Batman – War On Crime par Paul Dini et Alex Ross
1ère publication le 16/12/14- Mise à jour le 15/08/17
AUTEUR : JP NGUYEN
VO : DC
VF : Soleil- Semic
War on Crime est un one-shot de Batman par Paul Dini et Alex Ross, paru en 1999.
C’est le deuxième album d’une série de quatre proposés par ce duo d’auteurs et consacrés à un héros majeur de l’univers DC Comics. Il succède à Superman – Peace On Earth et après lui, viendront Wonder Woman – Spirit of Truth et Shazam – Power of Hope.
Toutes ces histoires ont été publiées dans un format plus grand que le format comics habituel, pour magnifier les peintures d’Alex Ross. Elles ont aussi en commun l’utilisation de la narration à la première personne par chaque héros via des textes incrustés dans les images, sans phylactères, ce qui ménage une place encore plus grande que pour les illustrations.
En VF, « Guerre au crime » a été publié en kiosque par Semic et en librairie par Soleil. N’allez pas pour autant croire que War On Crime est juste un beau livre sur Batman. Il y a une histoire, et une bonne, avec ça !
La première page nous montre Batman drapé dans sa cape, perché sur le caveau familial dans un cimetière de Gotham. Il se remémore la mort de ses parents et pense aux fantômes disparus et à ceux attendant toujours. Les pages suivantes nous montrent Batman/Bruce Wayne dans ses activités nocturnes et diurnes, avec un monologue intérieur commentant les deux faces de sa vie et s’interrogeant sur ses choix. Le récit se focalise ensuite sur une nuit particulière, où Batman arrête un braqueur qui venait d’attaquer une boutique mais il arrive trop tard pour sauver le couple de propriétaires qui ont été abattus et qui laissent derrière eux un orphelin, Marcus.
Le braquage s’est déroulé à Bayside, un quartier de Gotham à la dérive, repère de divers trafiquants et ciblé par le magnat Randall Winters pour un vaste projet immobilier prévoyant des appartements de standing et des boutiques de luxe. Cela implique au préalable un « nettoyage » du quartier. Mis dans la confidence par Winters, qui souhaite le faire investir, Bruce Wayne décide de le contrecarrer.
War On Crime propose une exploration intelligente de Batman/Bruce Wayne à travers deux personnages lui servant de reflets : Marcus et Randall Winters.
Le parallèle entre Bruce et Marcus est évident, du fait de leur trauma commun. Mais après la nuit du drame, leurs routes vont se croiser encore à deux reprises et cela conduira Batman à reconsidérer son approche de la guerre au crime. En effet, il réalise que sans le privilège de la fortune des Wayne qui lui a permis de s’engager dans sa carrière de justicier, il aurait pu suivre un tout autre chemin et basculer du mauvais côté de la loi. Il décide d’associer répression et prévention. En investissant dans une usine de Bayside, il recrée des emplois et espère impulser une nouvelle dynamique au quartier.
Randall Winters joue le rôle de double négatif pour Bruce Wayne. Un homme fortuné mais sans scrupule, ne recherchant que le profit pour augmenter sa richesse déjà considérable. Son égoïsme et sa rapacité le rendent éminemment peu sympathique pour le lecteur mais Bruce songe un instant que, si les caprices du destin avaient été différents, il aurait pu devenir comme Winters. La dernière entrevue entre les deux millionnaires est l’occasion pour Wayne d’exprimer sa préférence pour investir dans l’humain (les habitants de Bayside) que dans la pierre (le projet immobilier de Winters). Tout un symbole…
La mise en image du récit est un vrai régal, pour qui n’est pas hermétique au style d’Alex Ross. Malgré le photoréalisme, les personnages ne font pas trop statiques. La narration est fluide et les planches sont très lisibles même lorsque Ross n’utilise pas de cadres pour séparer les images des différentes cases. Batman est dessiné avec un masque laissant ses pupilles visibles. Cela colle au style des illustrations mais c’est aussi adapté à l’histoire, qui nous parle d’un Dark Knight plus humain, qui essaye de comprendre les difficultés pouvant mener un individu sur un parcours criminel et qui montre aussi de la compassion pour les victimes.
