais employé n’est pas de mon niveau où du moins me fait passer un moment de lecture éprouvant donc expérience désagréable.

    Mais la qualité de la prose du à l’enthousiasme et l’érudition du rédacteur me font néanmoins penser que c’est la première fois que je prends autant de plaisir à lire du (sur plutôt) Garth Ellis. Et cela ce n’était pas gagné.

    Sans surprise j’adore la BO

  • zen arcade  

    « Je me souviens avoir lu DREAMING EAGLES de Garth Ennis, publié chez Aftershock. Cette mini série m’était tombée des mains »

    Excellente mini-série en ce qui me concerne.
    Du très très bon Ennis.

  • Présence  

    J’ai lu ces trois comics.

    Bien sûr, j’ai arrêté de lire ton article après la phrase : Je n’ai en revanche pas été conquis par la partie graphique. 😀

    Unknown soldier : je garde le souvenir d’un comics agréable, de Killian Plunket en mode différent de son travail sur les superhéros, et d’un quatrième épisode où les personnages dialoguent très longuement pour tout expliquer.

    War is Hell : j’ai beaucoup aimé ta remarque sur les caractéristiques de la narration visuelle de Chaykin. C’es tout à fait ça.

    Un dessinateur qui, tout comme un certain Richard Corben, a évolué vers un système de représentation humaine très particulier.

    Je me rends compte en lisant cette remarque que j’apprécie d’autant mieux ce système que j’ai vu l’artiste évoluer d’histoire en histoire pour en arriver là. Du coup, ça fait sens à mes yeux.

    World of tanks : même moi, je n’y avais accordé que quatre étoiles. 🙂

    L’appréciation du lecteur sur cette histoire dépend de sa familiarité avec l’œuvre de Garth Ennis. Pour un lecteur prenant pour la première fois conscience du savoir-faire d’Ennis en matière de récit de guerre, il s’agit d’un récit étonnant, très riche, intelligent, avec des personnages masculins dans lesquels il est facile de se projeter. L’histoire a bénéficié de dessinateurs sachant transcrire les mouvements des chars, ainsi que les interactions entre les soldats. 5 étoiles. Pour un lecteur qui a déjà plongé dans la série Battlefields, ce récit est un peu moins dense.

    A Bruce, j’avais soumis des articles sur Dreaming Eagles (avec Simon Coleby) et Out of the blue (avec Keith Burns).

  • Bruce lit  

    Une excellente initiative que de s’attaquer à au versant nord de la montagne Ennis. Il y a tellement à dire qu’effectivement plusieurs articles seront bien utile même si, ton article le rappelle, tout n’est pas indispensable comme SOLDAT INCONNU que j’avais trouvé aussi remarquable que toi en déplorant que ce vieux Garth n’ai jamais développé de récits dans les camps de la mort.
    WAR IS HELL : le problème c’est que ces récits de guerre doivent être vus à hauteur d’homme pour m’intéresser. Les histoires d’aviation quelles qu’elles soient me font fuir et celle-ci ne fait pas exception. Comme toi, les graphismes de Chaykin me rebutent, le livre m’est tombé des mains.
    WORLd OF TANK : oui, tout ça est trop rigide et encore une fois les considérations techniques sur les véhicules de guerre me passent par dessus la jambe.
    La BO : grand groupe, grande chanson, chanteur d’exception. Que reste t-il aux autres ?

  • Tornado  

    @Zen : J’espère que mes paragraphes laudatifs sur LE SOLDAT INCONNU ne seront pas contre-productifs en générant de la déception à ta relecture comme ça arrive parfois !

    @ALban : Grand merci pour ton post sympa. Le seul problème avec mon projet d’anthologie sur les comics de guerre de Garth Ennis, c’est que je ne lis que la VF. Du coup, hélas, certains comics n’ayant pas encore été traduits, je ne peux encore pas tout couvrir. Wait & see…

    @JB : Aaaaargh ! Ce que tu dis est rageant parce que Urban va publier, dans leur HITMAN tome 2, les épisodes de DEMON #42-45 ! 😢

    @Fletch : Ennis ne peut certainement pas plaire à tout le monde. C’est tellement dommage que ça ne fonctionne pas avec toi. Mais je ne chercherais pas à te convertir. Certains essaient de le faire avec moi pour d’autres auteurs et ça ne sert à rien.

    @Présence : Tu as l’air bien tiède avec LE SOLDAT INCONNU dis-moi. Tu ne l’as vraiment pas aimé plus que ça ? 🧐

    @Bruce : C’est vrai qu’Ennis a très peu couvert les camps de la mort. Garde-t-il le thème pour plus tard ou ne se sent-il pas de le faire ? Tu lui as demandé ?

    • Fletcher Arrowsmith  

      @Fletch : Ennis ne peut certainement pas plaire à tout le monde. C’est tellement dommage que ça ne fonctionne pas avec toi. Mais je ne chercherais pas à te convertir. Certains essaient de le faire avec moi pour d’autres auteurs et ça ne sert à rien.
      Après ne jamais dire jamais … THE BOYS n’a pas non plus fonctionné sur moi. J’avais commencé son PUNISHER avec Dillon, mais ce n’était, à l’époque, pas MON Punisher. Comme j’aime beaucoup Dillon, je crois que je suis désormais mûr pour retenter l’expérience, bien que je comprenne toujours pas l’ordre de lecture entre Marvel MK, MAX , mini série ……
      Et puis il y a PREACHER. Je pense réellement que je vais l’apprécier celui là. Il suffit juste de trouver du temps pour m’y mettre. Je me verrais bien tenter l’expérience dans la collection Nomad d’Urban (je dévore FABLES ainsi).

