Hellblazer par Garth Ennis
Un article de : TORNADO
VO : Vertigo
VF: Urban
1ère publication le 11/02/16 – MAJ le 12/02/22
Cet article porte sur le second tome de la collection Garth Ennis présente Hellblazer chez Urban Comics, qui regroupe les épisodes John Constantine Hellblazer #57 à 71, ainsi que les épisodes « Tainted Love » et Hellblazer Special #1 : Confessionnal.
L’ensemble a été initialement publié entre 1991 et 1993. Les dessins sont effectués par Will Simpson (épisodes #59 à 61) et Steve Dillon (tous les autres épisodes).
Il s’agit d’une livre de très gros volume (450 pages), proche des collections « omnibus » que l’on trouve en VO.
Cet article fait suite à celui-ci , puisque nous nous intéressons au run du scénariste Garth Ennis.
John Constantine vit désormais avec Kit Ryan, son grand amour. Mais son passé de sorcier finit par le rattraper, surtout lorsque le Diable en personne décide de se venger ! John réussira-t-il à sauver sa vie, son âme, et sa vie privée ?
Avec le retour du Premier des Déchus, puis du Roi des Vampires, avec la participation d’un ange et de quelques démons, le bestiaire horrifique de la série selon Garth Ennis est toujours aussi basique et l’illustration des habitants de l’enfer est tout de même bien ancrée dans le Grand-Guignol ! L’arc narratif intitulé « Blanches Colombes et Vilains Messieurs » est ainsi un peu embarrassant dans la mesure où Ennis déballe l’artillerie lourde en termes de démons à l’ancienne. On voit bien qu’il tente de leur donner un caractère un peu rock’n roll, mais la sauce ne prend pas vraiment et le résultat est un peu ridicule.
Toutefois, il est possible que les fans de Preacher reconnaissent là les prémices de la saga de Jesse Custer ! En effet, l’histoire d’amour tragique entre un ange et une démone semble apparaitre rétrospectivement comme un brouillon pour la série Preacher, de même que cette illustration grivoise de l’enfer et de ses tenanciers ! Ajoutez à cela la participation du dessinateur Steve Dillon aux trois-quarts des épisodes, et vous obtenez une sorte d’échauffement pour le grand saut dans la série du « prêtre à la voix qui tue » !
Par extension, Ennis semble vraiment se faire la main sur John Constantine et expérimente le mélange qui deviendra sa marque de fabrique, où le fantastique se mêle au réalisme social, où quelques thèmes récurrents dont une passion pour l’Histoire et les conflits armés finissent par former une œuvre à l’identité marquée, pimentée d’une verve iconoclaste et irrévérencieuse.
Entre quelques épisodes isolés où Constantine rend visite à sa sœur, où il aide son ami Chas à enterrer son oncle dont le corps a été volé par des trafiquants réalisant d’abominables expériences, et un autre où il fête ses quarante ans avec certains personnages de l’univers DC Comics (comme Swamp Thing, Zatanna et Phantom Stranger !), Constantine va encore avoir à faire à un groupuscule de fascistes anglais souhaitant profiter des services de l’archange Gabriel (arc narratif intitulé « La peur et le dégoût ») !
Dans ce nouvel arc, Ennis est tout de suite plus à l’aise avec ses protagonistes dans la mesure où le contexte est également beaucoup plus domestique, ce qui lui permet de faire évoluer le personnage de l’ange dans un cadre réaliste. Il utilise d’ailleurs cette dernière figure fantastique pour illustrer une métaphore particulièrement pertinente du pouvoir des classes dirigeantes sur les classes populaires, avec une acuité particulièrement efficace.
