Pochette de disque I Want You de Marvin Gaye, par Ernie Barnes
Par : TORNADO
I WANT YOU est un album de Marvin Gaye. Il est sorti en 1976.
Cet article vous propose de vous attarder sur la pochette de cet album, réalisée par le peintre afro-américain Enie Barnes.
L’idée est de remettre cette illustration dans le contexte de sa découverte par votre serviteur, afin de créer un axe par rapport à sa propre culture geek, qui a ainsi joué un rôle important dans son parcours et son arrivée in fine au sein de ce blog.
Par extension, je vous invite à revisiter toute une époque et de faire le lien entre divers mediums qui, même si cela ne paraissait pas gagné au départ, finissent par former un tout unique et global au sein de la sphère geek…
1- Un peu d’histoire.
Il y a donc tout d’abord le tableau intitulé Sugar Shack, que le peintre Ernie Barnes réalise initialement en 1971. C’est ce tableau qui sera « recyclé » cinq ans plus tard pour les besoins de la couverture du disque I WANT YOU, enregistré par Marvin Gaye sous le label Motown.
A l’époque, Marvin livre son treizième album et l’auteur-compositeur-interprète est déjà, depuis longtemps, une immense star internationale. Il s’agit donc d’une consécration pour Ernie Barnes. Ce dernier n’est pourtant pas un inconnu puisqu’il a été, dans un premier temps, une vedette du football américain durant toute la première moitié des années 60 !
Au tournant des 60’s et des 70’s, Barnes entame un virage radical en embrassant une carrière d’artiste peintre. Dans un premier temps, il se fait remarquer en illustrant le sport. Mais, peu à peu, il abandonne cet univers pour des thèmes plus personnels, privilégiant une vision romantique et positive de la condition afro-américaine.
Il fait partie, au bout du compte, du mouvement américain néo-maniériste, un sous-genre du Pop’art qui aura marqué son époque aux USA, en embrassant une certaine idée de la contre-culture.
Les artistes afro-américains ont le vent en poupe en ce début des années 70. En 1971, la ségrégation a pris fin depuis sept ans (seulement !) et le phénomène de la Blaxploitation envahit tous les mediums, principalement la musique pop et le cinéma, mais également les arts plastiques et la bande dessinée.
Une mode lancée par le film Shaft Les Nuits de Harlem de Gordon Parks (après un Sweet Sweetback’S Baadasssss Song plus confidentiel réalisé par Melvin Van Peebles), et doublée par le succès de la bande-son, écrite, composée et interprétée par un Isaac Hayes tout puissant, fraichement auréolé d’une poignée de disques au succès planétaire à base de reprises de Burt Baccharach, sur-transcendées et lancinantes (Walk On By, The Look Of Love, etc…).
Au passage, Shaft le film se traîne une réputation totalement injustifiée de film ringard, alors qu’il s’agit en réalité d’un solide polar social estampillé 70’s, dominé par le charisme de l’acteur Richard Roundtree, et bien meilleur que la plus-part de ses avatars. Mais c’est bel et bien l’album d’Isaac Hayes qui demeure aujourd’hui le fer de lance du mouvement Blaxploitation, car le succès du disque fut tel qu’il lança à lui seul la mode des productions black durant la première moitié de la décennie aux pantalons « pattes d’eph ».
A noter, peut-être, l’importance du compositeur Lalo Shiffrin dans le contexte de la Blaxploitation. Car la bande originale du film Bullitt, pourtant composée en 1968, portait déjà l’essence du son qui deviendra l’apanage de la Blaxploitation (sorte de jazz funky gorgé de guitares rythmiques, d’énormes basses et d’instruments à cordes à volonté).
La rencontre entre la musique de Marvin Gaye (qui avait lui-même participé à la Blaxploitation avec la B.O. du film Trouble Man sorti en 1972) et des images d’Ernie Barnes se situe ainsi parfaitement au carrefour de cette tendance « black-power ».
Pourtant, lorsque I WANT YOU sort en 1976, la critique musicale lui réserve un accueil très mitigé. Marvin, qui bénéficie d’une liberté créative totale, accouche d’un album qui, s’il reste dans l’esprit de la black-music des 70’s, erre un peu à la croisée des genres. Ainsi, nul ne peut classer ce disque qui semble zigzaguer entre la soul vieillissante, le funk encore larvaire et le disco naissant. Dans cet état d’esprit postmoderne avant l’heure, l’artiste était tout simplement en avance sur son temps.
