TWIN PEAKS SAISON 3 par David Lynch
Very Special Guest : STEVE TRINGALE
Bienvenue au royaume du spoiler ! Cet article dévoile la fin de la série légendaire de David Lynch
Cet article pourra être lu en complément du dossier de Tornado sur la série mère et sur la saison 3 au moment de sa diffusion.
1ère publication le 2/09/19 – MAJ le 18/01/25
Je l’avais promis à mon frangin ; un article sur Twin Peaks saison 3… Après tout, c’est moi qui ai initié ce grand dadais à la série de Lynch ! Alors, pour Bruce Lit c’est parti !
Attention cet article sera à l’image de la série : éclaté, subjectif, incomplet… Vous êtes prêts ? Fermez les yeux il y a une cascade d’eau, l’écume devient lumière ; apparaît le visage de Laura Palmer…Et cette musique… Pas de doute, vous êtes à Twin Peaks…
Après des années d’absence au cinéma et 25 ans près la fin de TWIN PEAKS, Lynch revient à fond la forme. A lui seul il signe la réalisation des 18 épisodes de cette saison 3, là où auparavant il n’intervenait qu’en début et fin de série. Initialement prévue en 8 épisodes par Mark Frost, son coscénariste, Lynch va étirer cette saison et en faire une oeuvre d’art impressionnante.
Chaque épisode est pratiquement autonome notamment grâce à son rythme interne provoqué par un montage minutieux du son, des personnages clés de la série et des concerts clôturant l’histoire tantôt de manière douce, tantôt brutalement…. Lynch comme dans toute son oeuvre est hanté par l’étrangeté du son.
Tout peut paraître confus, laborieux, voire auto caricatural au premier abord, mais pourtant pour ses aficionados, la saison 3 de TWIN PEAKS avance inexorablement tel un rouleau compresseur d’un point à un autre.
Et si, l’on s’attendait à une suite des plus traditionnelles à une époque où il est bon de rebooter les franchises eighties, la déception sera effectivement de mise. La démarche de Lynch est autre : nous montrer le Twin Peaks post Laura Palmer et surtout Dale Cooper à qui l’on a parlé à l’envers pendant 25 ans… Cela donne à cette saison une ambiance des plus étrange, froide, absurde déjà tentée dans un Inland Empire, très éprouvant, avec aux manettes un Lynch qui découvre la DV sans producteur pour cadrer son imagination débordante. Résultat : une oeuvre fermée, complexe et franchement pas intéressante. Mais ici, le délire de Lynch est bien orchestré et audacieux !
Après LOST HIGHWAY, nouvelle collaboration entre Trent Reznor et David Lynch
Tout d’abord, il délocalise l’action de sa série culte dans différents ville des Etats-Unis jusqu’à se demander si nous allons revenir à Twin Peaks! Pour la première fois dans sa carrière, Lynch filme New York en rendant la grande pomme aussi inquiétante que les bâtisses industrielles d’ELEPHANT MAN. Vues aériennes sur les grattes-ciel, murs de briques, cages de verre, prison transparente ? écran virtuel ? un observatoire du néant ? Il se permet aussi une escapade en noir et blanc à Paris et dans une banlieue du Dakota en se moquant de DESPERATE HOUSEWIVES série où jouait son acteur fétiche Kyle Mac Lachlan.
Pour comprendre l’oeuvre de Lynch, il faut ouvrir toutes les boites de Pandore dans chacun de ses films et ne pas hésiter à naviguer entre eux…Nous arrivons ainsi au sujet principal de TWIN PEAKS saison 3 : La temporalité.
Le fil directeur des 2 premières saisons était axé sur la coexistence d’un monde réel et d’un autre plus mystique ( il ne fait pas bon vivre dans la loge noire). Nous étions dans un affrontement facile d’accès : le bien contre le mal comme dans Blue Velvet où des rouges gorges chantent malgré Dennis Hooper en psychopathe. Ici le passé, le présent, le futur, les mondes parallèles et les rêves s’entremêlent.
On peut surtout y voir un autoportrait artistique de Lynch.
Après Inland Empire et son terrible échec commercial, Lynch est écœuré et se sent incompris ; ses propositions pour enseigner la méditation dans les écoles américaines pour améliorer l’état du monde ne sont pas prises au sérieux. Il semble ne plus être intéressé par le 7ème art. Il s’installe à Paris, inaugure des Expos, fait des concerts, produit des disques, et tourne des clips.
Alors quand Cooper revient complètement anesthésié en Dougie et qu’il semble ne pas reconnaître le monde dans lequel il vit, la comparaison entre le Maître et l’acteur-personnage clef est facile. Lynch n’aime plus son époque et ne peut plus faire de films.
