Bullshit Detector : Le Spider-Man de McFarlane

SPIDER-MAN par Todd McFarlane OMNIBUS

Un article de DOOP O’MALLEY

Le Spider-Man par Todd McFarlane OMNIBUS est sorti en Janvier 2024. Il contient les épisodes 1 à 14 puis le numéro 16 de la série SPIDER-MAN de 1990 ainsi que l’épisode X-FORCE 4. Les numéros sont tous réalisés par Todd McFarlane au scenario et aux dessins, aidé parfois à l’encrage par Rick Magyar. L’épisode de X-Force est quant à lui réalisé par Rob Liefeld.

Que se passe-t-il dans cet omnibus ? Peter Parker est oppose à CALYPSO, la petite amie de Kraven, poursuivi par le LEZARD, confronté à MORBIUS, au SUPER-BOUFFON et à WENDIGO. Il fera d’ailleurs équipe avec Wolverine ! 

Une analyse similaire à celle de Doop, très axée sur le dessin de McFarlane, est à retrouver sur la chaîne de STYLE COMICS VIDEO.

Pour tous les lecteurs des années 80/90, le SPIDER-MAN de Todd McFarlane est une véritable madeleine de Proust. Car n’oublions pas que toute la vague des dessinateurs rois en France est restée assez confidentielle à l’époque. Les productions Image ne sont arrivées que bien plus tard chez SEMIC. Et de fait, Todd McFarlane, pour les lecteurs français, c’est un peu l’un des seuls qui avait eu droit à une publication réalisée sur son nom propre avec des versions intégrales de grande qualité. On nous l’avait vendu comme un phénomène et avec ces V.I. notre ami Todd était en train d’asseoir en France sa position de superstar. Tout comme Jim Lee et ses X-Men. Et qu’est ce que j’avais pu aimer ces épisodes à l’époque ! Je devais avoir 16 ou 17 ans, je n’avais jamais été en contact avec de la VO et je n’avais pour référence que ce qui était sorti en France, autant dire pas grand-chose. C’était pour moi une véritable révolution, avec un ton nettement plus sombre que j’avais très peu vu avant (un peu dans la publication WATCHMEN d’Arédit ) et assez gore. Je me rappelle être allé chez le marchand de journaux de mon quartier pour photocopier quelques pages du Spider-Man de McFarlane histoire de mettre en valeur mon cahier de texte. J’avais découpé des dizaines de cases de Spider-Man, avec sa toile spaghetti et collé des tonnes et des tonnes d’images un peu partout. Et à l’époque, cela n’était plutôt pas bien vu par les autres élèves. C’était une véritable révolution graphique pour ma part et scénaristique. Pas de surprise si l’un de mes premiers comics VO étaient un SPAWN n°11 je crois, avec un X-Men n°300 à couverture holographique. J’étais totalement dans la cible.

Panini réédite donc ces épisodes en 2024, après les avoir déjà sortis dans de nombreux formats, dont un BEST OF reprenant exactement les mêmes numéros mais au prix de 35 € en 2015. Sauf que là nous sommes dans un format OMNIBUS, donc à 50 €. Mais pour un monument des comics, ça vaut quand-même l’achat…

Sauf que lorsque vous relisez cet épisodes 30 ans plus tard, le Spider-Man de Todd McFarlane s’apparente plus à une grosse désillusion qu’à une relecture agréable. Pour vous dire, et dieu sait que j’ai une tolérance assez monstrueuse pour des tonnes de récits moyens, j’ai même eu du mal à finir le récit. Ne serait-il pas temps de sortir un BULLSHIT DETECTOR des familles ?

C’est l’heure du BULLSHIT DETECTOR !
© Marvel Comics

Les souvenirs sont traîtres. La réalité est douloureuse. Pourtant, ce volume ne commençait pas si mal que ça. Les cinq premiers épisodes constituent un premier arc qui met aux prises notre tisseur de toile face au lézard, devenu totalement incontrôlable car possédé par Calypso, la petite amie de Kraven le chasseur qui, de fait, a une certaine dent contre notre héros. J’avais ces images en tête d’une course poursuite dans les égouts, d’un récit assez dur et adulte. Et en fait non.

