Secret service – Kingsman Par Mark Millar et Dave Gibbons
AUTEUR : PRÉSENCE
Ce tome comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2012. Il s’agit d’une histoire complète en 1 tome, indépendante de toute autre. Elle est écrite par Mark Millar, assisté de Matthew Vaughn (le réalisateur de Kick Ass ) pour l’intrigue. Les dessins ont été réalisés par Dave Gibbons (le dessinateur de Watchmen ).
Gibbons a encré le premier épisode, les épisodes 2 à 6 sont encrés par Andy Lanning. La mise en couleurs est assurée par Angus Mckie.
Marvel a publié cette histoire en VO et Panini en VF.
À Zermatt en Suisse, un commando d’une demi-douzaine d’hommes armés est en train d’enlever Mark Hamill (l’acteur qui interpréta Luke Skywalker). Leur opération est interrompue et compromise par Bimbo, un espion au service secret de sa majesté. Il prend Hamill en charge et ils fuient sur une motoneige.
À Peckham (un quartier du sud de Londres), Gary London (un jeune adulte) sort de l’appartement qu’il occupe avec Sharon sa mère et Ryan son petit frère. Le logement est payé par Dean, un individu brutal sans éducation qui trouve drôle de faire rouler un cône à Ryan qui a moins de 10 ans, devant ses potes. Gary rejoint ses copains, vole une voiture et ils se payent une virée dans les rues de Londres, bientôt suivis par une voiture de police.
Dans une restaurant de luxe, Jack London (l’oncle de Gary, un agent secret) apprend de Sir Giles (haut fonctionnaire du MI6) le décès d’un autre agent et la nature de sa prochaine mission.
Avant même de découvrir cette histoire, le lecteur a conscience qu’il s’agit d’un produit prêt à servir de base à un film, ce qui est le cas. Avec cette idée en tête, il est difficile de lire ce récit, sans rechercher et identifier les éléments qui ont été inclus dans le but affiché de servir d’arguments de vente pour un réalisateur (Matthew Vaughn lui-même). Néanmoins, dans la mesure où Mark Millar est un vrai scénariste, le lecteur bénéficie d’un vrai comics, plus que d’un synopsis.
Première séquence, première impression : il s’agit d’une scène de pré-générique d’un film de James Bond, avec un gros clin d’œil aux passionnés de culture populaire, grâce à la présence de Mark Hamill. Deuxième séquence : c’est bien Mark Millar qui est aux commandes, immédiatement reconnaissable par son humour provocateur et trash. Ça commence avec cet enfant qui roule un pétard devant des adultes bas du front et hilares. Ça continue avec Sir Giles qui se plaint des restrictions budgétaires qui l’obligent à justifier ses notes de frais dans des grands restaurants.
Millar pointent du doigt les prolétaires ignares et irresponsables, et juste après les privilégiés se gavant. Le début du deuxième épisode combine la recherche de scènes à fort potentiel cinématographique avec une provocation gratuite et adolescente : une scène de mariage de groupe qui finit en bain de sang.
Dave Gibbons effectue un travail rigoureux. Il a conservé cette approche descriptive qu’il utilisait déjà dans Watchmen, sans que ses dessins n’en deviennent encombrés. Il réalise toujours un découpage de planche qui repose sur des cases rectangulaires, mais sans s’astreindre à la matrice de 9 cases par page de Watchmen.
Tout au long de ces épisodes, le lecteur apprécie le juste dosage entre cases dépourvues d’arrière plan, et cases où le décor est représenté. En fait, il faut faire un effort pour se rendre compte que certaines cases ne disposent pas de décor, Gibbons les gérant avec intelligence et parcimonie. Chaque séquence se déroule dans un lieu décrit dans le détail, avec des spécificités qui le rendent unique.
De la même manière, Gibbons a conçu une apparence physique spécifique pour chaque personnage, ce qui permet de les identifier du premier coup d’œil. Là encore, le réalisme prime, avec des morphologies diverses et variées, et un soupçon de multiculturalisme, même si les blancs prédominent largement (ce qui est en cohérence avec le scénario).
Les contours des personnages ou des éléments de décors donnent une impression de légère rondeur et de simplification, mais lorsque le regard s’arrête sur une case ou un détail, il apparaît qu’il ne s’agit que d’une impression et que chaque élément visuel a bénéficié d’une savante composition.
