AVENGERS TWILIGHT par Chip Zdarsky et Daniel Acuña
Un article de DOOP O’MALLEYVO : Marvel
VF : Panini
Je vais aujourd’hui vous parler de TWILIGHT, la dernière mini-série Marvel réalisée par Chip Zdarsky et Daniel Acuña. La série, publiée d’abord en six épisodes de 30 pages aux États-Unis avant d’être réunie en un trade paperback (TPB), est arrivée en France le 13 novembre 2024. On verra en quoi on peut presque considérer ce récit comme un KINGDOM COME version Marvel !
Tout le monde sait que depuis plusieurs années, je commence à me désintéresser totalement des productions mainstream. Tout semble fade, sans intérêt et surtout coincé dans une continuité de façade et des scénaristes et dessinateurs moyens et interchangeables (avec toutes les exceptions que vous pourrez trouver). Et pourtant, après avoir acheté cette mini-série un peu par hasard, je me suis vraiment fait plaisir à la lecture. Cela faisait vraiment longtemps que je n’avais pas lu une histoire de bout en bout d’un trait : ce qui prouve mon enthousiasme. Chip Zdarsky a ses bons (Daredevil) et ses mauvais moments (le machin sur la vie de Spider-Man) mais quoi qu’il arrive, ses récits ne sont que très rarement médiocres. Il y a toujours une petite valeur ajoutée qui rend l’histoire ou certains de ses aspects plutôt intéressants. Son discours et sa manière de faire, qui s’appuient énormément sur les classiques, me conviennent beaucoup plus qu’un Rick Remender qui ne peut s’empêcher de renverser la table à chaque fois pour finalement pas grand-chose (personnellement, j’essaye encore d’oublier l’infâme crossover AXIS qui finalement naviguait sur les mêmes eaux que cet AVENGERS TWILIGHT).
Si je veux être un peu provocateur, je dirais que Zdarsky s’apparente beaucoup plus à un Joe Casey qu’à un Bendis qui s’étouffe dans sa propre diarrhée verbale, c’est-à-dire un scénariste qui respecte l’essence des comics des années 60 tout en essayant de les adapter à un état d’esprit moderne. Pas étonnant donc que cette histoire fonctionne puisqu’elle correspond parfaitement aux forces de l’auteur.
Des héros plus sombres
Nous voici dans un avenir très proche. Les super-héros n’existent plus depuis le jour H, cet évènement qui a réduit la quasi-totalité de leurs effectifs en masse. Ignorés et mis au ban, des Steve Rogers, Matt Murdock et Luke Cage vieillissants voire totalement grabataires vivent en reclus dans un pays dirigé par un président fantôme. En effet, ce dernier n’a aucun pouvoir puisqu’il est soumis corps et âme aux entreprises STARK, qui fournissent tout l’armement de la police et de l’armée. C’est STARK INDUSTRIES qui dirige le pays. Notamment James Stark (le fils du décédé Tony et de la Guêpe) mais surtout son mentor, Kyle Jarvis. Kyle est le frère cadet jusqu’alors inconnu du majordome historique des Avengers. Lors de la disparition de ses parents, c’est Kyle qui s’est occupé de James, devenant son mentor et accédant, par la même occasion, au poste de président de STARK INDUSTRIES.
Les Etats-Unis sont donc désormais un pays à la dérive, où les médias sont contrôlés et détournés pour, entre autres, blanchir le nom Johannes Schmidt alias Crane Rouge. En effet, selon ces derniers, celui-ci aurait combattu Hitler plutôt que d’être son homme de main. Cela ne manque évidemment pas de réveiller l’esprit combattif de Steve, qui se fait pourtant ridiculiser lors d’une émission télévisée par James, son propre neveu. Il faut se rendre à l’évidence, l’esprit de l’Amérique a changé et Steve ne possède plus les codes de cette nouvelle ère où l’outrance et l’asservissement audio-visuel bat son plein. La mort de Matt ainsi qu’une scène où des policiers brutalisent des badauds finit de mettre notre centenaire en rogne ! C’est décidé : il va reprendre le flambeau et faire appel à ses amis restants pour fonder des nouveaux Avengers avec l’aide de Luke Cage, dont la peau est devenue tellement dure qu’il ne peut se mouvoir qu’à l’aide d’un exosquelette.
Tu veux de l’icône ?
