Aucun détail ne vous sera épargné

Shaolin cowboy par Geoff Darrow

AUTEUR : PRÉSENCE

VO: Burlyman

VF: Panini

C'est un héros, ça ?

C’est un héros, ça ?©Panini

De 2004 à 2007, Geof Darrow a publié 7 numéros d’une série intitulée « The Shaolin cowboy ». Ces épisodes ont été écrits, dessinés et encrés par Geoff Darrow, avec une mise en couleurs réalisée par Peter Doherty, Lovern Kindzierski et Alex Wald. Cette histoire a été publiée en 3 tomes en français par Panini. Elle a bénéficié d’une réédition en anglais en 2014, par Burlyman Entertainment. Ce commentaire porte sur les 7 épisodes, c’est-à-dire les 3 tomes.

À une époque indéterminée (fin du dix-neuvième siècle ?), un cowboy progresse dans un désert de sable non identifié, à dos d’âne. Le cowboy ne porte pas de nom, l’âne s’appelle Lord Evelyn Dunkirk Winniferd Esq. the Third. Le cowboy ne parle quasiment pas ; l’âne est intarissable, un vrai moulin à paroles. Dans ce désert, ils tombent face au gang (très nombreux) du Roi Crabe. Ce dernier explique au cowboy pourquoi il lui en veut, avant un affrontement d’anthologie.

L'âne et son bavardage incessant (c'est quoi une boule de geisha ?)

L’âne et son bavardage incessant (c’est quoi une boule de geisha ?) ©Panini

À la suite de ce combat dantesque, le cowboy poursuit sa route, et aperçoit un enfant tout juste en âge de marcher, aux 2 mains ensanglantées. Alors qu’il s’en approche 3 démons surgissent des sables, et celui en forme de squelette attaque le cowboy. Au cours de cet affrontement titanesque, un énorme dinosaure se soulève des sables ; il porte une ville fortifiée sur son dos. L’âne progresse sur son dos vers les portes de la cité en protégeant le bébé, alors que le combat entre la tête du squelette et le cowboy se poursuit dans les entrailles du mastodonte.

Geoff Darrow est connu pour avoir illustré 2 récits écrits par Frank Miller : Hard Boiled et The Big Guy and Rusty the boy robot. Il a également travaillé avec les frères Watchowski comme concepteur graphique sur la Trilogie Matrix et sur Speed Racer. Il réalise des dessins avec un niveau de détails obsessionnel.

Saurez-vous retrouver le détail (à gauche) dans l'image globale (à droite) ?

Saurez-vous retrouver le détail (à gauche) dans l’image globale (à droite) ? ©Panini

Au cours de ces 7 épisodes, Shaolin cowboy se bat contre un tel nombre d’adversaires qu’il finit par s’agir d’une armée de belle taille, avec des mouvements de plus en plus impossibles, et des armes qui laissent songeur. L’histoire se termine sur un suspense non résolu. Une bonne partie de l’action se déroule dans un désert de sable, avec quelques formations rocheuses, ce qui chez un autre dessinateur aurait été la marque d’une paresse, pour ne pas avoir à dessiner de décors.

Pour le lecteur qui a déjà lu du Geoff Darrow, il sait qu’il va trouver des cases bourrées à craquer de détails, des combats très brutaux et une forme discrète de second degré. Dès la première page (un dessin pleine page du désert vu du ciel), Darrow prouve par l’exemple son obsession du détail. Les formations rocheuses ne sont pas vaguement esquissées à grands traits, mais chaque excroissance, chaque plissement est marqué par un trait fin. Les nuages sont également représentés avec minutie. Il est possible de distinguer chacun de la dizaine de volatiles évoluant dans le lointain.

Une forme discrète de second degré : dans la bouche du monstre

Une forme discrète de second degré : dans la bouche du monstre ©Panini

Il en va de même pour les personnages. La présentation des membres du gang du Roi Crabe s’étale sur 10 pages (avec un découpage très inattendu), détaillant des dizaines d’individus chacun avec une morphologie et une tenue vestimentaire différente, et dessinée avec précision.

Tout au long de ces 200 pages, le lecteur peut donc se repaître de dessins très denses en informations visuelles, jusqu’à satiété. Ce qui est proprement incroyable, c’est que malgré la profusion de détails minuscules, chaque case reste immédiatement lisible. La composition de chaque case a été conçue de telle sorte à ce que les principaux éléments soient immédiatement assimilables par le lecteur.

Bourré de détails et lisible

Bourré de détails et lisible ©Panini

Lors d’une séquence, le cowboy éventre un requin à l’aide d’une tronçonneuse, et tous les objets contenus dans son ventre s’éparpillent dans sa trajectoire. Il doit y a avoir plusieurs centaines d’objets de petite taille. Si le cœur lui en dit, le lecteur peut prendre le temps de tous les observer. Il aura la surprise de tous les reconnaître, sans difficulté. Le seul défaut mineur dans la représentation des objets éparpillés (dans cette scène comme dans d’autres) réside dans le fait que Darrow les répartit de manière uniforme sans tenir compte des irrégularités dans le mouvement (ou ailleurs dans le relief).

Pour pouvoir apprécier cette approche graphique, il faut donc que le lecteur ait un goût pour cette interprétation obsessionnelle de la réalité. Il faut également qu’il ait un goût pour la violence, ou en tout cas qu’il soit capable de l’apprécier comme un facteur de divertissement.

Un goût pour la violence en tant que divertissement

Un goût pour la violence en tant que divertissement ©Panini

Le cowboy Shaolin se bat pour défendre sa vie, avec des armes à feu ou des armes blanches. Il tue sans remord, tranche sans pitié et perfore sans regret. Le sang gicle, les membres tombent, les tripes se retrouvent à l’air. Geoff Darrow chorégraphie et les affrontements et réalise de magnifiques séquences très cinématiques. C’est un rare plaisir que de pouvoir découvrir des séquences aussi minutieuses et aussi intelligentes dans la conception de leur déroulement.

