Anges et démons (Hawkmoon tome 3)

Hawkmoon tome 3 – Le dieu fou, par Le Gris, Dellac, Bulgheroni et Lofé

Un sermon de CYRILLE M

VF Glénat

©Glénat

HAWKMOON – Le dieu fou est une bande dessinée de Jérôme Le Gris à l’adaptation et au scénario, de Benoît Dellac aux storyborad et crayonnés, Luca Bulgheroni à l’encrage et de Greg Lofé et Arancia Studio aux couleurs. Il s’agit du troisième tome du premier cycle prévu en quatre albums. Sa parution date de mai 2024. De grand format, elle compte cinquante-quatre planches en couleur.

Il vaut mieux avoir lu les deux épisodes précédents avant de lire la suite.

Previously on Hawkmoon, notre duc de Köln préféré partait pour la lointaine Perse, chercher le mage Malagigi, seule personne capable de lui ôter le joyau noir incrusté dans son front et d’arrêter ses pouvoirs dévastateurs. Au début de ce troisième opus, il vole ainsi vers l’Est sur un flamant rose de belle taille affrété par le Comte Airain. Dorian Hawkmoon nous fait part de ses réflexions solitaires avant de tomber, sa monture étant abattue du sol. Comme il l’assène, les choses se déroulent rarement comme prévu.

Nous rencontrons ici plusieurs personnages qui sont sans doute là pour rester : Oladahn, un demi-nain vivant en dehors de toute société, et le Guerrier d’Or et de Jais, déjà vu en songe par Dorian. Oladahn a toutes les caractéristiques du Compagnon. Lui étant redevable, il se met directement au service d’Hawkmoon.

J’ai donc envie de dire que les choses sérieuses commencent réellement ici. Jusqu’à présent, le sort du Champion Eternel n’était pas très enviable mais il subissait plus qu’il ne maîtrisait quoi que ce soit. Désormais seul avec un but de vengeance envers Méliadus (qui porte désormais un demi-masque de fer, le rendant encore plus inquiétant et rappelant un peu Doom), un autre visant à se débarrasser du joyau noir et un troisième sentimental, le personnage prend en épaisseur et ne semble plus être une boule de rage sans personnalité. Il gagne en sagesse, ce qui ne doit pas être étranger à sa rencontre avec le poète-philosophe et mage Noblegent, devient un peu plus conscient des enjeux géopolitiques en cours et commence à comprendre l’ampleur des choses qu’il ignore : les voyages en terre étrangère provoquent souvent ce genre de réveil.

Mais surtout, l’aventure et les mystères débarquent en masse. Qui est donc ce Guerrier d’Or et de Jais ? Pourquoi parle-t-il d’un maître que Dorian serait censé servir ? Quelle est donc la cité inhabitée de Soryandum venant d’un autre plan ? A quoi sert l’Héliogône ? Qu’arrive-t-il à Yisselda ? Qui est le Dieu fou et quel est son but ?

Des cases détaillées et efficaces
©Glénat

La lecture file donc comme le vent (pile poil) surtout que celui-ci possède moins de planches que le précédent, et m’a laissé en pleine frustration car le suspense est à son comble en fin de volume. Sans compter un déroulement inédit dans les séquences d’action, introduisant un Granbreton de l’Ordre du Sanglier étonnamment respectueux : Huillam d’Averc.

Son attitude étonne car on le ressent toujours dans de grandes cases descriptives : les Granbretons sèment le chaos et la désolation. Les ruines, les cadavres innombrables, les crucifiés et les mutilés, les décors ravagés sont légion et l’ambiance pesante est toujours présente. De nombreuses scènes se passent de nuit ou au petit matin, la lumière n’est donc jamais très forte. Le dessin reste précis et fonctionnel mais n’omet aucun détail, que ce soit dans les habillements, très variés, que dans l’architecture ou les personnages eux-mêmes : ils ont un fort degré de réalisme, leur pilosité n’est pas occultée et tous sont reconnaissables immédiatement, ils ne partagent pas des visages communs ou basiques.

Ça défonce (scan réalisé par votre serviteur, merci de votre indulgence)
©Glénat

Malgré cette patine classique, le découpage très dynamique emprunte aux narrations des comics voire des mangas. Avec un nombre moyen de huit cases par planches, souvent larges, l’information va à l’essentiel. Les cases muettes abondent, même en dehors des nombreux combats, prédominants dans cette nouvelle étape de notre Champion : les auteurs s’attardent sur des regards expressifs, des révélations inattendues, des moments choc, le tout parfois encadré de larges onomatopées furieuses.

