Sweet Tooth volume 2 par Jeff Lemire
Un article certifié BRUCE LIT
VO : Vertigo
VF : Urban
Cet article portera sur le deuxième tome publié chez Urban de Sweet Tooth écrit et dessiné par Jeff Lemire. Matt Kindt dessine quelques pages. La série sera complète avec la publication prochaine d’un troisième et dernier volume. Il est indispensable de suivre la série dans sa continuité.
Des spoilers mineurs pointeront le bout de leurs cornes.
Rappelons le pitch : une maladie mystérieuse a décimé l’humanité et a donné naissance à des êtres hybrides. Accompagné d’un gros dur, le jeune Gus mi-enfant, mi-cerf doit apprendre à survivre et découvrir ses origines. Le volume 1 a été chroniqué ici et de ce fait on évitera les redites.
Mais on le redit quand même : tout ce qui aura été Bruce Lut de Jeff Lemire ne nous a pas retiré l’idée que celui-ci était un scénariste bien tiède. Et les 6 premières histoires de ce volume qui en comprend 13 ne font rien pour nous contredire. Sweet Tooth est une expérience étrange : il est rare de lire un survival avec aussi peu d’enjeus même lorsque ceux-ci sont explicités, des scènes d’actions aussi molles sans aucune tension, des personnages aussi creux même après les avoir suivis depuis 18 épisodes.
On reprend donc la route avec Gus avec une petite pause en camp de concentration avec les poncifs du genre mais revus à la sauce Lemire… Trois baraquements pour deux gardes et quatre prisonniers pour le Mengele de service, on peut pas dire que Lemire ait vu les choses en grand, ça non….Alors que se poursuivent les expérimentations médicales sur les hybrides, Gus tente de s’échapper avec ses amis : une gamine un peu cochonne (sic) et un lapin. Pendant ce temps Jepperd, personnage assumé par Lemire comme étant sa version du Punisher : The end planifie l’évasion de l’enfant en s’alliant à une horde de psychopathes.
Dans la préface inédite pour l’édition française, José Villarubia le coloriste de la série compare cet arc à L’empire contre attaque : celui où tout s’assombrit après l’exposition du premier épisode. Malgré tout l’amour porté à la saga de Lucas, ce genre de comparaison paresseuse devient éreintante pour qui Star Wars ne marque pas l’année zéro de la culture populaire et de la culture tout court. Mis à part que les personnages s’en prennent plein la gueule comme dans tout Survival qui s’impose et qu’un personnage se découvre un fils caché, je ne vois rien de commun avec le film d’Irvin Kershner à part que cet épisode se déroule sous la neige…. Au delà de ça, on ne répertoriera pas pour Villarubia les personnages en quête initiatique depuis Oedipe ou Ulysse…
Bref…
Durant le premier arc Bêtes de guerre, se prépare l’assaut contre le camp. Oh, on ne demandait pas à Lemire de transformer Sweet Tooth en maximum carnage façon Walking Dead, mais encore une fois le scénariste fait montre d’une écriture presque dépressive tant elle est avare à dire, à raconter, à mettre en scène toute réaction énergique de ses personnages.
L’alliance de Jepperd avec les tarés du coin ne lui sert strictement à rien vu la défense du camp ; quant à Gus pour lui donner des trucs à faire en attendant son sauveur, il parvient à s’échapper pour échanger deux mots avec ses potes avant de se faire chopper et d’être dans sa cage au moment de la libération. Quant aux capacités animales des personnages, elles ne sont jamais explorées au point qu’ils auraient pu être croisés avec des courgettes que ce n’aurait pas changé grand chose (arf, on aurait même pu dire qu’on avait des légumes en guise et lieu de personnages).
Sweet Tooth, ce n’est pas Sandman ou Preacher ni dans le fond, ni dans la forme. Ou même Y the Last Man, avec qui la série a en commun une utilisation bordélique des personnages secondaires. C’est l’archétype de ces nouvelles séries qui ont tout dit en 40 épisodes et, où du coup, le scénariste est dans l’entre-deux : il a plus de places que dans une mini série pour développer son histoire mais il ne doit pas trop traîner non plus. Ceci dit, on se rappelle que V pour Vendetta ou Watchmen mettaient en place bien des choses en moins de 12 épisodes.
