Emmycalement Vôtre (Harrow County)

Un article de BRUCE LIT

VO Dark Horse

VF Glenat (2 tomes et puis s’en va…)

HARROW COUNTY est une série complète écrite par Culleen Bunn et illustrée, encrée et colorée par Tyler Crook à l’exception de quelques ties-in sans aucun intérêt. Partiellement publiés en VF du temps de l’ascension de Glénat Comics, l’intégralité de ces 32 épisodes n’existe pour l’instant que chez Dark Horse.
Pourrions-nous un jour imaginer un ressortie chez Urban Comics comme ce qui est fait avec LAZARUS actuellement ?

Si tel était le cas, il serait bien de corriger le contenu de chaque TPB, 8 au total, chaque volume US ne regroupant que 4 épisodes par volume, ce qui pourrait être facilement réduit à 7 voire 6, le lecteur de comics étant plus souvent qu’à son tour amené à cracher au bassinet…

HARROW COUNTY propose au lecteur d’explorer le destin d’Emmy, une jeune pucelle de 18 ans douce et effacée au fin fond d’une cambrousse du XXème sicècle qui n’a d’autre spécificité que d’y avoir brûlé 18 ans plus tôt une sorcière maléfique : Hester Beck.

Persuadés qu’Emmy est la réincarnation du mal absolu, son propre père et tous les amis d’Emmy décident de la brûler le jour de ses 18 ans (il y a d’autres moyens de souffler les bougies, mais les américains sont des gens étranges), avant que la bonté naturelle d’Emmy ne les persuadent de lui laisser une seconde chance : et s’il était possible de changer son destin, d’aller contre ce que la vie semble avoir écrit comme partition ?

Emmy ou Kammi ?
©Dark Horse

Une rémission de courte durée, car Kammi, la sœur jumelle d’Emmy réapparait avec la bonne intention de voir ramper à ses pieds HARROW COUNTY, avec une bonne raison : tous les villageois sont en fait des créatures et des esprits à qui Hester Beck avait donné apparence humaine.
L’enjeu d’HARROW COUNTY sera donc pour Emmy d’accepter ou de refuser son héritage psychologique, et de défendre une contrée en laissant croire à ses habitants et leur famille qu’ils sont de shumains normaux.

Voilà une série qui fit grand bruit ici à sa sortie de par le format attrayant des Glénat Comics mettant en avant les couvertures fascinantes de Tyler Crook, tout comme aux Etats-Unis où la série sera bardée d’Awards et de louanges survoltées de Mike Mignola et Stephen King.

Il est vrai qu’une fois ses valises déposées dans ce village, qui évoque le Salinas de EAST OF EDEN avec pour toile de fond les mêmes mensonges sur la filiation et la rivalité entre deux sœurs ennemies, le lecteur s’installe fasciné par l’ambiance unique qu’impulsent les planches de Tyler Crook.
Plus de 10 ans après leur conception, elles sont encore d’une puissance viscérale tandis que l’IA commence à frayer le bout de sa fiente dans les illustrations comics.

Un bon résumé de chaque arc de la série
©Dark Horse

Emmy est une femme fondamentalement attachante, dessinée comme un personnage de Peanuts et coiffée comme PRINCE VALIANT. En gros, Tyler Crooks ne fait pas partie de ces nouveaux beaufs hypés et tatoués comme dans un clip de Mötley Crüe mais bel et bien, un illustrateur capable de dessiner BRPD et de citer du comics vintage.
Disons-le : ce comics est le sien et le lecteur poursuit l’exploration du destin de ce village pour le plaisir de voir les apparitions d’un minotaure imposant, le visage grimaçant de Hester Beck, sentir la moiteur de la cabane d’une sorcière qui capture des serpents, admirer les aquarelles de Crook conférant cet aspect unique et vintage à HARROW COUNTY.

En fait, l’intérêt que le lecteur pour la série est finalement le miroir inversé de la seconde chance que le village veut donner à Emmy : la série donne tout ce qu’elle a au bout de trois volumes et poursuit ensuite sa route pépère jusqu’à sa conclusion en voulant se donner des apparats Gaimaniens trop grandes pour elle.

Il vient en effet l’idée à Bunn de doter Emmy d’une famille comme celle de Dream dans SANDMAN, à qui il voudrait donner la même importance que les Infinis. Le hic c’est que Bunn n’a ni le talent de Gaiman et surtout la place pour agrandir son récit (il lui aurait fallu 30 numéros de plus).
Son écriture est ultra compressée et il est dommage d’une part que toutes ses intrigues se résolvent au bout de trois épisodes et d’autre part qu’il soit incapable de mettre en scène des intrigues ou de ces personnages secondaires. Quand on a l’ambition de refaire vivre un village, c’est ballot.

La Famille, des bras cassés qui font basculer la série dans le non-sens
©Dark Horse

Tout au long de la série, la dynamique restera donc la même : Emmy est peinarde dans ses champs jusqu’au moment où une sorcière/esprit/fantôme apparait et qu’elle se demande si elle pourra y remédier. Elle peut alors compter sur son familier, l’inoubliable garçon écorché, Bernice son amie noire amenée également à devenir sa rivale, et son minotaure. L’ensemble est toujours plaisant mais parfois laborieux avec des récitatifs sans grande envergure et disons-le, sans style pour compléter ce que le lecteur voit à l’image.