On y voit encore des doubles planches qui imposent des décors intrigants sous des ciels menaçants. Les couleurs deviennent ainsi primordiales et balaient des tonalités bleues, ocres et grises qui finissent de nous plonger dans une Terre dévastée mais palpable et crédible : aucune ne flamboie, pas même la chevelure blonde d’Hawkmoon.

De ce point de vue la description d’un univers inamical et dangereux est ainsi parfaitement reproduite : les personnages sont sales, le moindre déplacement équivaut à une épreuve et les rencontres n’augurent rien de bon la plupart du temps. Nous sommes dans du grand spectacle moderne, qui s’adresse avant tout aux adultes ou jeunes adolescents, effectué avec un sérieux remarquable. Après avoir relu les trois livres à la suite, j’ai retrouvé l’agréable sensation de tomber sur une série généreuse et suffisamment efficace pour ne pas en arrêter la lecture. Le bonheur de l’aventure et de la démesure sans passage ridicule, amplifié ou incongru. J’adorerais savoir si Moorcock les a lus et, si c’est le cas, comment il les a perçus, car cette adaptation me donne presque envie de reprendre les romans d’origine.

La BO du jour nous apprend que dans le pays d’origine de Dorian, on ira tous au paradis

20 comments

  • Ollieno  

    J’ai énormément de mal avec les version ‘Actuelles’ (Européennes) des adaptations de Moorcock …
    (j’ai lu le Elric par Blondel, Cano, Telo, Recht) et survolé quelques autres adaptations.. mais NON..

    Je trouve ces adaptations lourdes, et au dessin souvent ennuyeux (et les exemples du ce Hawkmoon confirment mon ressenti) lourd, japanim et en fin de compte assez vide (pas en décors mais en présence) ..

    en comparant la séquence dans le chateau contre les femmes avec la version First Comics (Conway, Kayanana, Rico) on voit içi 1 2 cadavre, un combat 1 h vs 1f.. la version US (de 1987) montre une vingtaine de femmes , contre 2 hommes (Koln et son acolyte) … ou Alors c ‘est le combat contre Isselda ?? (dans la version US , combat mano à mano et elle est dans une tenue qui n’a rien a envier aux donjons du divin marquis)…

    Je ne ressent pas du tout le coté combat épique qui ressort des anciennes versions US.

    • Jyrille  

      Merci Ollieno pour le retour ! Je ne vois pas de quelles autres adaptations tu parles. Personnellement, je n’ai pas réussi à m’intéresser aux versions US, par contre celle de Elric sur Recht et consorts est une pure réussite.

      Alors oui, tu peux trouver une sorte d’absence de « présence » car un peu trop balisé. Mais c’est bien fait.

      J’ai tout de même les trois Corum par Mignola et Baron à lire mais vraiment, je ne pense pas craquer pour les Elric et Hawkmoon US (j’ai juste quelques épisodes avec Conan). Pour le côté épique, je t’invite à ouvrir les tomes en librairie car mes scans ne rendent hommage en rien (et oui, le dernier porte sur le combat avec Yisselda).

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Cyrille.

    J’ai suivi ton conseil et balayé très très partiellement ton article pour ne pas me spoiler.

    Cela fait deux fois que je rate Benoit DELLAC, tenu en haute estime par Corbeyran.

    Cette série est clairement dans ma wish list. Ton enthousiasme mais aussi l’approche graphique a tout pour me plaire et fera partie des mes prochains achats dans les prochains mois (le temps que je me remette d’Angoulême ….)

    • Jyrille  

      Merci beaucoup Fletcher pour le retour ! Je ne sais pas si tu as testé la version Elric de Recht ? Une dédicace, ça fait toujours plaisir quoiqu’il en soit. Et cette série est du très bon divertissement.

      • Fletcher Arrowsmith  

        Deux fois que je me dis qu’il faut que je l’itw pour le blog. A priori il est sur la région de Bordeaux il me semble. Il faut que je vois cela.

        Pas testé ELRIC. En fait je ne connais pas du tout l’œuvre de Moorcock.

        • Jyrille  

          Parfait ça, je te conseille les deux séries !