Dès les premières pages, le thème est évident : il s’agit de l’opposition entre les nouveaux héros, plus agressifs, plus au fait des médias et l’esprit Marvel des années 60 via son porte étendard de toujours : Captain America. Ce qui nous ramène bien évidemment à KINGDOM COME, qui abordait les mêmes thématiques. Mais les temps ont changé ! 30 ans se sont écoulés et Zdarsky en profite pour nous dresser, via son uchronie, un portrait de l’Amérique tel qu’elle est aujourd’hui. C’est la différence notable entre les deux récits : si KINGDOM COME dressait le constat d’une irrévocabilité d’entente entre les comics d’hier et d’aujourd’hui, AVENGERS TWILIGHT se place au niveau des mentalités de la société.
Au cas où le lecteur aurait encore quelques doutes, Zdarsky enfonce le clou en parsemant son récit d’éléments de langage associés à Donald Trump (sur les fake news, sur l’homme présidentiel, sur la place des Etats-Unis).
Comme cette société est tenue en laisse par la télévision et les réseaux, c’est sur ce plan que nos vieux héros vont porter leur première estocade. Leur première mission sera de détourner les systèmes de diffusion pour que Steve Rogers puisse porter son message d’espoir sans filtre et réveiller l’esprit américain ! Aidé de plusieurs jeunes ralliés à la cause de Cage et Rogers et d’anciens héros disparus, cette mission est un échec absolu ! Non pas parce que l’équipe de Steve n’a pas réussi à faire passer le message de ce dernier, mais simplement parce que celui-ci n’a eu strictement aucun effet sur les masses ! C’est vraiment l’un des moments charnières du récit, qui rend TWILIGHT beaucoup plus intéressant qu’à l’accoutumée, ou tout du moins beaucoup plus complexe. Le rêve américain n’existe plus !
Le déclin de l’empire américain
Le message est quand-même très fort et beaucoup plus subtil que prévu. Comment être un héros lorsque le monde a dépassé ce genre d’idéal ? La mini-série, qui était jusque-là plutôt agréable devient alors franchement intéressante. Comment peut-on se remettre d’un échec aussi cuisant ? Surtout que les quelques héros survivants que Captain America tente de rallier à sa cause (comme par exemple Miss Marvel, Kamala devenue une mère de famille) refusent en bloc. La bataille est perdue ! Et pourtant, c’est la réunion du noyau dur des Avengers qui va relancer le combat.
En effet, si tout espoir semble définitivement enterré, c’est le retour des Avengers du départ qui va redonner des couleurs à Steve. Je ne rentre pas dans les détails, mais le troisième numéro relance totalement la série en se concentrant encore une fois sur l’équipe originale, tout du moins ses éléments les plus emblématiques. Zdarsky a choisi son camp. Alors que le jeune Stark se perd dans sa volonté de faire comme son père, c’est-à-dire de porter lui-même une armure au lieu de laisser des robots combattre pour lui, il se rend rapidement compte que lui aussi navigue à contre-courant. Il faut dire qu’il est bien aidé par un Kyle Jarvis dont l’idéologie néo-nazie semble sortie tout droit de la seconde guerre mondiale.
Le retour des héros
Le retour de ces Avengers historiques va signer le début de la fin pour le régime induit par Jarvis et Stark. Le premier n’a plus le choix, il doit totalement se dévoiler et tout simplement tenter un coup d’état pour enfin prendre le contrôle d’un pays qu’il exècre. Et ce sera assez facile : son objectif est de « tout cramer pour repartir sur des bases saines », en utilisant l’arme atomique sur son propre pays. De toute façon, le peuple américain ne sera pas au courant de ses plans puisque c’est lui qui contrôle l’information ! On en arrive au cinquième épisode et en toute honnêteté, c’est la partie la moins intéressante du livre. On assiste à un combat classique avec quelques surprises et retournements de situation qui amène directement à la classique bataille du bien contre le mal.
Il y a toutefois des idées intéressantes, comme l’arrivée d’un Hulk contrôlé par Jarvis et qui se voit confronté à Thor dans une bataille à mort ! Sur ce point aussi, on peut remarquer que Zdarsky utilise des situations classiques des comics des années 60 et les utilise d’une manière qui parachève son message. Mais attention, le récit de Zdarsky finit, comme KINGDOM COME d’ailleurs, de manière plutôt positive, avec des jeunes héros qui finissent par acquérir une conscience et qui vont se sentir capable de pouvoir, avec l’aide de leurs mentors, reconstruire un pays meilleur. Un peu trop classique comme fin ? Peut-être. Mais c’est en tout cas parfaitement exécuté.