Alors, bien sûr, malgré les prouesses picturales de Ross pour ancrer son récit dans le réel, l’ensemble du récit se lit plutôt comme une fable, un conte moral. Que la philanthropie de Bruce Wayne soit suffisante pour relancer le quartier de Bayside est une idée à la vraisemblance discutable. Mais est-ce un vrai problème ? Après tout, nous sommes dans un univers où le héros s’habille en chauve-souris pour lutter contre le crime.
J’ai toujours aimé les récits de super-héros capables d’inspirer leurs lecteurs et les amener à reconsidérer leur vision du monde. Voilà une histoire où Batman ne met pas une grosse mandale au grand méchant de l’histoire. Il y a de l’action mais c’est assez light. Il n’y a pas de bras arraché ni de visage décollé. Personne n’est torturé, aucun membre du supporting cast ne meurt de façon spectaculaire. Mon Dieu ! Est-ce un récit suffisamment adulte et moderne ???
Adulte, bien sûr ; moderne peut-être pas. Dini et Ross ont produit un classique. Une histoire intelligente et très joliment illustrée qui nous montre un Batman essayant de lutter contre les origines sociétales du crime. La fin du récit est empreinte d’optimisme, avec un Batman surplombant Gotham et songeant que s’il a pu réorienter Marcus sur le droit chemin, l’espoir existe pour d’autres et que s’il peut sauver un quartier, alors peut-être que le reste de la ville pourra suivre.
Cet optimisme reste mesuré puisque l’album se clôt par une anaplodiplose avec, comme au début du récit, un Batman perché et drapé dans sa cape (mais au dessus d’un pont, cette fois) : il espère que la peine de Marcus s’atténuera avec le temps et qu’elle disparaîtra. Et peut-être qu’un jour, la sienne disparaîtra aussi mais… pour l’instant il attend toujours.
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Un Batman humain, altruiste et sensible, ça existe ça ? Oui chez Paul Dini et Alex Ross : Batman War on Crime. Jean Pascal Nguyen vous fait le tour du propriétaire de Bayside, un quartier réhabilité par Bruce Wayne.
La BO du jour : Bruce Wayne et Randal Winters, deux faces d’une même pièce, ça ne vous rappelle rien ?
Comme toi, j’avais plus lu ces récits comme une fable, un conte moral. Je les avais lus alors que je lisais encore des contes pour mes enfants. A mes yeux, Dini et Ross ont utilisé les mêmes modalités de narration : des grands images, et un texte peu intrusif. Du coup, pour moi, la forme est plus à destination de la jeunesse que des adultes (ce qui ne constitue pas une critique, ni de l’ouvrage ni de ton article). La narration est adulte du fait du thème développé et de l’intelligence de la narration.
La conclusion m’avait déconcerté parce que l’idée maîtresse du récit est de dire que les superhéros ne résolvent rien (par la violence) et de les limiter à une forme de divertissement, que le véritable héroïsme réside dans la construction positive et proactive de l’avenir (ce qui est antinomique avec la résolution physique de conflit = taper sur le problème jusqu’à ce qu’il disparaisse).
J’ai appris un nouveau mot de vocabulaire : anaplodiplose (pas sûr que j’arrive à le retenir, encore moins à le recaser).
J’ai également beaucoup apprécié ton décortiquage de la partie graphique, en particulier les pupilles visibles et leur signification, le dos couturé de cicatrices de Bruce Wayne.
A partir du moment où j’ai su qu’il existait un terme pour désigner la figure narrative reprenant un motif dans les scènes finales et initiales, j’ai voulu le caser et War on crime m’en a donné l’occasion. J’espère que vous excuserez mon côté un peu pédant sur ce coup là.
L’histoire est un peu moins percutante que celle de Superman (qui sera à mon avis la meilleure de toute la série) le « comics » se lit malgré tout avec plaisir et les dessins de Ross sont tout simplement sublimes !