  • Glen Runciter  

    Cela me donne plus envie de relire les quatre tomes de la première partie que de me lancer dans la BD.
    Mais si cela amène de nouveaux lecteurs vers Michael Moorcock, c’est parfait.
    Mais le plus important, c’est que Moorcock, à travers New Worlds, a révolutionné la SF de l’époque. Même si le succès de Star Wars a finalement remis en partie la SF dans ses anciennes ornières.

    • Jyrille  

      Merci Glen Runciter pour le retour ! Je ne suis pas certain que de nouveaux lecteurs se soient massivement mis à Moorcock mais c’est tout à fait possible sur un petit nombre. Pour ma part il faudrait que je me rachète les romans, je ne les ai plus (ou plus sûrement on me les avait prêtés).

      Quand tu parles de New Worlds, tu parles du magazine ?

  • JB  

    Merci pour cette review !
    A tenter mais comme l’ami Ollieno/Nolino, j’ai encore en mémoire la saga chez First Comics, et je n’accroche pas avec le style européen des BD fantasy.
    Et je dois avouer que sur le fond, j’ai du mal avec les récit de Moorcock.

    • Jyrille  

      Merci JB ! Pour les récits de Moorcock je ne peux rien (un conseil cependant : le Navire des glaces), mais c’est clairement ce qui nous a été donné au départ qui nous façonne : moi je n’accroche vraiment pas au traitement US de la Fantasy. Je crois que c’est Mattie qui disait que les américains faisaient de l’HF comme si c’était du super-héros, qu’il n’avaient qu’une vision parcellaire et peu poétique ou magique de ce genre d’univers.

      fr.wikipedia.org/wiki/Le_Navire_des_glaces

      • JB  

        C’est pas faux, je crois que je n’ai pas assez lu de franco belge dans ma jeunesse (en dehors des classiques) et probablement trop d’US, ce qui a biaisé mon appréciation.

        • Jyrille  

          Ce qui te permet ainsi, si tu le désires, de découvrir LA QUETE DE L’OISEAU DU TEMPS, du moins les quatre premiers tomes par Loisel. Je pense que s’il faut lire une oeuvre de médiéval fantastique en franco-belge, c’est celle-ci.

          brucetringale.com/o-temps-suspends-ton-vol/

  • Tornado  

    Chaque nouveau tome de cette série est donc devenu le RDV de mr Cyrille ! 🙂
    J’ai acheté la série ELRIC mais je ne l’ai pas encore lue. Celle-ci me faisait moins envie et puis aujourd’hui je n’achète plus grand chose de nouveau alors… Mais l’enthousiasme de l’article est communicatif et je zieuterai ça en médiathèque si ça se présente.
    On en a sûrement déjà discuté mais perso je n’ai lu que la saga d’Elric (en romans) par Moorcock, quand j’avais 18/20 ans. J’avais bien aimé. Je me suis pris la réédition en trois tomes de chez Pocket il y a deux ou trois ans. Je pense me relire ça un de ces quatre. Je m’en souviens comme de la Dark Fantasy quasi horrifique. Un poil psychédélique, plus proche d’Howard que de Tolkien. J’ai très bien perçu son héritage et le trip du « Champion éternel » quand j’ai lu LUTHER ARKWRIGHT. C’est dire comme c’est marquant et unique.

    La BO : … … …

    • Jyrille  

      Merci Tornado !!

      « Chaque nouveau tome de cette série est donc devenu le RDV de mr Cyrille ! » Oui ! En fait J’avais fait le premier par plaisir, le second sur commande du rédac chef donc je me suis dit qu’il fallait que je continue. Ca se sent que c’est presque un truc de commande, je prends moins de gants que d’habitude, j’ai écrit un article court d’habitués, pour ceux qui suivent, je me le reproche un peu. Et puis ça se voit, j’ai oublié une grosse répétition en fin d’article…

      Je suis très curieux et impatient d’avoir tes retours sur les ELRIC. Et je pense que JP aussi. Comme toi, j’achète moins de choses nouvelles, même j’achète moins tout court (surtout depuis que j’ai racheté plein de LDVELH…). Cela dit, j’ai en très peu de temps complété ma collection de Gaston 2018, avec plein d’inédits et de nouvelles couleurs. Et je me suis rendu compte aujourd’hui en cherchant et tombant sur l’article de JP que les QUÊTE DE L’OISEAU DU TEMPS avaient été recolorisés en 2011. J’avais complètement oublié, et désormais, j’y pense (je t’ai dit que j’avais racheté les trois premiers tomes de Thorgal avec les nouvelles couleurs ?).

