La Nuit par Stanislas Gros
Un article deAUTEUR : CYRILLE M
VF : Gallimard
1ère publication le 28/11/15 – MAJ le 19/04/20
Stanislas Gros (ceci n’est pas un pseudo) est l’auteur de La Nuit, parue dans la collection Bayou de chez Gallimard, et de deux adaptations de classiques de la littérature : Le portrait de Dorian Gray et Le dernier jour d’un condamné, tous deux édités chez Delcourt dans la collection Ex-Libris. Il a également participé à des ouvrages collectifs, dont le premier tome de Rock Strips, chez Flammarion.
Joann Sfar a fait de beaux jours à la bande dessinée, a fait un film agréablement surprenant et réussi (Gainsbourg, vie héroïque) et dirige cette collection Bayou chez Gallimard. Je ne sais pas vraiment quelle est la ligne de conduite de cette collection, mais elle présente de nouveaux venus ou des auteurs confirmés pour des travaux originaux, le plus souvent en one-shot, mais également parfois en plusieurs tomes, comme RG ou Aya de Yopougon. Des romans graphiques, comme on dit, puisque le nombre de planches avoisine la centaine.
Alors que la nuit tombe aux alentours d’un village fortifié, un chevalier revenant de quelque croisade hésite à rentrer. Au même moment, divers personnages interagissent, et au fil du temps et des dialogues, leur passé remonte pour donner un tableau complet de la situation inextricable dans laquelle tous se retrouvent désormais engoncés…
La Nuit, écrite, dessinée et coloriée par Stanislas Gros laisse apparaître deux éléments essentiels à une bonne bd : un ton unique et un dessin avec une patte reconnaissable. Deux entités que seuls mes auteurs favoris peuvent faire. Et ça, c’est pas rien. Il y a des idées à toutes les pages, beaucoup de personnages et un scénario habile finalement extrêmement réfléchi. La Nuit propose de plus un procédé que je n’avais jamais vu : souvent, la première planche d’un des treize chapitres composant l’album reprend une case complète ou un détail de case du chapitre précédent.
Inscrivant ainsi son histoire dans une unité de temps qui donne son nom à l’album, Gros délimite parfaitement son propos dans un seul espace-temps. Les divers lieux servant de décors aux scènes parallèles se situent dans une ville médiévale, avec un château, un cimetière et une forêt avoisinante.
Les personnages se croisent mais restent tous dans leur périmètre. Il y a un chevalier honteux et la Saturniale, la soi-disant sorcière vivant dans la forêt ; le garde de nuit, arbalétrier raté ; sa femme et son fils, qui espèrent se coucher ; les fantômes du cimetière et la femme du chevalier. Tous sont liés, tous ont une histoire commune.
Gros marie la ligne claire à une dynamique héritée d’auteurs plus récents, dont ceux de Donjon, comme Joann Sfar. En quelques traits, chaque personnage est immédiatement reconnaissable, et les quelques cases posant le décor délivrent des détails architecturaux fourmillant de détails, inscrivant ainsi les protagonistes dans un univers réaliste. Ces deux approches se complémentent, et l’équilibre qui en résulte aurait pu former une œuvre bancale. Mais tous les écueils sont évités. Des dialogues aux situations, des scènes au second plan aux histoires dans l’histoire, l’ennui ne pointe jamais.
Ici, il est questions de règles étranges de chevalerie, de cheveux maléfiques, de dragons qui poussent dans des pots de fleurs. J’ai, à certains moments, pensé à Goscinny, pour la remise en question des styles et des genres. A d’autres, à Hergé : la Saturniale crie comme Tintin lorsqu’il pense à Tchang.
Le tout est noyé dans une obscurité omniprésente, qui pourrait provenir d’un amour du style gothique autant que d’un penchant pour les mystères. A moins que ce ne soit un hommage au film de Charles Laughton, La nuit du chasseur. Les révélations arrivent peu à peu, les situations s’expliquent quelques chapitres plus tard, les personnages prennent consistance avec la lecture.
