West Side Story de Steven Spielberg
Un article de FLETCHER ARROWSMITHCet article vous propose un regard et une analyse de WEST SIDE STORY, film de Steven Spielberg sorti en 2021.
1ère publication le 7/01/22 – MAJ le 23/08/22
Oui le WEST SIDE STORY de Steven Spielberg mérite d’exister et même d’être regardé que l’on connaisse ou pas le premier film, qu’on lui voue un culte ou pas. Ce n’est pas un film de plus. Déjà remettons les pendules à l’heure. Le premier film datant de 1961, réalisé par Robert Wise, est l’adaptation de la pièce à Broadway, dont le squelette reste la tragédie de William Shakespeare, Romeo et Juliette. Soit déjà l’adaptation d’une adaptation. Chaque auteur ou artiste propose sa vision. Et puis 60 ans d’écart cela commence à dater, à l’époque où Spider-Man et Batman ont eu le droit à des dizaines d’adaptation en deux fois moins de temps. Le monde tourne, les générations évoluent, les gouts changent, s’adaptent, s’affinent tout comme les attentes. Reste l’objet cinématographique en lui-même. Qu’a fait Steven Spielberg de WEST SIDE STORY ? Simple décalcomanie comme Gus Van Sant et son remake-ovni de PSYCHOSE plan par plan ? Modernisation d’un chef d’œuvre littéraire et cinématographique ? Histoire d’amour ultra moderne à la sauce Marvel avec plein de vannes lourdingues à chaque plan ?
Steven Spielberg rêvait de réaliser une comédie musicale. Ce n’est pas une énième lubie du Golden Boy d’Hollywood ou un manque d’ambition du réalisateur. Quand on se penche avec attention sur sa copieuse filmographie on voit bien que le démon de la comédie musicale le démangeait. On se souvient du numéro dansant et déjà étincelant de 1941. Ou encore l’ouverture flamboyante de INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT. Sans oublier l’influence de Quincy Jones dans la COULEUR POURPRE ou les décors pop de ARRETE MOI SI TU PEUX. En comment ne pas citer le récital de Bianca Catasfiore dans TINTIN ET LE SECRET DE LA LICORNE enchainant sur un long plan séquence à la chorégraphie extraordinaire. Notons qu’à chaque fois Steven Spielberg capte la nostalgie d’époques passées, plutôt après-guerre, avec la touche de modernité qui fait la marque du grand réalisateur. A partir de là Steven Spielberg qui a souvent déclaré son amour pour la pièce de Broadway et le film de Robert Wise ne pouvait que se pencher sur son adaptation. Là où le surprenant ROMEO+JULIETTE de Baz Luhrmann se posait comme une adaptation résolument moderne, Steven Spielberg décide de porter à l’écran son WEST SIDE STORY. Et étonnamment c’est sensiblement le même que tous les adorateurs du premier film.
Steven Spielberg sur le tournage de West Side Story
© Twentieth Century Fox Film Corporation
Steven Spielberg déplace le barycentre de son ballet en faisant d’Anita, la pièce maitresse de cette partie d’échec urbaine. Révélation du film, crevant littéralement l‘écran, Ariane DeBose explose de talent et de présence sous nos yeux ébahis. Tout en contraste avec une Maria effacée, à peine sortant de l’adolescence, l’Anita de Steven Spielberg devient l’incarnation du rêve américaine. A la fois amante, confidente, femme au foyer, Anita en refusant de parler espagnol en portant les valeurs américaines comme jamais dans le plus beau tableau dansant du film (« America ») devient la figure centrale du film de Spielberg, le pivot sur lequel tout le drame va tourner.
A travers cette Anita flamboyante Steven Spielberg fait le choix de s’éloigner de ses illustres parents, la mère Broadway et le père Wise. Plus que jamais WEST SIDE STORY est un film sur l’intégration, reléguant finalement l’histoire d’amour au second plan. Choix fort de la part d’un réalisateur qui ne renie pas ainsi ses origines mais qui trouve dans le drame de William Shakespeare un terrible constat aux promesses non tenus par le pays aux 50 étoiles. C’est encore plus terrible quand on connait la fin, comme si toutes les tentatives d’intégrations étaient finalement vouées à l’échec. Amérique terre promise ? En 60 ans cela s’est gâté, l’amour ne permettant plus de masquer la cruauté de la bannière étoilée et le refus d’intégration des populations immigrées. Plus dure en sera la chute et Steven Spielberg n’a jamais été aussi bon que lorsqu’il ose s’aventurer derrière le rideau, pour rentrer dans le monde adultes (LA COULEUR POURPRE, LA LISTE DE SCHINDLER, MINORITY REPORT, LA GUERRE DE MONDES, PENTAGON PAPER ou le récent Le PONT DES ESPIONS).