L’accumulation de combats magnifiques n’a rien de réaliste. Il s’agit d’un exercice de style dans lequel l’auteur prouve sa dextérité et son imagination à concevoir et mettre en scène des affrontements défiant l’entendement. Rien que pour ça, ces épisodes sont d’une qualité exceptionnelle, et constitue un divertissement de haut vol. Mais le plaisir de lecture ne s’arrête pas là.

Il tue sans remord, tranche sans pitié et perfore sans regret

Il tue sans remord, tranche sans pitié et perfore sans regret ©Panini

Darrow est conscient de la nature parodique de sa narration, et il en joue. Il se permet des rebondissements qui défient l’entendement et la plausibilité. Il est impossible de croire à cette cité fortifiée perchée sur un dinosaure aux proportions gigantesques, et encore au moins au combat qui s’ensuit dans ses entrailles entre le cowboy et un requin guidé par la tête d’un revenant.

L’apparence du Roi Crabe dépasse aussi les possibilités de suspension consentie d’incrédulité. Aux yeux du lecteur, ces éléments participent d’une forme d’humour absurde, qui se marie bien avec les autres composantes humoristiques.

Combat à la tronçonneuse contre un requin possédé

Combat à la tronçonneuse contre un requin possédé ©Panini

D’un côté il y a le cowboy au sérieux imperturbable, aux mots rares et pesés. De l’autre côté, il y a l’âne pourvu d’une personnalité sarcastique. Ses propos sont très drôles, et contiennent une quantité de jeu de mots impressionnante. Son débit fait un penser à celui d’Eddie Murphy, avec la même forme de moquerie impertinente. Geoff Darrow sait également manier un humour visuel assez noir. Dès la page 7, le cowboy se débarrasse des douilles vides dans son pistolet, en les faisant tomber dans la bouche ouverte de l’ennemi qu’il vient d’abattre, comme s’il s’agissait d’une poubelle ou d’un cendrier.

Dans la page précédente, le lecteur remarque également qu’il peut détailler toutes les particularités du sexe de l’âne. Pour un lecteur de bandes dessinées, cette absence de pudeur de la part du dessinateur constitue également une forme d’humour, dans la mesure où il indique par là qu’il refuse de se soumettre aux règles de bienséance implicites de ce medium.

L'âne intarissable

L’âne intarissable ©Panini

L’intrigue est donc assez mince puisqu’il s’agit pour le cowboy (bien aidé par son âne) de survivre aux attaques qu’il subit en tuant tout le monde (ou peu s’en faut), et par la suite de protéger cet étrange bébé. A l’évidence le divertissement n’est pas à chercher dans l’intrigue.

Ces 7 épisodes forment une histoire incomplète d’une rare densité narrative, du fait de dessins détaillés jusqu’à l’obsession. L’intérêt principal est donc de se repaître de ces représentations maniaques. Le plaisir provient également de la qualité exceptionnelle de la narration graphique, de la personnalité de l’âne, de l’inventivité des situations, de l’imagination débridée jusqu’à l’absurde et de l’humour (noir) omniprésent. Geoff Darrow a écrit et dessiné la suite de ces aventures hors norme : Shemp buffet, publié par Dark Horse Comics.

Couverture alternative de Moebius (à gauche), de Mike Mignola (à droite) scgeoff

Couverture alternative de Moebius (à gauche), de Mike Mignola (à droite) scgeoff ©Panini

26 comments

  • Patrick 6  

    J’avais commencé la série en VO mais j’avais perdu le fil avant la fin (pour une raison qui m’échappe totalement) tant j’adore le style totalement déjanté et trash du dessinateur !
    Et donc il y a eu une VF (pour ma séance de rattrapage) ?

    • Présence  

      Oui, il y a eu une édition VF, en 3 tomes (voir les couvertures en début d’article). Par contre, il est à craindre que le prix défie toute concurrence. Cette histoire a été rééditée (en VO) en fin d’année 2014 par Geoff Darrow, et disponible quasiment uniquement en comic-shop.

      • Présence  

        Je ne suis pas sûr qu’ils aient encore le tome avec ces 7 épisodes. Par contre, en passant à Album ce midi, j’y ai vu le tome suivant (compréhensible sans avoir lu premier) et publié par Dark Horse.

  • Jyrille  

    Merci Présence pour cet article ! Je l’attendais depuis longtemps, et je ne suis pas déçu. Comme tu le dis, le dessin est obsessionnel dans la représentation des détails. Dans les scans, je reconnais de suite le trait de Hard Boiled. D’ailleurs si il y a si peu d’épisodes, c’est que Darrow met un temps fou à dessiner tout ça.

    En tout cas j’ai bien envie de me les trouver, ces Shaolin Cowboy !

  • Tornado  

    Geof Darrow, dans mon esprit, est l’influence majeure de Juan-José Ryp, pour tenter de citer un dessinateur plus d’actualité…

    • Présence  

      En repensant à ton article sur Matrix, je me disais que l’une des forces de Darrow (que je n’ai pas assez souligné dans cet article) est son intelligence de la mise en scène, la spatialisation des déplacements, des mouvements, pour assurer une cohérence. En y repensant, je pense que Juan José Ryp ne dispose pas de cette compétence, à un niveau aussi expert que Darrow.

      • Jyrille  

        D’accord avec Présence. Et puis Ryp n’a pas la capacité à multiplier des visages très différents, ni celle de donner un mouvement crédible à ses personnages, ils semblent un peu figés, gauches.

  • Tornado  

    OK. Je dois dire que, dans les deux cas, je n’en ai pas vu grand chose ! (juste feuilleté « Hardboiled » et « Black Summer »)

  • Bruce lit  

    Ryp : je n’ai pas apprécié son travail pour BLack Summer et Robocop. Comme mentionné pour BS, j’ai l’impression de regarder un film en 3D sans lunettes. Ce qui n’apparaît pas sur les scans de Darrow qui au contraire de Ryp est effectivement : « Bourré de détails et lisible ».

