Major Bummer super slacktacular par John Arcudi et Doug Mahnke
AUTEUR : PRESENCE
VO: DC, Dark Horse
VF : /
Ce tome regroupe l’intégralité des 15 épisodes de la série, en couleurs, initialement parus en 1997/1998, écrits par John Arcudi, dessinés par Doug Mahnke et encrés par Tom Nguyen. À l’origine, cette série a été publiée par DC Comics ; elle est ici rééditée par Dark Horse Comics.
Lou Martin est un jeune adulte, flemmard invétéré, adepte de jeux vidéo, avec un petit boulot de réparateur de produits électroniques (énervant son patron par ses retards répétés). Son film préféré est Abbott et Costello contre Frankenstein dont il possède une version « director’s cut ». Un matin il se réveille avec un corps de culturiste à l’épreuve des balles, la capacité inconsciente de maîtriser des technologies d’anticipation et toujours la même flemme.
En rentrant chez lui après avoir rendu inconscient 2 voleurs qui en avaient après la caisse du magasin où il se trouvait, il découvre un groupe de gugusses devant sa porte. Il y a Gecko (capable d’adhérer aux murs et de sculpter des formes dans la bière), Val Andrist (capable de vol aérien autonome), Francis Dutton (cri destructeur), Lauren Isley (capable de prédire l’avenir, à condition de se souvenir de ses visions et de ne pas s’endormir entretemps) et un chat noir capable de prendre une taille géante. Ils lui proposent d’intégrer leur équipe de superhéros pour lutter contre le mal.
Sans aucune hésitation, Lou Martin les prie d’aller voir ailleurs. Arrivant enfin dans son salon, il y trouve Yoof et Zinnac (2 extraterrestres) qui lui expliquent qu’il y a eu une petite méprise et que ce n’est pas lui qui aurait dû bénéficier de ses pouvoirs, mais qu’il est trop tard pour changer. En outre l’implant lui donnant ses pouvoirs agit également comme un attracteur de catastrophes en tout genre.
Bien contre son gré, Lou Martin sera plus ou moins inutile et incompétent pour s’occuper d’un groupe de loubards ayant eux aussi bénéficié d’implants (Nunzio, Carlos, Nancy, Reggie, et 2 autres), d’une invasion de vers extraterrestres omnivores et voraces, d’un tyrannosaure anthropomorphe nazi venu d’une autre dimension, d’un fan acharné voulant faire de lui un vrai superhéros, d’un enfant à qui il doit servir de baby-sitter le temps d’une soirée, de Nunzio, d’un procès pour avoir tué Nunzio, d’un futur dystopique, et de la fragmentation du temps.
Dans la page d’introduction, John Arcudi annonce clairement la couleur. Même quand il n’avait que 10 ans, les superhéros lui étaient insupportables. Il ne comprenait pas qu’ils puissent être altruistes à ce point (faire le bien tout en étant conspués), et porter des costumes moulants aux couleurs criardes. Arcudi s’est fait connaître en créant le personnage de The Mask, série à l’humour bien noir et provocateur (2 miniséries rééditées dans The Mask, omnibus Vol. 1) déjà dessiné par Doug Mahnke, qui a eu les honneurs d’une adaptation en film avec Jim Carey dans le premier rôle (The Mask, 1994). Par la suite, il est devenu le bras droit de Mike Mignola pour la série dérivée d’Hellboy : Bureau of Paranormal Research and Defense (depuis The dead, en 2005).
Il a également réalisé des histoires indépendantes comme A God somewhere ou The Creep. Doug Mahnke a acquis plus de notoriété en illustrant les aventures de Green Lantern scénarisée par Geoff Johns, à partir de Blackest Night, en dessinant sa relance dans le cadre de l’opération « New 52 », à partir de Sinestro (épisodes 1 à 6 de la série de 2011).
