Shutterburg Follies by Jason Little
AUTEUR : PRÉSENCE
Shutterburg Follies est écrit et dessiné par Jason Little. Il s’agit d’une Graphic novel édité en VO par Doubleday et Akileos en VF.
Ayant découvert Bee (une jeune femme) dans Motel Art Improvement Service (sa deuxième aventure), il était logique que je m’intéresse à sa première aventure qui est l’objet de ce tome paru en 2002. Bee (à peine 18 ans dans cette histoire) travaille comme assistante dans un laboratoire photographique. Elle reçoit les clients, réceptionne leur pellicule et effectue le développement avec sa grosse machine.
Ayant décidé d’arrêter ses études, Bee a trouvé un emploi qui lui permet de s’introduire dans la vie privée des clients. Elle visionne chacun des clichés et se fait un double de ceux qui titillent sa curiosité. Elle les met de côté et les fait découvrir à Lyla sa meilleure amie qui est à la fac. Parmi les photos qu’elle sélectionne, il y a les petites amies qui posent en sous-vêtements pour les copains, les spectacles de striptease, et le grand classique de la copine photographiée sur les toilettes.
Bee a le sens de la transgression. Et de temps en temps, elle a sous les yeux une perle, tels les corps restaurés par un expert en thanatopraxie (préparation des cadavres pour les funérailles).
Puis un jour, elle visionne une pellicule contenant le corps d’une femme dans une baignoire dont l’eau est saturée de sang. La disposition de la femme et le comportement étrange du propriétaire des photos l’incitent à lâcher la bride à sa curiosité naturelle. Elle retrouve l’adresse du monsieur, l’épie par sa fenêtre, demande à un chauffeur de taxi (Rodney Plaster) de le suivre dans ses déplacements en voiture, etc.
Dès cette première histoire, tout le style de Jason Little est en place, et toute la personnalité de Bee rayonne. Si Little n’a jamais exercé l’emploi occupé par Bee, je n’y ai vu que du feu. Il capte immédiatement l’attention du lecteur avec ce voyeurisme simple et plausible qui consiste à contempler les photographies personnelles de parfaits inconnus dans leur intimité
Cet emploi donne tout de suite une étrangeté et un caractère particulier à Bee. Little le montre de façon anodine et magistrale lorsque Bee est assise dans le bus en train de contempler ses choix et que sa voisine jette un coup d’oeil et aperçoit des photographies de ce qui semble être des cadavres.
Bee dispose de connaissances qui la place naturellement à part du commun des mortels. Sa nature inquisitrice et optimiste la range dans la catégorie des héroïnes de roman pour jeunesse : une jeune femme courageuse, pleine de ressources, mais sans que Little n’en fasse une experte en arts martiaux, ou une détective intuitive qui ridiculise la police.
Il est impossible de résister au charme plein de fraîcheur de cette demoiselle. Attention, elle n’est pas naïve ou fleur bleue pour autant, il ne s’agit pas d’un roman de la Comtesse de Ségur ou d’Enid Blyton. Bee se confronte à des manifestations très réelles de la mort naturelle (ou criminelle), à une exposition d’art contemporain peu ragoûtante, au syndrome de Münchhausen par procuration, et à une tentative de séduction de sa part.
La bonne humeur de Bee ne doit pas faire croire que cette aventure soit à classer dans le rayon jeunesse. Jason Little expose également la démarche artistique et conceptuelle d’un photographe assez particulier, ce qui éloigne encore Bee des aventures palpitantes et proprettes de Marion Duval.
Le style des illustrations pourrait également faire penser à une cousine assez proche de Tintin, avec des dessins simples et des couleurs assez vives. Cette orientation graphique permet de dédramatiser certains visuels tels qu’une photographie prise lors d’un accouchement, un adepte du skate nudiste avec tout le matériel à l’air, un cadavre de chien entièrement dépecé, ou un jeu dangereux avec une seringue.
Jason Little choisit d’adoucir ses dessins (il arrondit même les angles des cases), mais il n’affadit pas sa vision. Chaque individu présente des particularités physiques qui évitent au lecteur d’avoir l’impression de voir défiler des mannequins dans une mauvaise sitcom. Il semble également que Little se soit inspiré d’un quartier de New York qu’il connaît bien pour situer son action.
Son ouvrage se présente en format paysage ce qui ajoute un petit air décalé à la lecture. Il alterne régulièrement les séquences de dialogues, avec les séquences d’action, parfois muettes. Et il y a toujours un détail ou deux dans chaque case qui viennent enrichir la lecture, personnaliser chaque endroit.
Bien sûr, cette histoire présente une ou deux imperfections. Little se complaît à une ou deux reprises à insister sur la question de la nudité du corps humain et la dernière scène occupe à elle seule 50 pages entièrement dédiée à l’action pour un changement de rythme qui semble un peu forcé.
Au global, cette histoire impressionne par sa vivacité, sa façon d’aborder des questions délicates sans avoir l’air d’y toucher, son utilisation du voyeurisme qui fait penser une ou deux fois au maître Alfred Hitchock dans Fenêtre sur cour. Jason Little réussit un numéro d’équilibriste entre le récit d’aventure, la candeur de la jeunesse et des thèmes adultes.
J’ai adoré ! Bruce Liseurs, faites nous confiance ! Les aventures de Bee sont de vraies merveilles ! C’est frais ! Imaginatif ! Bien dessiné ! Bien écrit ! Superbement découpé ! Un mélange unique d’humour et de thriller, comme le décrit si bien Présence, un mix incroyable entre Tintin et Hitchcock !
