Le chien de Dieu par Jean Dufaux et Jacques Terpant
1 ère publication le 13/05/18-MAJ le 10/11/18
Article Nocturne de BRUCE LIT
VF : Futuropolis
Le chien de Dieu est un récit complet retraçant de manière éclatée la vie de Louis-Ferdinand Céline l’écrivain maudit et controversé du Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit.
Il s’agit d’une biographie romancée par Jean Dufaux et dessinée par Jacques Terpant. L’objet est très beau avec un format A3 permettant de magnifier les dessins de Terpant pour un prix très accessible de 17 €. Dommage qu’il n’y ait pas d’annexes à ce travail passionnant comme Dufaux nous y avait habitué avec Murena.
En préambule, je rappelle que l’antisémitisme est un crime odieux et que de nombreux articles consacrés à l’horreur et la barbarie de la Shoah sont consultables sur ce blog. Pour autant l’occasion de visiter la vie de ce que beaucoup considèrent comme le plus grand écrivain français du 20 ème siècle était trop tentante avec un scénariste de la trempe de Dufaux aux opérations.
Pour finir ce préambule, j’invite les spécialistes Célinien à une certaine indulgence à mon égard, n’ayant pas lu l’intégralité des ouvrages portant sur le bonhomme. La rubrique commentaires sera là pour faire part de vos observations/corrections/critiques. Sur Facebook, l’ami Nicolas, Célinophile émérite m’a proposé de compléter ma bafouille d’annotations que vous trouverez en fin d’article.
L’interview exclusive de Jacques Terpant pour le blog est : ici.
Enfin une belle sauce au spoiler viendra agrémenter cet infini à portée des caniches…
Ça a débuté comme ça
Il m’aura fallu 35 ans pour que je me décide à lire du Céline, sa réputation désastreuse et mon mépris pour toute forme de racisme prévalant sur tous les éloges que j’entendais sur le Voyage. A la Sorbonne où je faisais mes études, Céline me faisait chier. Comme Baudelaire, Rimbaud ou Nieztche, il agrémentait les bras ballants d’étudiants maudits à longues écharpes en arrêt sur image devant les amphis pour se donner une contenance, avec une moue qui leur donnait d’avantage l’air constipé que contrit, les Inrocks en bandoulière.
Et puis.
L’âge.
La maturité.
Un peu d’eau dans un vin encore juvénile.
Et surtout mon amour de Tintin, allait me convaincre de sauter le pas lorsque j’apprenais que Céline fut une inspiration majeure de Hergé pour mon Haddock adoré. Ça et un certain Matt et Maticien qui m’en parlait avec tant d’amour, qu’il me paraissait inconcevable à ce stade de notre amitié de ne pas comprendre ce qu’il me baragouinait.
C’était l’été 2005. Je me rappelle avoir lu le Voyage dans le square durant ma pause déjeuner pendant au moins trois semaines. C’est pas simple à lire Céline, surtout quand tu es assistant social et guidé par des idéaux humanistes. Cette déclaration de guerre au genre humain, ce magnifique cri de rage et de désespoir me perturba beaucoup dans mon exercice professionnel. Comment ne pas se laisser contaminer par ce fiel si juste, si séduisant, ce sens du rythme phénoménal ?
Lire le Voyage n’est pas moins dur que d’y survivre ; survivre à cette vision noire de l’existence, l’amertume de la vie, la vacuité de mots creux comme l’amitié, l’amour ou l’optimisme. Se regarder dans la glace tous les matins et se rappeler ces mots si justes : nous passons notre existence à transformer notre visage en une grimace aussi creuse que le sens de la vie. Ce voyage au bout de la nuit est avant tout celui du lecteur qui pénètre les ténèbres de la nature humaine avec un guide fatigué et nonchalant.
Mais le Voyage est aussi un roman à l’humour féroce et l’ironie jubilatoire qui donne à jouir d’avoir un tel génie du mot à ses côtés. Et cet étrange humanisme, ce cri tyrannique de haine contre la guerre que Céline fit pendant la grande saignée de 14-18. A cette époque son fiel est encore littéraire et pas seulement tourné contre les Juifs sinon contre le genre humain dans son entièreté. Il y a plusieurs livres dans Le Voyage et le premier consacré à La Guerre est une splendeur romanesque dans la ligne droite du Candide de Voltaire.