Cooper-Douglas d’abord endormi, puis abruti, semble atteint d’Alzheimer. Il ne réagit plus au monde l’environnant mais s’attache à des détails que nous ne voyons plus. Répétant systématiquement la dernière phrase de ses interlocuteurs, et leur proposant finalement un triste reflet dans le miroir, il se fait aimer de tous bien malgré lui. Il propose un oeil nouveau, tendre et nostalgique sur certains éléments : sur une statue de shérif héroïque (Cooper lui même agent du FBI ? / Lynch anciennement réalisateur très prisé) ou sur son enfant de substitution s’il avait eu la vie de Dougie Jones qu’il regarde avec un amour inconditionnel. Il fait jouir Janey-E la compagne délaissée de son Doppelgänger minable. Il fait s’écrouler les défenses d’un collègue mal intentionné, il permet à une femme de s’enrichir, à des mafiosos de montrer leur côté tendre à grand renfort de comique burlesque propre à Twin Peaks.
Le retour d’un héros diminué
Il s’entête ensuite à faire un dessin incompréhensible sur un rapport d’assurances : 1 – le plus grand enquêteur du FBI est devenu un simple expert d’assurance / Le plus grand réalisateur du siècle dernier se contente de faire des oeuvres mineures. 2- Personne ne semble comprendre les dessins de Cooper-Dougie à part son patron / Souvent les récits de Lynch déconcertent et seuls quelques fidèles producteurs l’ont compris et lui ont fait confiance.
Enfin il y a la tentative désespérée de rendre le monde meilleur via Naomi Watts. Dans cet élan, Cooper-Dougie retourne enfin à Twin Peaks arrêter Cooper-Bob, et tenter de ramener Laura dans un endroit sûr. On apprend entre temps que Cooper-Bob a violé Diane. C’est en voulant la sauver elle aussi qu’ils se retrouvent sur cette route déserte dans un motel. En quelques bornes la passion devient mépris. La relation se complique sans qu’on ne sache pourquoi. La route est elle une distance ou un Temps ? C’est dans cet espace que l’on se perd. Cooper retrouve Laura qui est elle aussi une autre femme. Elle n’est plus un cadavre sur le rivage ; Cooper lui prend la main, mais autre récurrence chez Lynch : se prendre par la main c’est se perdre. Dans MULHOLAND DRIVE la blonde et la brune traversent un buisson ardent en se prenant par la main ; elles arrivent à une soirée hollywoodienne ou les rôles de chacune vont s’inverser. Le guide devient un piège, le chemin, un labyrinthe.
Le monde dans tout ce qu’il a de complexe.
Après avoir rebooté sa propre série, Lynch la modernise.
Le combat final contre l’esprit de Bob est mené par un jeune anglais qui a eu la vision qu’il devait enfiler un gant spécifique pour taper le plus fort possible (ultime prolongement du bras de Mike ?). faut il y voir une ironie de Lynch ? A quoi bon relancer une série d’il y a 25 ans lorsque la mode est aux super héros?
Naomie Watts le dit aux persécuteurs de son mari : c’est à cause de gens comme vous que le monde ne tourne pas rond.
A Twin Peaks, un enfant est tué par le fils de Cooper-Bob
Tout cela résulte de la folie humaine et de l’ère atomique, the Dark Age (épisode hors norme)
Bob est donc battu par la jeunesse mais il a un problème avec elle : Drogue, violence, suicide, meurtre…
Si Laura était perdue à cause de son père incestueux, maintenant le mal n’a plus d’explications depuis la bombe atomique. Elle a libéré des cellules, donné naissance à des entités et ouvert des brèches dans l’espace et le temps.
Dernier acteur de cette œuvre : le Temps qui fait ses ravages. Lynch fait ses adieux à ses acteurs disparus, déchirants pour la femme à la bûche, hommage au fidèle agent Albert, clin d’oeil à Bowie transformé en théière(ces anglais…)
Quelque soit le monde parallèle, la route, la vie reprend ses droits avec une vision fataliste des choses.
Cooper doit finalement choisir entre son amour pour Diane ou Laura. Enfin cette scène inoubliable : une surimpression du visage de Cooper sur le déroulé des derniers tableaux. Revenu à Twin Peaks, il voit tous les gens qui l’ont aimé ; voix off ou leur parle t’il directement ? Un tableau dans le tableau. Un rêve dans le rêve. Ou une sortie de soi. Les mots manquent pour expliquer cette scène et pourtant elle semble parfaitement claire. Un simple regard bienveillant sur tous ceux qui ont fait la série de Lynch ; un dernier adieu.