Bien évidemment, AVENGERS TWILIGHT ne serait pas une réussite aussi flagrante sans les dessins de Daniel Acuña. Et pourtant, qu’est ce que j’ai pu le détester à ses débuts ! Il faut dire que ses traits étaient patauds et grossiers et quasiment illisible pour moi. Mais depuis, le dessinateur a affiné littéralement son style et se rapproche de plus en plus de la peinture ou du pastel, à l’instar des frères Hildebrandt. Ce qui nous fait encore un point commun avec KINGDOM COME et son Alex Ross en feu. Acuña se distingue plus comme un illustrateur qu’un dessinateur à mon sens et certaines de ses planches sont tout simplement magnifiques lorsqu’il a à représenter l’aspect iconique de Captain America.
La narration, notamment lors des phases de combat est peut-être un peu plus poussive que d’habitude mais Acuña perd en fluidité ce qu’il gagne en style et en expression. C’est clairement une valeur ajoutée à l’histoire.
De fait AVENGERS TWILIGHT se place dans la veine des récits Marvel réussis qui réussissent à proposer une vision plutôt engagée et assez moderne de classiques des comics. Une excellente surprise, magnifiée par des dessins qui subliment un récit prenant. Très conseillé !
Le nouvel Hawkeye, synonyme d’héritage de l’esprit Marvel, dans une scène qui fait encore une fois référence à des comics passés.
La BO du jour :
Merci pour cette lecture. Avec un avis aussi enthousiaste (à l’exception du chapitre « baston »), je m’étonne un peu de la note.
Ma lecture a été ruinée par de méchants défauts d’impression (des pages blanches à foison). Et puis, ça me rappelle beaucoup la minisérie The last avengers story, qui présentait déjà un futur sombre avec la disparition d’une partie des vengeurs.
La note est une erreur de ma part. C’est 3 et demi. C’est dommage cette histoire de pages blanches.
oui un récit classique mais parfaitement exécuté. J aime beaucoup.
par contre retenir Axis contre remender alors que c est sûrement les réécritures qui l ont fait partir de marvel (il avait une intrigue au long cours sur cap et uncanny avengers)
moins je lis de remender, mieux je me.porte 😁
Merci Doop pour cette review enthousiasmante. Je n’avais pas prévu de le prendre mais ton article me fait changer d’avis. Je sature aussi un peu de ces comics mainstream qui ne vont finalement nulle part, en revenant perpétuellement à un point zéro en ayant renversé la table pour rien. L’analogie avec Kingdom Come est évidente mais dans le discours que Zdarsky veut mettre en place je retrouve aussi beaucoup de la série Sam Wilson Captain America de Nick Spencer et déjà Daniel Acuña et qui était déjà une sorte de cliché documentaire de l’Amérique de Trump première version. Et puis, un énième retour de Steve Rogers dans son rôle favori, je ne peux pas passer à côté.
Merci ! j’ai pas lu le cap de Spencer. Mais oui, j’ai été surpris par la qualité
C’est chouette le run de Spencer. Le dernier que je conseille vraiment (j’aime bien Kelly/Lazing mais c’est plus quand tu lis des auteurs que tu vois progresser).
Bon aprés il y a aussi un coté Dark Knight Returns
Mais en même temps c est dommage d’étouffer le récit sous des multiples références parfois presitigieuses.
C est pas le comics du siècle mais il fonctionne vraiment bien.
Je sais pas si le run de Spencer est disponible en peu de volumes. Je t’avoue que ça m’intéresse.
je vais commander les omnibus
Bonjour Doop.
un article plus court que d’habitude.
Il y a quelques années je me serais précipité sur ce type de récit. Moins maintenant même si je pense qu’in fine, à te lire et connaissant tes goûts, cela semble une lecture agréable. Il faut dire que j’ai aussi complètement décroché des super héros. Donc si cela se trouve je ne pas forcément comprendre des références qui s’adresse à mon avis à ceux qui suivent l’univers Marvel actuellement
Par contre je pense que la comparaison avec KINGDOM COME ne tient pas la route. tout simplement car Zdarsky n’est pas Waid et que ce récit n’a pas du tout la même ambition. Déjà le propos me semble éculé et vu des dizaines de fois notamment dans le CAP de Spencer. On voit également cela dans EARTH X, là encore avec plus d’ambition. On peut même remonter à DAYS OF FUTURE PAST de Claremont et Byrne.
Mais tu le vend bien et la partie graphique est très chouette.
Merci Doop pour la présentation ! C’était passé sous mon radar, forcément, je ne suis pas le mainstream. De Zdarsky, je ne connais que SEX CRIMINALS, et encore, les trois albums parus en VF. Mais j’aime bien, donc ça peut être pas mal. Tu les as lus ?
