Godzilla – The half-century war par James Stokoe
Un article de Présence
VO : IDW
VF : Vestron
1ère publication le 30/03/17 – MAJ le 25/06/22
Cet article est respectueusement dédié à Tornado et à son article .
Ce tome contient une histoire complète mettant en scène Godzilla, indépendante de toute autre. Il n’est pas besoin de connaître ce monstre pour apprécier ce récit. Il contient les épisodes 1 à 5 de la minisérie, initialement parus en 2012/2013, écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par James Stokoe, avec l’aide d’Heather Breckel pour les couleurs.
En 1954, le Japon subit pour la première fois les assauts de Godzilla, qui émerge dans le quartier Shinagawa de Tokyo, c’est-à-dire le port. Il avance en détruisant tout sur son passage. L’armée est réquisitionnée pour intervenir. Parmi les troupes dépêchées, le lieutenant Ota Murakai est un responsable de char. Parmi les soldats du char, se trouve Kentaro Yoshihara, un bon copain du lieutenant. En fait le commandement n’a pas indiqué clairement ce que les soldats allaient devoir combattre. Ota et Kentaro découvrent le responsable de la destruction. Ils vont tenter de sauver quelques civils en attirant l’attention du monstre Kaijū, en lui tirant dessus au canon. La mise en déroute du monstre est le fait d’une autre équipe.
En 1967, Ota Murakami et Kentaro Yoshihara font toujours partie de l’armée de défense du Japon. Ils ont été intégrés dans la branche spéciale AMF : Anti Megalosaurus Force. Ils sont envoyés au Vietnam pour faire profiter de leur expérience de lutte contre Godzilla, car il est en train de se frayer un chemin dans la jungle, sur une trajectoire qui passe par Saigon. En 1975, les 2 soldats sont envoyés au Ghana car près d’une dizaine de monstres Kaijū dont Godzilla sont en train de s’affronter. En 1987, une autre mégapole subit l’attaque de Godzilla, les 2 soldats sont à nouveau appelés pour intervenir. Ota Murakami et Kentaro Yoshihara participent une dernière fois à la lutte contre ce Kaijū en 2002.
Ce n’est pas la première fois qu’un éditeur essaye de lancer une série consacrée à Godzilla, pour essayer d’attirer les fans de la licence. Il y a bien sûr des adaptations en manga dès les années 1950, sachant que le premier film Godzilla date de 1954. De 1977 à 1979, le monstre a eu droit à 24 numéros d’un comics à son nom, publié par Marvel Comics, réalisé par Doug Moench & Herb Trimpe. Puis ce fut au tour de Dark Horse d’exploiter cette licence pendant 12 ans. En 2010, IDW acquiert la licence et lance différentes miniséries. Celle-ci est l’œuvre d’un unique créateur, également auteur de Orc Stain.
Le fond de l’affaire est que les comics de Godzilla ont vite tendance à tourner en rond. Le monstre apparaît, détruit plein de constructions humaines sur son passage, et un groupe d’humains réussit à le renvoyer dans les fonds marins. Éventuellement, il est possible d’introduire une étape supplémentaire au cours de laquelle Godzilla devient une force pour le bien en se battant contre d’autres monstres plus destructeurs. Depuis le début, il est hors de question d’humaniser ce gros lézard, de lui donner un semblant de personnalité. Tout son attrait réside dans le concept d’une force de la nature aux actes arbitraires. Au vu de la date à laquelle il a été créé et de ses origines (réveillé dans les fonds sous-marins par des essais nucléaires américains), il est possible d’y voir une métaphore de l’attaque des américains sur le Japon, ou de manière plus large de la guerre et de la menace atomique.
Avant toute chose, le lecteur est venu chercher les conventions spécifiques à ce monstre Kaijū : de la destruction massive. La couverture montre déjà Godzilla au loin, des buildings renversés, et au premier plan un construction éventrée avec du béton fracassé, des fers à béton tordus et déchirés. Le lecteur remarque la multitude de petits traits qui détourent une infinité de détails. Une fois lancé dans sa lecture, il constate que James Stokoe ne dessine pas pour faire joli. En particulier les visages des personnages sont dessinés à gros traits (par exemple les épais sourcils), sans volonté de réalisme.
