Jessie de Mike Flanagan
Une review menottée par BRUCE LIT
Distributeur : Netflix
Tous les scans de cet article sont la propriété de Netflix et Albin Michel.
Adapté du roman de Stephen King, Jessie (Gerald’s Game en VO) est un film financé par Netflix, réalisé par Mike Flanaghan et sorti en 2017. C’est ce même réalisateur qui sera chargé de réaliser la suite de Shining prochainement avec Ewan McGrégor.
Passez-moi les menottes, je plaide coupable : il y a du spoil à tout va…
Le pitch : Pour redonner une seconde chance à leur vie sexuelle, Gerald et Jessie s’isolent dans un bungalow en forêt. Voilà longtemps en effet, que Gerald ne bande plus pour sa jolie femme.
Gavé de Viagra, il attache sa femme avec une paire de menottes et s’apprête à mettre en scène un simulacre de viol. Jessie panique, réalise que ce fantasme ne lui plait pas et l’invective violemment. Gerald furieux fait alors une crise cardiaque et meurt aux pieds de sa femme, toujours attachée.
Jessie reste seule, menottée, sans une âme alentour pour la libérer tandis que dans l’appartement, un chien affamé dévore le cadavre de son mari sous ses yeux; sans oublier une présence mystérieuse qui la regarde dormir quand vient la nuit… Sombrant dans le désespoir et la folie, Jessie va tenter de se libérer tout en conversant avec les fantômes de son passé.
On l’a peut-être désormais occulté avec la surabondance de films de super héros, mais il fut un temps où c’était l’oeuvre de Stephen King qui squattait pour le meilleur et pour le pire les écrans, grands et petits; du chef d’oeuvre Shining renié par le King himself en passant Carrie et une flopée de téléfilms plus ou moins fauchés, la liste des adaptations du maître de l’horreur est…effrayante !
Aussi, lorsque Jessie, un roman de 1992 est adapté…26 ans après, il convient d’être dubitatif : mais pourquoi autant de temps ? Le roman est plutôt court (moins de 400 pages, pour du King, c’est de la rigolade), pas compliqué à mettre en scène (ben, il faut quoi un lit ? une nana ?) et pas ruineux en effet spéciaux (une paire de menottes même pas en adamantium). Les adaptations du King allant de la terreur pure au grand-guignol, cet abandon de Jessie au rayon adaptation est incompréhensible.
A moins que, ce soit dans la simplicité que réside sa difficulté. C’est un roman que j’ai lu à sa sortie et dont je me rappelais chaque étape au fil du visionnage. C’est dire la force de son impact. Il alternait entre la situation dramatique d’une femme qui va devoir lutter contre la déshydratation, l’asphyxie de ses membres et la peur de mourir et des flashbacks sur sa vie de couple et d’un été où son père se livra à des attouchements sexuels sur notre héroïne adolescente.
La force du bouquin était de décrire tout cela en monologue intérieur, en un huis clos suffocant où Jessie réalisait que sa soumission vis à vis de son mari avait des racines bien plus profondes. Jessie « profitait » de cette immobilité forcée pour voyager mentalement au pays de sa vie en nous y emmenant comme passagers clandestins, sans quasiment aucune interaction avec d’autres personnages.
Voilà surement ce qui a fait fuir les nababs pendant longtemps : Jessie fait partie des œuvres sociales du King qui abordent de manière frontale l’inceste et le viol, un sujet plus que tabou à Hollywood si l’on se rappelle de l’onde de choc Weinstein. Alors que Stand by Me délaissait l’horreur traditionnelle du King pour la sensibilité, alors que Les évadés et La ligne verte abordaient détention et peine de mort, Jessie est une adaptation ultra fidèle mais qui rebutera les amateurs de terreur pure : c’est bavard, très bavard, sans presque aucune action et encore moins de fantastique.
