Miracle Man par Alan M…. et Alan Davis
1ère publication le 12/07/14- Mise à jour le 24/08/17
AUTEUR : TORNADO
VO : Marvel
VF : Panini, Delcourt
« La vache ! Comme c’est génial ! »Ce n’est pas tous les jours que je me dis ça en refermant un bouquin. Et encore moins s’il s’agit d’un comic book de super-héros en slip.
Bien évidemment, c’est ce que je me suis dit après avoir lu Watchmen, le pavé révolutionnaire jeté dans la marre de l’industrie des comics et créé par le scénariste qui nous intéresse ici, et dont je dois taire le nom puisqu’il ne veut plus être associé à la série Miracleman sous peine de procès au derrière…
Miracleman est pourtant la première œuvre de ce grand scénariste (le plus grand au monde, dit-on) dans le domaine super-héroïque. Et ce fut, en 1982, la première véritable tentative de transformer ce médium afin de le destiner aux adultes.
En cette même année, le scénariste et dessinateur Jim Starlin avait déjà tenté une percée dans le domaine des grands, en mettant en scène La mort de Captain Marvel, où le héros devait combattre le cancer. Mais rien de réellement comparable avec cette révolution thématique absolue générée par la reprise du titre Miracleman…
Nous parlons de « reprise » car le personnage existait en réalité depuis 1954. Né de l’industrie des comics britanniques, il était directement inspiré du « Captain Marvel » de Fawcett Publications, plus tard racheté par DC Comics, qui devait crier le mot magique « Shazam ! » afin de se transformer en un super-héros aussi puissant que Superman ! Miracleman s’appelait d’ailleurs au départ « Marvelman », avant que l’éditeur Eclipse Comics (éditeur américain ayant repris la série après l’arrêt du magazine Warrior) ne l’oblige à quitter ce plagiaire patronyme semblant sortir d’une autre célèbre maison d’édition… Et il criait déjà son propre mot magique : « Kimota » (« Atomik » à l’envers)…
Ironie du sort, le « Captain Marvel » version DC Comics ne s’appelle désormais plus « Captain Marvel » (il s’appelle tout simplement « Shazam »), celui de Marvel Comics est mort, et « Miracleman », aujourd’hui devenu propriété intellectuelle de Marvel Comics, s’appelle toujours « Miracleman »…
Dans le même type d’imbroglio, il y a également le procès interminable qui nous a privés de lire cette série depuis des lustres. Fâché à mort avec l’industrie du comic book américain, le créateur de V pour Vendetta s’était opposé à cette réédition. Finalement, il perdit son procès mais exigea que son nom soit retiré de l’œuvre, et que les droits d’auteur soient intégralement reversés au dessinateur…
J’ai pourtant eu la chance de lire l’édition française publiée furtivement par l’éditeur Delcourt au début des années 90 (et rapidement devenue aussi introuvable que le Graal). Et comme de bien entendu, à l’époque, c’est un indiscutable « La vache ! Comme c’est génial ! » qui était sorti de mon esprit en refermant la chose… « Déconstruction et reconstruction du mythe ». Voilà la manière dont on a coutume de qualifier la technique narrative du créateur de From Hell, lorsqu’il écrit sur une histoire de super-héros.
A ce titre, l’exemple de Miracleman illustre cette maxime de manière impressionnante : dans sa phase de déconstruction, le scénariste va commencer par présenter son personnage avec toutes ses naïvetés et ses archétypes. Il va montrer du doigt à quel point rien de tout cela ne fonctionne, en relever toutes les incohérences, toutes les naïvetés, tous les anachronismes. A la fin de cette première phase, le lecteur assiste à une démythification totale du héros.
Et puis dans sa phase de reconstruction, l’auteur de Top 10 va déverser une avalanche d’idées toutes plus géniales les unes que les autres afin de justifier toutes ces incohérences en les transposant dans un tout nouveau contexte, un nouveau système de pensée, une autre époque et un nouveau point de vue.
Par exemple, si dans la version des années 50 Miracleman a obtenu ses pouvoirs grâce à des magiciens extraterrestres venus sur terre afin de le choisir comme champion de l’humanité (!), ses origines se voient, dans cette relecture mature, complètement réinterprétées : Les gentils extraterrestres étaient une invention implantée dans son esprit par une conspiration gouvernementale !
