A la découverte de la librairie Mauvais Genre
Un entretien mené par BRUCE LIT
Ceux qui suivent le blog depuis le début se rappeleront de Thierry Araud qui débarqua un jour avec un article mémorable sur WALKING DEAD et la philosophie. S’ensuivit une poignée de papiers mémorables notamment sur Tante May ou Gwen Stacy avant qu’on se perde un peu de vue début 2017. En pleine reconversion professionnelle, Thierry était moins disponible : et pour cause, il montait sa petite entreprise, une librairie située à St Etienne (11 Rue Léon Nautin) : MAUVAIS GENRE.
L’occasion était trop belle pour reprendre contact avec notre compagnon de route un brin déluré amateur de KISS, d’êtres et de lettres.
Salut Thierry, tu nous parles de ton parcours avant d’ouvrir Mauvais Genre ?
Alors à l’origine il n’y avait rien et puis ce rien a explosé…
Bon, sans remonter jusque là, il y a eu deux actes fondateurs : d’abord un instituteur, Monsieur Claude Chabrol qui chaque matin, avant de commencer ses cours, nous lisait un chapitre du Petit Prince ou de Marcel Pagnol et puis mon père qui, chaque mois, ramenait à la maison les premiers numéros de Strange. Le premier m’a initié à la culture et le second à la culture dite populaire.
Après, j’ai toujours bossé dans le domaine de la culture. J’ai donné des cours de grammaire et d’orthographe, j’ai été, pendant deux ans, animateur socio-culturel. Je donnais des cours de peinture, d’écriture, de photos en centre social. Puis bibliothécaire pendant plus de 10 ans. Pour finir metteur en scène et acteur amateur dans ma propre troupe de théâtre. Et enfin j’ai bossé comme chargé de communication et de programmation dans un théâtre professionnel.
Quel a été le déclic pour toi pour ouvrir une librairie ?
La fin de l’aventure a été douloureuse. Harcèlement moral pendant 7 ans. C’était partir ou aller au chaos. J’aimais mon boulot, mais je ne pouvais plus continuer à le faire comme je pensais qu’il devait être fait. Ca peut paraître présomptueux mais j’obtenais de bons résultats. Alors, la solution s’est imposée d’elle-même : je devais être mon propre patron. Quant à la librairie, c’était aussi une évidence. Il n’y avait pas de question à se poser.
A Saint Etienne, il y avait une bouquinerie spécialisée dans les littératures de genres : Tropiques. Les libraires, Christiane et Philippe, ont pris leur retraite et il y avait une niche à récupérer. Dès que j’ai pris ma décision, le nom de la librairie s’est imposé de lui-même : ce serait Mauvais Genres.
Ouvrir un commerce, c’est souvent le calvaire pour un artisan français. On ressent quoi au moment de l’inauguration de la librairie ?
Un bonheur immense. Le début d’une aventure. Mais au préalable, ce fut des stages auprès de la CCI, des rencontres et des discussions passionnantes avec d’autres auto-entrepreneurs . Mais surtout, on se dit que voilà, ça y est. Et que l’avenir est dans tes mains et que tout dépend de toi. Ca stresse un peu mais on sait très bien que tout dépend de soi. Tu te donnes les moyens de réussir ou tu échoues. Il n’y a pas d’autres alternatives. Alors ça te booste. Après tu creuses ton projet, tu te remets en cause. Pour ma part, je me suis reconnecté avec ma passion pour la peinture et j’ai décidé d’organiser des expositions d’artistes amateurs locaux. Des dédicaces d’auteurs de la région, bientôt un récital de chanson française. Je pense sincèrement que le futur est au pluriculturel. C’est comme la bouffe. Tu ne peux pas vivre en ne mangeant que de la viande, ou des légumes. Il faut varier.
Et puis il y a internet. Actuellement, tu ne tiendras pas longtemps si tu comptes uniquement sur tes ventes en magasin. Plutôt que de pleurer sur la concurrence du net, il te faut te poser la bonne question : comment je peux utiliser internet au mieux pour mon intérêt.