Depuis le succès de What’s Going On (1971), son chef d’œuvre, le crooner a également enregistré Let’s Get It On (1973). Soit deux albums qui l’imposent comme un auteur à même d’aligner les albums-concept, ce qui reste exceptionnel au sein de la production musicale afro-américaine (quand bien même c’était la mode). Si What’s Going On était un véritable pamphlet à l’encontre des maux de notre monde (Marvin y chantait la lutte pour les droits civiques, les affres de la guerre du Vietnam et l’éveil à l’écologie), Let’s Get It On opérait un virage à 180 degrés en se détachant des sujets graves pour mieux plonger dans une quête mystique où le chanteur entreprenait d’associer l’extase charnelle (inspirée de sa relation extraconjugale avec Janis Hunter, une mineure de dix-sept ans !) avec une communion céleste et un rapprochement de Dieu. Soit une manière toute personnelle d’exprimer sa foi…
I WANT YOU est l’album de la libération pour Marvin, qui exprime pleinement sa sexualité amoureuse avec Janis, attestant d’une certaine plénitude, même si cette dernière ne sera que passagère…
C’est cette alchimie entre la liberté sexuelle de l’époque et l’émancipation toute personnelle de l’auteur, ajoutée à la richesse visionnaire de sa partie musicale qui fait toute la magie de cet album, à la fois chaud comme la braise, sophistiqué et parfaitement dénué de toute vulgarité primaire.
Ainsi, s’’il ne s’agit pas de l’album phare de l’artiste, il marquera durablement les esprits jusqu’à briller aujourd’hui à la lumière de la nouvelle génération qui s’en nourrit directement (Lenny Kravitz, Seal, Cunnie Williams, Robin Thicke…). Un album qui capte par ailleurs un Marvin au sommet de son art vocal (il faut entendre le maître additionner une, deux, puis trois voix sur le sublissime « Soon I’ll be loving you again »), laissant couler une poignée de titres qui s’enchaînent comme s’il n’y en avait qu’un, pour un ensemble épuré, parmi les plus cohérents jamais entendus. D’ailleurs, si vous aimez le single « I Want You », tout l’album en est le prolongement !
Probablement l’album que j’emmènerais sur une île déserte, sachant que l’édition deluxe sortie en CD offre le plaisir infini d’y découvrir une tripotée de bonus alignant les versions allongées, les titres inédits ou alternatifs. En bref, le bonheur, estampillé 70’s…
2- Dans la sphère du geek.
Lorsque Bruce m’a proposé d’écrire un article sur la pochette d’un album rock, j’ai immédiatement joué les mauvais élèves en bifurquant sur un autre univers musical (Exact ! -5 ! Ndr). Non pas parce que je n’aime pas le rock. En vérité, j’écoute du rock, mais pas seulement. Et surtout, ce n’est pas le genre musical qui a fait de moi le geek que je suis aujourd’hui.
Avant tout, il y a eu la musique des noirs et l’univers du disco. C’est là dedans que j’ai grandi. Mon grand frère et ma grande sœur sortaient en discothèque au son des Bee-Gees à l’époque où je n’aurais, pour rien au monde, raté un épisode de Starsky & Hutch à la télé (diffusé initialement lors de l’été 1978, exactement en même temps que la première saison de Goldorak !). Et d’ailleurs, puisque l’on parle des animes japonais, je me souviens que la musique que l’on y entendait (en dehors des génériques massacrés par nos chanteurs français) suintait le disco ! Et pour boucler la boucle, la première saison de Starsky & Hutch, en partie écrite par Michael Mann (et ouais !), bénéficiait d’une bande-son signée… Lalo Schifrin !
Starsky & Hutch étaient les petits frères blancs de Shaft et je m’identifiais parfaitement à leur black-attitude. Quant à leur copain indic, le truculent Huggy-les-bons-tuyaux, avec le recul, il semble sortir tout droit de la pochette de disque peinte par Ernie Barnes, et nombreuses sont les scènes de la série qui font écho à l’ambiance de cette image !
Ainsi, toute mon enfance est dominée par la musique noire. Elle y est présente dans tous les coins. Et l’univers de la Blaxploitation s’affiche dans tous mes souvenirs d’enfance.
D’aussi loin que je me souvienne, ce bon vieux Scooby-Doo rencontrait, juste après Batman (crossover !), les Harlem Globetrotters, l’équipe de basket dont la popularité allait engendrer la première série animée dédiée à des afro-américains dans une production des studios Hanna-Barbera, qui se déclinera, à son tour, en une série de comics !
Si l’on cherche encore, on va retrouver les ramifications de cet univers de la Blaxplotation jusque dans les histoires de super-héros. L’exemple le plus célèbre étant probablement la série Heroes for Hire, où l’éditeur Marvel Comics associait Iron-fist et Power-man (alias Luke Cage) en faisant d’une pierre deux coups puisqu’il effectuait, ainsi, la fusion entre la blaxploitation de Shaft et le kung-fu de Bruce Lee , soit les deux genres à la mode du moment…
On retrouve d’ailleurs le parfum de la blaxplotation chez Marvel avec un autre mélange iconoclaste où un énième clone de Shaft, qui s’appelle désormais Blade, rencontre Dracula, pour une recette mélangeant cette fois la black attitude avec l’horreur de la Hammer (ou la diversification selon Marvel) !
Forcément, cette iconographie me fascinait encore plus lorsqu’elle se déclinait jusque dans les Strange, les Titans et les albums Artima de mon grand frère ! L’ensemble, imagerie et musique, formait un tout cohérent, un univers excitant et coloré, qui m’a accompagné tout au long de cette enfance placée sous le signe de la contre-culture.