    Que faire ? d’un côté, je suis très peu preneur de scenarii prétexte à la virtuosité d’un artiste. J’ai détesté Harboiled. De l’autre, l’envie de voir de la zombaille se faire trucider est un plaisir pervers que j’affectionne. Le mode varié des fatalités m’évoque immanquablement les jeux video Dead Rising que j’adore…. Merde Présence, à peine rentré de vacances que tu me poses le cas de conscience là !!!!

  • Jyrille  

    J’avais totalement oublié l’existence de cet article, Présence. Ca fait plaisir de voir que tous les Shaolin Cowboy sont ici (enfin sauf le dernier, remplacé par une interview de Darrow – la classe, la preuve de l’évolution du rédac chef).

    J’ai donc lu les trois premiers tomes. Pour info, les épisodes narrés ici sont le premier tome de chez Futuropolis, qui a récemment été réédité en version poche puisque la version grand format était épuisée. Ils ont appelé ce premier tome START TREK.

    bedetheque.com/serie-70195-BD-Shaolin-Cowboy-The-Futuropolis.html

    Version « poche » du tome 1 : lalibrairie.com/livres/the-shaolin-cowboy–vol–1–start-trek_0-10267850_9782754842969.html?ctx=808fe87da91ed5a9d7f47e153d274da4

    J’avais la version Glénat de BIG GUY et du second tome du Shaolin Cowboy, mais le format était trop petit. La version de Futuro rend totalement hommage au dessin. Et j’apprends donc que Darrow parle français, tout comme sa femme qui fait la traduction ! Pas simple à traduire d’ailleurs, tant est utilisé d’argot et de mots réduits ou d’acronymes.

    « des cases bourrées à craquer de détails, des combats très brutaux et une forme discrète de second degré. » Oui, j’ai tout retrouvé. Tout ce qu’il y avait dans HARDBOILED et BIG GUY : des scènes de combat titanesques où les passants continuent de vaquer à leurs occupations (il y a une histoire de BIG BUY supplémentaires qui se passe sur une plage qui ne fait que ça), où tous les personnages sont tatoués, ont des bijoux improbables, portent des marques partout, des armes comme boucles d’oreilles, des animaux et des légumes trop grands pour être réalistes, des grandes planches iconiques etc…

    Le plus fou, c’est l’inventivité et la volonté de Darrow de n’avoir aucune limite physique ou logique à son univers. Avec toujours les mêmes cibles : la consommation, l’abrutissement des masses, les armes, les politiciens et désormais, les réseaux et l’utilisation des téléphones portables (ça c’est surtout dans le tome 3 qui en VO s’appelle « Who’ll stop the reign? », jeu de mot sur une chanson de Creedence Clearwater Revival).

    « Ce qui est proprement incroyable, c’est que malgré la profusion de détails minuscules, chaque case reste immédiatement lisible. » Oui, ça reste fou. Comme pour le MOBY DICK de Sienkiewicz, même si ça n’appelle pas à être relu (l’histoire est quasi inexistante en fait, on est clairement dans de l’action incessante, exactement ce qu’on avait dans ses livres avec Miller), ça appelle à être souvent revu tellement c’est beau et malgré les horreurs que cela dépeint (toujours ces armes à feu plantés intégralement dans des corps par exemple, et toutes ces têtes explosées…).

    Dans ce premier tome, je retiens surtout la fin, le combat contre les requins. C’est dément et tellement improbable. Et plein de détails encore ! Et ce monstre avec une ville dessus, on dirait du Pratchett qui s’inspire de la tortue qui porte le monde.

    nationalgeographic.fr/espace/non-la-terre-ne-repose-pas-sur-le-dos-dune-tortue-geante

    J’adore les couvertures alternatives. Celle de Moebius est parfaite. Tu fais référence à Eddie Murphy, incroyable, un acteur de ciné ! Mais oui, il y a pas mal de références populaires. J’ai bien ri en lisant d’où provenait le métal incassable protégeant les sabots de notre mulet préféré.

    J’ai relu le second tome avec un immense plaisir, mais je ne l’ai pas encore réellement terminé : contrairement à l’édition Glénat, celle de Futuro se termine avec un court roman de Andrew Vachss illustré par Darrow qui met en scène une autre aventure du Shaolin Cowboy (un peu comme la fin du Mercenaire). Il court sur une cinquantaine de grandes pages, il y a quand même un peu de lecture.

    goodreads.com/book/show/15897239-the-shaolin-cowboy-adventure-magazine

  • Bruno :)  