J’ai lu ton article sur les 66,60 euros, pour ma part j’ai pris un Nomad d’un Tom King que je ne connaissais pas, le UP IN THE SKY sur Superman. Les autres me tentent bien, surtout celui des origines : je n’en ai lu aucun.
« Les Etats-Unis sont donc désormais un pays à la dérive, où les médias sont contrôlés et détournés » Je veux rien dire mais j’ai l’impression que c’est arrivé plus tôt que prévu…
Tu donnes envie aussi (comme hier), même que je me demande si je vais pas me racheter KINGDOM COME alors que j’avais revendu mon édition Panini il y a une éternité.
La BO : sympa, je la connaissais. Un des meilleurs morceaux de RATM.
sex criminals, c’était pas fraction au scénar ? je n’avais pas aimé. adarsky faisait les dessins je crois.
Si, c’est ça. J’attends la fin, si elle arrive un jour en VF…
Il faut se rendre à l’évidence, l’esprit de l’Amérique a changé et Steve ne possède plus les codes de cette nouvelle ère où l’outrance et l’asservissement audio-visuel bat son plein. – Mais… ? Mais… ? Mais… ? C’est l’Amérique d’aujourd’hui !
Le thème est évident : il s’agit de l’opposition entre les nouveaux héros, plus agressifs, plus au fait des médias et l’esprit Marvel des années 60 via son porte étendard de toujours : Captain America. – En effet, c’est du 100% Kingdom Come.
Éléments de langage associés à Donald Trump : mais… ? Mais… ? Mais… ? Serait-ce le retour d’un esprit frondeur et peut-être gauchisant dans les comics, comme à la bonne vieille époque des années 1970 ? 🙂
Réveiller l’esprit américain ! – En écoutant les résultats de la dernière élection américaine, je me disais que l’esprit américain était pour le moins bizarre, et en écoutant différents analystes, j’ai fini par me dire que l’élection de Donald J. Trump fait partie de l’esprit américain (que je ne comprends toujours pas, soit dit en passant).
Les dessins de Daniel Acuña : j’ai toujours eu un faible pour ses dessins, avec un vrai déclic à l’occasion de la saison des Uncanny Avengers, écrite par Rick Remender.
tu pourrais peut être aimer alors !
Hello Doop,
Lorsque tu avais évoqué le projet d’article en coulisses, j’étais allé le lire direct en ligne.
J’ai relu le premier chapitre aujourd’hui. C’est pas mal. Je ne suis pas ultra-fan d’Acuna, mais il a au moins un style à lui. Et sur une case où était montrée une poêlée de légumes, je me suis fait la réflexion que le rendu était chouette (pas évident du tout à bien représenter, la bouffe, en BD…)
Après, je trouve que la « voix » de Captain America est un peu faiblarde. Mais si je dis que je le trouvais plus résilient et inspirant dans le run de, au hasard, Remender, je pense que tu ne partageras pas trop…
En fait, ce qui me déprime le plus, c’est que cette fiction n’exagère même pas les travers de notre société actuelle. Les fake-news, la valeur toute relative de la vérité, on baigne dedans depuis quelques temps, et des hommes arrivent au pouvoir ou s’y maintiennent en utilisant la crédulité consentie des citoyens…
Bah en fait, en lisant, j’avais du mal à croire que c’était toi 😅
Et du coup, moi je suis très attaché au modèle des super-héros, et je t’avoue que Zdarsky, il m’ennuie comme parfois il peut être attirant.
Alors il m’attire dans des récits comme Spider-Man que j’ai bien aimé même s’il y a quelques passages ennuyants.
Et là où il m’a ennuyé… Là où il m’a ennuyé, c’est dans son Batman: The Knight.
Mais par contre, il a toujours un côté où il arrive à t’attirer, à séduire un peu avec des choses que l’on connaît sur les personnages, des éléments connus.
Et voilà, c’est ça qui fait qu’on arrive un peu à rester capté sur ton retour.
Avec cette mode de passer aux modèles plus réalistes, où les héros peuvent connaître soit des dépressions, ou faire face, tu l’expliques, à un monde totalitaire.
On ressent qu’il veut montrer que les valeurs héroïques ne se perdent pas et elles peuvent encore perdurer malgré tout.
Donc, je t’avoue qu’il ne m’avait pas du tout intéressé. Mais pourquoi pas, dans une lecture.
Merci du retour.