Lorsque Bunn amène La Famille avec un twist qui fait pschitt, le lecteur comprend que Bunn pédale dans la mélasse parfois sans le savoir. Car personne ne lui a dit que cette histoire de famille qui refuse de s’agresser mutuellement tout en poursuivant à foutre la merdre de par la monde n’a aucun sens. Les Infinis de Gaiman revêtaient chacun une importance universelle : La Mort, le Destin, La Destruction, Le Desir etc. quand ceux de Bunn semblent être des losers perdus sur une aire d’autoroute persuadés de conduire un bolide avant de remonter dans leur dodoche anonyme.

L’affrontement final ne manque pas de panache encore une fois du fait de la puissance des dessins de Crook, Bunn comme La Famille, ne parvenant pas à surmonter sa propre impuissance à développer un récit foisonnant et profond.

Il n’en demeure pas moins que HARROW COUNTY reste un récit qui aussi bancal soit-il, reste profondément ancré dans la psyché de son lecteur. La grande œuvre d’un dessinateur surdoué et d’un scénariste aux abonnés absents, qui mériterait d’être découverte en VF. Une malédiction sans doute…

Comment se terminera l’affrontement final entre Emmy et Hester

10 comments

  • zen arcade  

    Chronique qui me parait assez sévère.
    Ma lecture est assez lontaine mais je garde un bon souvenir de sa lecture.
    Bunn fait du bon boulot et pas un instant je n’ai pensé à Gaiman.

  • JB  

    Merci pour cette 3e présentation de ce comics, remplaçant une VF partie trop tôt.
    Je ne connais pas cette série mais ces dessins qui me rappelle Lemire ou Watta me donnent envie de la découvrir.
    Je me suis demandé si j’avais beaucoup lu Bunn : en parcourant sa bibliographie, je trouve moulte mini-séries Deadpool, allant du bien à l’oubliable. Je note Magneto, que j’avais bien aimé, et la reprise du Venom post-Remender, que j’ai complètement oubliée. Ça a l’air assez représentatif du travail de Bunn, qui semble osciller du « bof » au « sympa » sans jamais vraiment briller. Même à la relecture de l’article de son Magnéto sur le présent blog, on note déjà les mêmes reproches que tu adresses à Harrow County, une belle constance !

    • zen arcade  

      Bunn écrit beaucoup trop et il y a beaucop de déchets dans sa production mais je pense qu’il fait partie des nombreux scénaristes actuels qui sont le plus souvent meilleurs quand ils travaillent sur des projets personnels plutôt que pour Marvel ou DC.
      Je ne prendrais donc pas le travail de Bunn chez Marvel comme mètre-étalon de ce qu’il peut produire.
      Après, c’est pas le nouvel Alan Moore, hein… mais je le situe dans la catégorie des bons faiseurs. C’est déjà pas mal quand on voit les pelletées de nullos qui encombrent le marché.
      Mais bon, il écrit vraiment beaucoup trop et ça déssert son image parce que dans le tas il y a beaucoup de choses très oubliables.

      • Bruce Lit  

        Oui, un bon faiseur, ce qui après 10 ans de carrière me laisse tiède.
        Je ne vois pas tant de productions de lui. De quoi parles-tu ?

        • zen arcade  

          Ben, le gars, il sort des brouettes de trucs chez à peu près tous les éditeurs possibles et imaginables. Ca n’arrête pas.

    • Bruce Lit  

      La preuve que je ne girouette pas.

  • Jyrille  

    Merci pour la review, j’ai un lointain souvenir des articles de Présence. Ca a l’air bien mais je ne pense pas investir, même si quelque part j’ai bien envie de la lire. Je ne connais pas EAST OF EDEN, tu parles du film de James Dean ?

    Dans le fond, cela me semble un peu classique sur les sorcières et les patelins paumés. Direct j’ai pensé au SALEM de Stephen King (mon préféré de ceux que j’ai pu lire de cet auteur, c’est-à-dire peu). Je ne comprends pas ta remarque sur le dessinateur Tyler Crooks. Les dessins ont l’air chouettes.

    Pas de BO ?

    • Bruce Lit  

      EAST OF EDEN : le film avec Dean d’après John Steinbeck met en scène deux frères ennemis, métaphores de Cain et Abel. C’est le cas ici et le film se déroule à la même époque.
      Ce que tu décris est du folk-horror. J’en parlais dans mon article sur AUTOMNAL et c’est effectivement la marque de fabrique de King.

  • JP Nguyen  

    Après avoir lu l’article, je suis allé relire ceux de Présence.
    C’est marrant, Bruce semble de plus en plus sévère avec Cullen Bunn au fil du temps.
    Tornado doit être deg que la VF ne soit pas terminée.

    A signaler : la détestation de Bruce transparaît dans les tags car le scénariste n’est jamais correctement orthographié : Collen ici, Culleen dans l’article sur Magnéto… Pour les retrouver il faut chercher « Bunn ».
    Ainsi quand la musique est Bunn, ça ne sonne pas trop aux oreilles de Bruce, mais grâce aux dessins de Crook, il se régale… avec un « beau Bunn » ?

    • Bruce Lit  

      Oui car j’ai lu ça cet été et du coup, plus disponible, je trouve tous les défauts d’écriture de Bunn.
      Je pensais avoir un truc haut-de-gamme et j’ai finalement une histoire insolite mais faiblement racontée. Les dessins font toute la différence.
      Je ne suis pas pressé de relire des comics de cet auteur.

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