Tout au long du récit, le lecteur ne peut pas se défaire de la sensation que Millar et Vaughn le flattent à grands coups de clins d’œil démagogiques. Chaque séquence comporte une ou plusieurs références à la culture geek. Il y a donc ce mélange de James Bond premier degré, avec une technologie bénéficiant d’une légère anticipation. Il y a ces virées avec les potes pas futés de quartier, ce petit jeune qui veut s’en sortir mais qui ne le sait pas, et qui bénéficie d’une chance inouïe grâce à son tonton qui est agent secret.
Cette figure paternelle réussit à lever des poulettes avec plus d’aisance que le petit jeune qui peut voir son oncle dans le feu de l’action au lit, grâce à des lunettes high-tech. Il y a le jeune milliardaire qui évoque un croisement entre Bill Gates et Mark Zuckerberg (le créateur de Facebook).
En même temps, le lecteur constate que les auteurs ne sont pas moqués de lui. Les pages sont bourrées à craquer d’information, d’action, et d’interaction entre les personnages, tout en restant facilement lisibles grâce aux dessins soupesés de Gibbons, et à des dialogues travaillés. L’intrigue principale recèle plusieurs surprises intelligentes. Les scènes d’action sont spectaculaires et innovantes, pas seulement décalquées sur les conventions d’un film de James Bond.
Le récit n’est pas seulement calibré pour son cœur de cible, il est aussi écrit de manière fluide et rythmée. Certes certaines explications semblent un peu trop explicites ou didactiques, comme si les auteurs voulaient avoir l’absolue certitude de ne perdre personne, même pas leurs lecteurs un peu moins futés (comme les potes de Gary).
Certes Gary révèle ses aptitudes inattendues au moment opportun, sans grande surprise. Certes aucun des clichés propres au film de James Bond n’est épargné au lecteur, mais ils ne servent pas de béquille au récit. Ils arrivent juste à point nommé et sont insérés pour respecter les conventions du genre, sans les questionner ou les déconstruire.
Cette histoire constitue une lecture très agréable et très divertissante, réalisée par des professionnels maîtrisant leur art. Il persiste donc cette sensation de démagogie, plus amusante qu’irritante. Il finit également par émerger un constat plus inattendu. Millar s’assure régulièrement d’insérer également une situation choquante, à l’encontre des bonnes mœurs, ajoutant ainsi une dimension provocatrice. Pourtant, la morale de cette histoire est de nature réactionnaire.
Millar et Vaughn ne font pas que se plier aux conventions du genre « James Bond », ils les reproduisent avec respect. Alors que le lecteur supputait une forme de rébellion de la part de Gary London, il le voit rentrer dans le moule et prôner une intégration par la réussite qui surprend fortement par rapport à une mentalité geek, un peu en marge de la société normalisatrice. Malgré quelques moments chocs et iconoclastes, les auteurs racontent un récit très conformiste.
Cette histoire constitue un divertissement alerte et intelligent, réalisé par des professionnels très compétents. Le lecteur l’appréciera d’autant plus qu’il se prêtera au jeu d’identifier les éléments inclus pour mieux parler au cœur de cible, dans une démarche démagogique affichée, d’une franchise désarmante.
Comme d’habitude, Présence, je salue ton sens de l’analyse! Ce qui me frappe dans ta critique, c’est que tu reconnais et identifies plusieurs qualités à l’oeuvre mais que tu gardes quand même une certaine distance. « C’est du bon travail » mais c’est divertissant sans plus, c’est ce que j’en retiendrai.
Comment définirais-tu le coeur de cible du bouquin ?
Je crois, en tout cas, ne pas en faire partie car les comics conçus comme des pitchs de films m’agacent un peu. C’est dommage de ne pas profiter de toutes les possibilités du médium pour se limiter à faire du « sous – cinéma « .
Petit détail : tu places l’adjectif « multiculturalisme » pour décrire que Gibbons ne dessine pas que des blancs et ce mot ne me paraît pas coller à 100%. Multiethnique ou multiracial me sembleraient plus correspondre.
Pour finir, petite citation d’Ingrid, du sketch des Inconnus : « Je suis pour un brassage des ethnies et une société cosmopolite… » (oui, c’est totalement gratuit mais j’aime bien les Inconnus).