Dommage que dans les deux cas, les couvertures de Bee soient si peu attrayantes !
Présence : Ton article est si parfait, si conforme au plaisir de lecture que j’en ai eu que tu m’as dissuadé d’en écrire une ligne de plus !! Par contre, j’ai trouvé la séquence de fin avec l’enfant un peu brutale au regard de l’ensemble du récit. Une trilogie est elle en cours ? Et le deuxième volume a été publié chez DArk Horse ?
Il est clair que sans vos recommandations, je n’aurais même pas imaginé m’intéresser à un tel album. Je déteste le format paysage et les dessins ne me plaisent pas du tout au premier coup d’oeil (trop candides, trop connotés « arty USA »).
De plus, le sujet ne fait pas du tout partie de ce que j’ai envie de lire.
Mais je le note dans un coin…
Merci Presence et Bruce (du coup j’ai lu le billet sur Motel Art improvementservivce)
Elle m’a l’air bien délurée et dégourdie cette Bee, et puis les rousses girondes…
Quand à la lecture de BD, comics et manga abordant des thèmes de société difficiles tels les SDF ou les femmes battues, thème abordée dans la chronique précédente, je suis preneur tant je trouve ce média intéressant pour montrer l’indicible, cet intervalle entre la pensée, la parole et les actes.
Et comme tu bosses sur un article sur les SDF, Bruce, je mets en lien une chronique sur Le journal d’une disparition, un manga qui m’avait marqué sur ce sujet.
http://ushi.over-blog.net/article-la-vie-de-vagabond-ou-sdf-abordee-en-manga-57519794.html
Merci Lone !
La deuxième proposition a des dessins qui me parlent plus. Sur la même thématique, mon coup de coeur de 2014 : Je ne suis pas un homme
Oui, j’avais lu ta chronique auparavant et ça a l’air d’être une lecture marquante.
Celui-là, je l’ai lu il y a quelques années et j’en garde un bon souvenir quoique diffus. En parlant de talent, pardonnez-moi la liaison abrupte, j’ai eu la chance de lire l’épreuve des 100 premières pages du Sculpteur de Scott McCloud qui paraît en VO la semaine prochaine:
http://scottmccloud.com/2-print/5-sculpt/index.html
Et en français mi-mars aux êditions Rue de Sèvres. L’histoire démarre avec le pacte faustien passé par un artiste, dont l’histoire familiale s’avère dramatique, et qui vit dans la misère après avoir eu un 1/4 d’heure de gloire quelques années auparavant. Il échange sa vie contre 200 jours pour devenir le sculpteur le plus illustre de tous les temps.
C’est peu dire que ces 100 pages m’ont fait grimper aux rideaux et que je n’attendrai pas la traduction pour lire la suite de ce qui promet d’être une des grandes joies de cette année.
Merci. Très émouvant cet artiste dont la femme reste la muse après des années de vie commune.
Et puis cette couv…si Bruce arrive pas à nous évoquer The Wall la-dessus:-)
Intéressant ! Même si The Wall est plutôt misogyne, les femmes étant un élément de destruction dans la vie de Roger Waters !
Merci pour tous ces liens les copains. Je ne savais pas pour le Scott McCloud, il a l’air intéressant. Enfin, j’ai survolé tous vos articles (sauf la chro de Présence qui donne envie) et je ne connaissais pas ces mangas.
Sinon dans le style description de la misère, un autre manga que j’ai beaucoup aimé (mais je n’ai pas lu le dernier tome, encore), le vagabond de Tokyo : http://www.bedetheque.com/serie-22421-BD-Vagabond-de-Tokyo.html
Il n’y a pas d’histoire à proprement parler, c’est de l’autobiographie romancée je crois. C’est chaud mais également très triste et très attachant. C’est une chronique de la misère ordinaire, sans réels liens entre chaque épisode. Et c’est drôle.
J’ai lu ce we les aventures de Bee. C’est toujours aussi agréable. J’avais découvert le tome 1 sur ce blog. Le tome 2 est me semble t il un peu plus dans l’aventure pure que le premier tome qui était aussi sur la découverte de soi et des sentiments adolescents. Merci pour ces découvertes.
Je l’ai emprunté et lu cette semaine. C’est sympathique, avec un découpage très efficace et un rythme enlevé, mais je serai quand même moins enthousiaste que Bruce et Présence. Le style du récit, une sorte de Tintin au féminin modernisé, est agréable mais pas non plus inoubliable et la fin parait un peu expédiée (presque digne d’un film français, et non, ce n’est pas un compliment…). En ce qui me concerne, je ne donnerais pas la note maximale à Bee mais plutôt un… B (ou B+, au mieux).
Effectivement dans mon souvenir, la fin de ce premier tome est en décalage avec la tonalité du début, à la fois trop longue et abrupte. Je partage ton jugement de valeur sur son caractère expédié.
Dans mon souvenir, le deuxième tome est plus abouti, à la fois sur le plan graphique et dans la structure du récit, même si l’auteur a persisté pour un final de type action.
Je te recommande donc la lecture du tome 2 si tu peux le trouver bibliothèque (les années passant, je me rends compte que je m’en souviens encore bien, donc qu’il peut être classé dans la catégorie de mes inoubliables).
http://www.brucetringale.com/a-beecylette/
Oui, je peux trouver le deuxième dans ma médiathèque. Ils étaient en rayon tous les deux mais j’ai pris d’autres trucs cette semaine…