À condition de ne pas être averse à une histoire tournant en dérision l’un des fondements des superhéros (l’altruisme jusqu’au sacrifice, ou « À grands pouvoirs, grandes responsabilités »), le lecteur plonge dans des aventures tournant en dérision la majeure partie des stéréotypes propres au genre « superhéros ». Pour commencer, Lou Martin ne change pas de personnalité du jour au lendemain parce qu’il a acquis la carrure d’une armoire normande et la force d’un éléphant. Il reste égal à lui-même, avec aucune application pratique (ou presque) de sa force physique démesurée dans le monde réel.
Ensuite il a reçu ses pouvoirs par erreur (ils étaient en fait destinés à Martin Lewis, un homme pour le coup altruiste) du fait de l’incompétence des 2 extraterrestres (ils ne savent pas lire correctement un annuaire) qui sont en fait 2 étudiants effectuant une thèse sur les superhéros.
Les autres « superhéros » font preuve d’une inefficacité à la hauteur de leur entrain. Valerie Andrist a acquis la capacité de voler dans le ciel : superpouvoir totalement inutile dans un affrontement physique, sauf pour s’enfuir. Gecko adhère aux murs comme… une araignée (remarque sarcastique de Lou Martin), totalement inutile dans un combat, sauf… pour s’enfuir.
Les visions du futur de Lauren Isley sont sujettes à caution du fait de leur caractère partiel. Elle est capable de dire qu’une catastrophe majeure va se produire, mais sans date précise, ou sans en connaître la nature, ou en en ayant oublié une partie. Seul Francis Dutton dispose d’un pouvoir offensif mais il suffit de lui couvrir la bouche pour l’empêcher de l’utiliser. Il faut voir leurs costumes (faits maison avec des plis partout et des couleurs qui inspire plus la moquerie que la peur ou même le respect) pour se rendre compte à quel point ils sont ridicules, tout en reflétant la personnalité de celui qui l’a conçu.
Dans l’un des derniers épisodes, Gecko se plaint à Lou qu’il n’a jamais fait attention à lui, à commencer par ses modifications de costume. Devant la réaction ahurie de Lou, Gecko lui montre qu’il a découpé son masque pour laisser apparaître ses oreilles à l’air libre.
Arcudi et Mahnke ne se sont pas contenté d’accumuler les moqueries les unes après les autres. Arcudi raconte des histoires complètes en 1 à 3 épisodes, avec une forme de continuité légère qui émerge peu à peu. Chaque histoire peut être lue au premier degré, avec un début et une résolution satisfaisante, racontant la vie pathétique mais palpitante de ces individus improbables.
Au deuxième niveau, le lecteur apprécie la caricature des histoires de superhéros, avec un humour polymorphe et drôle. Ce dernier naît aussi bien du scénario, que des dessins, que de l’alliance des 2. Alors que Lou Martin a empêché le cambriolage d’une supérette (sans faire exprès), il demande au gérant s’il pourrait avoir 2 barres chocolatées gratuites. Ce dernier s’offusque qu’il soit déjà en train de monnayer ses capacités et son aide.
Reggie a obtenu une superintelligence, le conduisant à s’exprimer dans des phrases si complexes qu’aucun de ses collègues ne le comprend. Il n’arrive même pas à commander des œufs au plat de manière intelligible, finissant par exaspérer la serveuse. Parmi les supercriminels, celui qui a le plus de pouvoirs (superforce) est aussi le plus bête et le plus crédule. D’un côté, il peut enfin imposer sa volonté aux autres (le choix du restaurant) ; de l’autre la jolie donzelle le mène par le bout du nez.
Comme dans The Mask, l’apport de Mahnke est déterminant dans le niveau comique. Il a l’art et la manière d’exagérer les expressions, mais aussi de mettre en scène la dérision et l’absurde. Chaque épisode comprend plusieurs moments énormes, rendus encore plus irrésistibles par les images.
