BEATLES 64

 BEATLES 64 Par David Tedeschi

SPECIAL GUEST : JEAN-ALBERT BEAUDENON*

Illustration par ED ILLUSTRATRICE

*Ayant fait mes études à Londres dans les années 60, j’ai pu côtoyer le milieu musical, ce qui m’a permis de sortir en 2023, un livre intitulé LONDON SIXTIES. J’ai écrit des articles pour la revue Club des Années 60, puis pour Best. En parallèle, je suis batteur et bassiste, et continue à donner quelques concerts.

Après l’excellent Eight Days a Week (The touring years) de Ron Howard, puis Get Back de Peter Jackson, c’est au tour de Martin  »Shine a Light » Scorsese de nous gratifier de son hommage au Fabs. Il semble que par les temps qui courent, le réchauffé Beatles a le vent en poupe.

LE SON

Il nous aura fallu attendre jusqu’à 1987 pour écouter le catalogue Beatles en CD, le tout premier commercialisé avec ce nouveau procédé étant l’album de Billy Joel  »52nd Street » en 1982. Donc 5 ans plus tard, la déception est au rendez vous, CD oui, mais avec un son très moyen par rapport à ce qui est déjà sorti depuis quelques années avec d’autres artistes. Le vinyle sonnait tellement mieux. Les Anthologies de 1995/96, ne remontent pas le niveau, de jolies trouvailles avec des prises alternatives et deux inédits, mais pas de quoi écrire à sa famille comme disent les anglais, surtout que tout ou presque était déjà disponible sur certains excellents pirates.

Enfin, en 2009, le mot magique  »Remasterisé » est utilisé pour les coffrets mono et stéréo de l’intégrale Beatles, un net progrès au niveau pureté du son. Après l’appellation  »Remasterisé », on évolue au point de vue marketing avec le label  »Nouveau mixage », et en 2017, c’est Sgt Pepper qui passe à la moulinette, puis le Double Blanc en 2018, Abbey Road en 2019 et Let it Be en 2021. Le véritable miracle a lieu en 2022 avec Revolver. Suivant la technique MAL (Machine Assisted Learning) qui utilise un algorithme permettant la différenciation des sons divers qui jusque là étaient superposés sur les mêmes pistes. Une fois séparés, voix et instruments sont remixés pour obtenir un résultat au delà de ce qui est imaginable. Enfin, à condition évidemment de posséder une chaine HiFi digne de ce nom. En tout cas, on espère une suite.

L’IMAGE

Eight Days a Week sorti en 2016 est à mon avis, le meilleur document compilé sur les Beatles. Intitulé également The Touring Years, il nous emmène aux quatre coins du monde de la Cavern à Liverpool au Shea Stadium de New York, en passant par le Palais des Sports de Paris. La critique et les spectateurs sont unanimes, Ron Howard sort auréolé du Grammy du meilleur film musical, meilleur documentaire aux Bafta Awards, et nommé aux Emmy Awards, ainsi que dans une douzaine d’autres manifestations.

Get Back sorti en 2021 est tout simplement Let it Be, à l’affiche très brièvement en 1970, puis commercialisé très peu de temps en 1981 sur cassette VHS, et devenu rapidement introuvable. Enfin, la source est la même, à savoir 60 heures de pellicule datant de 1969, mais le contenu sélectionné par Peter Jackson très différent. A la demande de Paul McCartney, l’ambiance doit être conviviale, contrairement à la version Let it Be, même si on garde l’épisode où George quitte le groupe, pour revenir quelques jours plus tard, ça fait plus vrai vis à vis des fans qui connaissent l’anecdote. Jackson s’est servi du procédé MAL utilisé ensuite pour Revolver, qui a permis de révéler des conversations entre John et Paul, jusque là ignorées. Le concert sur le toit d’Apple clôturant les trois épisodes.

BEATLES 64

Avec la mention alléchante  »Newly discovered footage » (images récemment découvertes) figurant sur la bande annonce, Beatles 64 promet de nous révéler des choses jusque là inédites, faisant saliver les fans hardcore. Mais après quelques recherches, et l’aide précieuse de mon ami Jacques Verecchia (auteur de l’excellent ouvrage  »Avocat du Patron ») qui m’a permis de remonter à l’origine et reconstituer les pièces du puzzle, il s’avère qu’un document très proche de ce qu’on nous propose là, existe depuis belle lurette.

