Human Target Volume 2 par Peter Milligan, Javier Pullido et Cliff Chiang
Un article de BRUCE LIT
VO: Vertigo
VF : Urban
Première publication le 7/11/14. Mise à jour le 07/11/20
Cet article traitera du deuxième et dernier volume de Human Target réédité chez Urban Comics. Il est possible de lire ce tome indépendamment du premier même si la progression dramatique fait appel aux épisodes précédents. Le volume 1 a été chroniqué ici.
Ce volume se clôture sur une fin ouverte en bonne et due forme. Les scans étant cauchemardesques à trouver, les images de cet article seront tirées indifféremment du volume 1 et 2.
Human Target pour les nuls : Chistopher Chance est un garde du corps atypique. Doté d’un sens de l’observation infaillible et d’une trousse de maquillage conséquente, Chance endosse l’identité de ses clients menacés de mort et mène des enquêtes haletantes souvent bouclées en deux épisodes.
Chance dispose pour lui de beaucoup d’argent (c’est un play-boy aussi tourmenté que Bruce Wayne), d’un entrainement au combat aguerri mais surtout d’une capacité faisant sa force et sa faiblesse : l’auto-suggestion. Il s’agit d’une forme d’hypnose élaborée qui lui permet de ne pas jouer son personnage mais de le devenir vraiment !
L’auto-suggestion lui permet de copier la voix, la démarche, les habitudes de son client. Par simple déduction, Chance accapare les souvenirs, les secrets voire les pratiques sexuelles de ses incarnations.
Accro à l’adrénaline, la vie de Christopher Chance est devenue au fil des années une angoissante fuite en avant où son identité s’est dissoute dans tous les rôles qu’il a joués. Il lui arrive de passer des mois, sans qu’il ne se souvienne de qui il est. Lorsque commence ce volume 2, Chance a perdu son vrai visage lors d’un incendie. Pour faire simple, il reproduit son identité sous des tonnes de latex en attendant d’être prêt pour une opération esthétique. Il n’a pas de caractère véritable : ni antipathique, ni attachant, Chance est un empathe qui adopte les qualités et les défauts de ceux qu’il copie.
Milligan continue de broder des variations sur le même thème en alternant les paramètres : Chance aide une femme qui a changé de visage à reconstruire son identité, il prend celui d’un fugitif pour couvrir sa cavale, il infiltre une église d’illuminés notoires et en devient le nouveau messie. Son dédoublement de personnalité permet aux cameras TV de le voir en plusieurs lieux différents corroborant les rumeurs d’ubiquité.
Ce n’est pas la première fois que Milligan confronte les impostures de son héros à celle de la religion et son culte des apparences. Et Milligan décortique ça avec la même perversion que l’enchaînement angoissant de poupées russes.
Vertigo oblige, Milligan peut aller jusqu’au bout des sujets qui l’intéressent sans censure, ni tabous. Il signe ainsi un récit social impressionnant d’intelligence et de noirceur sur les immigrés sud-américains dont les enfants sont volés et vendus comme esclaves aux Etats-Unis. Chance infiltre des réseaux pédophiles. Comme le Punisher (The Slavers), voici un héros qui côtoie la lie de l’espèce humaine. Ses cibles constituent des menaces réelles pour l’équilibre d’une société de consommation qui alimente ces monstres.
Derrière le rêve américain, Milligan attaque sans pitié la paranoia post 11 septembre. Un musulman bien intégré en Amérique est capturé par des rednecks qui le torturent façon Guantanamo. Celui-ci s’échappe et sera abattu au moment de rentrer chez lui par la police suspectant qu’un arabe ne puisse pas vivre dans un beau quartier.
Chance, lui, ne retrouvera jamais une petite fille disparue, kidnappée par une réseau pédophile. La dernière planche de cette histoire éprouvante suggère qu’elle est prisonnière dans les beaux quartiers hollywoodiens. Enfin, le disciple de Chance réapparaît à la fin du run pour lui voler une vie qui n’existe pas.
Christopher Chance est un héros de son temps : au pays du faux semblant, où tout est bidon, truqué, faussé, où une vie s’achète, se vole ou s’oublie jusqu’à ce qu’il ne s’oublie lui même. L’amour, l’amitié deviennent impossibles, ces émotions étant seulement guidées par le moment, la nécessité de la situation. Chance n’a plus d’ancre morale ou affective. Sa psychose est la plus inquiétante du monde : capable de singer une personnalité normale jusqu’à l’effondrement inévitable.