Tout et si bien que n’importe quel admirateur du Voyage s’est une fois demandé en fermant le bouquin : Bordel, mais c’était qui ce type ? Comment peut-on tourner si mal avec un tel génie ? Où est l’homme sous le salaud ? Qu’il y’a t’il à sauver chez lui ? A quel moment ça a foiré dans sa tête ?
Et voilà donc cette BD par le papa (entre autres) de Murena. A croire qu’après Néron qu’il entreprit de réhabiliter, Dufaux s’attaque à un autre monstre de l’histoire contemporaine. On peut le dire, Dufaux livre ici un travail d’orfèvre où derrière la simplicité apparente de la narration se cache un travail monstre de documentation.
Son scénario reprend des grands moments de la vie de l’écrivain de la plus intime à la moins glorieuse avec des passages surprenants. Sa collaboration (les spécialistes s’écharpent pour savoir si elle ne fut que littéraire , avec les Pamphlets dont la véhémence a découragé une réédition chez Gallimard ,ou meurtrière; Céline a ‘t’il dénoncé et envoyé des innocents à la chambre à gaz ? S’est’il réjouit en l’apprenant de la Solution Finale ? ) n’est pas occultée avec une scène glauque au possible. Invité chez des dignitaires allemands, Céline découvre avec Drieu la Rochelle la déconvenue de l’Axe face à la progression Alliée. Il y a du Marco Ferreri dans cette scène où la haine de soi n’égale que celle des autres avec des moments comiques involontaires face à la soupe … à la grimace des amis du Reich. Et la réaction complètement hallucinée d’un Céline persuadé que Hitler a été remplacé et contrôlé par les Juifs !
Pour autant Dufaux s’il n’élude pas ce volet embarrassant du personnage, donne à l’écrivain toute sa complexité. Tout d’abord il arrive à rendre admirablement le verbe Célinien qui passe l’album à ruminer, grogner comme ces chiens qu’il affectionnait tant. Un grognard qui finalement ne mord pas grand monde. Le lecteur qui a payé pour voir l’homme derrière l’enragé ne sera pas déçu.
Ce qui surprend, c’est d’abord le mode de vie quasi monacal de l’écrivain. Céline n’était pas un mondain. Il ne buvait pas, ne se droguait pas (1), mangeait et dormait à peine. Il travaille tout le temps, alternant ses activités d’écrivain et de médecin pour les pauvres ! Oui, lui ! Que ce soit ici ou d’autres biographies, il est établi que Céline était un médecin attentionné envers les plus faibles dont il refusait les paiements ! (2) Ses rares interviews vidéo consultables sur Youtube (nous vivons pour ce genre de choses une époque formidable !) le montrent goguenard, bourru mais d’une exquise politesse avec une passion encore visible lorsqu’on lui parle de médecine. Sa motivation ? Soigner l’homme pour que sa souffrance ne le rende pas plus mauvais !
Fantasmé ou réel, Le chien de Dieu montre un épisode fascinant : alors qu’une jeune femme sans le sou le cambriole une arme à la main, il la raisonne et lui prépare une omelette en pleine nuit ! Il s’occupe consciencieusement d’elle, refuse tout paiement, même sexuel (3) et lui offre du Rabelais ! L’homme qu’on accusa de tous les crimes est dépeint ici comme un être suffisamment sensible pour prendre en pitié de jeunes marginaux. Tout en se livrant à son exercice préféré : l’auto-apitoiement, persuadé que le monde entier voulait sa peau. Et souffrant de séquelles réelles de sa guerre.
Céline ne sentait pas très bon au propre comme au figuré, son apparence en fin de vie évoquant Lazlo Carreidas le millionnaire clochard de Coke en Stock. A tel point que les terrasses lui refusent leur accès, lui jettent des pièces jusqu’à ce que sa grande amie Arletty ne vienne le chercher. La réaction de Céline est assez tordante : loin de s’indigner de cet affront, Céline joue le jeu du clodo et s’adresse poliment à ceux qu’ils le rejettent. La BD montre un écrivain totalement désintéressé par la vie de luxe. En fait Céline est constamment fauché et vit des avances de Gallimard. Il est vrai qu’en terme de roman, l’homme aura finalement peu publié et sera un homme du passé même de son vivant.