    À la manière d’un Druillet soudainement pris de passion pour le gore, Darrow s’évertue a remplir ses cases d’un million de petits traits qui, s’ils sont effectivement très précis, peinent néanmoins à exprimer la moindre puissance tout en encombrant pas mal la vision du lecteur. Si on peut apprécier de contempler l’une de ses pleines pages, une fois cette dernière au mur et encadrée, force est de constater l’absence complète de mouvement au sein des amoncellements fouillis où flottent -même posés au sol- ses personnages : l’empalement à l’épée ou bien cette « fresque » avec le requin. Même les couvertures mettant en scène le héros, pourtant immobile : comparer avec celle de Moebius, où le personnage ne peut être vu autrement que chutant dans le vide, ce qu’il est exactement sensé être en train de faire… Mais je ne suis pas le premier à pointer ce détail particulier du travail de l’artiste : il s’agit d’un défaut récurrent dans sa production.
    Je soupçonne cette obsession du détail, très graphique et, pour le coup, pas du tout représentative de la « réalité », d’être un tic développé en réaction à un manque certain d’appréhension et d’assimilation de cette dernière, d’un point de vue artistique : incapable d’en synthétiser la substance et d’effectivement la traduire dans ses cases sous forme de raccourcis signifiants et/ou de symboles propres à créer une ambiance, il s’évertue à en dessiner une représentation granuleuse au possible qui, par sa propreté d’exécution, vous apparait comme méticuleuse et documentée -ce qu’elle est d’un point de vue factuel-alors que je n’y vois que du remplissage parfaitement inutile, voire dommageable à l’efficacité narrative de l’exercice.
    Cette absence de vivacité se retrouve même dans les traits de ses personnages : là aussi, l’abondance de détails noie irrémédiablement le peu de spontanéité nécessaire à un minimum d’empathie avec ces êtres, absolument pas incarnés. Au sein même de leur visage, bouche, yeux et nez semblent peiner à traduire un ressenti, tant on s’applique à les mettre là où il faut et non à leur faire exprimer quoi que ce soit. Comme si la moindre tentative de stylisation lui posait problème et que, pour l’éviter, il ne puisse faire autrement que chercher inlassablement un moyen aussi démonstratif que possible d’être fidèle au modèle de graphisme qu’il s’est imposé. En soi, c’est assez impressionnant, tant cette démarche systématique lui impose de contraintes, ne serait-ce que celle du temps considérable probablement investi dans la réalisation de ses planches.
    Je ne veux pas avoir l’air de critiquer pour critiquer, mais l’énorme travail représenté par ces amoncellements de coups de plume ne peut être considéré comme une fin en soit, dans l’optique de la création d’une BD et, si je suis impressionné -comme tout le monde- par l’auto-discipline que ça représente (carrément envieux, soyons honnête…), je ne peux m’empêcher d’y voir le laborieux camouflage à vocation décorative d’un créatif moyennement doué et/ou inspiré.

    En cela, d’après cet article, et puisqu’il s’agit d’une histoire à lui, il semblerait néanmoins qu’il y ait corrélation entre la forme et le fond ?!

    • Jyrille  

      C’est toujours intéressant de voir un autre point de vue, mais je ne suis pas du tout d’accord avec toi, Bruno. Tu dis « à la manière d’un Druillet » : en effet, les deux ont une forte identité graphique. Mais Druillet n’est pas connu pour sa gestion du mouvement non plus. Celui de Darrow me semble moins évident que celui de Moebius ou bien sûr Franquin (le maître non ?) mais il est là. Et jamais je ne trouve ses planches illisibles ou encombrantes. De même, tu parles d’efficacité narrative, de dommages, pour moi, elle existe, elle est au diapason de ses dessins : toutes ces bds ont un nombre élevé de planches, qui permettent ainsi de développer chaque action, chaque combat, chaque accident ou chaque mouvement de véhicule. Darrow ne cherche pas une épure, mais bien le contraire. Et il arrive incroyablement à rendre le tout visible contrairement à beaucoup d’autres dessinateurs qui surchargent leurs planches. Les êtres ne sont pas incarnés, ils sont tous des stéréotypes, des enveloppes, et c’est tout ce que veut Darrow. Tout son univers est cohérent mais profondément personnel, tu ne peux donc pas attendre autre chose de sa part. Parler de créativité moyenne pour Darrow est impensable : tout respire l’inventivité et le délire, l’exagération et l’absurde. C’est donc bien une fin en soi : proposer quelque chose de différent et d’unique.

      • Bruno :)  

        Différent et unique n’est pas synonyme d’intéressant, ou même créatif : j’y vois vraiment seulement les heures de travail, et très peu d’autre chose. Mais j’imagine que si c’est exprès que ses personnages sont sans âmes, alors mon manque d’intérêt pour sa production se justifie bien au delà de mon regard critique sur son trait : derrière les atours artificiels que j’affectionne (esthétique et scénario), je ne suis en fait fasciné que par l’autre, dans l’histoire.
        Les goûts et les couleuvres. 😉

        • Jyrille  

          Intéressant peut-être pas (après tout, c’est un peu subjectif), mais créatif ça l’est à coup sûr. Je ne connais aucun autre univers de ce genre et quelle que soit la bd que j’ai lue de Darrow, elle porte immédiatement sa patte, son identité. C’est fatalement créatif puisqu’il propose une voix unique.

    • Présence  

      Merci pour ce regard différent et détaillé.

      Darrow incapable de synthétiser la substance de la réalité et d’effectivement la traduire dans ses cases sous forme de raccourcis signifiants et/ou de symboles propres à créer une ambiance : et en même temps, ce créateur produit une vision de la réalité, son interprétation, qui lui est personnelle, qui donc d’une certaine manière exprime sa personnalité, peut-être son obsession.

      A mes yeux, cette obsession du détail est l’expression d’une facette de la personnalité de Geof Darrow, et ça me parle, dans le sens où ça me raconte quelque chose. N’étant pas capable de dessiner quoi que ce soit, j’y vois au minimum quelqu’un de doué pour réaliser des cases denses qui restent lisibles, avec un résultat qui m’impressionne, et qui peut aussi m’évoquer une métaphore. Je pense par exemple à ce long transit au cours duquel Shaolin Cowboy fait montre de toutes ses techniques appliquées à la survie, tout comme l’artiste fait feu de tout bois pour raconter ce périple.

      Récemment, j’ai lu un recueil d’histoires courtes de Sergio Toppi, d’une certaine manière une succession de tableaux, parfois proches du récit illustré, et l’absence de mouvement ne me gêne pas. Certainement une question de sensibilité.