En cela il n’est pas loin des plus malades des Super-Héros. Comme Batman, son identité civile n’est qu’un alibi, un truc bidon en attendant de redevenir une Cible Humaine, un appel à la mort à peine inconscient. On se rappelle aussi que chez JM de Matteis, Spider-Man, le Caméleon ou Kraven intervertirent leur identité jusqu’au point de valser avec la folie et la mort.
Chez Ann Nocenti, Daredevil et Bullseye permutaient leur rôle jusqu’à se prendre aux règles du jeu du héros et du vilain ! Le costume de DD rendait le vilain héroïque et inversement Matt cédait à la psychose meurtrière. Chez Les X-Men, Mystique connut elle aussi les affres de la permutation d’identité. Et bien sûr, impossible de ne pas penser à la saga du clone de Spider-Man.
Mais aucune de ces séries malgré leurs qualités ne peuvent prétendre aux abysses psychologiques où Chance est plongé. De la vraie littérature en images où l’on ne parle plus d’arc mais carrément de nouvelles. Plus de Comics Books d’une industrie de divertissement mais de scenarii à la Elroy où Chance comme Lloyd Hopkins est confronté à des versions perverties de lui-même.
Au bout de ces 20 épisodes, un léger sentiment de répétition finit par poindre le bout du nez. Peter Milligan a atteint les limites de ce qu’il avait à dire. Il arrête, il sait qu’après les prolongations, ce sont les penaltys. Et lorsque Human Target pour son dernier épisode relance l’intrigue du premier, la boucle est bouclée et rappelle la fin de The Wall du Floyd autre chef d’oeuvre portant sur l’aliénation : isnt where we came in ?
Voilà un bel exemple de série télé qui a sauvé un comics exceptionnel de l’oubli. La série télé n’a pas marché mais elle a incité Vertigo à sortir 2 recueils (comprenant moins d’épisodes que les 2 volumes Urban !).
En lisant ton commentaire, j’ai retrouvé tout le sel et la finesse psychologique des épisodes que j’ai lus. Je n’y avais pas pensé, mais Christopher Chance est effectivement une forme d’empathe ultime, devenant celui qu’il observe.
Je n’ai jamais vu la série Tv. Les scans que j’en ai vu en préparant l’article ne donnent pas envie. Je me « présence » de + en + en zappant presque totalement toute adaptation de Comics.
J’ai acheté le premier tome d’Urban Comics et revendu les 2 tomes de Semic. C’est vrai qu’Urban a frappé fort en nous offrant l’intégralité de la série en à peine 2 mois, alors qu’aux USA ils n’en ont pas eu autant !
Une série TV qui relance un comics. Je prie pour qu’il en soit ainsi avec « Hellblazer »…
Je reviendrai sûrement discuter du contenu de l’article lorsque j’aurais lu la série…
Bonjour,
Hellblazer n’a pas d’adaptation Tv puisqu’ils adaptent Constantine (New 52).
Bonne journée.
Ahah comparer Human target à la saga du clone il fallait oser :)) Bruce grand fou va !
Autrement oui très beau texte, et ta conclusion résume très bien mon malaise ressenti au fur et à mesure de la série (et qui a fait que je n’ai pas continué d’acheter les comics jusqu’à la fin) : Une certaine redondance ou un manque direction… Mais bon peut être que cette édition Française sera l’occasion de le relire et qui sait me faire changer d’avis !
Autrement Milligan dans sa période est un géni ! Shade the changing man (a égalité avec Sandman pour moi ! C’est dire) The Face, The extremist, London…. Autant de classique intemporel et incontournable !
Je reconnais là l’amoureux de la saga du clone !!! POur te réconcilier avec au moins la première partie :
MAis je maintiens ! Si le traitement de cette saga a été mal gérée par Marvel, l’idée n’en était pas moins originale ! Et les doutes de Peter Parker, écrits par JM de Matteis ( pas le premier venu) rejoignent parfois ceux de C. Chance !
Pour l’instant tout ce que j’ai lu de Milligan atteint effectivement des niveaux exceptionnels ! Je voulais faire « Les CAnnibales » mais je n’ai trouvé que 3 misérables scans… Je vais faire comme pour Hergé et les faire moi-même !