Céline est une énigme. Il ne lisait quasiment pas ses contemporains qu’il trouvait médiocres (4) (Giono et Montherlant ? Insignifiants ! Seul Marcel Aymé et Henri Barbusse trouvaient grâce à ses yeux). Il se définissait avant tout comme un médecin qui aimait la belle langue. C’était un antisémite qui correspondait avec des Juifs et qui les soignait. Un homme éteint et triste qui aimait la danse et sa femme Lucette (toujours vivante à 104 ans dans leur maison de Meudon !). Dufaux montre cet étrange couple : Céline qui occupe le salon tandis que Lucette donne des cours de danse à de jeunes filles à l’étage. Des enfants qu’il s’empresse de soigner gratuitement au moindre bobo….Sans aucune tendresse mais attentionné et bourru.
Le graphisme de Terpant se taille la part du lion : son trait est appuyé et réaliste. Céline était à la fois un homme très séduisant mais acariâtre. Le rendu graphique est d’une rigueur incroyable. De sa maison de Meudon qui tombait déjà en ruines, son sourcil gauche en accent circonflexe aux pinces à linges qu’il utilisait pour classer ses feuillets, le personnage et ses tics sont là, ils crèvent l’image. Terpant le montre dans toute sa besogne, un type qui écrivait à la main des milliers de pages sans machine à écrire. Un écrivain qui se tuera littéralement au travail.
Terpan représente Céline vieux ou en fantassin de la guerre 14-18 sans jamais flancher. Son rendu graphique lui permet de passer des terrasses parisiennes aux broussailles de sa maison à une scène onirique où il rencontre le passeur Caron. Tant et si bien que la mission est réussie pour les auteurs : si Céline n’est pas très sympathique, Dufaux et Terpant parviennent à brosser le portrait d’un homme très ordinaire pour ne pas dire chiant dans son quotidien mais possédé par des voix intérieures faisant de lui le voyant de Rimbaud. Il est juste dommage que son intimité avec sa femme ne soit pas d’avantage mis en scène. Comme Bulma avec Vegeta (!), on peut se demander comment une femme aussi douce a pu supporter un tel ours.
Ce Chien de Dieu est une réussite éclatante et frustrante. Tel Adam, le lecteur touche du doigt un Dieu des lettres pour le voir immédiatement s’éloigner. Céline est montré comme un homme en dehors du temps, des autres mais jamais de lui-même. Restitué dans son humanité, gravé dans la page par le trait miraculeux de Terpant, saisi dans son verbe par un Dufaux au sommet de son art, Louis Fedinand Destouches (son vrai nom) parvient malgré tout à nous échapper une dernière fois pour conserver son aura sulfureuse. Salaud !
Annexes de Nicolas
1 / Sur la fin, il prenait pas mal de médicament de type opiacés pour lutter contre ses diverses douleurs, consécutives à ses blessures de guerre et maladies tropicales, mais, c’était purement thérapeutique, et non par plaisir, en effet…
2/ Céline soignait des résistants blessés à l’occasion dans son appartement de Montmartre….tout un paradoxe, c’est sûr…
3/ Pas étonnant, Céline se disait très voyeur, mais peu actif…il conseillait même l’abstinence à ses amis et patients…
4/ Allen Ginsberg et William Burroughs sont passés le voir à Meudon en 1958, lui ont offert « Howl » et « Junkie » … »Céline jeta un regard négligent sur les livres et les mit de côté de façon évidente. Il n’avait manifestement pas l’ intention de perdre son temps » dixit Burroughs-
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Un pied de nez que de mettre Céline à la une une veille de St Valentin ? Non, pas tant que ça car la bio dessinée que lui offrent Dufaux et Turpant mérite une portée d’infini pour les caniches que nous sommes. A déguster chez Bruce Lit.
La BO du jour : grand lecteur, Jim Morrison avait adapté Le voyage de Céline dès le premier album des Doors .
Double performance pour toi Bruce : d’une part tu as réussi à rendre intéressant un auteur présentement mal aimé qu’il est tout simplement mal vu d’aimer de nos jour ! Et d’autre part tu as également réussi à me donner envie de lire un bd biographique; ce qui n’est pas une mince affaire vu que je trouve généralement ce genre totalement dénué d’intérêt.
Balaise. Bravo à toi 😉
la complexité de l’être humain… c’est compliqué…
Céline ne me fascine pas mais ce qu’il représente aux yeux du public oui…
il est le mec qu’on déteste aimer.
Après on est obligé de dissocier l’artiste de son art, sinon c’est nous qui culpabilisons de notre propre « hypocrisie » on trouve des formules, on éprouve le besoin de s’absoudre du moindre pêché important de notre époque.