Ce premier arc ne fonctionne en réalité que graphiquement. McFarlane se fait réellement plaisir, en produisant des pages qu’il n’aurait pas pu faire sur la série régulière, avec beaucoup de sang et de violence. Il multiplie les détails, rend des compositions totalement dingues où Spidey vole à travers les immeubles de New-York. C’est impressionnant. Et il y a un véritable style. Après, il y a toujours un problème en ce qui concerne sa représentation des personnages humains. Autant les déformations de McFarlane fonctionnent sur des monstres, des ennemis et même sur le héros, autant ses agencements graphiques sont parfaits pour mettre en scène des combats dantesques, autant lorsque McFarlane doit dessiner la réalité ou les personnages secondaires évoluant dans leur quotidien, on a beaucoup plus de difficultés à y croire.

La seule relation que propose McFarlane entre Peter et Mary Jane, c’est cette dernière qui le chatouille lorsqu’il est torse nu ou qui l’attend parce qu’il ne rentre pas. Et ce n’est pas très bien dessiné.

Les scènes du quotidien sont quand-même assez foireuses
© Marvel Comics

De fait, et je pense que McFarlane en avait conscience (ce n’est pas ce qui l’intéresse, tout simplement), il ne se consacre pas du tout à cet aspect. Ce qui a pour conséquence de proposer, de fait, une histoire un peu creuse. Il est seul maître à bord et peut se permettre de réaliser un scénario qui n’est là que pour mettre en valeur ses dessins.
Et c’est un euphémisme. Il ne se passe en effet strictement rien dans ces cinq épisodes (Spidey se fait poursuivre par le Lézard tout du long). Il se bat, est ensanglanté, continue à se battre pour finalement arriver à une conclusion … qui ne résout rien. Où est passée Calypso ? Que se passe-t-il à la fin ? McFarlane fait ses armes en tant que scénariste et sa conclusion n’est pas satisfaisante. Ses dialogues sont assez pompeux aussi et peuvent se ramener à du sous JM De Matteis. Et on reste vraiment sur notre faim.

Je n’imaginais pas qu’il ne se produisait quasiment rien dans cette histoire. Peut-être parce qu’il avait fallu attendre un peu pour avoir la suite en VF. Mais clairement, McFarlane donne au lecteur des pages magnifiques de posters, reliées entre elles par des compositions assez faibles et une histoire trop alambiquée. On est dans du sale, du gore, mais cela n’en fait pas un récit adulte pour autant. La violence et le trash gratuit n’est finalement que l’apanage d’un passage de lecteur, qui va évoluer vers d’autres genres au bout de quelques années. Et ce n’est pas parce que l’on voit un Kraven dont il manque la moitié du cerveau apparaître au détour d’une case que Spider-Man se veut une œuvre mature et adulte.

C’est le gros problème des publications de cette époque. Quoique, on pourrait retrouver exactement le même problème de nos jours, avec le BATMAN de Scott Snyder ou un VENOM adulés parce que « glauques ». Mais encore une fois, cela avait fonctionné chez moi, j’étais la cible et je n’avais pas mesuré ça !

J’adore ce dessin !
© Marvel Comics

Dès le deuxième arc, qui oppose SPIDER-MAN et le GHOST RIDER au SUPER-BOUFFON qui a enlevé un enfant, on sent que l’artiste tire déjà la langue. L’histoire est encore une fois une énorme scène de combat monstrueuse contre des démons, mais les compositions sont beaucoup moins travaillées, beaucoup moins détaillées que précédemment. La morale de l’histoire sur les héros qui doivent sauver les innocents et ne pas devenir aussi terribles que leurs ennemis est classique, et l’émotion semble véritablement forcée. Mais au moins on comprend les tenants et les aboutissants du récit cette fois-ci.