Pour finir, ouvrir un commerce comme le mien te branche sur tout un tas d’autres gars comme toi qui entreprennent. Micro-éditeurs, auteurs auto-édités. Tu bosses avec eux, tu fais de superbes rencontres, tu noues des amitiés. C’est l’aspect humain du taf. Et c’est celui qui te fait te lever chaque matin. Qui te fait continuer. C’est une chaîne.
Après le cinéma dans les 80’s, le disque dans les 90’s, c’est au tour du livre d’être en crise : les auteurs de BD crèvent de faim, l’offre est supérieure à la demande, la concurrence du numérique : m’enfin, c’est le pire moment pour ouvrir une librairie, non ?
A part les Bilal, Tardi, Moebius, Uderzo et d’autres, les auteurs de BD n’ont jamais gagné leur vie seulement sur la base de leur production bédéesque.
95 % faisaient et font de la publicité, des illustrations pour des manuels d’utilisation d’appareils ménagers (c’était le cas de Cirro Tota).
Pour le disque, le problème c’est que la mode du CD n’a pas pris. Il n’y a eu aucun nouveau genre musical qui a été porté par le format CD. La preuve c’est que même les rappeurs ou la vague électro n’ont jamais lâché le vinyl.
Pour le numérique, si on regarde les chiffres officiels, la lecture sur tablette ou liseuse reste très marginale.
Les gens, en tous les cas ceux qui fréquent les bouquineries, sont presque exclusivement attachés au format papier.
Après, ok, il y a une crise de livre. La rentrée littéraire est pléthorique et squattée toujours par les mêmes auteurs. Il n’y a pas trop de problèmes pour savoir quand va paraître le nouveau Werber, Nothomb, Musso etc… Et même King ou autres auteurs de genre. Bon. C’est la loi du marché. Le truc prévisible.
Alors que nous on est susceptibles de rentrer n’importe quoi à n’importe quel moment. Nous autres, bouquinistes, nous sommes créateurs de suspens. Tu cherches un John Dickson Carr introuvable ? Ok. Je vais te le rentrer, promis. Mais quand ? Ca, je sais pas. C’est un peu un espace de rêve, d’espérance. TON bouquin je vais te le trouver. Quand ? Tu verras bien. Mais tu peux compter sur moi.
Donc je pense que non, il n’y a pas de pire moment pour ouvrir une librairie. Que le moment soit bon ou pas, c’est ton boulot au quotidien qui en décidera.
On y trouve quoi dans ce Mauvais Genre ?
Tout ce que tu ne pensais jamais trouver ailleurs. Du polar, de la SF, de la BD, du Fantastique. Les aventures de Martine et les œuvres du Marquis de Sade. Du comics américain des années 70 ou 80 ou du Gaston Lagaffe en édition originale. Du San Antonio et les œuvres complètes de Tolstoï, le Club des 5 et Stephen King, Bilal ou Bob Morane, Doc Savage ou Stefan Wul et tout le reste…
Quel est l’équilibre entre le neuf et l’occaz’ ?
Essentiellement de l’occaz’. Mais je travaille aussi avec quelques éditeurs locaux ou non : Abribus Editions, Néofélix… Je ne vais pas les nommer tous. Mais quand je suis contacté par un éditeur ou un auteur dont la production me touche, il se passe très peu de temps avant qu’on n’établisse un partenariat fructueux et enrichissant. Rien que pour l’heure je suis en contact pour au moins 6 nouvelles collaborations
Qu’est ce qui se vend le mieux dans une nouvelle librairie stéphanoise ?
Les bouquins sur l’épopée des Verts de 1976.
Non, je blague. Les auteurs ou séries qui marchent le mieux, sur la base d’à peine un an d’existence : Philip K. Dick, Jean Ray, The Walking Dead (Bruce, ne me dis pas que cela t’étonne), Jim Thompson, Manchette, Asimov, Tolkien, Corben, Grangé… Après ça fonctionne aussi avec ce que le libraire aime. On parle et on transmet beaucoup plus quand on parle le langage de la passion.
Tu organises des événements ?