À l’évidence, une simple énumération écrite dans ce commentaire ne permettra pas de se faire une idée de ce don pour l’humour visuel. Il y a la tronche et l’apparence grotesque des 2 extraterrestres avachis sur le canapé devant la télévision, attendant le retour de Lou Martin, l’un des 2 avançant les bras tendus en avant se plaignant que le bonnet est défectueux (il l’a rabattu jusque sur ses yeux), le slip léopard de Nunzio, un extraterrestre éternuant sur le lecteur avec un strabisme convergent, les couvertures de chaque épisode (mention spéciale de celle avec les figurines de Lou, en particulier sur le siège des toilettes), etc.
Quand scénario et dessins se combinent pour un moment comique, le résultat emporte tout sur son passage. Cela va de la super équipe attendant le cambrioleur dans la salle de bains exigüe de Lauren Isley, à une électrocution au popcorn, en passant par une dissection à la tronçonneuse.
Au troisième degré, le lecteur peut déceler des clins d’œil à une sous-culture de divertissement de deuxième choix. Il y a bien sûr le film préféré de Lou Martin (Abbott et Costello contre Frankenstein), mais aussi ce tyrannosaure nazi, ou encore ces extraterrestres dotés d’une technologie époustouflante, et totalement incompétents. Il y a la couverture qui rend hommage à James Bond (avec 2 James Bond Girls assez particulière) et celle qui rend hommage à l’une de Crisis on infinite earths (Superman tenant le cadavre de Supergirl dans ses bras, épisode 7).
The complete Major Bummer super Slacktacular constitue une lecture drôle, une parodie savoureuse de superhéros, avec des vraies histoires dedans, c’est-à-dire un petit bijou d’humour doublé d’un véritable numéro d’équilibriste, le genre « superhéros » étant déjà outré de nature.
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La BO du jour : Lou Martin a droit à sa figurine sur son trône. Le King, lui est mort dessus….La vie est cruelle…
Et bien ça m’a l’air drôle comme tout ça. On croirait lire du Garth Ennis non ?
Je ne comprends pas trop ce truc éditorial qu’un truc paru chez DC aille ensuite chez Dark Horse ?
De ce que j’ai pu en comprendre après coup (parce que je n’ai découvert ces épisodes qu’avec leur réédition), l’éditeur DC Comics avait oublié cette série, déconnectée de l’univers partagé DC, en laissant les auteurs en conserver la propriété intellectuelle. Or par la suite, John Arcudi a travaillé presqu’exclusivement pour Dark Horse comme assistant scénariste de Mike Mignola. Je suppose que les droits de publication ont fini par revenir à Arcudi & Mahnke, ce qui leur a permis d’envisager une intégrale, et qu’Arcudi s’est tout naturellement tourné vers Dark Horse (plutôt qu’Image ou IDW).
A mes yeux, la narration ne comprend pas les moments trash d’Ennis, mais c’est très caustique comme du Ennis.
Je ne connais pas beaucoup John Arcudi. Son God Somewhere m’avait laissé froid. J’ignore si j’appécierais davantage son versant comique. Tu vends très bien le bouquin, comme toujours, mais je reste réservé.
J’ai appris à connaitre John Arcudi avec le BPRD, la série dérivée de Hellboy. J’y ai découvert un coscénariste avec un savoir-faire impressionnant pour donner de la personnalité et du caractère aux protagonistes au travers des dialogues. Je me suis également souvenu en cours de route que j’avais eu l’occasion d’apprécier une autre de ses facettes (son humour) avec les 2 miniséries de The Mask, 1991 & 1992. Je n’avais pensé à faire le rapprochement, mais la comparaison avec Garth Ennis de Bruce me semble opportune, quant à l’utilisation du potentiel comique de la dérision. Il y avait peut-être plus de méchanceté et de sang qui gicle dans The Mask.
