The Boys par Garth Ennis et collectif
Première publication le 24/01/2015- Mise à jour le 230/07/19
AUTEUR : TORNADO
VO : Dynamite
VF: Panini
Cet article porte sur l’intégrale de la série, publiée en VF par Panini de manière exécrable dans un premier temps (TPB séparés en deux pour multiplier les gains et donc arcs narratifs coupés en plein milieu), puis dans la collection deluxe dans un deuxième temps (6 tomes onéreux mais classieux).
Pour les anglophones, Dynamite a assuré la publication américaine pour nettement moins cher.
La série complète s’étend sur 72 épisodes et trois mini-séries, ce qui fait 90 épisodes au total…Traduction de notre ami Alex Nikolavitch.
Vous voulez de la révolution au pays des super-héros ? Non ? Ah oui, c’est vrai, la plus-part des lecteurs de comics de super-héros ne veulent pas que les choses changent et lisent les mêmes histoires depuis 50 ans. Bon, tous ceux-là, vous pouvez sortir !
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Ça y est ? On est tranquille, là ? Bon alors ? Vous la voulez cette révolution ?!!! Ahhh ! Et bien vous allez être servis : les super-héros avaient Watchmen, les simples humains ont The Boys !
The Boys est une série drôle, touchante, novatrice, trash, ddéfoulatoire (ah! ces bastons !), et surtout… carrément maline ! Car ces super-héros détraqués, égocentriques, mégalomanes, pervers, junkies et alcoolos, ne sont-ils pas la métaphore de certaines de nos stars du show-biz bien réelles ? Avoir plus de talent que le commun des mortels a-t-il à voir avec les qualités de l’âme humaine ? Bref, moultes questions déjà amorcées dans le légendaire Watchmen de Moore, ici déclinées en roues libres, avec une verve provocatrice d’une méchanceté ultra-jubilatoire.
Mais attention : A présent, ce sont les humains qui mettent la rouste aux super-héros ! Car une branche de la C.I.A. a doté quelques « gars » (et une fille) d’une force surhumaine, suffisante pour casser la gueule à Superman ! L’équipe est composée de cinq baroudeurs : Billy Butcher (c’est le chef), « P’tit Hughie », la « Fille », la « Crème » et le « Français ».
Ma comparaison avec le chef d’œuvre d’Alan Moore ne doit pas être prise au premier degré, car au delà du constat révolutionnaire et réflexif, il n’y a évidemment pas de rapprochement possible. The Boys possède sa propre voix et s’impose comme une espèce de « soap opéra » trash et cynique au pays des comics de super-héros, avec une construction plus ou moins linéaire. Ennis y reprend la plus part de ses thèmes de prédilection, comme la Guerre, l’Histoire et le monde des Services Secrets, ainsi que celui de l’Uchronie.
Les qualités de cette œuvre sont indéniables et en font tout de même l’une des séries les plus denses et les plus riches de son temps : Dialogues formidables, caractérisation des personnages parfaite, multiples niveaux de lecture touchant essentiellement à la production d’œuvres de « masses ». Ainsi, tous les super-héros de l’univers de The Boys sont pensés de manière à réaliser une vaste parodie des super-héros les plus connus du monde des comics.
Dans la forme, la série est très longue et souffre d’un défaut bien réel, car Ennis étire ses arcs narratifs au travers de multiples séquences de parlotte assez interminables et soporifiques, prenant un plaisir manifeste à ne pas donner au lecteur les scènes d’action cathartiques auxquelles il était en droit de s’attendre. Il faut ainsi patienter durant plusieurs dizaines d’épisodes en alternant des moments « énooormes », comme on dit, et des passages à vide frustrants et laborieusement bavards…
Et puis, arrivé au soixantième épisode : Blam ! La claque. Ennis nous offre enfin l’affrontement tant attendu entre tous ces personnages que l’on suit depuis le début et que l’on attendait en désespérant. Un beau cadeau pour le lecteur fidèle qui aura tant patienté avant de savourer ce moment d’anthologie !
Après une interminable série d’épisodes de parlotte, The Boys décolle et nous offre un final dantesque, tel que l’auteur de Preacher en a le secret, et tel qu’il nous le faisait miroiter depuis le début. Il règle ses comptes avec l’industrie super-héroïque en bonne et due forme, dans un bain de sang qui évoque un grand bucher dans lequel il aurait volontiers, on l’imagine très bien, balancé 99% de la production en matière de comics de super-héros, et tout cela de manière impitoyable ! Personnellement, j’ai refermé le dernier livre avec une pêche d’enfer, en me disant que le scénariste ne m’avait pas déçu sur ce climax, et qu’il avait même réussi à me surprendre grâce à un « twist » que je n’avais franchement pas vu arriver !
En réalité, Ennis nous a réservé un final certes dantesque, mais beaucoup plus fin et complexe qu’ouvertement cathartique…Cette conclusion est également une manière de mesurer à quel point la série aura évolué au fil du temps (après six ans d’existence). En effet, il semblait au départ qu’Ennis souhaitait avant tout créer un brûlot sur le monde de l’édition des comics en général et des super-héros en particulier. Il semblait ainsi régler ses comptes avec ses détracteurs (puisque le scénariste déteste ouvertement les super-héros et que ce n’est pas un mystère qu’il n’est pas apprécié de tous pour cette raison en particulier !), tout en proposant une réflexion féroce sur les dérives commerciales des grandes maisons d’édition.