Mais le gros morceau de cette seconde intégrale (sur trois) demeure la descente aux enfers (au sens figuré) que va subir notre héros après le dénouement tragique de son aventure avec Kit Ryan. On y voit un Constantine devenu une loque humaine, errant dans les rues de Londres à la recherche de la moindre goûte d’alcool, même frelaté, vomissant et côtoyant les SDF des quartiers lugubres. Sur ce terrain viscéral, glauque et réaliste, Ennis se montre encore plus convaincant et marque d’une pierre blanche le parcours de son personnage avec des épisodes prégnants, à la fois simples et percutants, débarrassés des « oripeaux de l’enfer » pour pénétrer de plein pied dans les horreurs de la vie, au sens premier du terme.
On retrouve ainsi le terrain sur lequel le scénariste est le plus à l’aise, où les dialogues crus et les joutes verbales assassines se jouent dans un bain de sang et de vomi cathartique, derrière lequel s’articule toute la folie et, paradoxalement aussi, toute la beauté cachée de l’âme humaine.
Dans le même temps, Ennis nous offre même un petit détour par l’Irlande, lorsque Kit s’en va retrouver ses proches, le temps d’une virée au pub. Un épisode entier (intitulé « Heartland ») sans Constantine, où le lecteur oublie pour un temps le fantastique et les récits d’horreur, mais où il profite d’un exercice d’écriture magistral, dans lequel Ennis excelle à faire exister ses personnages dans un cadre social et réaliste.
Le recueil se termine par un épisode spécial de quarante-cinq pages intitulé « Confessionnal ». Dans ce dernier récit, Constantine, fraichement revenu de sa condition de poivrot SDF, reconnait l’homme qui essaya d’abuser sexuellement de lui lorsqu’il était plus jeune. Là encore, grâce à une écriture ne renonçant à aucun effet ostentatoire contrebalancée par un réel talent de conteur, Ennis impose son univers avec une tranche de vie aussi malsaine que passionnante. On perçoit ainsi que ce personnage teinté de rétro-continuité est indirectement envoyé par le diable (le Premier des déchus, donc) comme un avertissement adressé à Constantine. Une manière bien plus habile d’intégrer les démons, sans les montrer sous les oripeaux ridicules de « Blanches Colombes et Vilains Messieurs« …
Pendant ce temps, Steve Dillon peaufine son style et commence tranquillement à tomber dans la paresse qui le caractérise. Dans la préface de l’album, Warren Ellis a beau faire l’éloge du bonhomme, ça ne passe pas pour autant en ce qui me concerne. Hormis quelques planches réussies, Dillon reste Dillon, ses décors limités à trois lignes et ses tics graphiques sont là, et son incapacité à traduire le mouvement débouche toujours sur le même résultat : Des planches entières de personnages en gros plan ou en plan américain, des vignettes à moitié mangées par une ombre au premier plan, où toutes les solutions sont bonnes à prendre lorsqu’il s’agit de masquer ses carences de dessinateur. Bref, je préfère de très, très loin le travail de Will Simpson, même s’il hérite ici de l’arc narratif le moins réussi…
Au bout du compte, cette série d’épisode donne avec le recul le sentiment d’avoir assisté à la recherche créatrice d’un auteur en pleine ascension, qui expérimente sa narration et ses thèmes de prédilection avec une déconstruction qui côtoie celle qu’il inflige à son personnage, pour révéler au final une reconstruction pleinement aboutie dans les deux cas.
Cette seconde intégrale est donc en dessous de la précédente qualitativement parlant, notamment à cause d’un premier arc narratif fluctuant. Mais l’ensemble est tout de même hautement recommandé, Ennis écrivant certaines des pages parmi les plus mémorables de la saga, apportant sa pierre à l’édifice de la mythologie liée au personnage. Le tout nimbé, et c’est ce qui fait toujours la richesse de cette série, d’une toile de fond mêlant les histoires d’horreur à la satire sociale…
Tout comme Tornado il a dit ! – Avec ces épisodes, Garth Ennis fait sienne la série, sans trahir le concept. Le face-à-face entre Constantine et l’Archange Gabriel est hallucinant de cruauté de la part de Constantine. Ce dernier répond à la question de l’archange : pourquoi quand des gens comme Constantine voient quelque chose de pur, bon et beau, ils veulent absolument le salir ? La réponse est punk dans tout ce qu’elle a de nihiliste.