Pierre Emmanuel Schmitt tente d’expliquer cette horreur que d’accepter que le monstre est en chacun de nous dans La part de l’autre. et qui de mieux qu’Adolf Hitler lui même pour illustrer ce propos douloureux.
rien à voir mais dans mon cas personnel j’ai été élevé avec les vinyles de Patrick Font et Philippe Val que j’élevais au rang de demi-dieux de l’humour irrévérencieux jusqu’à ce q’un beau matin j’apprends les déboires judiciaire de Font pour pédophilie.
Aujourd’hui je suis toujours obligé d’avouer l’influence de son humour sur moi parce que c’est presque quotidien et ça me perturbe mais je suis obligé d’assumer cette contradiction.
@Eddy : nous sommes en France abreuvés par la querelle entre Sainte Beuve et Proust ou celui-ci décrétait qu’il fallait dissocier l’artiste de l’homme. C’est une belle théorie à laquelle j’adhère la plupart du temps. Cependant il m’est impossible de dissocier James Dean l’acteur des personnages qu’il a incarné.
Tout ça c’était avant que des artistes se rendent complices/coupables/inspirateurs de dictatures/génocides.
Il m’est impossible d’apprécier quoique ce soit de Dieudonné. Je ne veux même pas en entendre parler car le politique qui ne sent pas bon interagit profondément avec le « comique ».
Est-il possible d’écouter encore Noir Désir après l’épisode Cantat ? Oui, je pense que oui, même si personnellement, je n’ai jamais ce groupe moraliste en diable.
Artemus Dada me taquinait il y a quelque temps sur l’immunité artistique. Je ne connais que très peu d’artistes ayant une conduite irréprochable. Ma vision de l’art est toujours déviante, l’artiste un explorateur flirtant avec les limites de son époque. Pour Céline, le flirt est plus que poussé. Pour autant, chercher l’homme assez ordinaire derrière le génie de l’écriture reste une démarche passionnante.
@Omac : Ne pas avoir foi en l’homme reste pour moi un danger de perdition auquel je refuse de succomber. Je tente d’être plus optimiste sur mes vieux jours. Céline est l’archétype du vieux grisou auquel je ne veux plus ressembler.
J’ai pas de dogme en la matière.
dissocier l’artiste de l’homme? c’est parce que l’homme en question est ainsi fait, qu’il peut se transcender dans son art comme il le fait.
le personnage de Gainsbourg fait parti de son oeuvre en elle-même.. c’est pas dissociable complètement.
et c’est pareil à peu près pour tout le monde.
Dieudonné je ne l’ai jamais trouvé drôle et aujourd’hui si je vois l’une de ses vidéo, je ne vois pas l’humour, juste le pamphlet politique qui tourne en rond et donc fatiguant. je ne comprends pas la fascination qu’ont les gens pour lui si ce n’est un constat affreux qui me fait trembler: c’est qu’il réunit autant les skins que les salafistes et les bobos et ça sur le dos des juifs. La France black-blanc-beur: c’est lui!
Noir désir, c’est dommage parce que qaund on a passé son temps à faire la morale à base l’argent et le racisme c’est mal, c’est difficile de d’occulter que c’était proféré par un maniaque violent et camé: le poète maudit a le dos large!
Font est un pourri aussi mais là où ça devient difficile pour moi, c’est que j’ai scandé ses blagues pendant des années, je les ai pastichées, plagiées et recyclé à l’envie pendant toute ma jeunesse et sans doute jusqu’à aujourd’hui sans m’en rendre compte.
Alors oui j’assume mon admiration artistique pour cet homme imparfait. ce que font par ailleurs sans doute des milliers de fans de Cantat, Céline et tous les salopards à talents…
Encore un très bel article Bruce, sur une bd dont je n’avais jamais entendu parler. J’aime bien ce que j’ai lu de Murena, je pense donc que la qualité est au rendez-vous. Mais le sujet ne m’intéresse pas plus que ça, et le dessin ne m’attire pas non plus.
De Céline, je n’ai lu que le Voyage, assez tard, comme toi, vers mes 35 ans, peut-être avant. Il m’a bouleversé. J’ai annoté une majorité de pages, tant les aphorismes sur la vie en général sont percutants et profonds. L’histoire n’a pas vraiment d’intérêt, tout tient dans ces réflexions et la plume de Céline. J’ai Mort à crédit qui m’attend depuis une éternité mais je n’ai pas encore franchi le pas.