Puis Cooper retrouve Laura, cette Laura qu’on a connu si fragile, si apeurée, que personne n’a pu sauver. Cooper la ramène chez elle et là… fermez les yeux, pas de doutes vous êtes à Twin Peaks !
Les yeux de Laura…
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La BO du jour : la richesse de Twin Peaks 3, sa dimension méta et sa fin analysée. Bienvenue à Twin Peaks et chez Bruce Lit.
Episode 9 : welcometotwinpeaks.com/news/the-search-for-the-zone/
Malheureusement le site n’existe plus…
Pour l’instant, je suis très partagé : il y a des moments incomparables mais l’amnésie de DAle Cooper est interminable, les liens avec la ville Twin Peaks sont tellement factices que c’en est embarrassant, je zappe systématiquement les scènes avec le Dr Jacobi qui ne servent à rien, l’épisode 10 est une purge avec cette scène interminable entre Audrey et son mari.
Je viens de la revoir aussi. C’est quand même ultra frustrant. Pour 5 mn de TWIN PEAKS tu as 35 mn ailleurs et sur 45 mn d’épisode, tu peux enlever 25 mn de scènes qui ne servent absolument à rien. La moitié des nouveaux personnages sont complètement inutiles à l’intrigue et les anciens ne font que de la figuration. C’est encore plus flagrant au deuxième visionnage, alors que l’intrigue est plus facile à comprendre.
Merci pour vos retours, que je ne suis pas loin d’embrasser aussi. Je repasserai donner mon avis lorsque j’aurai terminé le visionnage.
Je reprends une citation du message d’un forumeur de filmdeculte sur Fire walk with me que je citais il y a quelques jours :
« Laura est la victime de Leland qui est la victime de Bob. Anéantissement mutuel donc, mais aussi global, bien au-delà des limites du foyer, de la ville de Twin Peaks et du monde sensible — thème qui sera plus amplement exploré dans la saison 3 dont le film donne bien plus le ton que les deux saisons initiales : la destruction d’une personne y équivaut au risque de celle de l’univers. »
L’évolution de l’oeuvre « Twin Peaks » dans son ensemble, de plus en plus au-delà des frontières de la petite ville elle-même, c’est quelque chose qui fait sens.
La petite ville de Twin Peaks n’est plus assez grande pour l’ampleur du propos de Lynch. Le sens du pittoresque développé dans les deux premières saisons (et largement dégradé par une seconde partie de deuxième saison très faible) n’a plus lieu d’être sinon au travers de réminiscences mélancoliques ou dérisoires.
Alors oui, c’est parfois frustrant voire même agaçant, mais quel geste souverain de la part de Lynch d’oser cela !
Sinon, je fais partie de ceux qui considèrent que le Dale amnésique est une des plus grandes réussites de cette saison 3.
En revoyant la saison 3 une deuxième fois, j’ai effectivement adoré retrouver Dougie Jones et la plupart de ses scènes font tout le sel de la saison (une fois qu’on a digéré l’absence du Cooper trop classe).
Le fait que le récit s’étende au-delà de Twin Peaks et finalement sur tout le continent américain fait effectivement sens.
Je reproche néanmoins à Lynch de ne pas avoir réussi, en tout de même 18 épisodes (quasiment 18 heures) à trouver un meilleur équilibre entre l’éclatement du concept et une meilleure gestion des anciens personnages. Et je déteste profondément le dernier épisode (en tout cas au 2nd visionnage).
Alors pour le moment, je suis aussi plutôt partisan de cette expansion géographique, surtout que ça donne de jolis plans parfois. Par contre, le Dale amnésique, c’était marrant au début, mais à l’épisode 13, ça devient juste lourd, la blague n’est plus drôle. Surtout que je ne crois pas un seul instant au fait que les gens ne réagissent pas à son attitude qui ne consiste qu’à répéter le dernier mot de son interlocuteur. Le gars ne dit pas bonjour pas merci, ne sait pas faire ses lacets et tout le monde l’adore ? Il trace trois droites sur un dossier et c’est un génie ? Désolé, je ne marche pas. Dans la vraie vie, on t’envoie direct chez le médecin.
Et puis, on est chez Lynch certes, mais le gars passe ses journées dans un cabinet d’assurances à rien foutre ? On est aux Etats-Unis, je le rappelle.
J’en suis à l’épisode 13 aussi et franchement ça devient long.
Chaque épisode est construit autour d’une scène forte : ici le bras de fer du mauvais Dale mais sérieusement, ça sent quand même, bcp bcp le rafistolage avec des scènes ou peut-être des improvisations complaisantes qui permettent de tenir 18 heures (le monologue de Ben sur sa bicyclette, la deuxième scène d’Audrey encore plus pénible que la première, la rencontre entre Nadine et Jacobi.
