Les Folies Bergère par Porcel et Zidrou
Première publication le 21 mars 2014- MAJ le 11 novembre 2018.
Un rapport de BRUCE LIT
VF : Dargaud
Les Folies Bergère: quel étrange titre, apparemment inadapté, à cette couverture macabre ! Ceux qui ne se laisseront pas impressionner par cette tête de mort en sépia découvriront un splendide récit sur la première guerre mondiale.
Porcel et Zidrou racontent le quotidien de poilus dans les tranchées. L’ambiance y est franchement oppressante : les soldats vivent dans des conditions lamentables. Comme une prémonition du sort qui les attend, les voici dans la boue, presque enterrés vivants dans des décors sinistres où le champs de bataille est un cimetière géant prêts à accueillir des silhouettes qui bougent à peine.
Et puisque l’absurde est de mourir pour quelques mètres, qu’il est possible de converser avec l’ennemi par tranchées interposées et de la quitter pour partir au bordel avoisinant, puisque cette guerre renvoie ses soldats à ce que l’existence humaine a de plus tragi-comique, les poilus de notre histoire ont décidé d’appeler une section de leur mouroir Les Folies Bergère.
Dans cet espace hors du temps mais pas de la guerre, les soldats ironisent, caricaturent clandestinement leur hiérarchie sous peine d’être fusillés, imaginent manger de la gastronomie française avant d’engloutir de la soupe de rats. D’autres reçoivent la visite d’un prêtre dont les convictions vont être mises à rude épreuve dans ce bourbier inhumain. Enfin le Capitaine en pleine psychose s’imagine rentrer chez lui tous les soirs….
Ni hilarant, ni larmoyant, les auteurs trouvent le ton juste pour raconter une histoire aux dialogues formidables. A la véracité historique vient s’ajouter de petites touches fantastiques amenant des moments de poesie, d’absurdité et d’émotion dans ce récit maîtrisé de part en part.
On y rencontre ainsi le soldat Rubinstein, un condamné à mort juif. Fatigué des blagues antisémites de son sergent, Rubinstein l’a castré après que celui-ci lui ait supprimé une énième fois sa permission. Rubinstein passe par deux fois par le peloton d’exécution avant de survivre à une douzaine de balles. Le voici qui devient une sorte de Christ des tranchées assailli de stigmates, déclenchant l’hilarité de ses compagnons et l’incrédulité de sa hiérarchie.
On y rencontre agréablement la petite fille Anna qui brave le feu pour visiter son papa dans les tranchées. Allemands et Français vont redoubler de précaution pour ne pas l’abattre et la mettre à l’abri quitte à négocier une trêve. A la claustrophobie de ce champs de bataille où la boue finit par couler dans les veines des soldats, les auteurs amènent des plages de respiration dans les jardins de Monet peignant ses nénuphars.
Un enfant taquine le vieux peintre sur sa technique, Clémenceau vient le visiter et la mort vient hanter l’artiste jusque dans son atelier et le torturer dans son travail avec cette question atroce : Quelle est la place de l’art dans la guerre ? Une séquence bouleversante voit le vieil artiste abandonner à regret ses outils de travail pour consoler un enfant qui vient d’apprendre la mort de son frère au combat.
Enfin, la fin du récit voit converser Dieu et Satan sur le champs de bataille, piétinante les hommes tout en rigolant de leurs différends idéologiques. C’est superbe et l’album terminé, le lecteur a passé 90 pages d’un étrange voyage au pays de la vie, de la mort, de l’espoir et de la folie.
Gorgées de moments d’émotion intense et de rigolades franchouillardes, aussi cruelles qu’humaines ces Folies Bergère sont un moment de lecture inoubliable à la puissance indiscutable.
Hou ça a l’air bien ! Je note. Sur le même thème, la bd que j’ai le plus offerte est La ligne de front de Larcenet, sous-titrée Une avebture rocambolesque de Vincent Van Gogh.