Si cette bd ne m’intéresse pas, c’est que cela fait longtemps que je ne crois plus aux artistes, et peu m’importe leurs credos et leurs vies privées, seules les oeuvres comptent pour moi. C’est parce que j’ai cette tendance à ne pas avoir d’idole que je ne vénère personne. Pourtant, j’étais fan de Jim Morrison, et les Doors fut mon deuxième groupe coup de coeur, celui qui m’a introduit au Velvet Underground. Tu es sûr que ce titre fait référence au Voyage ? Je n’en avais jamais entendu parler. Mais cela fait très longtemps que je n’ai pas réécouté les Portes, à part un The End par-ci et un When The Music’s Over par-là. Je devrai me les refaire.
J’apprends donc beaucoup de choses sur Céline ici, même si je savais qu’il était aussi médecin que son personnage du Voyage, et que ce livre est en partie auto-biographique. Tu me rappelles simplement qu’il faudra bien que je lise Mort à crédit.
@Eddy : je connaissais Font et Val, mais je ne les ai connus qu’au lycée, assez tard, je n’ai donc pas eu trop d’attaches pour eux. Et puis lorsque Font est tombé, que Val est devenu le pire rédac-chef (pour moi) de Charlie, ils ne m’ont pas manqué…
Magnifique !
Tu réussis à mêler ta passion pour le roman à ton article sur la BD avec beaucoup de profondeur et de justesse.
Je pense que, aux vues de nos discussions passées, tu sais que tu prêches un convaincu sur la nature humaine. Je hais du plus profond de mon coeur la bienpensance, ce même sentiment hypocrite qui condamne les gens sans vergogne pour pouvoir mieux s’admirer dans le miroir en costume fictif et fantasmé de chevalier blanc. Je déteste tous ces mondains bileux qui défendent -soi disant- les plus démunis ; sont près à -soi disant- s’engager dans toutes les causes humanistes ; mais qui dans le même temps détruisent la vie de l’un de leurs prochains parce qu’il ne pense pas comme eux ! Cette bienpensance crasse, je le dis, c’est le mal de notre siècle. Et si on les laissait faire, ces bienpensants nous enverraient Hergé au pilori !!!
L’antisémitisme de Céline n’est évidemment pas à banaliser. Mais si l’homme était complexe et pétri de paradoxes, il faut savoir le regarder dans les yeux tel qu’il était, sans le caricaturer ou le dénaturer.
Et autant il n’est pas question de chercher des qualités au vieil Adolph (ce que ne faisait pas Eric Emmanuel Schmitt dans La Part de l’Autre, puisqu’il abordait le personnage par le biais de la fiction), autant on peut les chercher chez un homme qui possédait davantage de qualités que de défauts.
Et si en plus c’est écrit par Jean Dufaux, alors là, franchement, allons-y les yeux grand ouverts !
Tiens une anecdote :
Il y a bien des années, je passais tous mes week-ends avec ma copine d’alors dans une petite maison de village appartenant à mes grands-parents. Une petite maison de vacances dans le vieux village provençal de Tourves, que mes grands-parents, alités, ne venaient plus occuper. En haut de la ruelle, il y avait un vieux briscard tonitruant, alcoolique et gueulard. Un ancien ouvrier polyvalent en scieries qui avait bourlingué pendant des années dans les régions les plus reculées de l’Afrique sauvage.
Le bonhomme était revenu de ses voyages avec un racisme effervescent. Il ne parlait que de voter LePen et de « virer les arabes ». Et pourtant, j’avais fini par sympathiser avec lui. Et même par accepter son invitation à diner ! Là, je découvrais un personnage magnifique, cultivé, nourri de littérature. derrière le vieux raciste soulard, j’apprenais qu’il avait sauvé des centaines d’africains, soigné et nourri des familles entières dans la vieille Afrique noire. Lorsque je le croisais au bistro le soir, je le trouvais toujours entrain d’invectiver les musulmans qui occupaient toujours la même tablée. Ces derniers riaient de l’entendre leur dire de rentrer chez eux. Ils hurlaient autant que lui en lui disant d’aller se faire foutre. Et à chaque fois, au dernier moment, mon vieux copain (« Gérard », ça s’invente pas !) se retournait gentiment vers eux et leur demandait : « allez, vous buvez que’qu’chose ? » -et il leur offrait la tournée !
