Blood Par De Matteis et Williams
AUTEUR : PRÉSENCE
Première publication le 05 avril 2014. Mise à jour le 10.02.2015.
Ce tome regroupe les 4 épisodes de cette histoire, parus initialement en 1987. Il s’agit d’une histoire complète indépendante de toute autre.
L’histoire s’ouvre sur un dialogue de 2 pages, sous forme de texte, avec un bandeau de cases en haut de page, sa déroulant sur la double page, et un autre en bas de page.
Un roi alité à l’article de la mort, mais toujours bien accroché à la vie, est visité par un esprit féminin qui lui raconte l’histoire de Blood.
Son histoire commence avec la mer qui se transforme en sang, et la dérive d’un berceau sur un fleuve où il est récupéré par une femme nue qui adopte le nouveau né le ramène chez elle malgré la réprobation de sa mère.
L’enfant grandit et la grand-mère indique qu’il est temps pour lui de partir. Il est confié aux bons soins d’un monastère qui veille à son éducation de manière stricte.
Au bout d’un temps indéterminé, Blood quitte le monastère, ayant refusé de succéder à son responsable, s’enfuit en ballon et finit par s’écraser dans une vallée où des miséreux font la queue pour bénéficier des attentions d’un sage. Ce résumé est factuellement exact, et complètement trompeur. La lecture de Blood est une expérience comparable à peu d’autres.
John-Marc DeMatteis est un scénariste qui a débuté avec les superhéros Marvel (Kraven’s last hunt) et DC (Justice League International), avant d’écrire les siens propres (Life and Times of Savior 28). Parallèlement à ce parcours classique dans les comics, il a eu la chance de pouvoir écrire des récits sortant du moule habituel. Grâce à la branche adulte de Marvel (Epic Comics), il a écrit le récit initiatique de Moonshadow (avec de magnifiques aquarelles de Jon J. Muth).
Pour l’une des branches adultes de DC Comics (Paradox Press), il a écrit une bande dessinée autobiographique de sa jeunesse Brooklyn Dreams (illustrations de Glenn Barr). Et il a souvent intégré à ses histoires des réflexions sur la création littéraire, mais aussi sur la spiritualité (Seekers into the Mystery). Blood est le récit indépendant qui a suivi Moonshadow. Ce dernier prenait la forme d’un roman de science-fiction mâtiné de récit initiatique d’un adolescent, et de recherche du sens de la vie. S’il comprenait des passages plus réflexifs, le lecteur pouvait se raccrocher à la trame du récit sans se sentir perdu.
Au contraire Blood favorise les sensations et l’expérience mystique. Le récit devient secondaire, il n’est plus que le support d’un voyage spirituel et parfois psychanalytique. C’est à dire que le lecteur suit bien les pérégrinations d’un personnage principal appelé Blood, les différentes séquences s’inscrivent dans une suite chronologique et elles sont reliées entre elles par des liens de causalité discernables. Mais dès le départ, le dispositif narratif, celui de l’histoire dans l’histoire, indique au lecteur que ces séquences sont autant de métaphores et d’allégories de la vie psychique.
DeMatteis a donc l’ambition de mettre en bandes dessinées la soif spirituelle de l’être humain. Cette BD réussit le pari de montrer cette soif de la spiritualité, plus par les images que par le texte. DeMatteis laisse les illustrations porter les 2 tiers de la narration. Kent Williams dispose d’une grande liberté pour représenter des concepts liés à la vie de l’esprit, à sa soif de compréhension, à son besoin d’absolu.
La première fois que j’ai lu cette histoire, je n’y ai rien compris, la seconde non plus. Pris littéralement ce récit est une suite de scènes disjointes défiant la logique. Une lecture premier degré ne permet pas de comprendre l’inclusion d’une vie de bureau pour Blood dans la deuxième partie.
Prise à part, cette scène évoque l’aliénation de l’individu dans la vie moderne. Insérée dans la narration globale, le lecteur se demande ce qu’elle vient faire là. Remise dans son contexte, elle montre par les images que le reste du récit doit se comprendre comme la vie intérieure de Blood, par opposition à la vie quotidienne. Il faut donc aborder cet ouvrage avec un autre point de vue, sachant que DeMatteis ne donne pas de clef d’interprétation, il livre le récit comme un bloc, charge au lecteur de déterminer ce qu’il peut en faire. Pour pouvoir en saisir la substance, il faut donc lire, regarder, observer, déchiffrer et interpréter les images.