Deux épisodes qui se résument à un affrontement et une conclusion qui est : ne tuons pas car nous sommes des héros. C’est peu. Surtout que pour noircir son propos, Mc Farlane n’hésite pas à rendre ses personnages plus monstrueux, à multiplier les apparitions choc. Sauf que cela ne suffit toujours pas à rendre le récit plus important. Mais bizarrement, alors que je m’attendais à un épisode catastrophique, il a pour moi beaucoup plus fonctionné que le précédent.

Je reviendrai à Montréal
© Marvel Comics

Et on continue avec le troisième récit, PERCEPTIONS, où le WENDIGO est accusé à tort d’avoir tué trois jeunes garçons. On voit ce que McFarlane essaye de faire, et parfois c’est réussi, comme lorsqu’il met en parallèle la réalité et ce que les gens veulent en voir. Le public attend que l’on sacrifie un monstre, et c’est ce qu’il aura. Cela marche d’ailleurs parfaitement avec le fait que Peter travaille pour un journal. McFarlane nous introduit même une autre journaliste, représentant un peu toutes les dérives de la profession et n’hésite pas à parsemer son histoire de manchettes de journaux.

Le premier numéro permet à l’artiste de situer et de construire son récit avec des clins d’œil autour du Canada, son pays de naissance. Et c’est un peu lourd. Ça prend surtout énormément de temps par rapport au récit, dont la résolution ne nous est donnée que dans les toutes dernières pages et paraît un peu facile. McFarlane utilise le thème des pedocriminels et des tueurs d’enfants pour rendre son récit plus dur, plus adulte, mais cela reste très superficiel et surtout, McFarlane le dépose là, comme un cheveu sur la soupe, trop rapidement. De fait, on n’est pas horrifié par ce qu’il se produit.

Autant il réussit à décrire la volonté de la foule d’avoir du sang, autant il a du mal à montrer l’inhumanité. Il réussira un peu plus avec l’histoire de Billy Kincaid dans SPAWN. Mais on sent qu’il prend un plus de plaisir au niveau de l’histoire, même s’il y a encore quelques difficultés et notamment une intrigue encore trop longue pour le sujet. Niveau dessins, McFarlane doit se résigner à faire appel à différents encreurs, et on peut remarquer des changements d’une page à l’autre.

Après il se fait plaisir en introduisant tous les personnages canadiens de Marvel mais c’est encore trop peu pour faire de ce récit une réussite. Scott Lobdell dans un numéro de LA DIVISIONALPHA réussira beaucoup mieux en ce qui concerne la disparition d’enfants. Et en un seul numéro.

La dernière arche narrative, SUB CITY, est à mon sens la pire. C’est de fait l’antichambre de la série SPAWN puisqu’on y retrouve notamment un personnage ressemblant à VIOLATOR, ainsi qu’un récit qui tourne autour de clochards abandonnés. Ils sont contrôlés par MORBIUS, le vampire, qui va donc affronter notre héros dans les souterrains. Comme il fait ce qu’il veut, Todd McFarlane ressort le costume noir du placard (c’est plus facile à dessiner) sous un prétexte fallacieux et nous livre peut-être la scène la plus ridicule de tout l’ouvrage, à savoir Spider-Man qui utilise des clochards pour se faire une protection ! À la relecture c’est affligeant. On sent que l’idée n’est que graphique, que les intentions de McFarlane sont à priori plutôt bonnes, mais que l’exécution va parfois à l’encontre du message principal de son récit. Le scénario est assez mou, les retournements de situation assez farfelus et justifiés par des tonnes de dialogues qui ne marchent pas. Je ne me rappelais pas que les dialogues de McFarlane étaient aussi mauvais !