Et c’est de cette manière que l’auteur de Tom Strong va sans cesse redéfinir sa phase de reconstruction… A l’arrivée, Miracleman n’est plus du tout une série super-héroïque au sens classique. Le manichéisme et les naïvetés inhérentes au genre se sont évaporés, laissant la place à une fable désenchantée sur la course à l’armement, sur les dangers d’une science utilisée sans conscience et sur la peur du danger nucléaire.
L’ambiance devient réaliste, sourde et parfois malsaine. Nous avons été transportés dans un autre univers narratif. A partir de là, les comics de super-héros ne seront plus jamais les mêmes, et tout un groupe d’auteurs, quasiment tous venus de Grande-Bretagne, va utiliser ce medium jadis enfantin pour raconter des histoires destinées aux adultes, mâtinées d’une toile de fond politique, philosophique ou, quoiqu’il en soit, réflexive.
Je terminerais d’ailleurs, à ce sujet, par relever que le scénario de Miracleman par l’auteur de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires regorge encore de thèmes sous-jacents, passionnants à décrypter (au hasard : les affres de la nature humaine, les notions de confiance et de pouvoir, la schizophrénie et les allusions à la philosophie de Nietzsche via son livre Ainsi parlait Zarathoustra…), le tout découpé avec une classe narrative incomparable.
L’ensemble a certes un peu vieilli, demeure peut-être un peu bavard (le seul vrai défaut du scénariste), mais démontre un sens de la mise en scène quasi-cinématographique, dominé par des soliloques inspirés (qui remplacent peu à peu les bulles de pensées au fil des pages, jusqu’à les faire disparaître !), qui fait encore école aujourd’hui. Bref, une œuvre dense, destinée à être relue indéfiniment…
Cette nouvelle édition proposée par Panini Comics (qui reprend le modèle américain) ajoute, en plus de son grand format « deluxe », un grand nombre de bonus à la précédente (celle des éditions Delcourt). Parmi les plus belles idées, nous pouvons profiter d’un épisode datant de 1956, réalisé par le créateur de la série Miracleman : Mick Anglo.
L’épisode en lui-même est d’une tonalité infantile extrême. Mais, placé en introduction, il permet de rentrer de manière idéale dans le récit concocté ensuite par le créateur de Promethea, et d’en mesurer toute la profondeur. A l’époque de sa première édition, la série Miracleman était publiée dans le magazine britannique Warrior. Et l’auteur de Killing Joke avait inséré, entre deux épisodes, de petites histoires annexes venant étoffer son univers de science-fiction.
Cette édition nous fait profiter de ces raretés, de petites histoires courtes qui mettent en scène les « Warpsmith », des extraterrestres aux pouvoirs incroyables. L’espace d’une vingtaine de planches, on assiste alors au débordement d’imagination d’un auteur qu’aucun concept science-fictionnel et métaphysique n’arrête (attention aux dialogues d’un autre monde) ! Cela peut paraître un peu indigeste à lire pour la première fois, mais c’est paradoxalement savoureux au final !
Le recueil se termine par divers bonus telles les couvertures originales et alternatives, les crayonnés initiaux de Garry Leach et des exemples de la toute nouvelle mise en couleur exécutée par ce dernier.
En effet, la colorisation a été refaite et modernisée. Comme d’habitude, cela ne plaira pas aux puristes extrémistes. Mais les autres, et bien… on adore ! Sachant que la mise en couleur initiale était laide et industrielle, que le récit présent s’impose comme une œuvre hors du temps, je pense qu’il faut se féliciter de ce petit coup de jeune…
Ce premier volume annonce une collection de quatre tomes, dont les trois prochains ne comporteront que du matériel inédit, y compris la suite et fin de la série sous la plume du scénariste Neil Gaiman. En bref : Que du bonheur. Allez, hop, on y retourne : « Kimota ! »
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Alan Moore refuse d’être associé à Miracleman, sa première incursion dans le monde des super-héros. Que s’est il passé ? Comment le papa de Watchmen a déconstruit ce héros des années 50 pour le transformer en lecture pour adultes ? Et cette édition Panini et ces nouvelles couleurs, ça vaut quoi ? Tornado vous explique tout ça chez Bruce Lit.
La BO du jour : Dès que Moore arrive quelque part, le miracle se produit.
Je ne connaissais pas ces titres de Alan Moore, mais entre le premier et le second extrait, ça navigue entre Captain Beefheart et le Pink Floyd de Barrett. Ce qui n’est pas très étonnant non ?