N’étant pas Moore qui veut (et qui peut), l’écriture de Lemire n’en finit plus de s’étirer avant qu’il ne se passe enfin quelque chose d’intéressant pour le deuxième arc : Espèces Menacées. Si l’on voulait être mauvaise langue, on dirait que l’événement majeur du premier arc est centré autour du changement de chemise de Gus qui, signe d’émancipation hormonale et d’accomplissement initiatique, porte désormais un teeshirt…
Mais le cynisme n’a pas de prise durable, comme souvent chez Lemire et encore plus sur Sweet Tooth, une histoire aussi mal dessinée que maladroitement écrite. Lemire n’a pas son pareil pour mettre en scène des héros faibles moralement et physiquement. Ceux de Sweet Tooth n’en imposent pas, même le Punisher de service pleure souvent et échoue de manière régulière. C’est cette faiblesse chère à Lemire qui devient attachante et qu’il réussit à transformer en force.
Son dessin est particulièrement amateur. Tous les personnages auraient besoin de séances d’orthoptie tant le mouvements de leurs yeux semblent calqués sur ceux des caméléons. Lorsqu’un personnage dans un moment tragique a l’oeil droit qui regarde à 14h00 et l’oeil gauche à 11h00, j’ai plus envie de rigoler que de compatir. Il m’aura fallu 4 épisodes pour comprendre que deux des personnages secondaires étaient des femmes. Et à chaque fois que l’enfant-cochon apparaît à l’image, que d’efforts mentaux ai-je dû produire pour ne pas imaginer laisser une pièce dans son groin en forme de tire-lire. Ou d’y brancher une prise…
Mais dans le deuxième arc, Jeff Lemire tient enfin un moment intéressant : celui où tous les personnages sont enfin réunis dans un paradis terrestre, arrêtent de fuir des situations plus convenues les unes que les autres et des adversaire mi-hommes, mi-huîtres pour vivre en huis-clos. C’est le moment où Lemire n’a plus besoin de noircir des pages dans de l’action où il n’est pas doué pour laisser parler sa vaie sensibilité de solitaire et de permettre aux personnages leur examen de conscience et de leur rapport aux autres avec les tensions attendues dans ce genre d’exercice. Et juste quand on se dit qu’il tient enfin quelque chose d’intéressant, l’album se termine, engendrant une frustration aussi bienvenue qu’inattendue.
Du coup, l’examen de conscience est contagieux. En rédigeant mentalement l’article, je pèse le pour et le contre. Le contre vous l’avez assez lu. Le pour, c’est la réponse à ces questions : Est-ce que Sweet Tooth est le chef d’oeuvre qu’on essaie de nous vendre.? Non, assurément non ! Mais c’est justement ce qui fait son charme, cette bancalité. Comme ces chansons de Gainsbourg interprétées par des femmes sur le fil du rasoir avec un chant entre le juste et l’horrible.
Car on ne pourra retirer à Lemire d’avoir fait de Sweet Tooth son oeuvre la plus personnelle. D’avoir les cojones de raconter cette histoire desservie par le pire dessin qui soit. Et dans cette audace, il y’a du rock. Ce Fuck’all that, je m’amuse avec mon lettrage, ma pagination, le rythme de mon histoire, je dessine comme une savate mais c’est MON histoire et personne ne pourrait l’illustrer comme JE le fais. Qui plus est ce dessin est étrangement dans le ton et un R.M Guera ou un Cameron Stewart n’auraient pas fait aussi bien malgré leur virtuosité.
Sweet Tooth, n’est jamais crédible lorsque la série marche maladroitement sur les traces de The Road. Mais elle est très convaincante et souvent touchante en version apocalyptique des Lost Boys de Peter Pan. Ou de …..Bambi ! Et là, on se dit que la série de Lemire pourrait être une apocalypse dessinée par un enfant et tout à coup Sweet Tooth devient intéressante visuellement : cette capacité que Lemire aurait de dessiner avec candeur et naïveté la fin du monde.
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Le volume 2 de Swwet Tooth chroniqué chez Bruce Lit : un script toujours aussi bancal et des personnages tous atteints de strabisme mais une intrigue qui décolle enfin !
La BO du jour : C’est la fin du monde, c’est trop tard.
Ah ben zut… Au fur et à mesure que je postait des images de cette série sur faceook, je me disais qu’il fallait que je la teste, et que le charme naïf des dessins finirait bien par agir sur moi. Voilà que ton article me ramène à mon manque d’enthousiasme initial.
José Villarrubia est un excellent metteur en couleur avec une vraie approche artistique, et il écrit parfois de très bonnes introductions, comme pour le recueil d’histoires adaptées d’HP Lovecraft, en BD par Esteban Maroto. Mais comme toi, je ne peux plus prendre au sérieux ce genre de comparaison annonçant le nouveau Empire contre-attaque, ou le plus classique nouveau Watchmen pour les comics.
Le dessin a une apparence d’amateur en surface, mais d’un autre côté la narration visuelle de Lemire est efficace et opérationnelle.