Ainsi, bien des années plus tard, lorsque j’étais étudiant et que je suis tombé sur un exemplaire CD de l’album de Marvin Gaye, la pochette du disque m’a frappé. Car c’est tout un univers qui est remonté de mon inconscient, en ligne directe depuis l’enfance.
A cette époque, d’ailleurs, j’écoutais principalement du rock, et mes étagères étaient remplies de Led Zeppelin, Alice Cooper, ACDC, voire de Red Hot Chilli Peppers et de Rage Against the Machine pour les découvertes les plus récentes. Et au dessus de tous, trônaient mes Pink Floyd.
Mais cette pochette peinte par Ernie Barnes allait bouleverser la donne et me replonger dans mes racines noires car, dès la première écoute, la musique de Marvin Gaye a eu sur moi l’effet d’une madeleine de Proust. Et mon amour passé pour cette musique s’est réveillé de manière fulgurante !
J’ai alors replongé dans les années 70 au rayon de la soul et du disco. Et j’ai renoué avec Marvin Gaye, avec James Brown, Aretha Franklin, Willie Hutch, Gil Scott-Heron, Curtis Mayfield, Isaac Hayes, Barry White, Al Green, Bill Withers, les Temptations, Stevie Wonder et le grand Donny Hathaway, comme si je retrouvais de vieux amis perdus de vue depuis des lustres. Et pour moi, aujourd’hui, cette musique forme avec ma stature de geek un tout parfaitement cohérent dont les racines viennent de la même matrice.
Un peu comme le cinéma de Quentin Tarantino, qui réalisera d’ailleurs le film Jackie Brown comme un hommage à Foxy Brown, l’un des étendards de la blaxploitation, avec la même actrice-phare, de retour trente ans plus tard : Pam Grier !
Le résultat ? Une passion jamais démentie pour la culture geek et la musique dans ses multiples formes culturelles (sauf pour le hip-hop qui, même s’il vient des mêmes racines, s’est à mon sens détourné de l’élégance originelle de la musique black afin d’épouser le bling bling vulgaire et racoleur). Et ma discothèque idéale affiche désormais un best-of parfaitement varié, où Pink Floyd et Marvin Gaye côtoient Miles Davis, Jeff Buckley, Stan Getz, Gainsbourg, Talk Talk, Santana et David Sylvian. Quant à Bruce Lee , Star Wars, Spiderman , Dracula , King Kong et tous les germes de la culture geek, ils font étrangement écho, en ce qui me concerne, à cette pochette de disque signée Ernies Barnes…
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LA BO du jour : I want you so bad…
Tu vois, je n’ai absolument pas vu le même message que toi. Pour moi, le prof ne réussit pas (il se fait heureusement virer !), il se retrouve face à une sorte de génie musical (cliché : le type est asocial ou presque) plus que têtu et la confrontation finale ne donne pas raison au prof : c’est un duel dans lequel l’élève dépasse le maître.
Tu en fais ce que tu en veux mais je n’y ai absolument pas vu l’apologie du management à la dur (qui a encore de beaux jours devant lui, mais c’est surtout le nouveau management qui a bonne presse depuis quelques années : chief happiness officer, empathie, agilité, équipe soudée etc… même si c’est encore loin d’être bien puisque les gens restent des gens et que surtout, au mieux on balbutie, au pire on remplace une dictature par une autre forme de dictature du cool, complètement fausse). Bien au contraire, c’est pour moi une dénonciation de ce genre de petit tyran. Ce qui est super, c’est toute l’ambiance musicale et évidemment les acteurs. Mais aussi la réalisation : on ne s’ennuie jamais, alors qu’en réalité, il n’y a rien d’excitant dans une répétition de groupe. Ou très rarement.
Un duel qui donne tort au prof ? Ah ben j’sais pas, à la fin ils se font un grand sourire et tout, bien heureux.
Oui le prof se fait virer mais il se re-pointe dans la vie de l’élève et le motive à reprendre, puis lui reparle comme à une merde lors du concert. Et là l’élève se dépasse. De là à penser qu’il arrive à se dépasser parce qu’on le traite comme une merde, il n’y a qu’un pas…non ?
Bon j’sais pas, j’étais peut être pas dans le bon état d’esprit.
Après oui le film est bien réalisé, c’est sûr.
J’y ai vu la même chose que Cyrille. Avec en plus l’idée que la musique est une passion dévorante et une compétition qui peut devenir aussi dangereuse et destructrice qu’un sport de haut niveau. Ou aussi l’idée que pour devenir le meilleur, tu dois parfois tout sacrifier autour. C’est un film sur l’échec, sur l’absurde, dans la lignée d’un cinéma comme celui de Joh Huston. Il n’y a pas une morale précise, mais une réflexion sur plein de choses. Et qu’est-ce que c’est bien foutu !
Mouais…
On m’a vendu ça comme le meilleur film de ces dernières années, le machin à 3 oscars…et au final j’ai pris le DVD sans réfléchir.
Ben…bac à soldes, je le crains. Je ne suis pas réceptif à ces trucs, j’ai peut être mal compris le film mais en tous cas c’était déplaisant ces rapports de force avec e prof odieux.