Revenons en 1964, l’année où ces images ont été tournées et qui apparaissent dans le film  »What’s Happening » d’Albert et David Maysles. Ce même document va réapparaitre en 1991 sous le titre  »The Beatles First US Visit » en cassette vidéo, puis sous forme de DVD en 2003, portant le même titre, mais avec quelques modifications. Il est retiré dans la nouvelle version, près de 20 minutes de plans considérés comme des  »bavardages inutiles », et probablement récupérés ici, comme ces fameuses images récemment découvertes. Parmi ce qui a disparu, on compte notamment des séquences où figure Brian Epstein mais qui semblent avoir été enterrées à jamais. Les 20 minutes manquantes sont en partie comblées dans cette nouvelle version, par des séquences de concerts et d’émissions de télévision.

On entre dans le vif du sujet de Beatles 64, avec une brève rétrospective de la vie politique du moment aux USA, principalement consacrée à John Kennedy, disparu quelques mois plus tôt en novembre 1963. Puis, direction l’aéroport de New York, la foule hurlante les accueillant et la première conférence de presse, dans laquelle Ringo se révèle doté d’un fameux esprit de répartie, ainsi que le  »quiet one », George, pas du tout en retrait face à un Lennon qui essaie de faire rire à tout prix l’assistance. Puis, c’est le ballet incessant des limousines, hôtel (Le Plaza), studio de télé, hôtel, salle de concert, et hôtel. Impossible pour eux de flâner dans les rues de New York, c’est donc les artistes locaux qui leur rendent visite au Plaza, les Ronettes entre autres, et leur apprennent ce qu’ils veulent connaître du nouveau continent. Le soir, ils sont accompagnés par une pléthore de gardes du corps pour découvrir les distractions New Yorkaises comme le célèbre Peppermint Lounge où les jeunes américains ont encore le look Elvis, mais pas encore la frange Beatles. Ringo semble être la cible d’une très jolie brune ultra maquillée qui s’assoit sur ses genoux, le prenant par le cou, lui murmurant des choses à l’oreille, pendant que John arbore un sourire de circonstance un peu plus loin, entouré uniquement de fans masculins. Et pour cause, il y a les caméras, mais aussi Cynthia, son épouse qui accompagne le groupe lors de ce périple américain. On ne la verra que quelques secondes de profil pendant toute la durée du film.

Mis à part les extraits de concert, principalement celui du Washington Coliseum avec la scène rotative et l’estrade de Ringo qui elle, ne veut pas tourner, ainsi que les émissions du Ed Sullivan Show, c’est principalement dans leurs chambres qu’ils sont filmés, ainsi que dans le train pour Washington. Ils font semblant de ne pas s’apercevoir que les cameras les filment, et c’est à celui qui fera le plus de plaisanteries, bien souvent assez mauvaises. Mais le naturel reprend le dessus, et s’adressant à un cameraman, John ne peut s’empêcher de lui dire  »C’est là que je suis supposé dire des blagues pour le film ». Quant à Paul, s’adressant au même caméraman  »Je n’ai même pas envie de rigoler aujourd’hui ». Les après midi devaient être longs.

Afin de rallonger la sauce, on a droit à de multiples interviews de fans, d’où il ressort que parmi les jeunes filles bien comme il faut, les Beatles sont très bien perçus, car sexys mais pas vulgaires, au contraire d’Elvis Presley jugé trop provocant.  »Je n’aime pas le rock mais j’adore les Beatles » est la phrase qui résume tout. En plus des fans, le document est généreusement dilué avec les artistes du moment, Little Richard, Elvis et même Smokey Robinson dans son interprétation de  »Yesterday » qui ne sera écrit que l’année suivante ! En revanche, en étant bien attentif, on entend George dire qu’il adore  »Got My Mind Set on You » chanté par James Ray, et qu’il reprendra en 1987.