J’ai tapé « multiculturalisme » sans trop y réfléchir. Avec le recul ce terme correspond bien à l’idée que je souhaitais faire passer : des blancs occidentaux dans un monde de blanc. Ajouter quelques personnes de couleur (il en apparaît déjà une poignée) n’aurait pas changé le point de vue du récit.
Le cœur de cible : un lecteur souhaitant se plonger dans une aventure grand spectacle, avec quelques références geek, sans superhéros. J’ai trouvé ce récit très agréable à lecture, drôle et détendant.
En fait, Présence, c’est l’amalgame entre couleur de peau et culture qui ne me semblait pas coller… Et le fait que tu aies choisi ce mot alors que tu as un vocabulaire en général précis m’avait interpellé. Je ne lui donne pas le même sens que toi apparemment. Mais ma définition en est peut être trop étriquée.
Comme toujours Millar a toujours des pitch géniaux. Je me laisserai peut être tenter qui sait ? Par curiosité, et parce que je suis moins la carrière des dessinateurs, Gibbons a t’il réalisé de grandes choses après Watchmen ? Je n’avais pas aimé Originals mais apprécié son épisode pour Ennis de War Stories.
Je suis content de voir écrit par un autre tellement plus modéré que moi que les histoires de Millar sont empruntes de conservatisme sous le vernis de la provoc’…
Gibbons a entièrement mis en image la série de Frank Miller : Martha Washington.
a LONG TIME AGO Martha Washington…
Il a aussi fait du Batman si je m’en réfère à un article de Présence qui hiberne dans mes serveurs…
J’ai relu « Martha Washington » que j’ai trouvé très bien, et sur le plan du scénario et sur le plan des dessins, même s’il faut du temps pour accepter que Dave Gibbons dessine de la même manière que dans Watchmen.
Il a également écrit plusieurs scénario dont le premier Batman / Predator, et un World Finest très bien, dessiné par Steve Rude.
Encore une fois un article rondement mené, Présence ! Je n’avais pas entendu parler du comic mais j’ai vu la bande-annonce. A bien y réfléchir, Wanted était déjà fait de ce bois de pitch pour un film. Et franchement, ce n’est pas ce genre de lecture que je recherche. Je passe donc.
En ce qui concerne Originals, je l’ai relu et toujours pas aimé malgré le dessin soigné (mais qui manque cruellement de mouvement fluide). Je le revends ! Quelqu’est preneur ? En VF bien sûr…
Tiens ! J’ai vu le film hier…. Voilà, c’est comme le titre de cette chronique : on s’y amuse, c’est ultra référencé et totalement creux, un brin machiste….. Un film qui se termine quand même sur les jolies fesses d’une femme nue que le héros s’apprête à sodomiser…. Ce n’est pas du meilleur goût…enfin…
En me repenchant sur ton article, mis à part la couverture, je n’aurais jamais imaginer qu’il s’agissait du même univers et des mêmes personnages. Je ferais donc complètement l’impasse sur cette BD.
J’ai vu le film hier. Alors c’est la même équipe que Kick-Ass (Matthew Vaugh à la réalisation et Mark Millar au scénar de base) et ça se sent. Je l’ai maté avec Maël et j’ai trouvé ça très plaisant, à part certains passages. D’abord celui où ils doivent abattre leur chiot. C’était une technique nazie pour former les SS. Ensuite sur la violence un peu gratuite finale, même si le coup du feu d’artifice m’a fait énormément rire. Et bien évidemment sur la scène à la James Bond avec la fille prête à se faire sodomiser.
Enfin, sous couvert de faire un nouveau James Bond (et ne me dites pas qu’il n’y a pas tous les passages obligés), c’est un peu vulgaire parfois, un peu gratuit quoi, c’est dommage. Autant je trouve la base intéressante (lutte des classes) autant c’est un peu vicié sur la fin : le statu-quo règne, et le prolo devient gentleman. Est-ce là une évolution notable ou bien une trahison ?
Bref je suis partagé mais il faut avouer que j’ai aimé le casting, j’ai eu de vrais moments de stress face à la tension (pourtant je savais que… mais bon), que c’est bien réalisé, drôle, original parfois. Et puis il y a le passage de l’entraînement, de la sélection, et ça, en général, c’est toujours de bons moments dans un film. Si un second arrive, ce sera forcément moins bien.