Plusieurs fois, je lui demandais comment c’était possible d’apprécier autant les étrangers et de voter Le Pen. Comment pouvait-il être aussi compatissant avec ceux qu’il désirait voir quitter le pays ? Il me répondait alors que c’était des gens formidables, mais que nous n’étions pas fait pour vivre ensemble !
Il était comme ça Gérard, complexe, paradoxal. Mais, ses qualités l’emportant largement sur ses défauts (il n’aurait pas fait de mal à une mouche), il est devenu mon ami.
Et j’en arrive enfin à mon anecdote :
Il m’avait appris, au fil de nos discussions, alors que je l’interrogeais sur sa profonde culture littéraire, qu’il avait été longtemps un proche d’Antoine Bondin. Ce même écrivain qui lui avait présenté… Louis-Ferdinand Céline, avec qui il avait passé de nombreuses soirées lorsqu’il habitait à Paris ! Etonnant, non ?
Je n’ai jamais caché mon désaccord avec les idées politiques de mon vieux copain, mort depuis longtemps aujourd’hui. Mais cette rencontre a profondément changé ma vision des choses et, surtout, des hommes.
C’est trop facile de jeter la pierre sur ceux qui ne pensent pas comme nous sur l’autel de la bienpensance. Je pense au contraire qu’il faut regarder la complexité de l’âme humaine en face avant de juger. Si l’homme a fait davantage le bien que le mal, on peut toujours essayer de lui trouver le chemin de la rédemption. Ça, c’est pour moi la plus belle des valeurs humaines, à l’opposé de cette bienpensance hypocrite à la con !
Nous sommes tous des « Gerard » en puissance.
Je ne crois pas être parfait.. et je n’ai jamais compris à quel point j’étais fermé d’esprit qu’en rencontrant ma compagne, car même dans mes opinions positives, j’étais nourri aux préjugés.
c’est peut être ça qu’il faut dédramatiser (mais est-ce encore possible dans le monde d’aujourd’hui).
On juge le monde sur qu’on en sait et sur ce qu’on croit en savoir.
des racistes gentils, on en connait tous. heureusement ou malheureusement, ça dépend de l’optique que l’on a de la chose.
J’ai appris à mes dépends que le racisme est ce qui rend les gens vraiment égaux entre eux. dans la crasse et la médiocrité dont on tente tous les jours de se sortir.
Très belle histoire, Tornado. J’ai moi-même des proches qui ne sont pas anti Lepen et si j’ai parfois du mal à les comprendre, je sais bien que ce ne sont pas des gens forcément méchants. D’ailleurs ils ne sont même pas racistes, ils ne comprennent pas la haine envers les différences de couleur de peau, c’est juste qu’ils trouvent ça plus salutaire pour le pays d’en virer certains économiquement.
Et il est toujours plus simple de regarder la paille dans l’oeil du voisin, vous connaissez l’adage^^
Non en fait le souci que j’ai, c’est quand même quand un écrivain publie des pamphlets politiques pour nous « éduquer » sur les méfaits d’un peuple. Il y a une différence entre un mec qui radote au bistrot sans paraître bien méchant, et le mec qui écrit un Mein Kampf.
Je n’ai rien lu de Céline alors évidemment j’ai du mal à juger par moi-même si la polémique sur cet auteur est justifiée ou si c’est aussi un effet de la bienpensance qui fait passer Hergé pour un nazi ou Goscinny pour un raciste avec son pirate noir qui bégaie.
Il est également compréhensible je pense d’avoir peur que de vieilles idées ou mentalités viennent contaminer la jeunesse. J’ai l’impression que tout le monde prend tout au premier degré de nos jours, s’engueulent et se menacent de mort sur le net à cause de désaccord sur des trucs aussi anecdotiques que…la critique d’un film ou d’une BD…et ton Gérard se serait peut être fait poignarder par certains étrangers qui n’ont pas d’humour non plus aujourd’hui.
Merci pour l’histoire Tornado ! Elle me rappelle à la fois Couma Aco de Baudoin et Le combat ordinaire de Larcenet. Deux bds que je te conseille évidemment.
Pour le reste je suis d’accord, et avec Bruce également : la phrase du jour est bien celle de Eddy.