À la fois, l’artiste intègre bien des détails nombreux, et à la fois il croque ses personnages de manière grossière, sans ombre portée, sans grain de peau, sans chercher à rendre compte du modelé de leur faciès. L’apparence des visages fait penser à des mangas des années 1970, entre shonen et seinen, proche de certains gekiga. Quelques éléments de décors donnent également l’impression de dessins à la perspective manquant de rigueur. Les véhicules ressemblent parfois plus à des jouets ou à des modèles réduits, qu’à des constructions technologiques en étal. Le transmetteur psionique du docteur Deverich est un peu de guingois, avec une technologie évoquant les comics pour enfants des années 1950.
Pourtant le lecteur n’éprouve pas l’impression de lire une BD pour enfant, dessinée de manière à être plus facilement compréhensible. Pour commencer, l’auteur respecte le fait que Godzilla n’ait qu’une seule position en train de marcher, les petits bras en avant, avec une haleine radioactive pouvant sortir de sa gueule. Il respecte la gestuelle limitée de l’acteur qui portait le déguisement de caoutchouc dans le film. Ensuite, Stokoe intègre au moins une scène de bataille par épisode, souvent dans des pages muettes, laissant le lecteur se repaître de ce pour quoi il est venu : la destruction. C’est d’ailleurs dans ces séquences qu’apparaît tout l’investissement de l’auteur.
Quand Godzilla avance dans la ville, ce ne sont pas 2 ou 3 vagues débris qui chutent, ce sont des buildings entiers qui s’affaissent. Sa masse corporelle lui permet de pulvériser les façades, de perforer les bâtiments, d’abattre les tours. Son haleine atomique explose les constructions. L’artiste en donne pour son argent au lecteur avec des scènes de destruction massives, et des formes minuscules détourées avec des traits fins pour montrer tous ces matériaux brisés, tordus, détruits.
L’attention portée aux détails ne se concentre pas uniquement sur les constructions abattues, elle se manifeste aussi dans les monstres. Il ne manque pas une seule écaille à Godzilla, ou à Anguirus. De même les tenues militaires comprennent tous les détails nécessaires, ainsi que la technologie d’anticipation pour le transmetteur psionique. Le lecteur est également à la fête avec la mise en scène des affrontements. Certes le jeu d’acteur de Godzilla est très limité, par contre le déplacement de sa masse corporelle est bien rendue. De même quand il affronte d’autres monstres à commencer par Anguirus, l’artiste met en œuvre ses talents de metteur en scène pour rendre compte de l’ampleur du combat (grâce au rapport de taille entre les décors et Godzilla), ainsi que de toute leur brutalité sauvage. Il met à profit le fait que le budget des effets spéciaux soit illimité dans les comics.
Conscient des limites des récits de Godzilla, le lecteur se demande comment James Stokoe va construire son intrigue. Le titre indique qu’il s’agit que le récit s’étend sur une période d’une cinquantaine d’années. Il contextualise les apparitions successives de Godzilla en les situant dans le temps et dans l’espace, et il les ramène à taille humaine, par le biais d’Ota Murakami. La première apparition de Godzilla à Tokyo en 1954 correspond à sa première apparition, c’est-à-dire celle du film originel.
Sa seconde apparition reprend bien la continuité des films, c’est-à-dire le combat contre Anguirus, mais déplacée en 1967, alors que le film date de 1955. Le lecteur remarque que le lieu de cette rencontre n’est pas anodin : proche de Saigon, en pleine guerre du Vietnam. James Stokoe reprend donc la métaphore de la frappe de l’armée américaine, d’abord ses conséquences au Japon, puis son intervention en cours au Vietnam. Dans les 3 chapitres suivants, le lecteur peut toujours conserver à l’esprit l’idée de cette métaphore de la guerre, par contre celle de l’armée américaine ne s’applique plus de manière aussi littérale.
Le personnage d’Ota Murakami introduit un point de vue humain sur les actes de destruction de Godzilla. En son for intérieur, ce soldat formule des réflexions sur la dimension de Godzilla, totalement hors de proportion de l’échelle humaine. Il essaye d’y appliquer des idées humaines, mais y renonce très vite. Dans un premier temps, l’auteur se sert surtout de Murakami pour évoquer ce qui s’est passé entre 2 chapitres, l’évolution de la force de frappe AMF, les nouvelles armes, l’arrivée de générations de soldats plus jeunes. D’épisode en épisode, ce récit devient également l’histoire de Murakami. Stokoe ne raconte pas le chemin de vie du principal protagoniste, il n’aborde que son rapport avec Godzilla.