      Je me souviens de cette réédition en trois tomes, tu en avais parlé en effet (perso je ne l’ai jamais vue en vrai). Avec la récente discussion autour de Talbot, il faut vraiment que je me fasse Luther Arkwright cette année ! Et en Moorcock, j’ai plein de romans de Jerry Cornélius rassemblés en un seul tome que je dois lire…

  • Présence  

    Les choses sérieuses commencent réellement ici : une remarque qui joue un peu contre son camp, en obérant d’autant l’intérêt des tomes précédents. 😀

    Le personnage devient un peu plus conscient des enjeux géopolitiques en cours et commence à comprendre l’ampleur des choses qu’il ignore : les voyages en terre étrangère provoquent souvent ce genre de réveil. – Belle remarque et dynamique intéressante pour le récit quand le héros doit s’adapter à aux réalités qu’il découvre et s’y adapter.

    Avec un nombre moyen de huit cases par planches : c’est très correct comme nombre de cases par page dans le franco-belge. Il faut s’appeler EP Jacobs pour monter à douze ou treize.

    Les couleurs deviennent ainsi primordiales : les planches que tu as choisies pour l’iconographie montre effectivement que le metteur en couleurs complète et nourrit les contours, apporte des informations visuelles supplémentaires.

    En VO, j’avais beaucoup aimé l’adaptation réalisé par James Cawthorn des quatre premiers livres : le joyau noir (1967), Le dieu fou (1968), L’épée de l’aurore (1968), Le secret des runes (1969).

    babelio.com/livres/Cawthorn-Hawkmoon-tome-2–The-Sword-And-The-Runestaff-com/1403409/critiques/2966492

    babelio.com/livres/Moorcock-Hawkmoon-tome-1–History-of-the-Runestaff-comics/1267429/critiques/2389649

    • Jyrille  

      Merci Présence pour le retour détaillé !

      « une remarque qui joue un peu contre son camp » C’est pas faux, mais concerne surtout le personnage principal finalement 😀

      « le metteur en couleurs complète et nourrit les contours, apporte des informations visuelles supplémentaires » Merci pour cette précision que je suis incapable de formuler !

      Toi aussi tu as aimé la version US, ça commence à faire beaucoup. Si je tombe dessus, je jetterai un oeil !

      • Jyrille  

        En lisant tes articles, Présence (que j’avais déjà lus, je pense), je me rends compte que ton Hawkmoon US n’est pas le même que celui de Ollieno / Nolino et JB. Etonnant non ?

        JB, Nolino, avez-vous lu les bds chroniquées par Présence ?

        leagueofcomicgeeks.com/comics/series/126103/hawkmoon-the-sword-of-the-dawn

        • JB  

          Celles de First Comics, oui, mais je ne suis pas certain que les TPB Titan qu’évoque Présence utilisent ce matériel.

  • JP Nguyen  

    Pour la BD de Glénat : à nouveau, comme je n’ai pas lu les romans de ce personnage, j’ai moins d’appétence pour sa BD. L’un des attraits du ELRIC de Glénat, c’est que j’avais pu apprécier quelques choix d’adaptations.
    Avec quelques années de recul, un de mes bémols sur ELRIC, c’est le défilé des dessinateurs malgré un gros effort pour maintenir l’unité graphique. Les différences sont moins perceptibles que sur d’autres BD mais elles existent et surtout cela renforce un côté « produit industriel » dont les agents de production seraient interchangeables.

    Pour les reprints de Titan, une recherche rapide tendrait à confirmer qu’elles contiennent bien les rééditions des adaptations de James Cawthorn.

    • Jyrille  

      Merci JP pour ton retour ! Je comprends totalement. Dans mon cas, il faut dire que le jeu de rôle Hawkmoon chez Oriflam a également fait partie de mon adolescence au point de m’intéresser assez à cette occurrence.

      Je suis totalement d’accord avec toi sur les dessinateurs de ELRIC, cela se sent surtout à partir du quatrième tome si mes souvenirs sont bons.

      Pour les éditeurs Titan et First Comics et leurs contenus quant à une adaptation de Hawkmoon, je dois vous avouer que je suis complètement perdu. En relisant les articles de Présence, j’ai cru comprendre qu’ils n’avaient jamais été traduits. Cela voudrait dire que Nolino et JB les ont lus en VO dans leurs jeunes années, ce qui reste évidemment tout à fait plausible.

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