Dans ce qui peut être discuté : l’alchimie du couple Maria (Rachel Zegler) – Tony (Ansel Elgort vu entre autres dans NOS ETOILES CONTRAIRES). On y croit ou pas et en effet je trouve que c’est peut-être un des maillons faibles du film de Steven Spielberg. Sauf que, puisque nous sommes sur les comparaisons, Richard Beymer, le Tony de Robert Wise n’avait également pas un charisme extraordinaire. Il débarquait dont on ne sait où, là où le réalisateur du TERMINAL lui donne un passé, expliquant son retrait des Jets qu’il a cofondé. A la fois cela permet de mieux comprendre son personnage mais aussi de partager la vedette avec Riff, le leader belliqueux des Jets. Reste le cas de Maria. Celle de Robert Wise emporte tout sur son passage. Et pour cause, star du premier opus, icone éternelle, l’interprétation de Nathalie Wood est inscrite dans l’imagerie populaire. D’ailleurs on peut se demander de Nathalie ou Maria qui est la véritable amoureuse de Tony. La figure de l’actrice n’a-t-elle pas pris le dessus sur son personnage ? Le choix de Steven Spielberg de prendre des inconnus avec un casting exigeant, et le maestro se trompe très rarement, offre une nouvelle vision des amants maudits. A partir de là demandons-nous ce qui nous a pu nous décevoir ? Steven Spielberg, dont je maintiens qu’il déplacé la focal du film, nous demande-t-il de réellement croire à cette alchimie. N’est-ce pas plus pour souligner que la vérité est ailleurs, comme une rencontre d’un autre type ?
N’en déplaise aux amateurs du film de Robert Wise, tous les acteurs et actrices du film de Steven Spielberg interprètent eux-mêmes les numéros vocaux. Et oui, ce n’est pas la voix de Nathalie Wood que l’on entendait en 1961. Plus d’authenticité dans un New York des années 60 reconstitué, avec un tournage sur site, tel est le pari de Steven Spielberg modernisant une approche que l’on pensait pourtant figée. Son casting provient également de la diversité. Ainsi les interprètes des Sharks ont réellement des origines latino-américaines. Ce n’était pas le cas des acteurs du film de Robert Wise. Encore une fois authenticité rime avec modernité. Spielberg plonge aux origines de WEST SIDE STORY, que cela soit la pièce originelle, les acteurs ou encore le cadre. A ce sujet, le fait de ne pas traduire les passages en espagnol dans le film devient un véritable choix de réalisation, pour exprimer pleinement que la langue reste un marqueur essentiel dans l’intégration d’un pays, un lien entre celui d’où on vient et celui où on va, celui qui nous a vu naitre en opposition à celui qui va nous voir vivre.
Le trait d’union parfait, Steven Spielberg le trouve avec Rita Moreno. L’interprète d’Anita en 1961 remplace Doc en 2021 en devenant Valentina. Spielberg envoie un signal fort en dotant son casting d’un rôle féminin important, encore un après Anita et Maria. Valentina, la gringa, assure le rôle de tutrice de Tony mais représente également la maturité, seule figure adulte raisonnable et respectée dans ce teen movie. Elle s’oppose ainsi à celle des forces de l’ordre, peu présent mais dans la lignée de l’utilisation abusive de leur pouvoir qui n’a malheureusement pas changé en 60 ans dans une Amérique encore traumatisée par le meurtre de George Floyd et les volontés de Donald Trump d’ériger un mur à la frontière mexicaine. L’affirmation de Valentina se concrétise également dans la place centrale qu’elle occupe en étant le lien entre les Jets et les Sharks, les deux bandes rivales respectant leur ainée. Par petites touches subtiles Steven Spielberg à travers Anita, Maria puis Valentina contrebalance la violence masculine des guérillas urbaines en insufflant ce qu’il faut de messages féministes. Les opposées s’attirent et se rejoignent finalement dans une des plus belles scènes du film où l’Anita (Rita Moreno) de 1961 rencontre l’Anita (Ariane DeBose) de 2021. C’est le moment clé du film, celui où tout va finalement se décider tout en réconciliant les deux camps de cinéphiles qui peuvent s’opposer.
Le diable se trouve dans les détails. Valentina a remplacé Doc, la place des femmes dans la société, leurs métiers, l’ordre des chansons ou leur interprètes (« Somewhere » par exemple) sont différents. David Newman réarrange juste ce qu’il faut la musique intemporelle de Leonard Bernstein, les paroles de Stephen Sondheim étant chantées à l’identique. Bien évidemment avec le nouveau terrain de jeu qui s’offre à lui, la caméra de Steven Spielberg occupe l’espace en donnant un sens politique, sociétal et prophétique au quartier du West Side promis à une gentrification à venir. Comme dans LA GUERRE DES MONDES, IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN, LA LISTE DE SCHINDLER ou plus récemment LE PONT DES ESPIONS, la caméra de Steven Spielberg virevolte à travers les décombres et les chantiers des grands complexes bétonnées en proie à la guerre qu’elle soit froide, civile ou apocalyptique. En cela il est parfaitement secondé par la photographie de Janusz Kaminski, imageant la tragédie urbaine avec des tons bleu – gris faisant la transition entre deux époques. Steven Spielberg sait aussi donner dans la joie, les couleurs chaudes étant réservés aux séquences entrainantes et enjouées comme le bal qui nous donne le tournis avec ses robes de couleurs qui tournent sur elles-mêmes à l’instar de la caméra du réalisateur. Des couleurs il en donne également à un « America » chantée par une Anita plus belle et étincelante que jamais dans un caléidoscope de couleurs rappelant le film de 1961 mais revitalisé. La bonne face du rêve américain.
