Le Tunnel par Junji Ito
Ce commentaire utilisera des scans issus de la version américaine.
Amateurs de nuits blanches, bonsoir ! Voici avec 2o ans de retard la traduction des oeuvres de Junji Ito, un maître de l’horreur japonaise parues mensuellement dans les années 90.
Le tunnel contient 5 nouvelles :
De longs rêves: un type prisonnier de cauchemars qui durent des années et qui le font vieillir de manière accélérée.
Le tunnel: un tunnel hanté poussant ses habitants au suicide oú un petit garçon assiste à la mort de sa famille sans pouvoir rien y faire.
Le buste de bronze : des statues qui parlent, une marâtre mégalomane et un sculpteur psychopathe qui kidnappe des femmes pour trouver de la matière à ses futures créations.
Les noiraudes : la prolifération de boules de cheveux dans les rues permettant a son possesseur de connaitre les pensées intimes de leurs propriétaires.
L’histoire sanglante du village de Shirosuna : un médecin de ville arrive dans un village où la population est gravement anémiée. Le village se nourrit du sang de ses habitants.
Bienvenue dans le monde original, malsain et surtout très pervers de Ito. Séduit par la couverture, je me suis lancé dans la lecture de ce recueil sans savoir ce que m’y attendait : un sentiment angoisse tenace et inédit. Le dessin est particulièrement soigné même si les visages masculins finissent par se ressembler à identique. Les décors sont plutôt bien travaillés et l’horreur est suffisamment bien dosée pour être réellement effrayante.
Mais c’est surtout l’univers de l’auteur qui déstabilise le plus. Pas de sang, de gore, de sexe ou de trash. Ito met un point d’honneur à partir de situations crédibles pour glisser progressivement vers le cauchemar le plus atroce. Il y a bien des monstres, des zombies, des fantômes mais ils sont finalement bien moins terrifiants que le terrible sentiment solitude existentielle qui hante ses pages. Avant le drame, les personnages vivent déjà seuls,étrangers à tout sentiment d’amour, de compassion ou de chaleur humaine. Le terrain est alors d’ores et déjà préparé pour leur descente aux enfers.
Car ce qui est vraiment angoissant, c’est l’absence d’affrontement ou de confrontation : comment lutter contre un tunnel hanté, un village vampire ou des boules de poils ? Une fois que se manifeste le paranormal, les personnages de Ito sont confrontés à une impuissance existentielle rappelant l’insignifiance humaine face à des événements qui nous dépassent et qui n’auront aucun de mal à triompher de nous.
Tout ceci est très inégal, certaines nouvelles conférant autant à l’excellence ( Le buste de bronze ) qu’à la médiocrité ( le village). Pourtant le tout devient plus important que la somme des parties et c’est avec le coeur battant que vous refermez cet opus. Imperméable à la notion de bien et de mal, Ito met en scène des personnages faibles qui ne vont pas tarder à être aspiré par le vide sans aucun espoir d’happy end. De l’horreur définitivement mature, patiente et glaciale. Comme la mort.
Respect – J’avais commencé à lire un tome de Junji Ito (je serais bien incapable de dire lequel) que je n’avais pas réussi à finir, ne trouvant pas d’intérêt à ces contes horrifiques.
Ton commentaire fait bien appraître en quoi cet auteur concocte des récits horrifiques qui fonctionnent.
Je vais déjà lire celui que tu m’as passé et si j’aime je prendrais aussi celui la 🙂
Après avoir lu la fille perverse hier, j’ai commencé ce tome. Je dois dire qu’après avoir lu une interview de Ito ainsi que la première histoire « de longs rêves », il n’y a plus de doutes possibles. Il y a aussi du Lovecraft chez Ito. « De longs rêves » y fait sacrément penser. ça m’a rappelé « par delà le mur du sommeil » ou d’autres nouvelles qui laissent penser qu’un autre plan d’existence existe en parallèle du notre. C’est curieux que tu n’adhères pas à Lovecraft du coup, Bruce. Il faut savoir qu’il n’y a pas que des histoires avec de gros monstres qui sont finalement assez rarement sur le devant de la scène. Et ses personnages sont d’ailleurs tout aussi insignifiants face à l’univers (un thème qui semble intéresser Junji Ito) et finissent souvent très mal.
En tous cas, ça ne fait que me confirmer que l’héritage de Lovecraft est énorme.
C’était donc très sympa. Je vais poursuivre ma lecture. La fille perverse était bien, mais finalement assez classique. Enfin…je dis ça parce qu’ayant feuilleté la folie qu’est Spirale…à côté c’est plutôt sage la fille perverse. Mais très sympa. J’ai particulièrement aimé celle où le père prend possession de ses enfants.
Content que tu ais aimé.
Je ne peux pas dire que je n’aime pas LOvecraft. Aujourd’hui, je peux dire que je n’aime pas Bendis, Morrison et Millar parce que je connais bien leurs bouquins. De Lovecraft, je n’ai rien lu (mais hé je connais presque tous mes Balzac !), ça ne m’attirait pas. Il me faut juste une bonne porte d’entrée. Jusqu’à présent toutes celles que j’ai trouvées, elles étaient vérouillées…Mais pourquoi pas.
Tiens j’ajoute que, venant juste de finir l’ouvrage ici chroniqué, je n’ai pas trouvé l’histoire du village médiocre. C’est très bizarre comme idée mais assez sympa. Typiquement le genre d’horreur particulière des japonais qui ont des idées farfelues mais qui sortent complètement des sentiers battus. C’est peut être malgré tout la plus faible du volume mais j’ai apprécié.
Pour Lovecraft je pourrais te conseiller pour pas cher « l’abomination de Dunwich » chez « j’ai lu »
Paradoxalement tu risques de détester la première histoire qui donne son nom au recueil puisque c’est une des rares qui met vraiment en scène un gros monstre. Mais le reste de la sélection d’histoires est très sympa. « le cauchemar d’Innsmouth » du même éditeur contient aussi des nouvelles de qualité.
Pour ma part je préfère les nouvelles éditions chez Bragelone avec une nouvelle traduction, mais ce ne sont pas des livres bon marché, donc à toi de voir.