Kent Williams réalise ses illustrations principalement à l’aquarelle, avec parfois de l’encrage pour délimiter le contour des formes. Il développe à la fois des narrations séquentielles (suite de cases montrant un mouvement, ou mettant en rapport 2 actions, une action et une réaction, etc.), et des images pleine page. La fonction des images est à la fois de montrer des actions, mais surtout de développer des ambiances, de faire ressentir des sensations.
De temps à autre, une scène exige une représentation réaliste, ce que Williams accomplit sans difficulté. La majeure partie du temps il doit montrer les sentiments et les sensations éprouvés par les personnages. Le lecteur contemple donc des individus à la morphologie plus ou moins détaillée, évoluant souvent nus dans des camaïeux de couleurs sombres et délavées. Ce mode de rendu met en avant la représentation de l’individu et la manière dont son état émotionnel colore la réalité qui l’entoure.
Passé la double page de dialogue, le lecteur est donc confronté à 6 cases figurant le sang et sa viscosité. À l’évidence il s’agit du sang comme symbole du fluide de la vie, mais aussi comme évocation des menstruations, et Blood naît de cette mer de sang, directement dans son panier en osier porté par les flots. Cette nouvelle image renvoie aux premiers jours de Moïse.
Pourtant Blood ne devient jamais une figure messianique. Le sens de cette métaphore m’a échappé. L’apprentissage de Blood au monastère s’achève sur le meurtre de son mentor et de la personne qui l’a accueilli à son arrivée. Il est facile de percevoir dans ces images le meurtre du père, une notion psychanalytique de base. Pour entrer dans l’âge adulte, Blood doit détruire l’image de toute puissance de ses parents, afin de construire sa propre vie, avec ses propres valeurs.
Dans le passage suivant, Blood arrive dans une vallée peuplée de personnes souffrantes, une vallée de larmes. Il rencontre cet individu accomplissant les fonctions de gourou pour cette communauté. Cet homme porte un rond sur le front et au cours de la séquence, il se trouve une image de crâne avec un rond sur le front. Ça se complique. En fait il n’y a pas d’explication du symbole, il n’y a pas d’indication sur son sens.
Il faut attendre les chapitres suivants pour voir le motif du crâne réapparaître dans d’autres circonstances, et rester attentif au déroulement du récit pour percevoir le motif de cycle, et donc de cercle. Le titre du premier chapitre apporte un indice : « Uroborous ». Il s’agit d’une variante orthographique de l’Ouroboros, l’image du serpent qui se mord la queue. John-Marc DeMatteis et Kent Williams racontent une histoire un peu hermétique qui repose sur des symboles à l’interprétation délicate. Ce n’est qu’au gré d’autres lectures que j’ai pu faire le rapprochement avec la notion de symbole développée par Carl Gustav Jung.
Les symboles utilisés par les auteurs ont effectivement la fonction de matérialiser des sensations ou des concepts indicibles ; ils leur permettent d’évoquer des expériences spirituelles ineffables. L’objet de Blood est de parler d’expérience mystique, de faire appel à des archétypes de l’inconscient collectif. De ce point de vue, il devient évident que la pensée de DeMatteis a été façonnée par les théories de Jung.
D’ailleurs, les autres ouvrages personnels de DeMatteis montrent également qu’il est fortement influencé par la pensée orientale et hindoue où il est possible également de reconnaître des archétypes psychologiques.
DeMatteis et Williams proposent au lecteur un voyage plus spirituel que mystique dans l’inconscient collectif. Il s’agit d’une expérience spirituelle honnête qui n’impose pas la vision des auteurs, mais qui la présente.
À l’instar du personnage principal qui est en quête de sens dans la vie, le lecteur se met en quête de sens dans les symboles charriés par le récit. Cette bande dessinée ne présentera d’intérêt pour le lecteur qu’à la condition que ce dernier soit sensible à ces questionnements.
Un commentaire & une analyse très intéressants, je vais voir si je le trouve quelque part.
Merci.
De ce qu’en dit Bruce, et pour avoir regardé sur amazon, le succès d’estime de cette VF et de la réédition VO de 2005 permet d’en trouver sans trop de difficultés. Ce n’est pas le cas pour Moonshadow.