Hergé, raciste ?
Un article de : TORNADO
1ère publication le 28/04/14 – MAJ le 16/09/21
Cet article s’engage à respecter la charte d’utilisation de l’œuvre d’Hergé sur les réseaux sociaux émise par Moulinsart.
VF : Casterman, Moulinsart
Ça y est, je l’ai encore entendu. Une fois de trop, comme toutes les autres fois : « Hergé était un raciste. C’était un fasciste. La preuve : Tintin au Congo ! ». Bon, disons-le tout net : Ceux qui tiennent ce discours ne connaissent rien à Tintin, encore moins à Hergé.
Ils n’ont pas lu son œuvre ou l’ont juste survolée. Je ne veux nullement prendre acte pour un courant de pensée, ni défendre un point de vue contre un autre, et encore moins contester la liberté de penser de tout un chacun.
Mais la vérité est la suivante : Hergé fut, en plus d’un des grands auteurs du 20° siècle, tout médium confondu, un HUMANISTE total. Humanisme dont il a gorgé son œuvre. Aux antipodes l’un de l’autre, au sein de cette œuvre remarquable parmi les plus marquantes de son temps, il y a deux livres : Tintin au Congo et Tintin au Tibet.
Soit les deux faces opposées d’une unique pièce. L’obscure et la lumineuse. Le début et la fin, en quelque sorte. Pour cette raison, j’ai déposé le même avis sur les deux livres… Lorsqu’Hergé est engagé au Vingtième Siècle, journal belge pour lequel il officie entant qu’illustrateur, il a 18 ans. Il tombe immédiatement sous la coupe de l’Abbé Wallez, le directeur du journal.
Wallez est une forte personnalité, ultracatholique, ultranationaliste, fasciste et anticommuniste (un portrait de Mussolini dans son bureau !). Hergé est un jeune garçon timide, peu sûr de lui, qui s’autocritique sans-cesse. Et dans cette Belgique où l’église et l’état ne sont pas dissociés, c’est l’abbé Wallez qui imposera au jeune dessinateur les trois premières aventures de Tintin (Tintin au Congo étant la seconde). Lorsqu’il commence son œuvre, il a seulement 19 ans…
Hergé racontera plus tard à quel point, lors de la création de Tintin au Congo (tout comme pour Tintin au pays de Soviets et Tintin en Amérique), il vivait dans un milieu fait de préjugés. C’est pour cela que cet album est très éloigné des prises de positions anticolonialistes qui apparaissent dans son œuvre dès le « Lotus bleu ». C’est pour cette raison aussi qu’il est rempli de stéréotypes, typiques de la vision qu’avaient les Européens de l’Afrique à cette époque. Hergé dira : « Tintin était un jeu pour moi jusqu’au Lotus bleu ». Sans oublier qu’il vivait une époque où le drame de la Shoah n’avait pas eu lieu, où personne ne possédait encore le recul nécessaire sur les retombées futures de la colonisation et les responsabilités que tout cela pouvait encourir…
C’est lorsque notre homme décide d’envoyer son héros en Chine qu’intervient la personne qui va jouer un rôle décisif dans la suite de son œuvre : Tchang Tchong Jen. Jeune chinois venu en Belgique poursuivre ses études, Tchang demande à Hergé de faire attention avec les stéréotypes sur un pays traversant une période critique et lui demande de bien se documenter.
C’est le déclic : Hergé prend conscience de la portée des aventures de Tintin et s’éveille à la raison (il créera d’ailleurs immédiatement les personnages des Dupondt, qui lui serviront d’exutoire en endossant, pour soi-disant passer inaperçu, tous les stéréotypes les plus flagrants des populations visitées ! Il fera également de Tchang un compagnon pour Tintin.).
A partir de là, la plupart des aventures de Tintin deviendront engagées politiquement et prendront fait et cause pour les opprimés.
Anticolonialiste dans le Lotus Bleu (quatre ans seulement après Tintin au Congo), antifasciste dans L’Oreille Cassée, le Sceptre d’Ottokar, L’Affaire Tournesol et Tintin et les Picaros, dénonçant le trafic d’esclaves dans Coke en Stock, prenant la défense des ROMS dans Les Bijoux De La Castafiore.
Le côté humaniste de son œuvre culmine dans le sublime Tintin au Tibet, qu’il écrit en 1958 après une grave crise personnelle.