Il y a en moyenne 5 ou 6 expositions d’artistes amateurs locaux (peintre, photographe…) par an. Des soirées de lancements de titres nouveaux par des éditeurs de la région, des dédicaces, bientôt un concert de chanson française, des lectures publiques. Peut être (c’est à l’étude) des ateliers d’écriture. Et plein de projets qui, pour le moment sont à l’étude.
Tes derniers coups de cœur à trouver en librairie ?
Hake Talbot : Au Seuil de l’abîme. Un polar dans le style roman à énigme. Le Mystère de la chambre jaune à la puissance 1000.
Christopher Moore : L’Agneau. Jésus demande à l’Ange Gabriel de retourner incognito sur Terre pour retrouver Biff, le meilleur pote du Christ pendant ses 20 premières années et écrire un nouveau nouveau testament. Jubilatoire.
Wallace Stegner : Lettres pour le monde sauvage. Du nature writing sans fard et qui nous place tous face à notre rapport à la nature et sa préservation.
Linnea Sterte : In-Humus aux éditions La cerise sur le gâteau. Un graphic Novel dans le plus pur style Moebius. Poétique et simplement beau.
Robert Kirkman : The Walking Dead. Parce que les vraies passions sont faîtes pour durer.
Un dernier mot pour les lecteurs de Bruce Lit ?
Salut les mecs. Je ne marque pas mes traces mais je reviens souvent sur le blog et c’est toujours un plaisir de vous lire, les grands anciens et les non moins grands nouveaux.
Keep up the good work. Et si un jour, par un hasard improbable, vous passez à Saint Etienne, il y aura toujours une bonne bière au frais. Et j’ai écris un jour sur le blog qu’il y aurait aussi un cadeau. Il vous attend.
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LA BO du jour : qui se soucie d’une mauvaise réputation ? Pas Peaches en tout cas !
https://www.youtube.com/watch?v=0o6FgPILLuU
Sympa de voir des anciens du blog se lancer dans la librairie.
Il faut du courage je pense pour devenir commerçant…
Bon il est temps que Bruce nous fasse des cartes de membre du blog, comme ça on se pointe et on a un cadeau^^
Il est vraiment fort ce Bruce : un cadeau sans même avoir besoin de chanter Oh, pretty woman.
Philip K. Dick, Jean Ray, The Walking Dead, Jim Thompson, Manchette, Asimov, Tolkien, Corben, Grangé : une bien belle brochette, il n’y a que Manchette et Grangé dont je n’ai rien lu. J’ai beaucoup aimé la présentation du concept de pluriculturel, d’envisager la librairie comme un lieu de vie et de rencontres, d’intersection de différentes formes d’expressions culturelles. Je suis beaucoup plus réservé quant aux bouquins sur l’épopée des Verts de 1976. 🙂 🙂 🙂 Enfin, ça fait plaisir d’avoir des nouvelles de Thierry Araud, l’une des personnes qui m’a convaincu de passer outre mes a priori contre Walking Dead.
C’est difficile de tout lire (même pour un libraire, surtout s’il souffre d’une incapacité psychologique de lire à sa boutique). Mais à mon avis Jean Patrick Manchette est incontournable.
Félicitations pour cette nouvelle vie qui semblait prédestinée lorsqu’on lit attentivement l’interview.
J’ajouterais que la librairie est superbe et que j’adorerais en avoir une comme ça près de chez moi…
Tout comme j’adorais aller chez les disquaires dans une autre époque. Ou dans les boutiques de fripes. Ce côté « caverne d’Ali Baba » me manque énormément et j’en rêve parfois, comme si je pouvais vivre dans un endroit hors du temps, où il y aurait un quartier avec un petit bazar, un disquaire, une vidéothèque, une friperie, une librairie de genre…
Internet c’est plus simple, mais avec le charme en moins, la vie est quand même moins belle…
Je ressens surtout ça pour les films moi. En particulier le format dématérialisé. Que ce soit les copies numériques (légales ou non), Netflix et tout ça…je trouve que c’est too much, ça enlève tout le charme de fouiller dans un magasin.