      • Bruno :)  

        Mais Sergio Toppi sacrifie au style ! Et à l’atmosphère et à l’expressivité. Geof Darrow donne de l’exercice à sa main : n’importe quel artiste avec du temps devant soi -et une cargaison de café, de bonnes lunettes et un bon éclairage !- est capable de fournir une copie aussi chargée que la sienne ; et, pour un professionnel, elle sera peut-être moins bancale à certains niveaux exprimés plus haut.
        Je pense sincèrement que vous êtes davantage impressionnés par la densité du travail fourni que sa qualité, BDéistiquement très moyenne. Dans l’article exposant la deuxième partie de ce récit -si j’ai bien suivi ?!- certaines cases de combats montrent clairement des scènes moins détaillées que celles illustrant celui-ci, et leur impact est immédiatement moindre, au niveau de la faconde graphique. La mollesse de la mise en scène n’en est que plus évidente -pas de gravité, aucun élan- ; et l’ornementation remplace la réalité, accentuant l’effet « figé » de l’action. Le fait même que l’entièreté du dessin repose sur cette infinité de petits traits suffit à annihiler toute possibilité d’allant : le mouvement nait du trait autant que de sa maitrise ; hors tout le monde est capable de tracer des hachures, la seule différence étant dans le contrôle de la main, qui permet un résultat propre sur le papier. C’est loin d’être un argument artistique, pour moi.

        Pour comparer avec quelque chose de comparable (!), un Frank Quitely, par exemple qui, avec le même tracé « tremblé » et minutieux -et définitivement moins envahissant- parvient néanmoins à organiser des planches percutantes alors qu’il se permet le même genre d’enluminures gratuites (éclaboussures de sang exagérément détaillées ou multitudes de débris volant…). Ce qu’il exprime est systématiquement dérangeant -les visages, les attitudes- et prime sur l’emploie de la violence, assez souvent très justifiée par l’histoire -de ce que j’ai pu lire de lui, en tous cas, dans son récit sur ces Super-Héros qui s’entre-zigouillent en famille…?! Voilà quelqu’un qui maitrise l’art de raconter en images, que l’on aime ou pas le résultat : ça bouge un poil mieux que Darrow alors que les styles similaires créent les mêmes handicaps.

        Geof Darrow fait de l’illustration dans des petites cases et, au delà de l’impact assez plat du résultat -à mon sens- ça n’est, en plus, pas franchement maitrisé ; seulement un peu caché sous l’avalanche si spectaculairement cristalline de « détails ».

        Ça me passe à côté -ou au dessus : ce n’est pas un ressenti de ma part, mais une froide constatation. Puisque je n’aime pas, alors que ça n’est pas plus affreux que ça, il y a forcément une raison. Mais il est tout naturel que, même à ce niveau d’appréhension purement intellectuel où nous échangeons présentement autour de ce médium que nous apprécions tous, nous n’aimions pas la même chose chez tel ou tel artiste. Au delà de la beauté graphique de ses œuvres, je fonctionne à Sergio Toppi aussi parce qu’il sait exprimer à peu de frais son propos, qualité essentielle à l’assimilation d’une histoire ; Idem pour John Byrne, qui n’est, lui, pourtant pas un esthète ! Alors que, à contrario, si Andreas n’avais pas eu ce génie époustouflant pour la mise en page et la démesure, ainsi qu’une conception très personnelle (!) de ce à quoi doit ressembler un personnage, il y a fort à parier que je l’aurais remisé aux oubliettes, avec d’autres pourtant portés aux nues par l’ensemble des lecteurs : grands artisans de l’art mais petits auteurs de BD.

        • Jyrille  

          « n’importe quel artiste avec du temps devant soi -et une cargaison de café, de bonnes lunettes et un bon éclairage !- est capable de fournir une copie aussi chargée que la sienne ; et, pour un professionnel, elle sera peut-être moins bancale à certains niveaux exprimés plus haut. »

          Je ne le pense pas du tout. La composition compte, et ce n’est jamais agressif ou surchargé. Regarde les dessins de Black Summer, tu verras la différence.

          brucetringale.com/summers-almost-gone/

          brucetringale.com/imparable-indispensable/

          « BDéistiquement très moyenne » Je pense que tu dois définir « bdéistiquement ». Est-ce que les Tuniques bleues, c’est moyen ? Les bds de Ibn Al Rabin aussi ? Celles de Reiser ? Celles de Ledroit ? Comment peux-tu évaluer une bd que tu n’as pas lue et qui, de surcroît, propose un truc totalement neuf ? Tu te trompes totalement lorsque tu penses que nous ne sommes que épatés par la somme de travail fournie : le plaisir de la lecture est réel. Et non, ce n’est pas de l’illustration : c’est de la narration éclatée, qui prend son temps. Tu parles de Quitely : je ne pense pas avoir jamais lu une bd de son propre fait, mais toujours avec un Millar ou surtout un Morrison, qui eux écrivent des histoires. Le Shaolin Cowboy dépeint un univers unique avec un scénario on ne peut plus basique, ce qui compte étant la représentation de cet univers improbable, second degré.

          Andreas est un petit auteur de BD ? Je ne comprends plus. Qui est un grand auteur de bd dans ce cas ? Reiser ou pas ? Au final, tu n’édictes pas de vérités, uniquement des ressentis et une appréciation personnelle d’une liste que tu élabores toi-même pour ta propre perception. De mon côté, j’aime beaucoup le trait de Byrne, mais je ne suis nullement attaché à ses oeuvres et ne le considère pas du tout comme un grand auteur.

          • Bruno :)  

            Aïl-aïl-aïl, j’ai dû mal libeller ma phrase, au sujet d’Andreas ! Soyons clairs : c’est un des plus Grands, dans le domaine de la BD -et je le tiens pour l’un des illustrateurs les plus créatifs et talentueux de beaucoup de générations confondues. Ouf ! Je m’en serai voulu de laisser planer le moindre doute sur la profondeur de mon attachement fasciné pour l’ensemble de sa production.
            Sinon, je n’arrive pas à me rappeler du nom du Comic de Quietely -conséquence typique d’une lecture « virtuelle »… Je l’ai pris comme exemple à cause de son style similaire. Je chercherai pour confirmer ou infirmer sa paternité de la chose, si c’est important.