Allez, je laisse Sweet Tooth de côté, et je vais tenter d’autres de ses œuvres, plus courtes, pour voir.
Alors comme ça, même avec un deuxième regard, le succès critique de cette série te semble toujours aussi louche ? Ta vision diverge, mais c’est peut-être normal !
Avec les 3./4 de ton article, on dirait que ce tome 2, c’est « Suite Pouf » et pourtant ta note et les derniers paragraphes redonnent quelques vertus à cette série… que je ne pense pas lire autrement qu’en médiathèque, un jour où je tomberais dessus…
Les publications de Présence sur le mur FB m’ont convaincu d’ajouter hier soir à la relecture une demi étoile paradoxalement pour le dessin. Il y a effectivement une vraie griffe Lemire, moi qui ne suis pas très exigeant sur les dessins, je pourrais m’en contenter si le scénario n’était pas si plat. Pour l’instant mon opinion sur Jeff Lemire est globalement assez mauvaise. J’entends tellement qu’il s’agit d’un nouveau génie de la Bande Dessinée que j’attends de le rencontrer. J’ai vu plusieurs de ses bouquins chez Futuropolis. De vrais pavés. On verra.
Présence, le scan de Kindt, c’est pour toi bien entendu.
Je te remercie pour cette délicate attention, des plus pertinentes. Mais du coup, je me demande si finalement je ne pourrais pas être tenté par la découverte de ces quelques pages, même si elles ne sont pas nombreuses.
Plus sérieusement, je me demande aussi si tu trouves que les dessins de Matt Kindt ont une apparence aussi naïve que ceux de Jeff Lemiren, car en surface ils donnent l’impression d’être frères de sensibilité graphique.
C’est vrai. Les deux donnent cette impression crayon au papier.
Je le répète : le dessin est très secondaire à mes yeux si l’histoire m’accroche. J’adore l’histoire du géant de Kindt. Pas du tout ce qu’il produit pour Valiant dont la charte graphique m’est difficilement supportable. Sans le talent de Dysart, je me serais jamais lancé dans Harbinger.
Je finis actuellement le Cherubs de Bryan Talbot chez Dark Horse. Ce n’est absolument pas le type de dessin que j’affectionne mais quel humour ! ces dialogues ! ces apparitions de Ozzy et d’Alan Moore !
L’écriture de Lemire est trop timide pour l’instant pour me séduire. Je pense parfois à du Thompson qui est tout de même loin au dessus en terme de talent.
Je n’ai pas encore lu de Matt Kindt (mais il faudra), ni même de Lemire, mais de tout ce que j’ai pu voir des deux artistes, au niveau du dessin, celui de Kindt me semble plus naturel, un parti-pris, qui ne me dérange pas du tout. Alors que dans le trait de Lemire j’ai un sentiment d’amateurisme, d’erreurs non assumées, de limites. Même s’il semble être un bon metteur en scène.
Bon bah ouais ça fait pas méga envie…
C’est le nivellement par le bas la comparaison à Star Wars. Faut être sûr que ça parle aux gens alors on prend un truc qui sort encore au ciné de nos jours plutôt qu’un Ulysse.
Entre l’article d’hier que j’ai refusé de lire (parce que chaque article sur Walking Dead que j’ai lu m’a salement spoilé la série TV, raison pour laquelle je ne lis plus AUCUN article sur Walking Dead, celui sur la mini-série Negan étant bien sûr une exception) ; et celui d’aujourd’hui qui chronique une série que ne m’intéresse vraiment pas (le dessin n’est pas une sinécure), on va dire que ce n’est pas ma semaine… Bon, j’ai lu l’article du jour quand même. On va juste dire que ça fait pas rêver… 🙂
Malgré les extraits de Présence sur FB, toujours pertinents et bien choisis, je suis incapable d’avoir envie d’essayer cette série. Je n’aime pas le dessin et l’histoire ne semble pas très attractive. Merci donc pour l’effort, Bruce !
La BO : c’est dans quel album déjà ?
La BO est issue du troisième et dernier album du Sabb’ avec Dio : Dehumanizer. La pochette est atroce, mais je l’ai toujours trouvé formidable. Encore aujourd’hui.
Merci pour le lien, j’ai fini par l’écouter. Et je n’aime pas du tout ! Cela n’a rien à voir avec le Sabbath que j’aime (lourd et inquiétant), la pochette est horrible, on dirait n’importe quel groupe de hard FM des années 80, et cela semble être dépassé déjà à l’époque de sa sortie. Bref, absolument pas ma came.
Oh, je trouvais ça étonnant que tu aimes Black Sabbath à la base ;).