Rita Moreno chantant Somewhere
© Twentieth Century Fox Film Corporation
C’est également l’occasion pour le réalisateur septuagénaire de dépoussiérer la réalisation autour des décors du film de Robert Wise. Et Steven en a encore sous la casquette. Je cite en exemple récent, READY PLAYER ONE, car même peu aidé par un scénario qu’il n’aura pas réellement réussi à élever, on ne peut enlever la maestria de sa réalisation. Et là encore le Spielberg s’impose dans WEST SIDE STORY. Jeu d’ombres, utilisation des espaces extérieur ou intérieur, tableaux dansants donnant envie de danser au milieu de la salle, le spectateur n’est jamais perdu dans une mise en scène à la hauteur du mythe. On a du mal à croire que ce n’est que la première comédie musicale du réalisateur de INDIANA JONES. Spielberg s’inspire mais ne recopie réellement jamais. Son film rend hommage aux deux précédents chefs d’œuvre mais en y apportant sa propre direction d’acteurs. Le chorégraphe Justin Peck propose ainsi des nouveaux numéros dansants en puisant dans ceux de leur créateur, Jerome Robbins. Cela ressemble à WEST SIDE STORY mais avec un gout différent. On navigue en terrain connu tout en explorant des territoires inconnus. Telle est la volonté de Steven Spielberg.
Ravivons également nos souvenirs en y balayant la poussière éventuellement accumulée devant nos yeux en 60 ans. WEST SIDE STORY sorti en 1961 doit son côté culte à l’apogée de l’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne. En 2021 nous en sommes réduits à rêver sur des Blu Ray comme la génération VHS dont je fais partie avions inséré des cassettes vidéo trouvées dans les meilleurs vidéo club du coin. Steven Spielberg propose tout simplement de ressusciter tout cela, là où Damien Chazelle a échoué au bout d’un vingtaine de minutes avec son nanar land et le sourire trop mimi d’une Emma-Maria bien pale. Cette perception et appréciation du film de Robert Wise doivent donc être passées à travers le spectre d’un visionnage sur un petit écran avachi sur un canapé plus ou moins confortable.
A partir de là que répondre à ceux qui trouve le film de 2021 trop long, sachant qu’il fait exactement la même longueur que son ancêtre, à 5 minutes près (2h37 pour le WEST SIDE STORY de Steven Spielberg contre 2h32 pour celui de Robert Wise). Qui est trop long dans cette histoire ? L’histoire original ou bien sa perception dans un contexte bien différent ? Et Spielberg offre suffisamment de morceaux de bravoure pour que nous accordions 2h37 de notre temps à être transporter loin du monde confiné qui nous entoure en regardant une tragédie féérique qui plus est d’actualité.
WEST SIDE STORY aurait dû sortir l’an dernier, pour les élections américaines de 2020. Démocrate convaincu, le WEST SIDE STORY de Steven Spielberg est une réponse à la politique de Donald Trump. Si le film ne vient pas trop tard, la crise COVID continuant à exacerber les bassesses des populations pour les corps étrangers, il rate quand même sa fenêtre de tir. Et en face les araignées ou les veuves ont finalement tissé leurs toiles prenant dans leur filet un public avide de fan service plus que de grand cinéma. Opus essentiel d’une cinéaste majeur, WEST SIDE STORY est un grand film, parfaitement dans l’air du temps qui parlera à une tranche de cinéphiles qui n’a pas disparu, sans cesse à la recherche d’un certain esthétisme et d’une réalisation perdue dans l’enfer des fond verts.
Il parlera aussi à ceux de la nouvelle génération de cinéphiles qui sans renier l’histoire du cinéma de leurs chers boomers souhaite affirmer le cinéma de leur époque, celui des années 2000. Viendra plus tard le temps de faire de l’archéologie comme le père Jones et de s’amuser au jeu des comparaisons.
C’était ébouriffant !
Mais quel film ! Tu as tout à fait raison de souligner qu’on a l’impression que Spielberg a tourné des comédies musicales toute sa vie. Les chorégraphies débordent de couleurs, de vie, de jeunesse, d’énergie.
Et tu as raison : Anita est la véritable héroïne de ce drame où chacun attire Tony + Maria à leur perte.
C’était magique même si j’ai préféré la musique originale pour le coup.