            En effets, je n’ai pas lu ce Cowboy Shaolin -Martha m’était déjà tombée des mains, ainsi que Hard Boiled- mais, sachant ce que je n’avais pas apprécié à ces survols-là, et retrouvant la même veine exploitée ici -doublée de vos commentaires sur le manichéen de la démonstration, ou alors j’ai mal lu ?!- j’ai eu envie de mettre mon grain de sel -argumenté-, c’est tout.

            En ce qui concerne le « BDéistiquement » : néologisme bâtard qui, dans ce cas précis, pointe l’équilibre osmotique du médium visé (j’en rajoute, là !!) ; à savoir le résultat souhaité et objectif de la somme des talents investis dans la création présentée. Suivent quelques exemples choisis par toi, dont l’analyse n’engage que moi, mais qui me servent, présentement, à illustrer mon propos.

            Les Tuniques Bleues (les quelques albums que j’ai pu lire, en tous cas), étaient proches de la perfection, en ce sens que tout était au diapason des ambitions -souvent atteintes- des auteurs : distraire, faire rire et/ou instruire sur une période bien particulière de l’Histoire des futurs États-Unis. Les moyens mis en œuvre et les prétentions sont idéalement raccords : arguments valides simplement présentés soutenus par un dessin débarrassé de toute esbroufe et, ainsi, d’autant plus efficace = bonne -voire très bonne- Bande Dessinée.
            Je ne suis pas un spécialiste de Reiser (si tant est que je sois un spécialiste de quoi que ce soit : éternel dilettante volontaire !) mais, là aussi, de ce que j’ai pu en parcourir (chez mon beau-frère), il y a corrélation entre les coups de pinceaux foutraques et les sujets explorés, souvent destroy = bonne Bande Dessinée ou, en tous les cas et à première vue, honnête !
            Je ne sais rien des deux autres auteurs/artistes que tu cites, mais je pense que tu as compris où je veux en venir : tu me parles de « narration éclatée », mais je n’y vois qu’une succession de scènes qui -encore une fois, à mon sens- sont plombées ET par la répétition de l’action dépeinte ET par ce graphisme que je ne peux m’empêcher de trouver mou.
            Que tu t’éclates à parcourir ces cases autant que lui à les dessiner, je n’en doute pas une minute et je n’ai absolument rien à redire à ceci -ce serait gag, tiens !- mais je demeure sur ma position quant à la faiblesse intrinsèque -d’un point de vue « BDéistique » (arf !) de son art. Je considère l’argument, pointé dans l’article, faible pour le moins et la surenchère presque pointilliste de son exploitation graphique artificielle -et, du coup, un peu prétentieuse (mais ça, c’est très subjectif) ; ce qui fait que je n’adhère pas.
            Je ne cherche nullement à convaincre, hein, ni à asséner des « vérités » mais, encore une fois, il ne s’agit pas de ressentis : je fais un constat que je m’efforce d’expliciter. Alors à moins que je passe à côté d’une signification souterraine ou sublimée de son récit -ce qui est très possible vu que je ne l’ai pas lu : je veux bien me et lui laisser le bénéfice du doute-, je doute qu’il y est plus la dedans que ce qui est manifeste : du dépeçage enluminé mais néanmoins racoleur au pays de l’à peu-près prétexte.
            … Est-ce que je suis plus clair, à défaut d’être justifié ?!
            PAS LA TÊTE ! PAS LA TÊTE !!

            Au fait, je cafouille un peu pour trouver les articles correspondants aux liens que tu as posté, mais je vais chercher 🙂

          • Jyrille  

            Merci pour les précisions, mais je pense que tout tient dans ces deux mots : « résultat souhaité ». Souhaité par qui ? Le lecteur ou l’auteur ? Parce que plus le temps passe et plus je prends ce qu’on me donne sans attendre quoi que ce soit. Ce que propose Darrow va plus loin que ce que tu peux voir dans les scans de l’article ou dans les survols de ses livres. Je comprends donc ce que tu ressens sans adhérer du tout ni même trouver que tu es objectif. Mais c’est bon d’en discuter 🙂

            Pour les liens il te suffit de les copier puis coller dans la barre URL de ton navigateur 😉

        • Présence  

          Pour le plaisir de la discussion, et parce que ces points de vue très différents m’enrichissent, m’incitent à adopter d’autres façons d’envisager ce que je lis.

          Davantage impressionnés par la densité du travail fourni que sa qualité : c’est vrai que je suis impressionné par la densité du travail fourni. Je me souviens du choc que fut Hardboiled (1991), en revanche The Big Guy and Rusty the Boy Robot (1995) ne m’avait pas parlé. Pour le premier ma sœur m’avait fait observer quelques maladresses, par exemple la répartition trop uniforme des déchets sur les trottoirs. A mes yeux, l’artiste s’est amélioré dans sa représentation, ce que j’attribue à une observation continue de ce qui l’entoure pour se montrer plus plausible dans ses descriptions. De la même manière, toujours à mes yeux, il effectue des choix thématiques dans la foultitude d’éléments dont il bourre ses cases : c’est ce qui me fait dire qu’il y a bien une interprétation personnelle lisible dans ses dessins.

          Pour la narration visuelle (cadrages, succession des cases, découpage de la planche), j’ai fait l’expérience (à nouveau, c’est très personnel) que la qualité du dessin (et j’ai conscience que ce terme est flou et qu’il recouvre de nombreuses caractéristiques) ne me permet pas de juger de mon plaisir de lecture. Par exemple, avec un peu de pratique (bon, beaucoup), il est n’est pas impossible que j’arrive à dessiner aussi bien que Scott Adams, et pourtant j’ai deux mains gauches. Pour autant, je trouve les strips de Dilbert irrésistibles, alors que visuellement, c’est à plus de la moitié des gens en train de parler statiquement dans une succession de quatre cases. Je pourrais également citer l’exemple de Larry Marder avec sa série Beanworld : des personnages en forme de bonhomme allumette / bonhomme fil de fer / bonhomme bâton, ce qui lui suffit pour raconter des histoires avec une forme de naïveté, une forme d’onirisme et des commentaires sociaux.