On pourra même arguer que Flanagan ne fait aucun effort pour rendre son film visuellement intéressant. Alors que les séries TV ont sorti les productions télévisuelles du stigmate parent pauvre du grand écran, à tel point que beaucoup considèrent que c’est désormais ici qu’il faut trouver l’audace artistique d’antan, l’esthétique de Jessie nous ramène parfois 20 ans en arrière au niveau d’un téléfilm diffusé sur M6 un dimanche après midi…
Le choix de mettre en scène les monologues intérieurs de Jessie avec d’autres acteurs (histoire quand même qu’ils soient payés à quelque chose) pour incarner sa bonne et sa mauvaise conscience amène une impression de redite laborieuse qui empêche de se passionner pour ce qui se passe à l’écran : Gérald, sorte de Frank Dubosc sexagénaire et métrosexué, la fixe de son regard bleu d’enfer et lui chuchote tout un tas d’arguments visant à démotiver notre amie de s’échapper. Face à lui, une Jessie fantasmée, libérée, délivrée, qui ne mentira plus jamais et qui encourage notre héroïne à ne pas abandonner.
C’est le grand défaut du film : transformer un dialogue intérieur en une pièce de théâtre ultra statique et prémâchée : tous les mystères sont impeccablement éclaircis ôtant définitivement les zones d’ombres d’un film qui n’arrive jamais à installer son angoisse. Mise à part une éclipse solaire, l’éclairage est d’une fadeur dommageable, tout comme le Moonlight Man, dont la seule scène réellement effrayante serait de lécher les pieds d’une femme attachée depuis 36 heures…Sa dernière confrontation avec Jessie en plein jour, débarrassé du mystère de ses apparitions laisse son spectateur sur un sentiment de bâclage déjà présent dans le livre (mais mieux amené).
Pour autant, Jessie, le film n’est pas un nanar. Il est même très agréable à regarder pour peu que l’on fasse abstraction de sa mise en scène sans personnalité. C’est un survival domestique original qui s’inscrit parfaitement dans ce que Hollywood nous propose depuis Open Water ou surtout le 127 Hours de Danny Boyle : un personnage est prisonnier pour un temps limité d’une situation en apparence inextricable et va devoir redoubler d’ingéniosité et d’abnégation physique pour s’en sortir (ou pas).
A ce titre le livre de King est même précurseur puisqu’il préfigurait ces nouveaux thrillers. C’est aussi-et surtout- un film aux thématiques chères à l’auteur : le couple en crise à la Shining qui se réfugie dans un endroit perdu de tous, l’introspection d’une vie en situation de crise (Marche ou crève, La petite fille qui aimait Tom Gordon), l’enfermement et la terreur du réel (Misery dont la trame est quasi identique à celle de Jessie).
Que ce soit le film ou le livre, Jessie nous raconte une réinterprétation du XXè siècle de la légende d’Andromède, cette princesse, victime de l’orgueil de sa mère, qui pour calmer la colère de Poseïdon est enchaînée sur un rocher en attendant d’être dévorée par un monstre qui sera terrassé par Persée.
Dans notre histoire, Jessie-Andromède est abandonnée par sa mère à la merci d’un père dévorant et manipulateur qui va orienter sa soumission aux hommes dominateurs et sadiques. Attachée sur son lit, elle est aussi menacée d’être dévorée par un chien, nouvelle incarnation de la baleine Céto et réminiscence du chien Cujo.
Mais notre Andromède est une femme moderne. Au prix de son sang, de sa chair mutilée, elle parvient à se libérer sans intervention d’un prince charmant qui la maintiendrait à son tour sous emprise. Jessie accouche d’elle-même dans la douleur pour devenir une sage-femme, libérée de sa culpabilité de victime. Elle parvient à tuer mari et père jusqu’à se perdre dans les bois comme les personnages des contes de Perrault et y laisser son enfant intérieur.
Nul sur la forme, le film de Flanagan est très efficace sur le fond et brosse le portrait complet d’une victime qui se libère des chaines que lui imposa son père un été où ses vacances se transformèrent en Vacancy, ce vide de soi face aux autres. Pas de quoi se déchaîner donc, mais une horreur domestique et féministe qui n’a jamais sonné aussi opportune que dans ce combat actuel des femmes à sortir des chaines physiques, mentales et professionnelles des hommes, au risque de finir comme Jessie, triomphantes mais seules….