J’avais également bien aimé A god somewhere. Seule la critique très négative de Bruce sur le site m’a dissuadé de lire The Creep… mais la tentation est toujours là. 🙂
Certains passages de ce que tu décris m’évoquent « The Pro » de Ennis justement.
Hello,
Le personnage principal me fait un peu penser à celui du film de Big Lebowski ! Un type ordinaire à qui il arrive des histoires extra-ordinaire…
Je n’avais pas fait le rapprochement avec ce film, mais effectivement Lou Martin se retrouve dans une situation à laquelle il est totalement étranger, avec la particularité que les individus autour de lui font preuve d’un rare niveau d’incompétence.
Ce comics m’a l’air d’être un franc délire !
Je bloque ceci dit un peu sur le dessin qui fait que je n’aurais à priori pas pensé à lire ce comics de moi même… Cependant ton article m’a convaincu de lui donner une chance.
Bref ma liste « à lire » s’allonge…
Avant d’accéder au statut de dessinateur de premier plan chez DC Comics grâce à son passage sur Green Lantern écrit par Geoff Johns, Doug Mahnke était un artiste à l’humour noir féroce, avec une capacité rare pour l’humour bien saignant et des apparences dérangeantes pour les personnages. Je le préférais dans ce mode là, plutôt que dans phase actuelle. Il s’agit des 2 créateurs qui ont réalisé les premières miniséries de The Mask, bien brutales avec un humour absurde bien assumé.
Je me souviens encore de la version commentaire sur amazaune qu’avait écrit Présence. Ça commence à dater ! Je regrettais que ce ne soit pas sorti en VF et j’avais fait moi aussi le parallèle avec Ennis !
Mais comme je le disais à l’époque, je ne pense pas qu’il existe une version director’s cut d’Abbot & Costello meet Frankenstein ! 🙂
Nous en avions effectivement discuté à l’époque, et je pense que cette version director’s cut est une note d’humour tournant en dérision le niveau intellectuel de Lou Martin par le biais d’un film déjà au ras des pâquerettes dont personne avec 2 neurones ou plus ne pourrait vouloir d’une version longue. 🙂
Le scan Crisis on Infinte Jerk
Pardonnez mon ignorance en matière DC, mais l’original de cette cover serait antérieure à la fameuse de Cyclope tenant dans ses bras Jean morte au moment du Phénix noir ?
La Pieta a été abondamment copiée/citée dans les comics, avant la Dark Phoenix Saga ou Crisis.
CBR avait fait une mini-rétro :
http://www.cbr.com/i-cant-cover-what-i-am-the-best-pieta-covers/
@Bruce – Sur le fond, tu as entièrement raison : Crisis 7 paru en octobre 1985, soit 5 ans après X-Men 136 paru en avril 1980. Je présume que Crisis on infinite Earths avait un retentissement médiatique (dans la sphère comics) plus important que la série X-Men.
Je ne connaissais pas du tout, mais ça a l’air génial ! J’ai très envie de me le mettre sur une liste de trucs à acheter. Les dessins ont l’air terribles, le scan des deux extraterrestres sur le canapé est irrésistible, tout comme la couverture avec les figurines.
De The Mask, je ne connais que le premier film, que j’ai trouvé réussi mais aussi un peu simpliste et pas foncièrement drôle à part quelques bonnes blagues (celle que j’ai préférée étant celle avec le Mask recevant un oscar pour sa prestation simulant la mort). Je ne sais pas du tout ce que cela peut donner en bd.
Je me souviens également avoir vu le film avec Jim Carrey et avoir eu du mal à retenir mon impatience devant la narration un peu gentille (en tout cas tout public) comme tu le dis, pour qu’enfin The Mask puisse tout emporter sur son passage. Ses quelques apparitions étaient ébouriffantes et semblaient devoir beaucoup au cabotinage de Jim Carrey et à l’influence de Tex Avery.
Ah oui, on sentait bien l’influence de Tex Avery ! Complètement d’accord avec toi pour tout le reste.