Le plus touchant dans tout cela, ce sont probablement les témoignages de teenagers de l’époque, tous dans leurs seventies maintenant, qui se remémorent à quel point les Beatles ont changé leurs vies, certains la larme à l’oeil, ils viennent de tous milieux mais le ressenti est identique. Ils sont pour beaucoup très objectifs, prenant du recul par rapport à cette époque de folie, et leurs comportements dont ils ont presque honte, comme d’avoir dépensé leur argent de poche pour acheter des morceaux de draps dans lesquels les Fabs étaient supposés avoir dormi, ou de serviettes de leurs chambres d’hôtel.

 On peut résumer ce document en le comparant à une répétition du film A Hard Day’s Night qu’ils allaient commencer à tourner le mois suivant. A voir quand même, rien que pour les extraits de concerts, certes avec un son imparfait, l’IA n’étant pas passée par là, mais restituant parfaitement l’ambiance. 

                                                

       

14 comments

  • JB  

    Intéressante, cette (re)découverte du passage dans des Etats-Unis en deuil des 4 garçons dans le vent, et le passage de la façade et de l’apparat à un visage plus naturel. C’est aussi fascinant que les témoins de cette époque n’en aient pas que des souvenirs élégiaques.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour.

    Je n’ai pas encore eu le temps de me pencher sur ce documentaire. Cet article vient à pic pour réparer cet erreur.

    Intéressante grosse première partie de l’article qui m’apprend plein de chose. Etonnantes années 80. On aurait pu croire que le catalogue des Beatles serait un des premiers adaptés en CD. J’ai fait partie des ados qui ont découvert les Beatles avec la sortie en CD des coffrets rouge et bleu au milieu des années 90. J’ai suivi également les commentaires sur la différence entre les albums mono et stéréo. J’avoue ne pas avoir l’oreille musicale. effectivement parfois je remarque une qualité d’enregistrement bien inférieur ou supérieur, selon le produit mais de manière générale je suis plutôt « bon public » ayant fait mes petites classes avec la FM dans un endroit où on captait très mal. Depuis j’ai du bons matos.
    Néanmoins j’aime à entendre également, parfois, un son assez proche de l’original, ou du moins dans les conditions de l’époque. Quand c’est trop nettoyé cela arrive parfois à donner une œuvre finalement différente. Même approche pour le cinéma notamment récemment avec des couleurs qui tirent trop vers une couleur (ocre ou surtout bleue). Ce n’est pas à mes yeux la vision qu’à voulu donner l’auteur. Et idem dans les bd ou comics.
    Mais parfois ce travail de restauration ou nettoyage est de qualité mais surtout fait avec gout et respectueux des intentions des artistes.

    Le montage de Martin Scorsese est il à la hauteur de ce qu’il a produit sur George Harrison, Les Rolling Stones et Bob Dylan ?

  • Présence  

    Bienvenue à Jean-Albert Beaudenon, un petit nouveau 🙂 en tout cas comme chroniqueur sur Bruce Lit.

    C’est toujours un plaisir de retrouver les illustrations d’Ed, dont les créations m’enchantent régulièrement sur facebook : merci Ed.

    J’ai regardé les bandes annonces contenues dans l’article et je suis toujours autant impressionné par les réactions en pâmoison des demoiselles.

    Un article intéressant à la fois pour ses éléments techniques sur le traitement du catalogue des Beatles en numérique, et pour la réalité de ce que contient ce documentaire, qui a l’air pour partie de faire du neuf avec du vieux.

    • Jean Albert Beaudenon  

      Merci pour votre appréciation.
      D’autres chroniques dans mon livre London Sixties publié aux éditions Camion Blanc

    • Bruno. :)  

      … Les filles sont folles, en concert : ça fait carrément peur… Ne jamais contrarier une fan de Patrick Bruel, par exemple OUARFF !

  • Jyrille  

    Bienvenu Jean-Albert ! Quelle chance d’avoir pu vivre cette époque au coeur même de Londres ! Je dois avouer ne pas avoir vu le film de Ron Howard et j’apprends énormément de choses en te lisant. Par contre j’ai vu ce Beatles 64 ainsi que les trois épisodes de près de 3h chacun de Get Back. Ce dernier est totalement bluffant et un témoignage important. Et je n’ai vu aucun des films des Beatles de l’époque.