Dans la série originale, il y avais déjà ces scènes absurdes mais, centralisées sur Twin Peaks, cela donnait le portrait d’une communauté.
Là, disséminé aux quatre coins de l’Amérique, c’est juste gratuit et terriblement ennuyeux.
La vraie force de cette saison sont dans les moments surnaturels. L’aspect soap et réaliste ne fonctionne jamais et pour du Lynch, il n’y a pour l’instant que très peu d’émotions.
Oui, ça devient long. Contrairement à toi, j’ai bien aimé les scènes de Audrey, les discussions de Ben Horne (un personnage que j’ai toujours aimé, je ne sais pas pourquoi) mais si les scènes avec Jacobi et Nadine ne fonctionnent pas (alors que celles avec Hawk et la dame à la bûche, si), c’est parce qu’elles font trop fan service. Elles n’apparaissent plus dans un univers de soap opera puisque désormais on est dans Mission Impossible ou James Bond (Las Vegas, le désert, Twin Peaks, New York…), elles semblent donc inutiles, trop faciles. Je suis d’accord pour dire que tout ce qui est surnaturel ou étrange est le plus réussi, j’ai vraiment eu les chocottes sur les deux premiers épisodes, tout ce qui se passe avant que Cooper ne sorte de la loge, c’est terrible et déroutant, tout comme les scènes avec le monde parallèle vu par Gordon Cole et bien sûr la grosse partie de l’épisode 8. Tout ce qui ressemble à de l’art contemporain, des tableaux vivants, des sons étranges et prégnants.
Je viens de terminer cette troisième saison. Je n’ai rien compris ou si peu. Les trois derniers épisodes accélèrent et on retrouve un peu l’ambiance des débuts, surtout dans le 17 mais également dans le 18. Je ne sais pas si je vais me pencher sur quelques hypothèses trouvables sur le net (ce doit être sans fin), ce qui est sûr c’est que je vais écouter les playlists et bandes son, et attendre si mon cerveau fera des connexions avec le temps.
Ce qui est sûr c’est que cette saison 3 est totalement déroutante, pose plus de questions que de réponses, est parfois grandiose, parfois trop lente, parfois marrante, parfois terrifiante mais porte clairement la personnalité de Lynch et en cela, elle reste agréable à regarder sans trahir qui que ce soit ni succombé au fan service (même si par moments on peut y penser, ça m’a fait plaisir de revoir Denise / Dennis par Duchovny).
Il me reste aussi à relire vos articles. Je reviendrais après.
Attends un peu. Je vais faire l’article ultimate sur C.A.P.
Tu y trouveras quelques éléments de réponse. Mais pas tout, loin de là, et évidemment.
Là, en ce moment, je regarde les bonus de l’édition en coffret. Presque 6 heures… On y voit Lynch en train de réaliser la série, de briefer les acteurs. Sur presque toute la saison. C’est long mais passionnant. Et le mec n’improvise clairement rien du tout. Il arrive avec un truc super-écrit et les moindres détails en tête. C’est stupéfiant tellement le résultat a l’air éclaté en contrepartie ! On le voit vachement briefer les acteurs, auxquels il ne donne aucune clé de l’intrigue, mais des détails hyper-précis sur ce qu’il veut qu’ils fassent. Il ne leur laisse que très peu d’impro aussi. Il sait très exactement ce qu’il veut. Il est adorable mais peut d’un coup s’énerver quand ça ne va pas comme il veut (souvent contre lui-même). Et il fume comme un pompier. Il vient d’en mourir, hélas…
Perso je n’aime pas le dernier épisode. Il étire trop certaines scènes (la scène d’amour avec Diane est malsaine) et ne donne pas ce que l’on espère.
J’attends ! Sinon j’ai envie de te dire qu’à aucun moment on n’a ce que l’on espère. Moi je me pose beaucoup de questions sur le début avec le cube à New York (on dirait du Andreas, Capricorne quoi). J’aimerais voir Missing Pieces et tous ces bonus…
J’ai relu ton article Steve, et je dois dire que ton interprétation a du sens et que je n’y avais pas du tout pensé. Il faut dire que je ne cherche jamais trop à comprendre Lynch, et sur cette saison 3, il est vraiment allé très loin. Je viens de découvrir qu’il existait un podcast qui revient sur toute l’oeuvre de Lynch, Lynchsplaining. Ca va me prendre du temps d’écouter ça !
soundcloud.com/lynchsplaining
Elle est sur Spotify également, donc j’imagine qu’elle est trouvable sur d’autres plateformes.