Et tu as raison, Mattie : l’époque est trop premier degré…
Magnifique article Bruce, pour des commentaires non moins passionnants
je ne raffole pas du tout des bios en bd mais tu donnes envie avec celle là
je n’ai lu que le Voyage de Céline qui, est, depuis, l’un de mes livres favoris, et de loin (marrant que tu cites candide, c’est aussi l’une de mes lectures de chevet)
Et comme toi j’ai été heurté, travaillant également en lien avec le social, mais fasciné
Eddy je te rejoins aussi sur un point : une admiration énorme, ado, pour Font, et une chute que j’ai quasi prise comme une trahison
J’avoue tout : je n’ai jamais lu une seule ligne de Céline, tout simplement parce qu’il ne s’est pas trouvé dans mon cursus scolaire, et que je n’en ai pas eu la curiosité plus tard.
Merci pour cet excellent article qui sait donner assez d’informations à quelqu’un comme moi qui ne connaît pas Céline, pour pouvoir comprendre les qualités de cette biographie, à la fois dans ses choix, à la fois dans sa sensibilité, et aussi dans ses qualités graphiques.
Chapeau pout ton article Bruce, il n’as rien à envier aux autres divers écrits des spécialistes du sujet.
Je connais peu les adaptations de LFC au format BD pour le moment, mais je suis séduit par la qualité du dessin de celle-ci, de plus au format A3.
Ce n’est pas simple à traiter….Céline déchaine les passions et anime forcément des débats qui peuvent être très vifs.
Bref…article très intéressant ainsi que les commentaires.
Tornado, ton histoire est superbe, elle mériterait de figurer parmi les livres de témoignages qui sortent de temps à autre sur le Docteur Destouches.
Pour la petite histoire, Blondin admirait LFC et de nombreux témoignages affirment que lorsqu’il sortait éméché des bars du quartier Saint-Michel, il chantait, hurlait dans les rues les chansons pleines d’argot du docteur des enfers…ce qui lui valut quelques soucis avec le voisinage ainsi que la police.
@Nico : demain c’est ton tour. J’ai hâte que tu nous régales d’anecdotes !
Youpi Jacques Terpant vient de m’envoyer un message pour me remercier de la qualité de l’article. Et est ok pour une INTW !
Ah… mine de rien, entre hier et aujourd’hui, nous grapillons quelques fragments des Bruce Secret Origins !
De Céline, je n’ai du lire qu’une grosse cinquantaine de pages du Voyage au bout de la nuit… Je devais avoir entre 25 et 30 ans. Je ne suis pas rentré dedans. Le style ne me plaisait pas.
Il faudrait sans doute que je ré-essaye un jour. Mais bon, j’ai cru comprendre qu’il fallait quand même être dans de bonnes dispositions pour aborder ce genre de lecture, sinon, ça doit pas mal filer le cafard…
Et pourtant JP ces articles ont été écrits à intervalles assez éloignés. Mais effectivement l’enchaînement est assez fluide avec Lermontov : le point commun reste à mon sens que les deux livres font partie de La littérature dangereuse impliquant des prises de risques mutuels entre un auteur et son lectorat.
Concernant Le voyage, c’est effectivement un livre qui, à l’instar du shamanisme (non, j’ai rien fumé) demande une certaine préparation. Le Shamanisme suppose que l’on croit à des visions que le chamanisme entraîne tandis qu’il nous guide dans les décombres de notre subconscient. Céline comme Jim Morrison, fait un peu office de de celà : des artistes déclenchant de violentes sensations chez nous tout en « absorbant » le mal qu’il déclenche quitte à en devenir maléfique. Et là nous arrivons sur la loge noire de Twin Peaks (Grant Morrison : sors de ce corps-et va chier !-).