    Pour le son des CDs, n’ayant pas pu écouter les vinyles à l’époque, il ne m’a jamais dérangé : j’avais des K7. Et je n’ai acheté que la collection – et encore, incomplète – des Fab Four qu’il n’y a que trois ans environ. Je n’ai même pas racheté le double blanc, le seul que j’ai eu en CD dans les années 90. Cependant il est vrai que le remaster de 2009 est bienvenu, mais je trouve que c’est plus flagrant sur la première partie de leur carrière, moins sur les disques plus léchés comme Rubber Soul et Sergeant Pepper.

    Les dessins de Ed sont magnifiques encore une fois.

    Pendant le documentaire, ils semblent beaucoup s’ennuyer. Pas marrant la vie de célébrité. Mais il reste très sympa à voir, j’ai même apprécié les interviews de nos jours.

    Et tu as des vidéos de tes concerts, sinon ? Ou des disques que tu as enregistrés ?

    • Jean Albert Beaudenon  

      Quelques vidéos mais de mauvaise qualité. Sinon, voici une de mes chansons, j’y joue de la batterie, de la basse, je chante et j’ai composé paroles et musique.
      https://youtu.be/TqUvkkUV6aA?si=g8bGkvHDQYSYvm4h

      J’ai également publié l’ouvrage London Sixties aux éditions Camion Blanc.

    • Jean Albert Beaudenon  

      Les vidéos ne sont pas de très bonne qualité, mais voici une de mes chansons, j’y joue de la basse, de la batterie, je chante et j’ai composé paroles et musique. https://youtu.be/TqUvkkUV6aA?si=q-lTMjpKu5UGa06Q
      Sinon, vous trouverez d’autres chroniques beaucoup plus complètes dans mon livre London Sixties publié aux éditions Camion Blanc
      Merci pour votre intérêt.

      • Jyrille  

        Merci pour le lien et chapeau pour le titre : beau boulot, agréable ballade. Je note le livre dans un coin.

    • Tornado  

      Un peu tout pareil que Cyrille, sauf que je n’ai pas vu ce BEATLES 64. Ce n’est vraiment pas ma période préférée des FAB4 mais bon… on va dire qu’un Scorcese, ça ne se refuse pas. Et puis ça doit être intéressant de voir comment s’est déroulée cette British invasion dont j’ai tellement entendu parler. Elle va paradoxalement déclencher une réaction identitaire chez les rockers américains : S’ils commencent à copier les anglais et surtout les Beatles (avec les Monkees, les premiers albums des Byrds et la 1° période du psychédélisme), ils vont très vite mettre en avant leur héritage américain, et répondre à la British Invasion par deux styles bien à eux : le folk rock et surtout le country rock. Soit tout ce que je préfère dans l’histoire du rock.

  • Jean Albert Beaudenon  

    Pas vraiment à mon avis.

  • Jacques Verrecchia  

    Excellente analyse bien sûr de Jean-Albert Baudenon à laquelle je n’ajouterai pas un mot, tant je partage l’ensemble de ses observations si pertinentes. L’occasion bien sûr pour moi de me remémorer cette année 64 et les Beatles sur scène à l’Olympia que je voyais en matinée à l’époque…Encore bravo pour cet article !

  • Eddy Vanleffe  

    J’avais zappé la sortie de « nouveau » documentaire.. après tous les trucs que j’ai vu ou lu à leur sujet, je doute encore apprendre vraiment quelque chose d’important.
    Ma fille suite tellement de fils « tik tok » sur Paul qu’elle a quand même réussi à m’apprendre quelques anecdotes que j’ignorais à son sujet ,mais ça reste de l’ordre du détail…

    Bravo pour l’article, il y a pas assez de Beatles sur le blog… ^^

    • Jean Albert Beaudenon  

      Merci beaucoup, j’ai d’autres chroniques surles Beatles, je vais voir avec Bruce s’il veut les publier.

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