      • Tornado  

        Marvel MK et MAX sont deux continuités totalement distinctes.
        – En MK, tu as la maxi-série WELCOME BACK FRANK, suivie de la série Marvel MK (37 épisodes), avec un coda : LA RÉSURRECTION DE MA GNUCCI (mini-série).
        – En MAX, tu as : Mini-série BORN + série régulière (59 épisodes) + 2 mini-séries coda : LA SECTION + SOVIET.
        – À tout cela on peut ajouter aussi le one-shot PUNISHER KILLS THE MARVEL UNIVERSE (que je n’ai jamais lu) et PUNISHER THE END.

        Pour s’y retrouver dans la série Marvel MK :
        https://www.brucetringale.com/ungrateful-dead-les-annees-marvel-knights-du-punisher/

    • Présence  

      La conclusion de mon article sur amazon où je te mentionne nominativement :

      Sans constituer un ouvrage majeur dans la bibliographie d’Ennis, cette histoire se laisse relire avec plaisir. Elle présente une vision nuancée de l’armée (et de la CIA) comme instrument de paix nécessaire, comme instrument très sale, et très salissant pour les individus accomplissant ce métier. Il est beaucoup plus critique sur les individus donnant les ordres et sur la moralité élastique de la nation des États-Unis. Unknown Soldier a effectué un retour remarqué des années plus tard dans Haunted House par Joshua Dysart et Alberto Ponticelli en 2008. Merci à Tornado de m’avoir rappelé l’existence de cette histoire.

      amazon.fr/gp/customer-reviews/R3FE48TPM62FFG/ref=cm_cr_dp_d_rvw_ttl?ie=UTF8&ASIN=B00NYIWZTE

      Un peu plus dans le détail :

      C’était l’époque où la branche éditoriale Vertigo servait à DC Comics pour tester des versions plus adultes de ses personnages les plus obscurs. Unknown Soldier a été créé en 1966 par Robert Kanigher et Joe Kubert (l’équipe historique des aventures de Sgt. Rock). Ses premières aventures ont été rééditées en noir & blanc dans Showcase Presents Unknown Soldier. C’était l’époque où le monde des comics américain découvrait le mordant d’un petit jeune venu de l’autre coté de l’Atlantique : Garth Ennis. Avec le recul, il est possible de reconnaître un thème cher à cet auteur : la nécessité de la guerre. L’enquête de l’agent Clyde permet à Ennis d’évoquer Dachau, mais aussi l’implication des États-Unis dans le régime du Chah en Iran en 1953, la guerre du Vietnam, les opérations secrètes au Nicaragua, etc. À chaque évocation d’un conflit, il est visible qu’Ennis sait de quoi il parle même si les opérations sont fictives. Par exemple lors de la scène de la libération du camp de Dachau, il évoque le fait réel que certains soldats ont massacré les officiers de sang froid en découvrant l’étendue de l’horreur de ce camp de concentration.

      En termes de structure narrative, il est possible également de reconnaître l’une des faiblesses d’Ennis : sa propension au long dialogue, très long (tout l’épisode 4 en fait). D’un coté le lecteur peut être rebuté par l’aspect artificiel de ce dispositif, pas très bien adapté au médium visuel qu’est la bande dessinée. De l’autre coté, c’est également la preuve qu’Ennis a d’autres ambitions que le simple comics d’action spectaculaire ou glauque. Il s’agit d’une histoire qui se lit facilement, plutôt linéaire, à l’exception des individus évoquant leur rencontre avec l’Unknown Soldier. Ennis sait rendre crédible l’agent Clyde, ainsi que Screwball, l’exécutrice qui l’accompagne pendant 2 épisodes. La scène finale expose longuement le point de vue des personnages dans un décor inattendu et macabre à souhait. L’histoire se conclut de manière nette et définitive.

  • Tornado  

    Oui, je me suis souvenu de ce commentaire entretemps !
    C’était l’époque où, dès que je te donnais envie de lire quelque chose, tu étais quasi-systématiquement déçu. Je me souviens que de voir des 3 ou 4 étoiles à mes coups de coeur alors qu’à côté du balançais des 5 étoiles pour du AVENGERS par Bendis ou du SPIDEY/WOLVERINE par Aaron, ça me rendait fou ! 😅 (sans compter les comics old-school où pleuvaient aussi les 5 étoiles)
    Pour moi qui découvrait l’univers de Vertigo à l’époque, il n’y avait vraiment pas photo : Une création comme LE SOLDAT INCONNU par Garth Ennis, c’était le tout haut du pannier et ça méritait plus que toute la production mainsteam autour. 4 étoiles pour une oeuvre (voire même un chef d’oeuvre), et 5 étoiles pour du mainstream industriel : Mon cerveau n’arrivait vraiment pas à comprendre !!!

  • Eddy Vanleffe  

    Marrant, une de mes BDs préférées de guerre et de Garth Ennis est une de celles dont vous ne parlez jamais…à croire que je l’ai lue dans un univers Parallèle…C’est le diptyque ENNEMY ACE j’y avais trouvé du Pratt dedans…

    • Tornado  

      Eddy, je le dis et je le redis ( 🙂 ), je ne lis PAS la VO. JAMAIS. Si ça n’a pas été traduit en VF, forcément je ne l’ai pas lu.

      • Eddy Vanleffe  

        Honnêtement comme je lis tout dans le désordre et que je loupe la moitié de ce qui est publié, j’avais zappé que c’était pas en VF…

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