C’est à la fois mélancolique, touchant, onirique, amusant et grave. Sous des atours de conte, le propos et l’histoire sonnent profondément modernes, refusant les morales, mais invitant aux changements de perception. Tout cela baigne dans un humour pince sans-rire totalement irrésistible et quasi omniprésent, entre Monthy Python, Mel Brooks et Marx Brothers, de l’absurde. C’est cet humour qui fait passer les meilleures idées, qui se moque des automatismes et des images rabâchées par les clichés de l’heroïc fantasy et des contes de fées. La Nuit est fraîche…
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La BO du jour
Hé hé https://www.youtube.com/watch?v=7F1Midn-H0s
La dernière fois que je me suis laissé happé par ce genre d’univers, c’était pour La quête de l’oiseau du temps et Garulfo cette année. Je n’ai pas très bien compris de quoi parlait cette BD mais plutôt ressenti ce qu’elle inspire. Hop ! dans ma pile de lecture !
Ps: et tu viens de me mettre dans la tête cette chanson idiote des Avions: La nuit est chaude / elle est sauvaaaage/ la nuit est belle/ pour ses otageuuuuu.
Là, je ne te dis pas merci…..
C’est vrai que ça a l’air bien sympa ! Mais voila le genre d’article que j’aime pas du tout…insidieusement Cyrille tu tentes…crois-tu que j’ai touché un héritage ? crois-tu que j’ai gagné au loto récemment ? Que nenni ! Et la période qui vient n’est qu’un festival de dépenses pour ceux qu’on aime….après oui c’est vrai je m’aime mais bon…. Très bel article en tout cas et belle découverte (euh pour la période de Noel, Bruce tout-puissant, serait-il possible de ne faire que des articles sur des grosses bouses stp ?)
Rassure toi Yuandazhukun, un spécial Bendis X-Men 600 est prêt…Comme les terroristes, il peut frapper à n’importe quel moment….
Merci beaucoup Bruce, Yuan et Tornado ! Bruce, je me souviens de cette chanson des Avions et tu viens de me la mettre en tête, je ne te remercie pas ! J’ai la même problématique que vous : en cette période maudite (nowell), les budgets s’envolent… D’ailleurs je pense attendre 2016 avant de me racheter des bds ! L’autre solution : se les faire offrir (comme moi avec les trois premiers tomes de Monster 🙂 ) !
Bruce, j’avoue ne pas aimer raconter les histoires, et ici, et bien, je n’ai rien défloré tout en racontant la structure… Je préfère que vous vous fassiez une idée vous-même, et parler de mes ressentis, parce qu’au final, c’est ça qu’on retient d’une bd. Ou des scènes clés, des dessins chocs, mais pas l’histoire complète, non ?
Voilà typiquement une lecture à laquelle je n’aurais pas prêté attention si elle n’avait été chroniquée ici.. Je la guetterai désormais en médiathèque !
Le côté humour m’attire mais le graphisme ne me séduit pas plus que ça.
Je peux comprendre JP ! Étant donné que déjà tu n’as pas accroché à tous les dessins de Blast, je ne suis pas certain que celui – ci soit ta came. Mais j’attends ton avis 🙂
Je ne connais pas du tout cette BD. Le première planche (Pierre tombal n’a pas été invité) m’a fait pensé à Petit Vampire de Joann Sfarr, impression qui s’est dissipée avec les suivantes.
Effectivement ton article ne dévoile rien de l’histoire, tout en transcrivant ton ressenti à la lecture. Je ne suis pas sûr que ça me plairait, mais je le mets sur la liste des BD à feuilleter à la FNAC, car à l’approche de Noël, il est toujours bon de disposer d’idées originales.
Oui Présence cela fait un peu Petit Vampire je suis bien d’accord ! Une idée originale c’est tout à fait le cas. Je suis très curieux d’avoir ton avis en tout cas si ça arrive ! Quant à son interview, j’espère que Stan viendra répondre lui – même aux questions… Merci pour ton petit mot gentil !
Merci pour cette piste fraîche. Il s’agit maintenant de déterminer s’il s’agit d’un cadeau pour moi ou à offrir. Je vais essayer d’en apprendre un peu plus sur cette collection prometteuse.
La couverture est une invitation à la rêverie avec le suspens cocasse du tombera tombera pas (auquel tu apportes une réponse poétique un peu plus bas).
Et ta chronique est du même ton qui sollicite le lecteur sans le brusquer.
Minute papillon! Cyrille nous a encore attrapé dans ses filets 🙂