          En y réfléchissant ainsi, cela me fait penser à la pyramide des styles (deux concepts très discutables, la pyramide et la notion de style) réalisée par Scott McCloud dans L’art invisible. En passant outre la nature de cette pyramide, elle a l’avantage de donner à voir que raconter une histoire peut se faire avec de nombreuses approches graphiques différentes., chacune présentant des qualités et des défauts, ou plutôt des avantages et des inconvénients, chacun exprimant une façon de considérer le monde ou la réalité différemment. Je me rends compte que les aventures du Shaolin Cowboy n’auraient pas le même intérêt si elles étaient dessinées par un autre autre artiste.

          • Bruno :)  

            … Ça craint : je connais quasi aucun des artistes que tu mentionnes ! Quand aux références (la pyramide des styles…), je suis carrément largué. C’est plus du dilettantisme, c’est de la démission de ma part : ma curiosité est en sommeil grave…
            Ceci-dit : oui ! Je vois (je crois) ce que tu veux dire et je te rejoins sur le principe : si l’art peut se qualifier qualitativement d’un point de vue professionnel et informé, la perception que l’on en a au travers d’une Bande-Dessinée est profondément affectée par la manière dont il « porte » l’histoire -qu’elle soit intéressante ou non. Le « défaut » pointé par ta soeur au sujet d’une maladresse de Darrow me serait non seulement passé par dessus la tête mais, même clairement constaté, n’aurait pas eu la moindre importance dans mon appréhension du travail parcouru : il y a un filtre particulier qui s’ajoute automatiquement à la lecture d’une suite de cases qui, selon les individus, privilégie tel ou tel autre aspect du médium. Un esthète amateur de dessin va s’attacher à ce genre de détail si précis, alors qu’un fan impatient de connaitre la suite n’en aura que faire, le dessin ne servant qu’à soutenir le propos ou l’action -pourvu qu’il soit au moins honnête (efficace).
            En tant que vieil amateur de BD, Comics, Manga, Etc…, j’ai besoin d’une synergie immédiatement évidente entre le trait/graphisme et le découpage/mise en scène : la manifeste maitrise de la chose est imparable, quant au choix d’une publication à acheter, et ce sans même sans rien connaitre de ce qu’on tient entre les mains.
            Du Elektra Assassin de Miller & Sienkiewicz aux 1001 Nights de Hoshino, de Version de Sakaguchi à La Caverne Du Souvenir de Andreas, ça a été à chaque fois une évidence sans rien savoir de ce que j’allais lire -sinon les genres objectivement présentés.
            Élevé autant aux basiques/classiques (Mickey, Tintin, Les Schtroumpfs,Etc…) qu’aux Comic-Books (Strange,…), je pense que le contraste entre la maestria technique des premiers et la rapidité (obligée) d’exécution, forcément graphiquement imparfaite, des seconds m’a habitué à considérer le principal : le plaisir que j’en retirais, au delà de toutes considérations plus sérieuses.
            Je ne peux pas faire autrement qu’être estomaqué par le fait que Ralf König oublie un doigt à la main de l’inspecteur Mecaroni (celle qui est intacte, pas celle mordue par la capote-qui-tue !) dans la scène finale du premier opus de ses aventures ; et pourtant je reste convaincu de tenir entre mes mains une œuvre majeure de cet art si singulier. À contrario, Schuiten peut me dessiner toutes les « Citées Creuses » qu’il voudra, avec toute cette technicité dont il est capable, je n’arriverai jamais à trouver le moindre intérêt à l’exercice : le déploiement de talent est complètement perdu en regard de la pauvreté de la mise en scène et de l’insignifiance des scénarios de Peeters -ceux que j’ai lus, en tous cas : là aussi, ça se limite à un album. Mais, dans le domaine de la BD, j’ai bien peur que ce soit suffisant pour se faire une idée assez précise de ce qu’on peut espérer du/des auteur(s). Aussi malhabiles qu’ils étaient au départ, F’murr ou Brétécher sont immédiatement « agrippants » de promesses…

            Si je me suis permis cet avis à priori négatif sur ce Comic de Geof Darrow, nourri autant des images postées que de ma connaissance -succincte, puisque je n’apprécie pas- de son travail, ainsi que de vos remarques qui soulignaient la simplicité (l’absence ?!) du scénario, c’est en vertu de cette approche : impossible à nier, l’impressionnante charge de travail graphique associée à cette débauche de violence gratuite -puisque, si j’ai bien lu, il ne s’agit que d’un prétexte non explicité ?!- se contrarient de manière flagrante à mes yeux et pointent, à mon sens, une certaine vacuité/facilité, forcément rédhibitoire pour moi -surtout étant donnée la « crudité » (!) du traitement : je ne suis pas du tout amateur de gore.
            Si j’ajoute le fait que, depuis ses débuts, il commet des erreurs basiques au niveau du dessin que son fourmillement de traits camoufle plus ou moins -et bien que je n’ai rien contre le procédé ni contre les limitations personnelles de l’artiste : j’ai clairement expliqué que ce n’est pas là l’important, en BD-, j’ai néanmoins le sentiment d’être roulé dans la farine : comme s’il voulait me convaincre qu’il fait du grand art, alors que, manifestement, c’est surtout beaucoup de boulot.
            … Bon, je vais finir par me sentir obligé de le lire, ce machin ! Ça va me refiler des nausées : je crains la vue du sang !
            Oh dis donc : je me suis donné mal à la tête, à force de me prendre au sérieux ! Je m’en vais m’avaler un truc exprès-pour.

          • Présence  

            Merci beaucoup pour ce développement… et désolé pour la céphalée. 😀

            Il y a un filtre particulier qui s’ajoute automatiquement à la lecture d’une suite de cases qui, selon les individus, privilégie tel ou tel autre aspect du médium : mais oui, ça exprime parfaitement mes expériences de lecture, et mon incompréhension régulière d’être confronté à d’autres avis qui trouvent telles planches moches, ou mal foutues, alors que j’ai beaucoup aimé la lecture de l’histoire.