Je sais qu’il y a des fans de services de streaming ici, mais moi je n’aime pas. Il y a plus d’offres que de demande, on est noyé sous des machins qu’on n’a pas spécialement envie de voir, etc.
Je préfère me procurer une version physique, même si c’est plus cher, ça rend le truc plus précieux et moins « produit consommable qu’on abandonne sans effort au bout de 10min pour aller voir un autre truc »
Après ça aide aussi que je sois du genre à ne pas tout acheter. Ma DVDthèque n’est pas si grande que ça, je suis sélectif et même si j’aime beaucoup de films, je ne ressens pas forcément le besoin de tous les avoir.
Alors paf ! J’ai la solution à ton problème : viens habiter à Saint Etienne dans le quartier Saint Jacques. Tu y trouvera une librairie de genres, un disquaire spécialisé dans le vinyl, le meilleur kebab de tout Saint Etienne, une friperie, un magasin super qui vend des ramasse-poussière, 2 cofee shop, 3 tatoueurs et j’en passe. Pour le côté nostalgique je te rejoint complètement !
Si c’est pas la classe ça, de passer de l’autre côté du miroir, d’être un invité du blog ! Bon ok on a déjà eu le boss et JP…
En tout cas félicitations Thierry pour ce nouveau job de rêve (je pense), ça a l’ir super. Comme Tornado, j’adore ce genre de boutiques… je pourrais y flâner des heures. Je suis totalement d’accord avec le pluriculturel et même le pluri-styles et le pluri-genres. Je remarque que les bons libraires sont aussi des créateurs, par les événements qu’ils organisent, le parti-pris de leurs ventes, de leurs présentations. J’ai un ami libraire qui fait aussi des vidéos de promotions de bds.
J’ai récemment vu un article qui expliquait que les liseuses et les tablettes n’avaient pas remplacé le papier parce que les lecteurs veulent justement faire une pause des écrans lorsqu’ils lisent. C’est bien pourquoi il devrait y a voir plus de contenus uniquement créés pour les nouveaux médias comme l’a fait Vidu que j’avais interviewé.
Evidemment, tu cites plein de trucs que je ne connais pas… malédiction, encore des trucs à découvrir ! Il va falloir que je jette un oeil à In-Humus. Et lire un jour Manchette. Par contre Grangé, après son second roman, c’est vraiment plus mon truc (j’ai bien dû en lire quatre derrière les Rivières pourpres). Et merci beaucoup pour le gentil mot à la fin !
La BO : elle a été souvent reprise, cette chanson de Joan Jett, j’ai l’impression. Celle que je connais le mieux se trouve sur la BO de Kick-Ass (le film), et je n’ai absolument aucune idée de qui se cache derrière leurs interprètes, The Hit Girls.
C’est effectivement un job de rêve. Les premiers mois il m’arrivait même de me pincer pour être sûr que j’étais bien éveillé…
Le libraire en question : http://www.librairie-augrandnullepart.fr/chroniques-video/
Moi j’dis y’a quand même une faute dans le titre de l’article hein. Thierry pourrait s’en offusquer !
Je l’avais vu aussi. Je pécise donc que ce sont les genres qui sont mauvais et non le libraire qui a mauvais genre… Encore que… Une nana est venu me solliciter pour de la comm’. Et je lui ai dis le contenu de la phrase précédente. Elle a rit et m’a dis c’est pas comme si vous étiez tatoué. Je lui est fièrement exhiber mon avant bras gauche 😉
Je trouve que sur sa photo Thierry a des faux airs au chanteur de Depeche mode ^^ (les pieds surtout)
En tous cas ouvrir une libraire en ces temps troublés est une initiative courageuse (j’y avais pensé moi même mais je me suis honteusement dégonflé). Bref une excellente initiative à soutenir.
En tous cas je note l’adresse si je passe à St Etienne !
Tu y sera le bienvenue et un cadeau t’attend. J’ai d’ailleurs déjà eu un client de Saint Etienne, grand amateur du blog comme client et il est reparti avec son cadeau ! Une parole est une parole !
Ok si je passe sur Saint Etienne, je passerai !