Ahah je ne vais pas rentrer dans le débat sur la saga du clone je ne voudrais pas saloper ton blog ni rien :))
Par contre j’ai un message capital : Ta vie ne sera pas complète tant que tu n’auras pas lu Shade the changing man !! (La meilleure utilisation des dessins de Bachalo à ce jour) Plus rien ne sera comme avant tu verras :))
Ceci dit bonne chance pour les trouver vu que seul les premiers numéros (les moins bons) ont été traduit en Français…
Je pense pouvoir les trouver facilement sur
Internet, à ma médiathèque.Tu lui reproches à quoi à la saga du clone ?
Ohlala c’est compliqué mais pour faire court :
-Une bonne idée au départ oui, mais déjà exploité (en mieux) 20 ans plus tot par Andru et Conway.
-Des dessins faits (pour la plus part des épisodes) avec les pieds
-Une histoire assez inepte qui ouvre 10000 pistes pour n’en retenir aucune et revenir à la case départ au final (en perdant toute crédibilité au passage)
-Et surtout cette odieuse manie d’éclater « l’histoire » entre toutes les séries !
Tu serais pas marseillais Pat ? Parce que la saga du clone originale, c’est quoi, deux épisodes vite torchés ???
La depression de Peter Parker, La mort de tante may, la grossesse à risque de MJ, The Lost Years, Peter Parker en prison, la mort d’Octopus couvrent bien 300 pages. Et c’est pas de la merde ça non ?
Je ne savais même pas que cette série avait été une série télé. Je n’ai jamais lu Milligan… Raah les gars, vous donnez envie. Je crois que je vais me les offrir, ces Human Target. Et toujours une très belle analyse, Bruce.
J’ai feuilleté mon exemplaire de « Human target » de chez Urban et il y a quand même UN truc qui me dérange : Cette p….. de manie de publier les séries sur papier mat !!! J’ai horreur de ça !!! Il rééditent toutes les séries Vertigo comme ça (Sandman, Transmet). Bon sang mais ce ne sont pas des séries old-school ! C’est insupportable cet effet « peau de pêche » et ces aplats de noir qui sont gris !!!
Ok merci pour ta réponse j’essaierai de les prendre chez un autre libraire la prochaine fois que j’achète des bd en papier mat.
Je ne pense pas que ce soit en rapport avec le coût car leur papier mat est de très bonne qualité. C’est surtout une tendance, une mode. Du coup, ça fait des livres 2 fois plus épais à ranger dans la biblio…
Bonjour,
Je viens de terminer ce tome et je n’ai pas ressenti de lassitude ou de redondance dans les arcs.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce deuxième tome. Les dessins sont plus à mon goût (je déteste Javier Pulido).
Le dernier arc est exceptionnel, Milligan s’est amusé à me faire perdre pied (mais qui est qui) pour en arriver à la même conclusion que Chance?!? (est-ce que cela importe vraiment de savoir qui l’on vient de suivre depuis 20 épisodes?)
Merci à toi Bruce pour cette découverte.
Bonne journée.
bonjour
merci pour cette critique, je viens de refermer le tome 1 et je suis ravi de mon achat notamment sur le point scénaristique, malgré une suite de « polar nouvelles » (et dieu sait que je préfère les histoires au long cours » aux nouvelles) on se retrouve happé par les différents rebondissements distillés par l’auteur.
Malheureusement le gros gros point noir (et je ne laisserais qu’une note de 8/10 à cause de cela) c’est la déliquescence des dessins.
je les trouvent superbes dans le premier chapitre mais ensuite c est la dégringolade jusqu’au foutage de g…..e pour l’avant dernier épisode j’ai nommé le « temple de la renommée » mon dieu….
bref j’espère qu’ils seront à la hauteur dans le second tome sinon je peins par dessus !!!
Bonjour Lecarpentier,
Oui le style de Pullido est particulier. Dans le deuxième volume, Cliff Chiang assure comme une bête. Et Pullido continue la stylisation de ses planches. Hâte de connaître ton avis !
Ouh la la ! Que c’est tentant ! Le style de récit qui tente. En plus même si les dessinateurs changent, j’aime beaucoup le style Pulido qui excelle dans le style dramatique à mon sens.
J’allais me jeter sur le HumanTarget de King mais celui là c’est mi figue mi raisin.
Le seul argument qui me fait douter c’est le prix Eisner et j’ai plus l’impression que c’est une occasion de faire apparaître ce personnage dans le monde des Super
Là on est sur un personnage terre à terre et tes articles donnent bien envie.
Merci!