J’avoue ne pas trop comprendre cette obligation de définir l’antisémitisme comme un crime odieux. C’est une évidence, comme toute forme de racisme. La bien-pensance devient pénible qui nous force à nous dédouaner dès qu’on décide de fréquenter le « diable ». Céline, antisémite, certes, mais sûrement pas un salaud ordinaire. On a parfois l’impression qu’il incarne le péché de la collaboration et ses tares. Je n’irais pas jusqu’à en faire un bouc émissaire, mais combien de salauds ont traversé la guerre pour se retrouver au gouvernement après la Libération ? Céline est l’arbre qui masque une forêt de haine et d’injustices. Le sujet est complexe et nécessite de se libérer du manichéisme petit-bourgeois. On peut haïr l’Humanité et vouloir atténuer les maux de quelques individus. L’existence est constituée de ces multiples paradoxes qui font qu’une personnalité sera toujours la somme de ses facettes. Je ne connais pas assez la biographie de l’auteur pour me montrer subtil, de même je n’excuse rien. Je tiens aussi à préciser que Gallimard n’a pas définitivement abandonné la publication des pamphlets. L’antisémitisme n’est pas une maladie contagieuse, mais une haine profondément ancrée dans la conscience du peuple français. Céline, c’est un miroir que nous tend l’Histoire. Combien d’écrivains, d’hommes politiques, d’illustres inconnus ont-ils été rongés par ce mal ? Pourquoi la haine du juif chez Céline devrait-elle être considérée comme plus nuisible que celle de notre voisin, ou de ces deux petits vieux que j’avais surpris, il y a quelques années encore, à dénigrer cette « maudite race » ? On serine constamment que c’est l’éducation qui vaincra la xénophobie, alors pourquoi empêcher la sortie d’une édition annotée des textes qui font mal ? Dufaux et Terpant ne jugent pas, ils racontent Céline tel qu’en lui-même. Un homme gangréné par la guerre, incapable comme beaucoup d’entre nous de s’en remettre à la fiction divine, et qui cherche, un peu puérilement, un coupable à cette boucherie étatique qu’on nomme la guerre. Il suffit de s’intéresser à la propagande pour voir à quel point la haine n’a besoin que d’une étincelle, de quelques braises pour déclencher un incendie. Pourquoi aussi un tel homme n’aurait-il pas droit de connaître l’amour d’une femme. Le fruit infesté par le ver est-il pour autant complètement corrompu ? Céline est différent de chacun de nous, qui haïssons si facilement par la parole, d’avoir inscrit sur le papier l’objet de son dégoût, l’identité de son bouc émissaire. Son golem de papier est un monstre condamné à maudire et blesser le peuple juif pendant l’éternité. Nous avons le devoir de ressentir de la honte, car ses écrits stigmatisent notre propre haine.
@Ozymandias : Hello. j’avoue être extérieur à ces polémiques. Peut-être si j’avais lu ses pamphlets en aurais-je été outré moi aussi.
Un bouc émissaire ? Certainement, l’homme était peu aimable et n’a jamais rien fait pour se dédouaner. Puisque nous vivons à l’ère de la tyrannie de la repentance, le plus grand crime de Céline ne serait-il pas de n’avoir jamais exprimé de regrets ? Il est vrai que le crime contre l’humanité annihile l’humanité de l’autre en face le soutenant du bout des lèvres…
Sans avoir une parcelle de son génie, Dieudonné ne pourrait-il pas en être une incarnation sulfureuse ? Un comédien apprécié en son temps qui vire sa cuti, épouse les thèses répugnantes du FN, s’acoquine avec des crevures psychopathes comme Soral, va serrer les mains des Iraniens à l’époque où il était question de raser Israël et place sur le même plan victimes et terroristes avec son Charlie Coulibaly. Il quitte, comme Céline en son temps, son domaine, celui-de l’art, pour prêcher la haine voire la destruction de l’autre. Je trouve pour ma part que c’est un mec dangereux même si l’interdire comme le fit Valls est à mon sens une erreur majeure de stratégie. Nul doute que celui-ci se pose comme une victime percutée comme Céline en son temps. Qui eut au moins le mérite d’écrire plusieurs chefs d’oeuvre à l’inverse de Dieudonné.
La question se pose aussi pour des légendes comme Delon ou Bardot, qui ont autant oeuvré avec leurs films, leurs auras pour la libération des moeurs et sexuelle que plaidé la dégénérescence de notre époque. Faut-il leur pardonner d’adhérer au parti fasciste français ?
J’ai lu cette semaine La cavale du Dr Destouches de Malavoy, que j’ai trouvé un poil moins bon que le Chien de Dieu, plus confus, plus délirant. Céline y est montré fréquentant des ordures mais aussi sauvant la vie de résistants, de juifs de manière désintéressée. Il paye aussi de ses poches trouées des biberons de laits valant une fortune sur le marché noir pour sauver des enfants malnutris.
C’est en cela qu’il ne cesse de nous échapper ; il est indéfinissable, il ne rentre dans aucune case, il fait jurisprudence. Ni un criminel, mais pas un héros, un Héros de notre temps cynique et boursouflé comme le définissait Lermontov dans son roman éponyme.
Merci en tout cas de ton intervention qui élève-encore- ce débat.
Très bonne critique bravo !
Bonsoir Christian.
Merci pour le message. POur poursuivre votre experience sur Céline, vous trouverez notre itw exclusive de Jacques Terpant et un focus sur la carrière de Céline