Mais au fur et à mesure des tomes, nous nous sommes aperçu que Garth Ennis renforçait le côté satirique de son œuvre en la nourrissant d’un ensemble considérable de thèmes connexes et de charges à l’encontre de ce qui ne va pas dans nos sociétés modernes capitalistes. Comme dit plus haut, le scénariste à non seulement réinjecté la plupart de ses thèmes de prédilection dans son intrigue (la Guerre, l’Histoire et le monde des Services Secrets, ainsi que celui de l’Uchronie), mais il y a ajouté de surcroît une multitude de références à la culture populaire, et pas seulement celle des comics.
Enfin, il a déroulé, de manière croissante, une critique virulente des USA, du capitalisme et des multinationales, des industriels et de la course à l’armement, du monde de la politique, du show-business, ainsi qu’un véritable réquisitoire à l’encontre du système judiciaire, pointant du doigt la cruauté d’un monde régit par l’argent et le pouvoir. Soit un pamphlet sans concessions sur tout ce qui ne va pas dans ce monde, en forme de caricature cynique, claire, nette et indiscutable…
Et puis… il y a une cerise sur le gâteau : La saga ne sera jamais allée là où le lecteur pensait qu’elle devait aller. Depuis le début, Ennis s’est évertué à ne pas nous donner ce que nous attendions. Ce fut parfois décevant, voire frustrant, et souvent pénible car plusieurs arcs narratifs ne furent que de longs passages de dialogues plutôt soporifiques.
Mais ce final surprenant s’est construit sur cette attente parfois interminable : les personnages de la série The Boys figurent parmi les plus complexes et les moins stéréotypés de toute l’Histoire des comics de super-héros.
Les derniers épisodes éclairent donc nos héros et leurs adversaires avec une finesse psychologique et une émotion de tous les instants, à fleur de peau, sans que jamais les séquences ne s’enchaînent sur un sentiment de déjà vu, de déjà vécu et de déjà exploré en matières de lecture. Bref, si j’osais, je comparerais cette saga à de la littérature, au sens noble du terme.
Mieux encore, la confrontation finale entre ces quelques protagonistes se risque à de tels accents shakespeariens, dans un lyrisme sanglant et cruel d’une puissance inouïe, que je pourrais presque avoir la sensation que la forme du récit est semblable à un véritable opéra de papier, là encore sans une once de sarcasmes. Evidemment, les dessins ne sont pas à la hauteur de cette œuvre majeure sur le thème des super-héros, thème régulièrement illustré de manière somptueuse par la multitude d’artistes brillants qui composent les rangs des maisons d’édition américaines.
Trois personnes se succèdent ainsi aux crayons, à commencer par Darick Robertson, co-créateur de la série. Un dessinateur très surestimé, capable du pire comme du meilleur, infoutu de tenir les délais et de donner deux fois le même visage à n’importe quel personnage. John McCrea n’a jamais été aussi mauvais et vulgaire. Russ Braun a beau avoir progressé au fil des tomes, son encrage laborieux et ses découpages moribonds ne font vraiment pas honneur au script de son scénariste.
C’est un fait : Garth Ennis préfère travailler avec ses copains dessinateurs, quand bien même ils sont médiocres ou irréguliers, plutôt que de s’entourer de professionnels plus talentueux avec lesquels il n’a pas tissé de liens particuliers. C’est un homme fidèle en amitié, et tant-pis pour les lecteurs…
Mais au final, peu importe ! L’aventure « The Boys » aura été longue et intense, parfois laborieuse, souvent drôle et pleine d’émotion, quelques fois éprouvante de violence cathartique. Mais le final magistral aura entériné tous mes espoirs en matière de lecture dense, riche et maitrisée, comme tous les grands classiques du neuvième art, auxquels peut désormais s’ajouter cette énième création de Garth Ennis…
THE BOYS tome 3 : on y trouve les six numéros de HEROGASM puis les numéros 31 à 38 plus un petit bonus sur La légende qui se fait virer de l’édition des comics (réalisé dans le cadre du Comic Book Legal Defense Fund en 2010). C’est beaucoup mieux que précédemment. C’est toujours trash mais pas trop et surtout l’histoire avance : on a droit aux origines de La crème (avec une mise en scène totalement ennisienne, où ça discute dans la rue près d’un pont, comme dans PREACHER ou HELLBLAZER), du Frenchie (Ennis se lâche totalement sur la France, c’est assez marrant en fait, surtout que la traduction de Lavitch n’hésite pas à en ajouter en citant Astérix) et de la Fille (avec un professeur Uderzo dedans huhu). Le gros souci c’est que la majeure partie n’est pas dessinée par Robertson et l’ensemble est plutôt laid, graphiquement. Sinon c’est aussi très amusant de voir des personnages totalement remaniés mais qui apparaissent dans la série télé sous un autre sexe et / ou dans d’autres intrigues (le super-héros nazi, Petit Soldat…). Sacré boulot d’adaptation qui a été fait, une relecture presque complète. Malgré les nombreuses scènes de sexe et de violence, l’ensemble est plus politique et fait la part belle aux manipulations, cela devient solide.
Hélas Robertson ne dessinera que le dernier arc et se contentera des covers (formidables). Le reste de la série perd en niveau avec McCrea et Russ Braun en alternance.
Oui les covers sont chouettes, j’aime bien celle qui parodie la couverture de All Star Superman.