La vie d’Ota Murakami a été transformée par la première apparition du Kaijū. Le simple fait qu’il ait survécu à la destruction de Tokyo a fait de lui un vétéran. Cette créature qui dépasse l’entendement humain a influé sur son destin, au point que sa vie n’ait de valeur que dans son rapport avec les différentes apparitions du monstre. Le lecteur peut y voir la part d’arbitraire qui façonne la vie de chacun, le fait d’être né à un endroit plutôt qu’à un autre, d’avoir assisté à un événement historique. La vie d’Ota Murakai en devient dramatique du fait qu’elle n’a de sens et de valeur que par son rapport à Godzilla, alors que l’objectif professionnel (et militaire) de Murakami est de participer à son extermination.
Ce récit mérite sa bonne réputation. James Stokoe maîtrise les conventions de genre qui définissent le monstre Godzilla, ainsi que son historique, citant en passant les autres monstres Kaijū comme Anguirus, Rodan, Battra, Megalon, Lumonga, Mothra, Ebirah, Hedorah. Cet auteur est tout entier investi dans l’objectif de raconter une bonne histoire de Godzilla, avec un point de vue original, tout en se pliant aux limites inhérentes. Il ne cherche pas à l’humaniser et il s’astreint à se conformer au schéma de Godzilla apparaît, il détruit tout sur passage, il retourne d’où il est venu. Il crée un personnage humain pouvant donner une perspective sur ces apparitions, mais sans qu’il ne vole la vedette à Godzilla.
Dans chaque épisode, le clou du spectacle reste le déchaînement de Godzilla et les destructions qu’il cause. Les dessins peuvent sembler parfois naïfs de prime abord, mais ils portent la narration et leur forme détaillée jusqu’à l’obsession correspond bien au fond de l’histoire : un monstre détruisant tout sur passage. Cette histoire ne révolutionne pas les histoires de monstres ou même de Godzilla, mais elle constitue aussi bien une bonne introduction à Godzilla, qu’une bonne immersion nouvelle pour les lecteurs appréciant ce monstre.
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LA BO du jour comme il est hors de question de souiller mon beau blog avec la reprise de Puff Bidule, la version originale quand même meilleure sans les gesticulations de l’autre idiot…
Le chroniqueur tout terrain Présence s’attaque à la BD de genre.
Très sympa comme article.
Je ne sais pas si je suis tenté par contre.
Je n’ai jamais vraiment été fan de Godzilla. Je n’ai pas vu les derniers films, et le crossover prévu avec King Kong ne m’intéresse pas vraiment. Pourtant j’aime bien les films de monstres, mais je crois que les vieux films de monstre ont un certain charme que les nouveaux n’ont pas à cause de la surenchère d’effets spéciaux et des scènes d’action over the top qui ne m’impressionnent pas (toujours mon rapport particulier aux effets spéciaux que je trouve impressionnants quand ils ont des limites. Ou engageants quand ils se consacrent à donner une crédibilité aux bestioles plutôt qu’à leur faire faire du kung fu). C’est ce dont je parlais un peu hier.
En BD, why not…
Il n’y a pas de problème de budget pour montrer des trucs dingues en BD comme tu le soulignes, ce qui est bien. Mais du coup les destructions massives sont aussi plus courantes. Tiens bah j’ai lu Authority récemment et niveau baston king size et champs de ruines, ça se pose là.
Du coup…ça a l’air sympa mais ne sais pas trop où est la plus-value. Les dessins sont jolis cela dit. On sent bien que le focus est sur les monstres très détaillés.
Il est possible que je me sois attaqué à la BD de genre depuis un moment, de genre superhéros par exemple. 🙂
en effet, la plus-value sur les destructions massives en BD n’est pas toujours évidente. Il faut un dessinateur qui ait soit envie de s’y investir comme Bryan Hitch (avec l’effet de s’aligner sur les films, donc une forme de manque d’originalité), ou un dessinateur qui réalise des traits rageurs pour tout casser. J’ai trouvé que James Stokoe était très investi dans son mode descriptif pour des destructions massives.
Hmmm… que dire ??? Les dessins sont chouettes, le parti-pris esthétique pour les visages ne me choque pas, ça donne effectivement un côté un peu manga… Sur les images choisies, la palette de couleurs avec une dominante de tons rouges renforce bien l’aspect « film catastrophe ».