—
Il aura fallu 26 ans pour que Jessie, le thriller de Stephen King soit adapté au cinéma. Après que son mari l’ait menottée au lit et décédé d’un infarctus, une femme se retrouve confrontée aux fantômes de son passé. Et si nous tenions ici un nouveau mythe d’Andromède ? Verdict chez Bruce Lit.
La BO du jour : elle est bien attachée et tu n’as plus qu’à la sauter. Un grand moment de poésie signé Gun’n’roses
Encore que le train de Giger (un projet de longue date pour lui) vieilli mieux que la créature CGI du final, mais il s’agit d’un objet palpable en dur, donc forcément…
Autre CGI 90’s horrible : Malebolgia (et l’enfer plus globalement) dans le film Spawn, dont la mâchoire reste immobile alors qu’il parle.
Ah non mais SPawn faut même pas en parler, ça ressemble à peine à un film ça. Plutôt à un épisode de Charmed ^^
Je ne me souviens pas du train de Giger dans la mutante. ça n’a pas du me choquer. Les objets palpables je suis moins sévère, ça a son charme les maquettes. Mais la créature finale, berk berk. Je sors du film moi là devant.
Bon après je n’aime pas vraiment le film en lui-même donc m’en fiche un peu^^
Je suis un peu méchant cela dit. Les maquillages en dur de SPawn ne sont pas si mal. Mais les CGI c’est une catastrophe. Je crois qu’à un moment on voit même un effet dont les bords sont coupés comme s’ils n’avaient pas prévu l’effet assez grand et que c’était censé être masqué par le bord de l’image^^
« Les maquillages en dur de SPawn ne sont pas si mal »
Quand le masque s’efface (façon symbiote) pour laisser apparaître le visage de Simmons, ça va encore.
« Fantômes Contre Fantômes », je me suis pris la version director’s cut et j’ai été agréablement surpris : La chose a très, très bien vieilli. Et au contraire, les effets spéciaux sont superbes (pour l’époque, évidemment).
Le souci c’est que MIB c’était joli aussi à l’époque. Mais le cafard géant à la fin, c’est vraiment laid maintenant. C’est pas tellement que c’est mal fait, mais ça fait vraiment dessin animé, ça se marie très mal avec des prises de vue réelles je trouve. Eternel souci des CGI qui ont rarement l’air d’être tangibles.
Bon cela dit pour des fantômes intangibles…peut être que ça passe^^
Oui, c’est très bien. Mais prend le director’s cut. Le film est vraiment mieux que l’ancienne version.
J’ai l’impression que les director’s cut ça devient une stratégie marketing…
Plein de films ressortent en director’s cut. J’ai vu celui de Dark City, j’ai à peine fait de différence.
Et on va nous dire que tous ces réalisateurs n’ont jamais pu sortir la version qu’ils voulaient ?
Ou alors c’est du baratin afin de sortir une autre version des années après pour se faire un peu de thune et corriger des erreurs en prétendant que c’était la version voulue depuis le début ?^^
Rob Liefeld pourrait essayer tiens, en disant qu’il n’a jamais été libre de faire les dessins qu’il voulait et revenir les corriger pour redorer son image^^
Enfin ouais je regarderai le director’s cut. Mais je commence à me méfier de ces nouvelles versions moi.
Je l’ai vu. Je te trouve un peu dur sur la notation, notamment parce que j’ai trouvé la photo plutôt réussie, même dans les passages un peu longuets et bavards, et parfois terrible, comme dans la voiture à la fin… Et puis bon j’adore Carla Gugino, je ne suis pas super objectif. Mais elle joue vraiment bien. J’ai même un peu eu peur par moments. Je ne lirai sans doute jamais le livre mais pour rebondir sur ton article décidément très bien construit, le féminisme de cette oeuvre me semble nécessaire.
Dur, moi ?
C’est bien la première fois qu’on dirait ça…
Tiens, j’ai vu SERENITY et j’ai trouvé ça calamiteux…
Pas regardé, c’est a priori très mauvais oui. Par contre TRIPLE FRONTIERE c’est super bien !