Bonjour à tous,
Je suis très honoré de l’attention que vous me portez, d’autant plus que ce blog est tenu par un membre de la bande au Joker spécialisé dans le Batman Bashing.
J’ai eu une conversation droit dans les yeux avec ce M. Tringale qui a pu enfin voir les miens grâce au costume que M. Ross a bien voulu concevoir pour moi.
M. Tringale a voulu se la jouer Double Face en me disant que c’était la première fois qu’il me voyait prendre un enfant dans mes bras et que pour une fois il semblait que j’avais manifesté un acte de bonté envers autrui, ce qui l’aurait profondément touché.
Sa rédemption semblerait donc possible et il m’a juré qu’il essairerait de lire cette histoire. Je le surveille de près !
Merci M. Nguyen
N’hésitez pas à contacter Alfred à vitre prochaine visite de Gotham.
Cordialement
B.W
Bel article, précis et concis. Et joli, le coup de « l’anaplodiplose » 😀 !!!
Je l’ai mais je ne l’ai pas encore lu ! Etrangement, je l’ai toujours gardé de côté pour un jour -je ne sais pas lequel- où j’aurais envie de lire un grand Batman, car j’ai toujours pensé que je devais adorer ce GN !
Par contre, je n’ai pas les trois autres (Superman, Shazam et WW). Et je commence à me demander pourquoi…
Merci ! J’ai bien aimé cet article et cette évocation d’une série de récits que je ne connaissais pas.
Outre les publications de Semic et Soleil, les différents récits d’Alex Ross (Superman: Peace on Earth, Batman: War on Crime, Shazam: Power of Hope, Wonder Woman: Spirit of Hope, JLA: Secret Origins et JLA: Liberty and Justice) ont également été regroupés par Panini dans l’absolute « Les Plus Grands Super-Héros Du Monde ». 😉
Alex Ross : J’ai lu très peu de choses de lui. Si ! la semaine dernière, Uncle Sam qui m’a profondément emmerdé. Désolé, je fais mon beauf, mais j’étais au supplice de finir cet interminable zapping de l’histoire américaine sous forme de divagation / allegorie.
Il a rejoint le bac à soldes presto et je n’ai même pas le courage de m’attaquer à sa critique, tellement je n’ai rien à en dire….
« anaplodiplose » Une définition pour ceux qui ne veulent wikipédier JP ?
@Bruce : dans mon commentaire de ce matin, je redonne déjà une définition succincte :
« la figure narrative reprenant un motif dans les scènes finales et initiales »
On peut aussi parler d’épanadiplose narrative (si; si…)
Quelle différence avec un leitmotiv ?
Ben déjà, le leitmotiv peut être placé à plusieurs endroits tandis que l’anaplodiplose se limite au début et à la fin. D’autre part, mais là, je m’aventure un peu, il me semble que le leitmotiv est répété à l’identique tandis que l’anaplodisplose tolère une certaine « déformation » du motif pour jouer sur la symétrie, la scène n’est pas forcément identique, elle peut être analogue. Pour reprendre War on Crime, on parle au début de fantômes disparus ou non et à la fin de la peine ressentie par Marcus et Bruce qui disparaitra/qui demeure…
Très bel article qui donne envie. Bruce avait raison hier quand il parlait des albums de Batman intéressants. J’adore les peintures d’Alex Ross qui m’éblouit à chaque fois, mais j’ai lu peu de bonnes histoires avec lui au dessin. Kingdom Come m’a emmerdé, Uncle Sam je le sentais pas a priori j’ai eu le nez creux, reste Marvels, que je ne retrouve pas.
Si Urban le ressort, pourquoi pas, car hors de question de chercher des occasions à ces prix… Quant à anaplodiplose, merci beaucoup !
Très bel article. Merci. Je vais essayer de le lire. Effectivement Bruce tu pourras lire cet opus. Pour une fois Batman ne fait pas que taper sur des pauvres, selon ton expression.