Effectivement l’attirail démoniaque est dans le premier degré, grotesque et trop littéral. Effectivement la passion pour les conflits armés commence à poindre le bout de son nez, etc. Tout comme Tornado.
Je serais juste un peu plus tolérant vis-à-vis de Steve DIllon qui s’accommode pas mal du tic d’écriture d’Ennis qui consiste à développer de longues séquences de dialogue dont la nature n’est pas très adaptée à un medium visuel comme la BD.
L’approche du surnaturel par Ennis reste souvent superficielle,et pour une série comme celle-ci,ça la fout mal.
Cela donne l’impression que le bonhomme n’a pas fait un travail de recherche intense,et on se retrouve donc avec un vernis mystique qui craque lorsque l’on y regarde de plus près,avec notamment des représentations à la limite du ridicule,et où l’occulte,censé être le moteur de ces histoires,devient un prétexte pour des « Enniseries »,avec ses thèmes récurrents:la relation homme/femme,la guerre,les potes de bistrot,l’humain à la loupe,quoi
MAIS,ça reste bon à lire,même si on était parti pour une virée ésotérique et que l’on se retrouve dans un « buddy movie » ++.
Steve Dillon donne l’impression de ne savoir dessiner qu’un seul type de visage,décliné dans des coloris,des coupes de cheveux parfois improbables et des sexes différents.
Ses personnages ont l’air figé dans le temps comme si on avait mis pause.
Dans le même style,je préfère Gary Frank.
Bref,j’ai bien aimé malgré tout,mais je lui préfère Jamie Delano,qui m’avait entrainé dans une spirale métaphysique,notamment avec le fameux Original Sins.
Well done,Bruce.
Je pense comme Tornado aussi ! Je découvre Hellblazer avec Ennis donc je ne suis pas perdu lorsque le côté mystique / magie semble si réel et sans artifices. J’ai adoré ces histoires et je n’aime pas le trait de Dillon. C’est de la vraie bd adulte et sans concession, avec pas mal de questionnements sur la vie en général. J’avais remarqué le point commun entre Preacher et ce run avec l’histoire de l’ange et de la démonne, je comprends pourquoi désormais !
J’avoue que je n’ai pas grand-chose à ajouter, surtout que je découvre tout ce beau monde (Ennis, Dillon, Constantine, Preacher) depuis quelques mois seulement (un an ?). Donc bonjour ouais ! 🙂
En effet autant le style de Dillon colle très bien à l’univers de Preacher autant sur Hellblazer c’est déjà moins net… (mais c’est toujours mieux que sur Wolverine)
En tous cas ce que je retiens surtout c’est qu’entre Dillon et Will Simpson (que je n’aime pas du tout) ce volume n’est pas réellement un régal pour les yeux…
En tous cas j’attends avec impatience la réédition du run avec Sean Phillips ! La meilleure période selon moi (ou du moins ma préférée) !
@Patrick : Je crois que tu parles du run de Paul Jenkins. Hélas, mille fois hélas, je ne suis pas sûr qu’Urban Comics se décide à traduire ce run d’un auteur fort peu connu chez nous, et parfois même peu apprécié.
Par rapport à Steve Dillon, j’aimerais que tout le monde perçoive ses « arnaques » de dessinateur : Le type est incapable de traduire le mouvement. Regardez bien, soyez attentifs, et vous verrez qu’il cherche sans cesse à contourner cette carence par des subterfuges grossiers : Gros plans, ombres mangeant la vignette, etc.
Qui plus-est, il est paresseux : La même tête et les mêmes expressions pour tout le monde et un décor pourri limité à deux traits à la règle…