Réintroduisant le personnage de Tchang dans les aventures de son héros, il focalise l’intrigue sur un nombre réduit de personnages, les exile dans un décor quasi abstrait et fait intervenir le Yéti, stéréotypant à lui tout seul le côté primaire de l’humanité afin d’en souligner toute l’importance et la sensibilité (sensibilité poussée à son paroxysme à travers le Capitaine Haddock, bouleversant d’humanité pour un personnage parmi les plus hauts en couleurs de toute la création littéraire !).
Alors, messieurs-dames les baizuo persuadés de penser mieux que les autres, ne tapez plus sur Hergé sans connaître son histoire et son parcours. Car ce faisant, vous bafouez l’un des artistes les plus importants et les plus humanistes du 20° siècle, tout médium confondu, qui passa l’essentiel de sa vie à un gigantesque travail d’autocritique et d’humanisation de son œuvre.
Œuvre qui, partie de très bas, lui permit justement de s’éveiller et d’entamer un combat personnel, passionnant à décrypter, à travers les 24 aventures du petit reporter à houppette !
Bravo et respect Bruce pour avoir eu l’aval de ayants-droits de Tintin. Je suis content pour toi et le blog.
Je crois bien que je n’avais jamais lu cet article. Bravo Tornado, il est concis, passionné et très clair. Comme le dit Marti, une oeuvre ne peut être prise que dans sa globalité, c’est pour cela que j’essaie d’écouter tous les albums studios d’un groupe sur une courte période.
Sinon je n’aime toujours pas Tintin mais j’ai relu Astérix Légionnaire hier soir.
J’ai appris je dois le dire au fil du temps à pardonner les erreurs de jeunesse d’Hergé sur ses premiers albums, que ce soit les Soviets, le Congo, en Amérique… qui finalement, dans une perspective historique, peuvent servir de support pédagogique pour évoquer la colonisation ou l’histoire des Indiens d’Amérique (l’expropriation de leur terre à la suite de la découverte d’un gisement de pétrole dans l’album fait un triste parallèle avec leur expropriation des Blacks Hills en 1877 suite à la découverte d’un immense gisement d’or. En violation du traité de 1868, les US leur envoient l’armée pour les chasser avec au passage la bataille de Little Big Horn). Il faut se rappeler le Tintin qui défend un « Chink » face à un colon méprisant et violent dans le Lotus Bleu, Tintin qui risque sa vie pour sauver son ami chinois dans Tintin au Tibet, Haddock qui défend les Tziganes dans les Bijoux de la Castafiore, Tintin qui protège un indien face à un descendant de colon dans le Temple du Soleil … J’ai cependant plus de mal avec la première version de l’Etoile Mystérieuse de 1942, que Peeters et Assouline présentent comme une « pièce à charge » indubitable de l’attitude pour le moins équivoque d’Hergé, cet album baignant un peu trop dans son époque. La polémique est connue avec le nom du financier qui a été changé pour faire moins juif par la suite, certains personnages reprenant les stéréotypes antisémites et les participants de l’expédition provenant de pays neutres ou alliés à l’Axe … Bref… là aussi l’album avec un peu d’intelligence et de recul peut servir de support pédagogique. Point n’est besoin de tout détruire et tout brûler comme l’exige la cancel culture (ou tout au moins la frange la plus extrémiste) quand tout peut être contextualisé, expliqué et décrypté. Et sur le fond du fond, enfant, j’ai vu dans ces albums polémiques plus de naïveté que d’intentions malfaisantes.
Par rapport à l’étoile mystérieuse, j’ai longuement développé cet élément dans mon article sur l’album. Il sera republié bientôt ici
Pour la faire courte: Impossible d’accuser Hergé de flirter avec les nazis quand on a lu LE SCEPTRE D’OTTOKAR publié juste avant. Impossible de le taxer de sympathisant fasciste quand on a lu L’OREILLE CASSEE également publié en amont. Impossible de l’accuser de faire ami avec des envahisseurs après avoir lu LE LOTUS BLEU, etc. Alors pourquoi ces éléments antisémistes et antiaméricains dans L’ETOILE MYSTERIEUSE ? je suis convaincu qu’il effectuait, à travers ces quelques éléments aujourd’hui gênants, une poignée de concessions afin qu’on le laisse travailler dans de bonnes conditions (la censure de l’occupant lui ayant déjà interdit de réimprimer TINTIN en AMERIQUE et… L’ÎLE NOIRE, dans lequel le principal antagoniste était un allemand nommé Müller, et ce en pleine montée du III° Reich !), sans imaginer que sa maladresse allait prendre, à la lumière d’événements encore inconnus à cette période, une dimension extrêmement grave.