            […] ça a été à chaque fois une évidence sans rien savoir de ce que j’allais lire : il m’aura fallu longtemps pour me rendre compte que mon avis intuitif, c’est-à-dire juste en feuilletant un album, est régulièrement à côté de la plaque. Je sais que je suis friand de certains « beaux » dessins (par exemple François Schuiten, et j’aime aussi les thèmes développés par Benoît Peeters 🙂 ), et que je peux éprouver une sensation de recul devant certaines formes de dessins. Or régulièrement des dessins qui ne me plaisaient pas à l’œil en feuilletant forment une narration visuelle qui m’enchante à la lecture.

            Par exemple, il m’aura fallu de nombreuses lectures pour apprécier toute la saveur de Elektra Assassin de Miller & Sienkiewicz, mais je suis immédiatement tombé sous le charme esthétique de 1001 Nights de Hoshino. Dernière expérience en date : les bandes dessinées de Philippe Dupuy, avec des dessins pas de mon goût, et pourtant une expérience de lecture incomparable.

          • Présence  

            Le triangle en question (fortement critiqué et raillé par les théoriciens de la bande dessinée et de la représentation) :

            cdnb.artstation.com/p/media_assets/images/images/001/227/811/large/Scott_McCloud2.jpg?1700648783

  • Bruno :)  

    Mal de tronche réglé : ibuprofène, mon amour ! Ce doit être la pression atmosphérique qui change : je suis un baromètre ambulant -une boule de gelée, en fait : je ne fais que trembloter, en réaction à tout !!

    J’ai vécu aussi le truc des dessins à priori imbuvables dont la puissance, une fois révélée à mes neurones -trop neufs à l’époque de la découverte- s’est affirmée comme parfaitement calibrée au sujet exposé/exploité : Claire Brétécher par chez nous (j’adore !), Dick Matena et ses délires dans les pages du magazine Ère Comprimée (complètement différent) ou même, dans une moindre mesure, Carmine Infantino pour l’adaptation de Star-Wars en série chez Marvel : le grand écart entre son style et le sujet rend l’entreprise presque surréaliste et, avec le recul, irrésistible ! Tout ne peut pas participer de l’instinct : il faut aussi ces rencontres-là pour s’ouvrir -ou se fermer : ça arrive aussi.

    Sinon, je suis en train de survoler les articles en rapport avec le « triangle », là : ça a l’air super-technique ! Je risque pas trop de saisir grand chose, pour le coup ; mais j’aime bien celui qui met en opposition réalisme et stylisation qui, se frottant/mêlant l’un-l’autre, tendent vers l’abstraction : c’est une vision du truc à laquelle je n’ai même jamais pensé -celle-là de surprise OUARFF !- mais ça me semble logique (du point de vue de ma logique à moi, hein !).

    J’admets n’avoir pas grand chose de très défini à ma disposition, comme repères ou références comparatives, quand je débats sur un sujet alors que, par ici, vous semblez pour la plupart disposer d’une culture plutôt étayée (et dans de nombreux domaines…) pour illustrer vos avis ; c’est pourquoi j’ai recours à ces circonvolutions verbeuses pour essayer de traduire ce qui, pour moi, semblent des évidences.
    Tu as, à priori, une approche beaucoup plus analytique et lucide (granulaire) de la Bande Dessinée, quand je fonctionne surtout à l’impression première transmise par la composition de la planche, sans trop tenir compte des éléments présentés ni de l’adresse technique avec laquelle ils ont été tracés (pas immédiatement, en tous cas), avec ou sans l’ajout des filtres de mes goûts personnels. Il est inévitable que, de choix en circonstances, notre cerveau développe ainsi une perception-réflexe propre à chacun. Et, si je suis cette logique, il me faut bien admettre que mon appréciation première ne peut que s’en retrouver davantage influencée par la subjectivité que ne l’est la tienne, bien plus libre de parasitage personnel car disposant de balises précises (intellectuelles) pour se positionner critiquement -la contrepartie étant que, comme tu le dis toi-même, tes goûts te portent automatiquement vers des formes d’art classiquement calibrés au détriment de trucs plus expérimentaux. Mes à-priori (même inconscients) m’ont probablement fait rater des trucs, c’est inévitable : je reconnais qu’une approche « posée » est forcément plus judicieuse ; mais je n’en suis pas vraiment capable.
    … Allons, bon : je repars dans le Grand Huit des phrases alambiquées. Je ressasse : c’est le grand âge…

    Vivement d’autres échanges sur un truc que j’aurais effectivement lu (!).

    • Présence  

      La critique la plus élaborée que j’ai trouvé sur le triangle de McCloud en lien ci-dessous : je n’ai pas tout compris même à la cinquième lecture. L.L. de Mars est un théoricien et un praticien de la bande dessinée, avec une culture picturale encyclopédique (il n’y a qu’à consulter sa chaîne twitch pour en prendre plein les mirettes, ateliers accessibles également sur youtube).

      Le commentaire sans pitié sur l’approche pragmatique, dépourvue de structure théorique, et incohérente d’un point de vu logique :

      du9.org/dossier/le-pictural-sans-peinture/

      La chaîne de L.L. de Mars avec les 5 sessions fleuve sur Major Fatal de Moebius :

      youtube.com/watch?v=i03ducTThvw

      • Bruno :)  

        … Tu veux donc que j’achève mes réserves d’antalgiques ?!
        Houlà : ça vole trop haut pour moi, tout ça ; et puis je pense aussi qu’il y a une part de magie essentielle à la séduction, dans toute création. À tout décortiquer, on arrive vite fait au bout du truc alors que, évidemment, c’est le voyage, l’intérêt !!
        Restons flous et fous dans nos enthousiasmes.

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