ça ressemble quand-même assez au VIOLATOR !
© Marvel Comics

Le dernier épisode, le crossover avec X-Force est une catastrophe. McFarlane n’arrive pas à reprendre les personnages de Liefeld et … c’est vraiment moche. L’histoire, soyons lucides, est inexistante et c’est véritablement le pire numéro de ce recueil. Mc Farlane n’est pas prêt pour les séries de groupe, où il doit multiplier les actions et les personnages, il ne s’en sort pas ! Même Rob Liefeld semble plus à l’aise.

De fait, à la relecture de ce volume, on a souvent l’impression que McFarlane introduit et multiplie les moments crades ou les histoires sordides au forceps. Elles ne servent pas son récit mais existent uniquement pour essayer de donner du contenu et se démarquer. McFarlane a certes énormément d’énergie, d’envies mais cela ne fonctionne pas, parce qu’il débute en tant que scénariste et qu’il n’a pas la notion de ce qui constitue une bonne histoire.

Les intrigues sont longues, terriblement longues tellement il ne se passe rien (cinq numéros pour Wolverine et Spidey poursuivant un tueur d’enfants au canada) et mine de rien, la qualité graphique baisse au fil du temps. Les épisodes avec Morbius (et surtout X-Force) se rendent de plus en plus rapidement coupables de raccourcis simples et visibles par un œil un peu plus aguerri, surtout comparé aux 5 premiers. En clair, ce SPIDER-MAN PAR MC FARLANE OMNIBUS ne voit son intérêt à la rigueur que pour son premier arc. Et encore !  C’est un joli exercice de style qui aurait pu être la mini-série représentative de toute une époque (le début des années 90), c’est-à-dire un comic-book où le dessin prend le pas sur tout le reste. Reste qui est soit redondant, soit sans intérêt scénaristique. En étant méchant, on a un peu l’impression de voir un élève de collège certes doué, mais qui essaye de réaliser la plus grande pièce de théâtre du monde sans jamais en avoir lu. De l’énergie, de l’effort mais qui ne survit malheureusement pas à une relecture.

si Spidey est bon, regardez la catastrophe graphique au niveau de X-Force !
© Marvel Comics

La BO du jour : C’était facile.

25 comments

  • Eddy Vanleffe  

    Par contre je relis ces épisodes même creux avec bien plus de plaisir que n’import quel délire des ces dix dernières années avec le Spider-verse, des ados qui sautent de partout, une MJ avec ou sans Peter puis avec des super pouvoirs, dans le futur, dans le présent qui reparle à un Harry ressuscité d’un autre monde venu des limbes à gauche après le Pole Nord.
    J’ai ouvert un Spider man il n’y pas longtemps et Peter bossait avec Norman Osborne (normal) le gars qui a tué Gwen etc… le truc a tellement fait de circonvolutions sur lui même que bon….
    Du coup lire un Todd Mac Farlane bien régressif avec un Spider-Man mis en scène, ça reste meilleur!
    Enfin je trouve….
    C’était mon commentaire de boomer qui relit parfois des vieux Image en se frappent le front avec le sourire devant les planches WTF de l’époque en me disant:
    « -Quand même, c’est toute une époque, ils osaient tout! »

  • Bruno :)  

    Même au moment des premières parutions en france, Mc Farlane a représenté une rupture très nette d’avec le reste de ce qui se faisait chez Marvel. Sans pouvoir lui contester une véritable puissance graphique incontestablement très représentative du médium, je n’ai pas du tout accroché à son appropriation du personnage, esthétique et caractérielle. Il a eu beau multiplier -en démultipliant, d’ailleurs !- les moments dramatiques, d’un épisode à l’autre, le traitement systématiquement gaguesque des expressions des protagonistes flinguait invariablement le peu de tension supposément créée et, incapable de croire à la réalité de ce couple d’ados visiblement sous influence chimique, et dont les affections vraiment très infantiles sonnaient aussi crédibles que les looks très choisis de Marie-Jane (!), je me suis complètement fichu des péripéties qui les menaçaient à tous bouts de champ. J’ai raté, du coup, la genèse du couple Vénom/Eddy Brock, qui est pourtant un concept sympa.
    Tant pis !

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