Un lecteur m’a rapporté cette anecdote : »
En 1970, « Tintin au Congo » reparaît dans une revue… zaïroise ! L’éditorialiste fait alors ce commentaire :
« il y avait une chose que les Blancs qui avaient arrêté la publication de cet album n’ont pas comprise. Si certaines images caricaturales du peuple congolais les font sourire, elles font rire franchement les Congolais parce que les Congolais y voient matière à se moquer de l’homme blanc « qui les voyait comme ça
OUI je me souviens de ça…
mais on a érigé la suceptibilité au rang de vertue suprême, ajoutant à cela qu’on aime se vexer pour les autres à leur place, ben ça fait un drôle de climat…
Oui je pense comme toi… Je crois qu’il a décidé d’être un peu politiquement correct de l’épqoue en fait…
cet article revient sur le site et c’est cool… mais la raison me charine, pas tant pour Hergé que pour Goscinny d’ailleurs….parce que Asterix ou Lucky Luke, épinglé pour des caritcature que tout le monde faisait….
bon ce ne sont que quelques fous aujourd’hui mais….ça ne rassure pas sur l’avenir…
Hergé faisait tout ce qu’il pouvait pour continuer à travailler et à nourrir sa famille sous l’occupation. Il était tyrannisé par les allemands qui avaient repris la direction de son journal (Le Soir), et qui le soumettaient à une énorme censure. Mais ça… les historiens de pacotille qui se jettent sur ses quelques maladresses font comme si ça n’avait pas existé. J’aurais bien aimé les voir à la place d’Hergé, tiens.
Autre chose : La blague sur les juifs que l’on trouvait dans la 1° version de L’ETOILE MYSTERIEUSE : Non seulement Hergé s’empresse de l’enlever dès qu’il le peut, mais surtout, quand on lit la blague en question, rien à faire : Ça ne sonne pas du tout « Hergé ». Pour un lecteur baigné dans son oeuvre et qui connait son humour par coeur, si fin et exquis, ça ne passe pas : Cette blague idiote et grossière n’est clairement pas de lui. A partir de là on peut très bien imaginer qu’elle lui a été imposée.
Je n’instruis pas par mauvaise foi. C’est de l’investigation. En cherchant bien, en recoupant tous les éléments, on en arrive à la conclusion que ce type était tout sauf raciste. Son oeuvre parle pour lui de manière éclatante. Mais ça… C’est facile de nourrir un discours haineux à son encontre quand on ne connait que la surface des choses…
Je voudrais nuancer le propos, parce qu’il me semble que les critiques de divers albums de Tintin ou de Hergé sont un peu différentes. L’engagement de jeunesse, appelons-ça comme ça, dans la mouvance rexiste, c’est un fait. Le racisme d’une époque, l’exploitation coloniale par la Belgique, ce sont des choses solides dans lesquelles baigne évidemment les BD, surtout à leur début. Est-ce que tout se résume à « Hergé était raciste »?
Il a été dit ici que les stéréotypes pouvaient être retournés pour se moquer de ceux qui y croyait, ça reste une lecture plus qu’une intention, et la reconnaissance qu’ils sont véhiculés par l’oeuvre elle-même. Hergé raciste? Tintin au Congo raciste? Si c’est en tant que pure oeuvre de propagande par un idéologue, la réponse est non mais on ne peut évidemment pas tout balayer d’un revers de la main.
En revanche, je suis tout à fait d’accord sur le fait que l’histoire personnelle et artistique de Georges Remi fonde un espoir, celle d’une évolution, et de la reconnaissance de ses erreurs, à commencer par avoir supprimé les dessins antisémites de l’Étoile Mystérieuse, évidemment, mais ça ne s’arrête pas là comme le rappelle Tornado, et pour le coup, je trouve que ça a tendance à légitimer le regard critique plutôt qu’à l’invalider (tout comme le changement de nom du bouquin d’Agatha Christie, acté depuis des décennies en VO).
Ca n’empêchera pas les réactions outrancières, elle se discutent au cas par cas, mais donc, moi qui ne suis pas tinitinophile, j’en ai retiré du respect pour un auteur qui ne se dédouane pas, qui assume le fait de transmettre une vision du monde et d’avoir pu se tromper.