Mais… j’ai jamais trop accroché à Godzilla. Et comme il n’ y pas de VF, la probabilité de le chopper en médiathèque semble assez faible…
C’est vraiment la dimension obsessionnelle des dessins qui m’a convaincu de tenter cette lecture, ainsi que d’excellentes critiques.
@Présence : Oui bon…quand je disais « de genre » c’était le genre « trucs de monstres », le domaine de prédilection de Mr Tornado.
C’est sûr que ça a l’air joli visuellement.
Et je comprends très bien l’intérêt qu’on peut porter aux graphismes. J’ai moi-même des BD assez conventionnelles mais avec un graphisme qui fait rêver et nous transporte dans un autre univers. J’ai toujours du mal cela dit avec la notation de ce genre de BD. Dans un sens, je sais qu’il y a un petit côté « plaisir coupable » et que la BD n’est pas révolutionnaire, mais je n’ai pas envie de la démolir non plus si j’ai passé un bon moment.
@JP : Il n’y a pas de VF mais je ne suis pas sûr que ça philosophe beaucoup, donc niveau compréhension ça devrait aller^^
Pas de
Comme d’habitude, Présence, tu rends une bd qui ne m’attire pas plus que ça extrêmement intéressante et tu en tires une analyse fine et intrigante. L’auteur est américain ? Le trait fait vraiment très manga, c’est un peu perturbant. Et pourtant, ce style de dessin se développe partout, y compris en France. Il y a quelques mois, mes enfants ont suivi un cours de dessin manga pendant plusieurs heures, par un dessinateur professionnel (il faut que je retrouve son nom), un jeune très sympa apparemment.
Cela dit les dessins ont l’air vraiment très fouillés, un peu comme peut le faire Geoff Darrow… Merci pour la découverte, quoi qu’il en soit. C’est un peu comme toi avec les articles de Tornado (c’est vrai que je ne vais pas non plus chercher à voir ce King Kong)…
Et ouais, beaux et bons cadeaux Bruce !
James Stokoe est canadien. A la lecture de ce comics, il est difficile de dire s’il manque de métier (c’est-à-dire que ses silhouettes sont parfois un peu gauches, et ses perspectives très scolaires), ou s’il a choisi cette approche graphique pour coller aux histoires qu’ils racontent. J’aurais tendance à penser qu’il manque un peu de formation académique, ce qui donne un air un peu amateur à certaines cases (les buildings très raides), mais qu’il compense par une implication totale dans son récit.
Stokoe fait partie d’un studio avec Brandon Graham (et d’autres), lui aussi artiste à l’approche singulière, tant pour les scénarios que pour les dessins, par exemple sur la série John Prophet dont les 2 premiers tomes ont été publiés par Urban Indies.
James Stokoe est en train de réaliser une minisérie Aliens, en cours de parution chez Dark Horse, et j’ai hâte de découvrir ce que ça va donner, parce que je pense qu’il a l’entrain nécessaire pour transcrire toute la férocité de ses créatures spécialisées dans la survie à tout prix.
J’arrive un peu tard, journée chargée.
Tout d’abord, merci pour la dédicace. Et merci pour mettre en lumière ce cher Godzilla, qui n’était entré jusqu’ici que par la petite porte au sein du blog, dans l’ombre de king Kong.
C’est une Bd qui devrait me plaire, pour son sujet et aussi pour ses références, puisque je pense connaitre quasiment tous les films qui sont cités, voire tous (il faut que je vérifie). A vois si ça passe un jour la barrière de la VF…
Les dessins sonnent parfois un poil amateur, effectivement. En revanche, pour le côté « en toc » des véhicules, je pense que c’est un effet recherché car, dans les vieux kaiju, les véhicules ont vraiment des airs de jouets en plastique ! 😀
Merci (tardif !) pour cette review ! J’aime bien les films Godzilla, mais comme la plupart des comics à licence, on semble tomber tourner un peu en rond. Les scènes de kaijus montrées dans l’article sont superbes
Ah ça fait plaisir je me posais des questions sur ce comics et je lis ce bel article.
C’est vrai que ce monstre fait plus office d’une croquemitaine, ennemi à abattre plutôt qu’un personnage à part entière.
J’avais besoin d’un avis et ceci répond à mes questions surtout que j’aime beaucoup lorsque c’est un auteur complet qui se met à la tâche (écriture, dessin).
Merci!